Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 878

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (496529) datée du 21 juillet 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 31 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 1er février 2023
Numéro de dossier : GE-22-2782

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel avec des modifications.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension, puis son congédiement).

[3] Par conséquent, la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi du 21 mars 2022 au 19 mai 2022Note de bas de page 1 . La prestataire n’est jamais retournée au travail. Son employeur l’a congédiée le 24 mai 2022 en raison d’une inconduite. Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du dimanche 22 mai 2022Note de bas de page 2.

Aperçu

[4] La prestataire a été mise en congé sans solde (suspendue) de son emploi. L’employeur de la prestataire affirme qu’elle a été suspendue parce qu’elle ne s’est pas conformée à sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19. Elle a refusé de communiquer son statut vaccinal. L’employeur a congédié la prestataire le 24 mai 2022.

[5] La Commission a accepté la raison de la suspension fournie par l’employeur. Elle a d’abord décidé que la prestataire n’était pas admissible aux prestations à compter du 20 mars 2022, parce qu’elle a pris une période de congé volontaire. La Commission a modifié sa décision après avoir réexaminé la question en litige. La Commission a établi que la prestataire n’était pas admissible aux prestations à compter du 6 décembre 2021, parce qu’elle a été suspendue en raison d’une inconduite.

[6] Même si la prestataire ne conteste pas ce qui s’est passé, elle affirme qu’aller à l’encontre de la politique de l’employeur n’est pas une inconduite.

Questions que je dois examiner en premier

Partie mise en cause potentielle

[7] Parfois, le Tribunal envoie à l’ancien employeur de la partie prestataire une lettre lui demandant s’il souhaite être mis en cause dans le cadre de l’appel. Pour être mis en cause, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas mettre l’employeur en cause dans le présent appel. En effet, rien au dossier n’indique que ma décision imposerait des obligations légales à l’employeur.

Demande administrative

[8] La date de l’audience a été repoussée au 31 janvier 2023. On a accordé à la prestataire une modification administrative à la date d’audience, prévue le 9 janvier 2023. En effet, dans les deux jours suivant la date à laquelle elle en a été informée, elle a demandé une modification visant à la faire repousser à la fin de janvier 2023.

Questions en litige

[9] La prestataire a-t-elle été suspendue puis congédiée en raison d’une inconduite?

Analyse

[10] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique, peu importe si l’employeur a suspendu ou congédié la personneNote de bas de page 3.

[11] Pour décider si la prestataire a été suspendue puis congédiée en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois établir pour quelle raison la prestataire a été suspendue puis congédiée. Ensuite, je dois vérifier si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[12] Personne ne conteste le fait que la prestataire a été mise en congé sans solde (suspendue), puis congédiée, parce qu’elle a refusé de communiquer son statut vaccinal dans les délais prévus par la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de l’employeur.

[13] Il n’y a rien au dossier qui pourrait me faire conclure le contraire. Je juge donc que la prestataire a été suspendue puis congédiée parce qu’elle a refusé de communiquer son statut vaccinal, comme l’exige la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de l’employeur.

La raison de la suspension et du congédiement de la prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[14] Oui. Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Voici ce dont j’ai tenu compte.

[15] Pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5.

[16] Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 6.

[17] Il y a inconduite si la personne savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 7.

[18] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 8.

[19] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • Le 5 octobre 2021, son employeur l’a avisée de l’obligation de communiquer son statut vaccinal.
  • La prestataire savait que toutes les personnes employées devaient divulguer qu’elles étaient entièrement vaccinées au plus tard le 22 novembre 2021, peu importe l’endroit où elles travaillaient.
  • La prestataire savait qu’elle serait mise en congé sans solde (suspendue) si elle ne divulguait pas qu’elle était entièrement vaccinée au plus tard le 22 novembre 2021.
  • L’employeur a avisé la prestataire que si elle refusait toujours de communiquer son statut vaccinal dans les trois mois suivant le 6 décembre 2021, on pouvait mettre fin à son emploi.
  • La prestataire n’a pas demandé d’exemption à la politique pour raisons médicales ou religieuses.

[20] La prestataire affirme qu’elle n’a pas commis d’inconduite parce que la politique ne tenait pas compte de son droit de refuser ou de son choix. Son contrat l’oblige à se faire vacciner ou à subir des procédures médicales. La politique de l’employeur ne permet pas le consentement éclairé. Son employeur a eu recours à la coercition, aux menaces et à des tactiques d’intimidation.

[21] La prestataire a expliqué en détail comment, le 5 octobre 2021, elle a été avisée de l’obligation d’être entièrement vaccinée contre la COVID-19 et de divulguer son statut vaccinal au plus tard le 22 novembre 2021. Le 31 octobre 2021, elle a eu un accident de la route. Elle a pris un congé de maladie du 1er novembre 2021 au 5 décembre 2021.

[22] La prestataire affirme que son employeur l’a appelée le 22 novembre 2022, alors qu’elle était en congé de maladie. On lui a demandé si elle allait communiquer son statut vaccinal. La prestataire a refusé et a dit qu’elle allait discuter de la question avec son employeur à son retour au travail le 6 décembre 2021. Elle a eu une réunion avec son directeur le 6 décembre 2021, lors de son premier jour de travail. Elle a encore refusé de communiquer son statut vaccinal pendant cette rencontre. Plus tard le même jour, on lui a envoyé une lettre l’informant qu’elle était mise en congé sans solde (suspendue) à compter du 7 décembre 2021.

[23] La prestataire a déposé une copie de la lettre de suspension que l’employeur a envoyée le 6 décembre 2021, décrivant les événements qui ont mené à sa suspension. Dans cette lettre, l’employeur a également écrit :

  • [traduction]
    Si votre situation change et que vous vous faites vacciner contre la COVID-19, veuillez le confirmer auprès de [nom de la directrice], directrice de la stratégie financière, dès que possible. Si vous n’êtes toujours pas vaccinée ou si vous refusez toujours de divulguer votre statut vaccinal dans les trois mois suivant le 6 décembre 2021, nous pourrions mettre fin à votre emploiNote de bas de page 9.

[24] La prestataire a confirmé qu’elle savait que l’on implantait la politique et qu’elle allait être suspendue sans solde si elle ne se conformait pas à cette politique vaccinale, qui exigeait qu’elle communique son statut vaccinal. Elle a fait valoir que le document énonçant la politique a été envoyé en novembre seulement, alors qu’elle était en congé de maladie. Elle dit qu’elle travaillait de la maison sans aucun contact direct avec qui que ce soit; la politique de l’employeur ne devrait donc pas s’appliquer à elle. Elle était une bonne employée. Elle n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire.

[25] À l’audience, la prestataire a fait référence à une décision rendue par le Tribunal dans l’affaire AL c CAEC, dans laquelle un membre du Tribunal a accueilli l’appelNote de bas de page 10. Elle dit que son appel devrait aussi être accueilli parce que sa situation était semblable.

  • AL était une employée syndiquée dont la convention collective n’exigeait pas la vaccination contre la COVID-19;
  • AL travaillait pour un gouvernement provincial dans le domaine des soins de santé directement auprès des patients. Cependant, ici, la prestataire travaillait à la maison pour un gouvernement provincial; elle n’avait donc aucun contact direct avec qui que ce soit d’autre.

[26] Je ne suis pas liée par les autres décisions rendues par le TribunalNote de bas de page 11. Par conséquent, je n’ai pas à suivre ces décisions. Je peux toutefois m’y fier pour me guider si je les trouve convaincantes ou utiles.

[27] En toute déférence, je ne suis pas convaincue par les conclusions ou les motifs du membre dans la décision AL c CAEC. Si je comprends bien, ce membre a rendu sa décision en fonction de ses conclusions concernant les actions unilatérales de l’employeur pour imposer la politique, et la question de savoir s’il était légalement justifié de la part de la prestataire de refuser de se faire vacciner contre la COVID-19. Je tiens également à souligner que la décision AL c CAEC a fait l’objet d’un appel.

[28] La Cour fédérale a récemment rendu une décision dans l’affaire Cecchetto c Procureur général du Canada. Dans cette décision, la Cour a rejeté une demande de contrôle judiciaire dans une affaire présentant des faits similaires à ceux de l’affaire AL c CAECNote de bas de page 12. Le prestataire de l’affaire Cecchetto travaillait dans un hôpital et on lui a refusé des prestations d’assurance-emploi parce qu’on a conclu qu’il avait été suspendu, puis congédié de son emploi en raison d’une inconduite. Il n’a pas respecté la directive provinciale exigeant la vaccination obligatoire contre la COVID-19 pour les personnes qui travaillent dans les hôpitaux.

[29] Dans l’affaire Cecchetto, la Cour a confirmé que le Tribunal de la sécurité sociale n’a pas le mandat ou la compétence d’évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de vaccination d’un employeur ni de se prononcer sur cette question. Autrement dit, en tant que membre du Tribunal, je ne peux pas décider si la prestataire avait d’autres options au titre d’autres lois ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables pour la prestataireNote de bas de page 13. Je peux seulement examiner une chose : la question de savoir si ce que la prestataire a fait ou omis de faire constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[30] De plus, la question de savoir si un employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation pour un employé aux termes de la législation sur les droits de la personne n’est pas pertinente à la question de l’inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. En effet, ce n’est pas la conduite de l’employeur qui est en cause. Ces questions peuvent être traitées par d’autres instancesNote de bas de page 14.

[31] La question de savoir si la prestataire travaillait ou non à domicile n’est pas pertinente. En effet, l’obligation due à son employeur était de se conformer à la politique de vaccination obligatoire, qui était une condition du maintien de son emploiNote de bas de page 15.

[32] Je reconnais que la prestataire peut avoir le droit de décider si elle doit se faire vacciner ou de divulguer son statut vaccinal. Cependant, elle savait qu’il y aurait des conséquences si elle refusait de suivre la politique de l’employeur, qui dans le cas présent était une suspension, puis un congédiement.

[33] L’objet de la Loi sur l’assurance-emploi est d’indemniser les personnes dont l’emploi a pris fin involontairement et qui sont sans emploi. La perte d’emploi qui est assurée doit être involontaireNote de bas de page 16. Il ne s’agit pas d’un droit automatique, même si une partie prestataire a cotisé à l’assurance-emploi. À mon avis, la prestataire n’a pas perdu son emploi involontairement. En effet, c’est la non-conformité à la politique de l’employeur qui a mené à sa suspension et à son congédiement.

[34] Compte tenu des faits décrits ci-dessus, je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite parce que le refus de la prestataire de communiquer son statut vaccinal était délibéré ou intentionnel. Il y avait un lien de cause à effet entre son refus de se faire vacciner, sa suspension et son congédiement. Je conclus donc que la prestataire a été suspendue, puis congédiée de son emploi en raison d’une inconduite.

Période d’inadmissibilité et d’exclusion

[35] Je conclus que la prestataire a été déclarée inadmissible, puis exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a été suspendue, puis congédiée en raison d’une inconduite. Voici ce dont j’ai tenu compte.

[36] Dans la présente affaire, la Commission a établi que la prestataire était inadmissible à compter du 6 décembre 2021 parce qu’elle avait été suspendue en raison d’une inconduite. Le 20 juillet 2022, la prestataire a dit à la Commission qu’elle avait fini par être congédiée pour la même raison que celle de sa suspension. Cependant, je ne vois rien dans les documents au dossier qui montre que la Commission a imposé une exclusion la semaine où la prestataire a été congédiée.

[37] La loi prévoit qu’en cas d’inconduite, une inadmissibilité imposée pendant la période de suspension n’empêche pas une exclusion lorsque la période d’inadmissibilité prend fin à la suite d’un congédiementNote de bas de page 17.

[38] La période de prestations de la prestataire a commencé le 20 mars 2022 et elle a été congédiée le 24 mai 2022. Je conclus donc que la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi du lundi 21 mars 2022 au vendredi 20 mai 2022Note de bas de page 18. La prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du dimanche 22 mai 2022Note de bas de page 19.

Conclusion

[39] La Commission a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[40] L’appel est rejeté avec des modifications.

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