Assurance-emploi (AE)

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Citation : SG c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1000

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. G.
Représentante ou représentant : Jérémie Dhavernas
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (548382) datée du 17 novembre 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Guillaume Brien
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 20 avril 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant
Date de la décision : Le 26 avril 2023
Numéro de dossier : GE-22-4117

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La prestataire n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’elle avait une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand elle l’a fait. La prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi parce que le départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] La prestataire a quitté son emploi le 7 juin 2022 et a demandé des prestations d’assurance‑emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de la prestataire pour quitter son emploi. Elle a conclu que cette dernière a quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’elle a choisi de quitter son emploi) sans justification prévue par la loi. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si la prestataire a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] La Commission affirme qu’au lieu de quitter son emploi quand elle l’a fait, la prestataire aurait pu explorer les possibilités avec la garderie. Elle aurait pu s’organiser avec son conjoint afin d’éviter une situation de chômage. Le fait de quitter son emploi à cause d’un problème de gardiennage était un choix personnel et non une justificationNote de bas de page 1.

[6] La prestataire n’est pas d’accord et affirme que la décision est mal fondée en faits et en droitNote de bas de page 2. L’avocat soumet en audience que le Tribunal doit tenir compte de la nécessité de prendre soin d’un enfant, en conjonction avec la modification importante des fonctionsNote de bas de page 3.

Question en litige

[7] La prestataire est-elle exclue du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?

[8] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de la prestataire. Je dois ensuite décider si elle était fondée à quitter son emploi.

Analyse

Les parties sont d’accord sur le fait que la prestataire a quitté volontairement son emploi

[9] J’accepte le fait que la prestataire a quitté volontairement son emploi. La prestataire reconnaît qu’elle a quitté son emploi le 7 juin 2022. Je n’ai aucune preuve du contraire.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi

[10] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi quand elle l’a fait.

[11] La loi prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 4. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[12] La loi explique ce que veut dire « être fondée à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 5.

[13] La prestataire est responsable de prouver que son départ était fondé. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 6.

[14] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand la prestataire a quitté son emploi. La loi énonce des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 7.

[15] Une fois que j’aurai déterminé les circonstances qui s’appliquent à la prestataire, celle‑ci devra démontrer qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 8.

Les circonstances présentes quand la prestataire a quitté son emploi

[16] La prestataire affirme que des circonstances énoncées dans la loi s’appliquent à son cas.

[17] Elle affirme qu’il y a eu une modification importante de ses fonctions. Elle affirme qu’il y a nécessité pour elle de prendre soin d’un enfant.

Modification importante des fonctions

[18] La prestataire affirme qu’étant donnée la modification importante de ses fonctions, elle était fondée à quitter volontairement son emploi.

Contrat d’emploi initial

[19] La preuve démontre que la prestataire fut engagée au mois de mai 2018 en tant qu’agente de la qualité, avec un horaire de 9am à 5pm :

  • L’employeur mentionne et confirme que l’horaire à l’embauche était de 9h00 à 17 :00 et qu’il n’a jamais changéNote de bas de page 9.
  • La prestataire admet qu’à son embauche cet horaire était présent et connuNote de bas de page 10.
  • La prestataire dit que son superviseur lui a indiqué que son nouvel horaire sera comme à l’embauche, de 9h00 à 17h00Note de bas de page 11.
  • L’employeur explique que la prestataire a été embauchée au début comme agent de qualité avec un horaire de 9h à 17hNote de bas de page 12.

[20] Or, durant l’audience, la prestataire témoigne ne pas savoir si elle avait un contrat de travail avec un horaire précis, bien qu’elle ait travaillé pour l’employeur durant quatre années.

[21] Confrontée par le Tribunal sur ce point, la prestataire ajuste son témoignage, et explique que oui, surement, elle avait un contrat de travail, qu’elle avait signé un document, que celle-ci ne s’en rappelle pas.

[22] Après avoir entendu la prestataire au sujet de son contrat de travail, je détermine que son témoignage sur cette question n’est pas franc. Elle a démontré une volonté apparente de cacher le fait qu’elle avait effectivement signé un contrat de travail avec un poste et un horaire précis lors de son embauche.

[23] Le fardeau de preuve reposait sur les épaules de la prestataire. Elle a choisi de ne pas déposer son contrat de travail en preuve.

[24] Le Tribunal préfère donc la preuve qui se trouve au dossier. Cette preuve est contemporaine et claire. Elle démontre que la prestataire a été engagée comme agente de la qualité au mois de mai 2018 sous un horaire de 9am à 5pm.

Congé de maternité et accommodements de l’employeur

[25] La prestataire a pris un congé de maternité d’environ une année, du mois d’avril 2019 à mai 2020.

[26] La preuve au dossier démontre qu’à son retour au travail, l’employeur a accepté de l’accommoder de la manière suivante :

  • L’employeur témoigne qu’à son retour, la prestataire a demandé d’avoir un horaire de travail différent, soit de 7h30 à 15h30. Dans cette situation l’employeur lui a offert un poste de numérisation et archivage de documentsNote de bas de page 13.
  • La prestataire témoigne qu’à son retour de congé de maternité, elle a poursuivi un horaire qui lui convenaitNote de bas de page 14.
  • La prestataire témoigne qu’à son retour de son congé de maternité, il y a 2 ans, ses tâches ont changé. Elle a été mise sur la numérisation avec son horaire de 7h00 à 15h30 et que cela convenait à tout le mondeNote de bas de page 15.
  • La prestataire témoigne qu’à son retour de maternité elle a changé de poste pour s’occuper de l’archivage des documents et elle travaillait de 7h30 à 15h30Note de bas de page 16.

[27] La preuve non contestée démontre donc que l’employeur a accepté d’accommoder la prestataire à son retour de congé de maternité avec de nouvelles tâches et un nouvel horaire.

[28] Je note également que le salaire de la prestataire est resté le même malgré le fait qu’elle n’exerçait plus les fonctions d’agente de la qualité pour lesquelles elle avait été embauchée.

Abolition du poste d’accommodement et acceptation des nouvelles fonctions

[29] Étant donné l’évolution des technologies, l’employeur a adopté des documents enregistrés en format électronique. L’employeur n’a plus à scanner de documents, et le poste de numérisation et archivage offert à la prestataire comme accommodement à son retour de maternité a donc disparu. Ceci n’est pas contesté.

[30] Lors de rencontres tenues le 24 et le 25 mai 2022, l’employeur (représenté par le gérant et par le superviseur) présente à l’employé le nouveau programme en expliquant les changements que cela implique pour elle.

[31] On lui propose alors de revenir à son ancien poste d’agente de la qualité, de reprendre son horaire de 9h à 17h, le tout assorti d’une augmentation salariale de 25%.

[32] La prestataire accepte immédiatement cette offre. Ceci n’est pas contesté par les parties.

[33] Or, après avoir accepté de revenir à ses tâches d’agente de la qualité, poste pour lequel elle avait été engagée en mai 2018, avec son horaire d’embauche initial et un salaire majoré de 25%, la prestataire en discute avec son mari. Son mari n’est pas d’accord. Elle demande alors à son employeur, à au moins deux reprises, de travailler de 8am à 4pm. L’employeur refuse, lui expliquant qu’elle doit être présente en personne pour la formation d’une durée de trois mois. Plusieurs employés ont des enfants et ils s’adaptent à la situation.

[34] Étant donné le refus de l’employeur d’accommoder ses demandes d’horaire, la prestataire décide de quitter le 7 juin 2022, sans donner le préavis légal requis.

Conclusions quant à l’allégation de modification importante des fonctions

[35] Après avoir analysé le dossier, je détermine que la prestataire avait accepté le retour aux fonctions d’agente de la qualité suivant l’abolition de son poste d’accommodement. Ce poste était le même que celui pour lequel elle avait été embauchée initialement en mai 2018.

[36] En acceptant la proposition de l’employeur, la prestataire s’est obligée, contractuellement, à effectuer le travail requis par l’employeur. La prestataire ne pouvait donc pas, après avoir discuté avec son mari, revenir unilatéralement sur le contrat conclu et forcer l’employeur à accepter un horaire dicté par l’employé et par son conjoint.

[37] Le droit de gestion appartient à l’employeur et non pas à l’employé.

[38] Étant donné ce qui précède, je détermine qu’il n’y a pas eu de modifications importantes des fonctions au travail.

Nécessité de prendre soin d’un enfant

[39] La prestataire allègue qu’elle n’avait d’autres choix que de quitter son emploi quand elle l’a fait puisqu’elle devait prendre soin de son enfant.

L’enfant n’a aucun problème médical

[40] Le fait que l’enfant n’ait pas de problème médical n’est pas contesté.

[41] Il n’y a aucune circonstance particulière qui nécessiterait une prise en charge spéciale de l’enfant par la prestataire.

Amener et reprendre l’enfant à la garderie

[42] L’enfant avait 3 ans au moment des faits. Il allait donc à la garderie et non pas à l’école. Il s’agit clairement d’un problème de gardiennage, la garderie n’étant pas obligatoire au Québec.

[43] L’horaire de travail, tel qu’accepté contractuellement par la prestataire, était de 9h à 17h (il pouvait aller jusqu’à 17h30 quelquefois).

[44] Lors de l’audience, il a été établi que l’horaire d’arrivée de l’enfant à la garderie n’était pas le problème. Madame avait suffisamment le temps d’aller porter son enfant le matin car la garderie était à côté de chez elle à pied et elle ne commençait qu’à 9am.

[45] La prestataire allègue que c’était l’horaire pour reprendre l’enfant à la garderie qui n’allait pas. C’est à cause de l’horaire de fermeture de la garderie qu’elle allègue avoir dû quitter volontairement son emploi quand elle l’a fait.

[46] La prestataire habite à La Prairie, à une distance de 60 à 90 minutes en transport en commun de son emploi. Ce fait n’est pas contesté.

[47] En audience, la prestataire explique que sa garderie ferme à 17h. Elle dit qu’il ne lui est pas possible d’aller chercher son enfant plus tard que 17h car c’est une garderie subventionnée en milieu familial.

[48] La circonstance qui existait lorsque la prestataire a quitté son emploi était donc que la garderie pour son enfant de 3 ans fermait à 17h, et que quelqu’un devait s’occuper d’aller chercher l’enfant à la fermeture.

La prestataire avait une autre solution raisonnable

[49] Je dois maintenant examiner si le départ de la prestataire était la seule solution raisonnable à ce moment-là.

[50] La prestataire affirme que c’était le cas parce qu’elle devait aller chercher son enfant à 17h tous les jours de la semaine. Elle affirme que son mari ne pouvait pas l’aider. Elle dit que ses beaux-parents, qui habitent dans le même édifice qu’elle, ne pouvaient pas l’aider non plus.

[51] La Commission n’est pas d’accord et affirme que la prestataire aurait pu explorer les possibilités avec sa garderie actuelle. Elle aurait pu s’organiser avec son conjoint afin d’éviter de créer sa propre situation de chômage.

Solution raisonnable : se trouver un autre emploi avant de quitter

[52] J’ai demandé à la prestataire si elle avait effectué des recherches d’emploi avant de démissionner.

[53] Celle-ci me répond que oui. Elle dit que la preuve, c’est qu’elle a eu une entrevue en juillet 2022, mais qu’elle n’a pas obtenu l’emploi à cause de son niveau d’anglais trop faible. Elle n’a déposé aucune preuve de recherche d’emploi au dossier, bien qu’elle ait le fardeau de la preuve.

[54] Je lui ai demandé de préciser la date de cette recherche d’emploi. La prestataire m’a répondu que c’était après avoir démissionné. Elle dit qu’elle n’a pas fait de recherches d’emploi le 6 et le 7 juin parce qu’elle n’avait pas le temps.

[55] J’ai demandé à la prestataire quand elle avait su que son travail de numérisation et d’archivage allait se terminer. Celle-ci m’a répondu que c’était quelques mois avant la fin de l’emploi.

[56] Après avoir entendu la prestataire, je détermine que celle-ci a eu amplement le temps de chercher et trouver un nouvel emploi entre le jour de sa connaissance que son travail d’accommodement allait se terminer et le jour de sa démission.

[57] Je détermine que la prestataire n’a pas réussi à prouver avoir fait de quelconques recherches d’emploi avant sa démission bien que le fardeau de la preuve repose sur ses épaules.

[58] J’ai demandé à la prestataire quelle était l’urgence de démissionner le 7 juin 2022. Celle-ci m’a répondu : je n’allais pas abandonner mon enfant...

[59] La preuve au dossier démontre que :

  • La prestataire a témoigné n’avoir jamais pensé à revoir son organisation familiale : elle dit que son conjoint l’a aidé durant 2 ans et qu’il en a assez faitNote de bas de page 17.
  • La prestataire témoigne que son mari est travailleur autonome et qu’il fait son horaire lui-même. Il est convenu qu’il fait le matin avec l’enfant et elle le soirNote de bas de page 18.
  • La prestataire dit que son mari a des rendez-vous et qu’il ne sait pas à quelle heure il termine le soir, donc il ne peut pas aller chercher l’enfant en fin de journée et c’est elle qui y vaNote de bas de page 19.

[60] Questionnée par son avocat en audience, la prestataire dit avoir tenté de s’adapter et d’avoir travaillé deux jours sous le nouvel horaire, soit les 6 et 7 juin 2022. Elle a remis sa démission le 7 juin 2022 par courriel.

[61] Questionnée par son avocat à savoir ce qu’elle avait fait avec son enfant durant ces deux journées, la prestataire témoigne : ‘Ben mon mari c’est lui qui l’a amené à la garderie… il n’a pas travaillé… il n’a pas travaillé beaucoup… il n’a pas travaillé toute la journée.’Note de bas de page 20

[62] La prestataire confirme ensuite la suggestion de son avocat comme quoi son mari a dû couper ses heures de travail durant ces deux journées.

[63] Après avoir entendu la prestataire et revu le dossier, je détermine que celle-ci aurait pu continuer à exercer ses nouvelles fonctions durant le temps de sa recherche d’emploi.

[64] Il est raisonnable que son mari coupe ses heures afin d’aller chercher l’enfant à la garderie si c’est là l’organisation familiale souhaitée par la prestataire.

[65] L’ensemble des contribuables canadiens n’ont pas à payer pour un choix personnel de la prestataire et de son conjoint quant à leur organisation familiale souhaitée.

[66] Compte tenu des circonstances qui existaient quand la prestataire a quitté son emploi, la prestataire avait une autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[67] Je note également que la prestataire aurait pu aussi chercher à être transférée dans un autre poste chez son employeur, mais qu’elle a témoigné ne l’avoir jamais demandé. Elle aurait pu chercher une autre garderie, elle aurait pu engager une gardienne, et elle aurait pu prendre un congé sans solde.

[68] Par conséquent, la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi.

Conclusion

[69] Je conclus que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations.

[70] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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