Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c DP, 2023 TSS 932

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentant : Gilles‑Luc Bélanger
Intimée : D. P.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 6 février 2023
(GE-22-2883)

Membre du Tribunal : Stephen Bergen
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 17 juillet 2023
Personne présente à l’audience : Représentant de l’appelante
Date de la décision : Le 17 juillet 2023
Numéro de dossier : AD-23-188

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel. La prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations du 6 janvier au 8 avril 2022. Elle n’était pas disponible pour travailler pendant cette période.

Aperçu

[2] D. P. (prestataire) a demandé des prestations d’assurance‑emploi en février 2022. Elle s’attendait à recevoir des prestations d’assurance‑emploi pendant un trimestre scolaire qui avait commencé en janvier et qui se poursuivrait jusqu’à la fin d’avril 2022. L’appelante, la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (Commission), a décidé que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations à compter du 2 janvier 2022. Elle a conclu qu’elle n’était pas disponible pour travailler pendant ses études. Lorsque la prestataire lui a demandé de réexaminer sa décision, la Commission a modifié celle‑ci. Elle a tout de même conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler, mais elle a précisé que cela valait pour la période du 6 janvier au 8 avril 2022.

[3] La prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a décidé qu’elle était disponible pour travailler du 6 janvier au 8 avril 2022, même si elle allait à l’école à temps plein.

[4] La Commission a porté la décision de la division générale en appel devant la division d’appel.

[5] La division générale n’a pas appliqué la jurisprudence pertinente de la Cour d’appel fédérale. Ce faisant, elle a commis une erreur de droit.

[6] J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. J’ai appliqué la jurisprudence et je conclus que la prestataire n’a pas prouvé sa disponibilité pour travailler du 6 janvier au 8 avril 2022.

Question préliminaire

[7] La prestataire ne s’est pas jointe à l’audience par téléconférence lorsque celle‑ci a commencé. La division d’appel a immédiatement communiqué avec la prestataire, qui a confirmé qu’elle n’avait pas l’intention d’y participer. L’appel a été instruit en son absence.

Question en litige

[8] La question en litige dans le présent appel est la suivante :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’avait établi aucune condition personnelle limitant indûment ses chances de retourner au travail?

Analyse

[9] La division d’appel ne peut tenir compte que des erreurs qui relèvent de l’un des moyens d’appel suivants :

  1. a) Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon quelconque.
  2. b) La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher (erreur de compétence).
  3. c) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.
  4. d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[10] La loi prescrit qu’un prestataire doit être en mesure de prouver qu’il est capable de travailler et disponible à cette fin pour chaque jour de sa période de prestationsNote de bas de page 2. La disponibilité est évaluée au moyen d’un critère qui a été énoncé dans une décision appelée Faucher Note de bas de page 3.

[11] Dans ses observations écrites, la Commission a soutenu que la division générale avait mal interprété le sens du troisième facteur de l’arrêt Faucher et qu’elle avait commis une erreur de droit.

[12] Elle y a également affirmé que la division générale avait confondu la présomption d’indisponibilité des étudiants à temps plein avec le critère de disponibilité de l’arrêt « Faucher ». Elle a aussi fait d’autres commentaires sur la façon dont la division générale a mal interprété les faits.

[13] Lors de l’audience par téléconférence de la division d’appel, la Commission n’a pas contesté la conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire avait réfuté la présomption et elle a précisé qu’elle ne faisait pas valoir l’existence d’une erreur de fait. Elle a seulement soutenu que la division générale avait commis une erreur de droit dans sa façon d’interpréter et d’appliquer le troisième critère de l’arrêt Faucher.

Erreur de droit

[14] Il existe une présomption légale selon laquelle les étudiants à temps plein ne sont pas disponibles pour travailler. Un prestataire peut réfuter (ou écarter) cette présomption en prouvant qu’il a, par le passé, travaillé pendant ses études à temps plein ou en démontrant l’existence d’autres circonstances exceptionnellesNote de bas de page 4.

[15] La division générale a conclu que la prestataire a réfuté la présomption. Elle a fait référence au fait qu’elle a déjà travaillé les soirs et les fins de semaine, pendant son trimestre scolaire de septembre à décembre 2020. Elle a également signalé que le trimestre scolaire de janvier à avril 2022 était consacré à un stage, qui comportait certaines activités de recherche d’emploi. La division générale a considéré qu’il s’agissait d’une circonstance exceptionnelle.

[16] Ayant conclu que les circonstances de la prestataire réfutaient la présomption, la division générale s’est demandé si la prestataire satisfaisait au critère de disponibilité de l’arrêt « Faucher ». Ce critère exige qu’un prestataire prouve trois facteurs :

  1. 1) Qu’il avait le désir de retourner au travail dès qu’une occasion convenable se présenterait;
  2. 2) Qu’il a manifesté ce désir par une recherche d’emploi;
  3. 3) Qu’il n’a établi aucune condition limitant indûment ses chances de retourner au travailNote de bas de page 5.

[17] La division générale a conclu que la prestataire satisfaisait aux trois critères de disponibilité. Pour décider que la prestataire satisfaisait au troisième facteur, la division générale s’est fondée sur une décision de l’ancien juge‑arbitreNote de bas de page 6. On a conclu dans cette décision qu’une étudiante prestataire était disponible pour travailler parce qu’elle était demeurée disponible pour le même nombre d’heures de travail qu’elle avait effectuées avant d’aller à l’école.

[18] La Commission a fait valoir que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle s’est appuyée sur une preuve selon laquelle la prestataire aurait été disponible pour travailler les soirs pour conclure que cette dernière n’avait pas limité indûment ses chances de retourner au travail.

[19] La Commission a renvoyé à l’arrêt Duquet, dans lequel la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de la disponibilité d’un étudiant à temps pleinNote de bas de page 7. Dans cet arrêt, la Cour a conclu qu’un étudiant avait limité indûment sa disponibilité parce qu’il était disponible pour travailler certaines heures et certains jours seulement.

[20] Je note que la Commission a également cité l’arrêt PrimardNote de bas de page 8. Dans cet arrêt, la Cour a déclaré que la prestataire n’avait pas réussi à trouver un emploi, « sans doute » parce qu’elle n’était disponible que les soirs et la fin de semaine. La Cour a conclu que le conseil arbitralNote de bas de page 9 avait commis une erreur au motif qu’il avait omis de prendre en considération le troisième facteur de l’arrêt Faucher.

[21] On a tenu compte également dans l’arrêt Primard de l’affirmation de la prestataire selon laquelle il était « possible » pour elle de suivre ses cours le soir si elle trouvait un emploi. La Cour a déclaré que l’absence d’une disponibilité actuelle ou encore une disponibilité éventuelle ou conditionnelle ne correspondait pas au sens donné à la disponibilité dans l’arrêt Faucher.

[22] La division générale n’a pas examiné ni appliqué la jurisprudence qui interprète le sens de « limiter indûment » en ce qui concerne les étudiants à temps plein. Elle s’en est plutôt remise au raisonnement formulé dans la décision CUB no 52355.

[23] Contrairement aux décisions de la Cour d’appel fédérale, les décisions CUB ne lient pas la division générale. Toutefois, les motifs énoncés dans la décision CUB no 52365 n’appuient pas la conclusion de la division générale.

[24] La décision CUB a comparé la disponibilité d’une étudiante à temps plein pour travailler avec le nombre d’heures travaillées par cette personne avant qu’elle ne soit étudiante. Elle n’a pas dit qu’un étudiant à temps plein – qui avait déjà limité ses heures de disponibilité pour travailler pendant qu’il était étudiant – sera considéré comme étant disponible (aux fins de l’assurance‑emploi) s’il limite de nouveau sa disponibilité de façon similaire.

[25] Je suis d’accord avec la Commission. La division générale a commis une erreur de droit en omettant d’examiner ou d’appliquer la jurisprudence pertinente à l’égard de la situation de la prestataire.

Moyen de réparer l’erreur

[26] J’ai relevé une erreur dans la façon dont la division générale en est arrivée à sa décision, alors je dois maintenant décider ce que je ferai à ce sujet. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou lui renvoyer l’affaire pour réexamenNote de bas de page 10.

[27] La Commission suggère que je rende la décision. La prestataire n’ayant pas assisté à l’audience, je ne connais pas son point de vue.

[28] Je suis d’accord avec la Commission. Je dispose de tous les renseignements dont j’ai besoin pour rendre la décision.

La prestataire était-elle disponible pour travailler du 6 janvier au 8 avril 2022?

[29] Je conclus que la prestataire n’était pas disponible pour travailler du 6 janvier au 8 avril 2022.

[30] La prestataire était inscrite à ce qui est décrit comme étant un stage du 6 janvier au 22 avril 2022. Elle était toutefois encore étudiante à temps plein.

[31] Elle a témoigné devant la division générale qu’il n’y avait pas de cours en salle de classe pendant le trimestre, mais qu’il y avait des travaux à effectuer à un rythme qu’elle déterminait elle‑même. Elle a passé les deux dernières semaines du trimestre à se préparer aux examens.

[32] Du 6 janvier au 8 avril 2022, elle a travaillé à temps plein dans le cadre de trois stages non rémunérés différents (sauf pour un congé de printemps vers la fin de février 2022). Selon le stage, sa journée de travail s’est déroulée de 7 h à 15 h ou de 8 h à 16 h.

[33] La prestataire a convenu avec la division générale qu’elle devait être physiquement présente aux stages. Elle n’a pu dire avec certitude si elle aurait pu interrompre le stage pour accepter un emploi. Elle a dit à la division générale qu’elle devait obtenir un nombre minimal d’heures d’expérience en ergothérapie et en physiothérapie. Elle a obtenu ces heures grâce aux stages pratiques.

[34] La prestataire ne se souvenait pas du nombre d’heures dont elle avait besoin, mais elle savait qu’elle avait dépassé ce nombre d’heures à la fin de son stage. Elle a déclaré qu’après avoir obtenu les heures dont elle avait besoin, elle aurait peut‑être pu quitter le stage et accepter un emploi.

[35] La preuve permet de croire que la prestataire n’aurait pu être disponible pour travailler que les jours ouvrables après 15 h ou 16 h (ou avant 7 h ou 8 h). Étant donné que la prestataire ne pouvait pas préciser le nombre d’heures d’expérience dont elle avait besoin ni à quel moment elle les aurait obtenues, je ne peux conclure qu’elle était plus disponible pour travailler (que ce que permettait son horaire de stage habituel) à quelque moment que ce soit avant le 8 avril 2022. De plus, d’après l’arrêt Primard, je ne peux accepter la prétention d’un travailleur selon laquelle il est disponible alors que sa disponibilité n’est qu’« éventuelle » ou « conditionnelle ».

[36] Suivant la Loi, la prestataire doit prouver sa disponibilité les « jours ouvrables »Note de bas de page 11. Le Règlement sur l’assurance-emploi exclut le samedi et le dimanche des « jours ouvrables »Note de bas de page 12. Par conséquent, je n’ai pas besoin de tenir compte du fait qu’elle était peut‑être disponible pour effectuer des heures de travail supplémentaires les fins de semaine.

[37] Il existe un certain nombre de décisions de la Cour d’appel fédérale qui portent sur la disponibilité restreinte des étudiants à temps plein. Selon l’arrêt Primard, la disponibilité d’un étudiant à temps plein les soirs et les fins de semaine ne suffit pasNote de bas de page 13. L’arrêt DuquetNote de bas de page 14nous enseigne qu’un tel prestataire ne peut pas restreindre sa disponibilité à certaines heures pour certains jours. Dans l’affaire BolandNote de bas de page 15, l’étudiant prestataire n’était disponible qu’après 17 h la plupart des jours de semaine (et disponible après midi le vendredi). La Cour a conclu que le prestataire avait établi des conditions qui limitaient indûment ses chances de trouver un emploi parce qu’il n’était pas disponible « pendant les heures normales ». Et ce, malgré le fait que le prestataire était auparavant allé à l’école en même temps qu’il travaillait comme gardien de sécurité la nuit.

[38] En l’espèce, la prestataire n’est disponible qu’à certains moments, les soirs ou les jours de semaine, et non pendant les heures normales. Si j’applique le droit à ces circonstances, je conclus que la prestataire a établi des conditions personnelles qui limitaient indûment ses chances de retourner au travail. La prestataire n’était pas disponible pour travailler au sens de la Loi, telle qu’elle est interprétée par les tribunaux.

Conclusion

[39] Je fais droit à l’appel de la Commission. La division générale a commis une erreur en omettant d’examiner ou d’appliquer la jurisprudence pertinente.

[40] J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire n’a pas droit à des prestations du 6 janvier au 8 avril 2022 parce qu’elle n’était pas disponible pour travailler.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.