Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : GF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1784

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : G. F.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission
de l’assurance-emploi du Canada (474587) datée du
27 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jillian Evans
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 1er novembre 2022
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 17 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2338

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant a quitté volontairement son emploi. Il n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand il l’a fait. L’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. Par conséquent, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] En septembre 2021, l’appelant a été informé que son employeur mettait en place une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 à son lieu de travail. La politique exigeait que l’appelant reçoive les doses d’un vaccin approuvé contre la COVID-19 au plus tard le 21 novembre 2021. Les membres du personnel qui ne s’étaient pas conformés à la politique à cette date ont été mis en congé sans solde. La politique précisait que les membres du personnel qui ne s’étaient pas fait vacciner le 31 décembre 2021 seraient congédiés.

[4] L’appelant a décidé de ne pas se faire vacciner. Il a été mis en congé sans solde conformément à la politique.

[5] Le 1er décembre 2021, alors qu’il était en congé sans solde, l’appelant a démissionné de son emploi afin de conserver son accès aux prestations de retraite dans le futur. Ces prestations lui auraient été refusées s’il avait été congédié pour un motif valableNote de bas de page 1.

[6] Il a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi. Il a indiqué dans sa demande qu’il avait perdu son emploi sans qu’il en soit responsableNote de bas de page 2. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons du départ de l’appelant. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification et qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations.

[7] L’appelant a demandé une révision et la Commission n’a pas changé sa décision.

[8] L’appelant conteste le caractère volontaire de son départ et fait valoir qu’il n’avait pas d’autre choix que de mettre fin à son emploi chez son employeur. Je dois déterminer la façon dont son emploi a pris fin et décider si les circonstances entourant la cessation de son emploi l’excluent du bénéfice des prestations.

Question que je dois examiner en premier

L’appelant souhaite-t-il présenter une demande fondée sur la Charte?

[9] Dans sa demande de révision, l’appelant a exprimé à plusieurs reprises que, selon lui, ses droits constitutionnels à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne aux termesde la Charte canadienne des droits et libertés avaient été enfreints. Il s’est fondé sur ces arguments pour appuyer son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi.

[10] Dans son avis d’appel, l’appelant a joint un certain nombre de documents qui faisaient encore référence à divers articles de la Charte. Il a indiqué qu’il avait joint ces documents pour appuyer son appel devant le Tribunal.

[11] Ainsi, au début de l’audience, j’ai expliqué à l’appelant que le Tribunal avait la compétence de trancher seulement les questions relatives à la validité constitutionnelle des articles de la Loi sur l’assurance-emploi. Je lui ai demandé de confirmer s’il avait l’intention de soulever de telles questions devant le Tribunal avant que nous allions de l’avant avec l’audience.

[12] L’appelant a confirmé sa position selon laquelle la politique de son employeur, qui exigeait qu’il soit vacciné pour continuer de travailler, allait à l’encontre de ses droits constitutionnels. Il a confirmé sa position selon laquelle les actions de l’employeur violaient la Charte.

[13] Il a confirmé qu’il ne prétendait pas qu’une partie de la Loi sur l’assurance-emploi violait la constitution ou la Charte.

[14] À titre de membre du Tribunal, je peux seulement examiner si une partie de la Loi ou de son règlement porte atteinte à l’un ou l’autre des droits garantis par la Charte.

[15] J’ai confirmé avec l’appelant que je ne peux pas décider si la politique d’un employeur va à l’encontre de la constitution ou si un employeur a agi d’une manière contraire à la Charte.

[16] J’ai expliqué que ces arguments devraient être présentés à une autre cour ou à un autre tribunal. Mon rôle se limite à l’application de la Loi.

[17] G. F. a exprimé sa frustration quant au fait que je ne puisse pas rendre de décision sur ces questions, mais il a compris les limites de mon pouvoir.

[18] Il a confirmé qu’aux fins de la présente audience, il ferait valoir que les violations présumées de la Charte de son employeur ont mis fin à sa relation avec son employeur.

[19] Nous avons procédé à l’audience sur cette base.

Questions en litige

[20] L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi ou a-t-il été congédié?

[21] Si l’appelant a quitté volontairement son emploi, était-il fondé à le faire?

[22] S’il a été congédié, l’appelant est-il admissible aux prestations d’assurance-emploi ou a-t-il été congédié en raison d’une inconduite?

Analyse

L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi?

[23] À l’audience, tout comme dans les observations qu’il a présentées à la Commission et au Tribunal, l’appelant a mentionné à plusieurs reprises avoir été [traduction] « congédié sans motif ». Il a déclaré qu’il n’avait pas quitté son emploi de son plein gré, qu’il n’avait pas eu l’intention de le faire et que son employeur l’avait forcé à quitter son emploi.

[24] Toutefois, à d’autres moments au cours de l’audience ainsi qu’à différentes étapes de ses communications écrites avec la Commission, l’appelant a mentionné avoir démissionné. Il a déclaré : [traduction] « Je n’ai pas quitté mon emploi, j’ai démissionné ». Il a affirmé s’être retrouvé dans l’obligation de démissionner de son emploi. Il m’a aussi dit qu’il avait démissionné pour conserver ses prestations de retraite. S’il avait attendu d’être congédié, il aurait perdu ces prestations.

[25] L’appelant convient qu’il a quitté son emploi ou qu’il a démissionné. Il a pris la décision de démissionner au lieu d’attendre d’être congédié, et il savait qu’il serait congédié le 31 décembre 2021 conformément à la politique de son employeur.

[26] Il conteste cependant que sa décision était [traduction] « volontaire ». Il fait valoir qu’il a été [traduction] « forcé » de prendre cette décision.

[27] La jurisprudence est claire : aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, lorsqu’une personne employée prend l’initiative de mettre fin à la relation employeur-employé, le départ est volontaire.

[28] La Cour d’appel fédérale affirme que la seule question qu’il faut trancher pour décider si une personne a volontairement quitté son emploi est la suivante : la personne avait-elle le choix de rester ou de partirNote de bas de page 3?

[29] Je considère que l’appelant avait le choix de rester à son emploi. Il avait la possibilité de rester à son emploi et de se conformer à la politique de vaccination obligatoire de son employeur. Il a choisi de ne pas s’y conformer, puis il a pris l’initiative de mettre fin à sa relation d’emploi en démissionnant.

[30] Bien que l’appelant ait peut-être trouvé le choix difficile à faire et qu’il ne soit peut-être pas d’accord avec le fait qu’on lui demande de faire ce choix, je considère toutefois qu’il a eu le choix de rester ou de partir et qu’il a quitté volontairement son emploi.

L’appelant était-il fondé à quitter son emploi?

[31] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 4.

[32] Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[33] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 5.

[34] L’appelant est responsable de prouver que son départ était fondé. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 6.

[35] Pour décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi, je dois tenir compte de certaines circonstances énoncées dans la loiNote de bas de page 7. Je dois également examiner toutes les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi.

[36] Une fois que j’ai déterminé les circonstances qui s’appliquent à G. F., il doit démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 8.

Les circonstances présentes quand le prestataire a quitté son emploi

[37] Selon l’appelant, un certain nombre de circonstances faisaient en sorte qu’il était fondé à quitter son emploi.

[38] L’appelant affirme avoir été victime de discrimination de la part de son employeur. Il affirme que, en imposant la vaccination obligatoire, son employeur a agi de façon menaçante et coercitive à son égard et que c’était injuste.

[39] Il dit que, face à cette discrimination, il était raisonnable pour lui de quitter son emploi.

[40] L’appelant affirme également que son employeur a unilatéralement ajouté à son contrat de travail une condition qui n’existait pas quand il a été embauché. Il dit que cette nouvelle condition, soit l’ajout de la vaccination obligatoire contre la COVID-19, était injuste et l’a essentiellement forcé à démissionner.

[41] G. F. affirme également que son employeur a enfreint la loi lorsqu’il a mis en place la politique de vaccination obligatoire. Il dit que la politique allait à l’encontre de sa convention collective et de la Charte, et que ces manquements l’ont forcé à démissionner.

[42] Enfin, l’appelant a également expliqué que, selon les conditions de son contrat d’emploi, il aurait perdu des prestations de retraite s’il avait été congédié pour un motif valable. Pour conserver ses prestations de retraite, il devait choisir de démissionner. Toutefois, il n’a pas l’impression d’avoir pris librement la décision de démissionner dans ces circonstances.

[43] L’appelant affirme que, compte tenu de toutes ces circonstances, il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[44] Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas cherché un autre emploi avant de démissionner, l’appelant a répondu qu’il attendait de connaître le résultat d’une injonction déposée par son syndicat. Cette injonction lui aurait permis de continuer de travailler sans être vacciné. Il a appris que l’injonction avait été infructueuse autour du 15 novembre 2021, soit quelques jours avant qu’il soit mis en congé sans solde. Il n’a donc pas eu assez de temps pour trouver un autre emploi.

[45] La Commission n’est pas d’accord avec l’argument de l’appelant selon lequel il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[46] Elle affirme qu’aucune preuve ne montre qu’il a été victime de discrimination.

[47] L’article 29(c)(iii) de la Loi sur l’assurance-emploi précise qu’une personne est fondée à quitter volontairement son emploi si elle subit de la « discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». Toutefois, la Commission fait valoir que rien n’indique que l’appelant a fait l’objet de discrimination fondée sur l’un ou l’autre des motifs énumérés ci-après : race, origine nationale ou ethnique, couleur, religion, âge, sexe, orientation sexuelle, identité ou expression de genre, état matrimonial, situation de la famille, caractéristiques génétiques, déficience, état de personne graciée. Les croyances personnelles et le statut vaccinal ne sont pas des motifs de distinction illicites.

[48] La Commission soutient également que la politique de vaccination de l’employeur n’a pas entraîné un changement important des fonctions ou des conditions de rémunération de l’appelant, comme le prévoient les articles 29(c)(vii) et 29(c)(ix) de la Loi sur l’assurance-emploi. La politique de vaccination n’a pas eu d’incidence sur ses fonctions, sa description d’emploi, ses heures de travail et sa rémunération.

[49] Enfin, la Commission affirme que la décision de l’appelant de démissionner de son emploi afin d’assurer ou de maintenir un avantage financier ne satisfait pas au critère juridique relatif à la justification.

[50] Je conclus ce qui suit :

  1. a) En ce qui concerne l’argument de l’appelant selon lequel il a été victime de discrimination, je suis d’accord avec la Commission. Rien ne prouve que l’appelant a été victime de discrimination de la part de son employeur pour l’un ou l’autre des motifs énumérés plus haut.
  2. b) Je ne suis pas d’accord avec l’appelant en ce qui concerne son argument selon lequel la décision arbitraire de son employeur d’imposer unilatéralement une nouvelle politique de vaccination a fondamentalement modifié les conditions de son emploi. Son employeur s’est fondé sur les besoins de l’entreprise et a mis en place une politique de vaccination en réponse à la pandémie de COVID-19. La politique n’a pas changé l’environnement de travail, les heures de travail, les fonctions ou la rémunération de l’appelant.
  3. c) Je ne suis pas non plus d’accord avec l’argument de l’appelant selon lequel l’employeur a adopté des comportements illégaux qui l’ont forcé à démissionner. La Charte accorde des droits à tout le monde au Canada. Cependant, la Charte s’applique uniquement aux politiques gouvernementales, et non à celles des particuliers ou des entreprises. Les politiques élaborées par des particuliers ou par des entreprises ne sont pas des lois élaborées par l’administration publique. Elles ne peuvent faire l’objet d’un examen aux termes de la Charte. Par conséquent, le Tribunal n’a pas le pouvoir de trancher la demande fondée sur la Charte que le prestataire a présentée relativement à la politique dans le présent appel.
  4. d) En ce qui concerne l’argument de l’appelant selon lequel la politique n’est pas légale parce qu’elle enfreint sa convention collective, il vaut mieux laisser une commission ou un tribunal du travail trancher cette question. Je n’ai pas le pouvoir de rendre une décision sur ce contrat privé négocié.
  5. Je ne suis pas un arbitre d’une commission du travail. L’appelant peut présenter ses arguments au sujet de la présumée violation de sa convention collective à une autre autorité. J’ai pris note que l’appelant a un grief en instance, et que l’audience est prévue en mars 2023. La conformité à une convention collective doit être arbitrée selon les termes de cette convention.

L’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi

[51] Compte tenu des circonstances qui existaient quand il a quitté son emploi, l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. Je conclus qu’il n’a pas épuisé toutes les solutions possibles avant de décider de quitter son emploi. Il avait d’abord été informé de l’exigence liée à la vaccination en septembre 2021 et, le 15 octobre 2021, il avait clairement été avisé que s’il ne se conformait pas à la politique, il pouvait être congédié pour un motif valableNote de bas de page 9.

[52] J’estime qu’il aurait été raisonnable que l’appelant cherche un autre emploi en attendant l’issue des démarches liées à l’injonction.

[53] Je suis également d’avis que l’appelant aurait eu amplement l’occasion de se conformer à la politique de vaccination de son employeur, s’il avait décidé de le faire. Il aurait pu éviter de démissionner en se conformant à la politique. L’appelant aurait pu choisir de se faire vacciner. Il a décidé de ne pas le faire, mais j’estime qu’il ne s’agit pas d’une solution raisonnable de quitter son emploi.

[54] Après avoir tenu compte de toutes les circonstances, je conclus que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. L’appelant n’était donc pas fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[55] L’appelant est exclu du bénéfice des prestations.

[56] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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