Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : BI c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 936

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de prolongation
du délai et de permission de faire appel

Demandeur : B. I.
Intimée : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 8 octobre 2022
(GE-22-1754)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 17 juillet 2023
Numéro de dossier : AD-23-537

Sur cette page

Décision

[1] Je refuse au prestataire la permission d’interjeter appel parce qu’il n’a pas de cause défendable. Cet appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire, B. I., interjette appel d’une décision de la division générale de lui refuser des prestations d’assurance-emploi.

[3] Le prestataire travaillait comme artiste vidéo pour une entreprise d’études de marché. Le 1er décembre 2021, son employeur l’a congédié après qu’il eut omis de divulguer s’il avait été vacciné contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’était pas tenue de verser des prestations d’assurance-emploi au prestataire parce que son défaut de se conformer à la politique de vaccination de son employeur équivalait à une inconduite.

[4] La division générale a dit être en accord avec la Commission. Elle a conclu que le prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le fait de ne pas tenir compte de la politique entraînerait probablement son congédiement.

[5] Le prestataire demande maintenant l’autorisation ou la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale. Il soutient qu’il n’a pas commis d’inconduite et fait valoir que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété le sens du terme « inconduite » figurant dans la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).
  • Elle a fait fi du fait que rien dans la loi n’obligeait son employeur à établir et à appliquer une politique obligatoire de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle n’a pas tenu compte du fait qu’en droit, les personnes ont le droit de refuser de prendre des médicaments.
  • Elle a fait fi de la preuve selon laquelle il était disposé à trouver une mesure d’adaptation mutuellement acceptable avec son employeur.

Questions en litige

[6] Après avoir examiné la demande de permission d’en appeler présentée par le prestataire, j’ai dû trancher les questions connexes suivantes :

  • La demande de permission d’en appeler du prestataire a-t-elle été déposée tardivement?
  • Le prestataire a-t-il une chance raisonnable de succès en appel?

[7] J’ai conclu que, bien que le prestataire ait présenté sa demande de permission d’en appeler tardivement, il avait une explication raisonnable à cet égard. Toutefois, je refuse au prestataire la permission d’aller de l’avant parce que son appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Analyse

La demande de permission d’en appeler du prestataire était tardive

[8] Une demande de permission d’en appeler doit être présentée à la division d’appel dans les 30 jours suivant la date à laquelle le demandeur reçoit communication de la décisionNote de bas de page 1. La division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler; cependant, cette demande ne peut en aucun cas être présentée plus d’un an suivant la date où l’appelant a reçu communication par écrit de la décision et des motifs.

[9] Dans le cas qui nous occupe, la division générale a rendu sa décision le 7 octobre 2022. Le même jour, le Tribunal a envoyé la décision au prestataire par courriel et par courrier ordinaire. Toutefois, la division d’appel n’a reçu la demande de permission d’en appeler du prestataire que le 18 mai 2023, soit environ six mois après la date limite de dépôt. Je conclus que la demande de permission d’en appeler du prestataire était tardive.

Le prestataire avait une explication raisonnable du retard

[10] Lorsqu’une demande de permission d’en appeler est présentée tardivement, le Tribunal peut accorder une prorogation de délai au demandeur s’il a une explication raisonnable pour le retardNote de bas de page 2. Il faut servir l’intérêt de la justice dans la décision d’accorder ou non une prorogation du délaiNote de bas de page 3.

[11] Dans sa demande de permission d’en appeler, le prestataire a déclaré que la perte de son emploi avait eu des répercussions sur sa santé physique et mentale. Il a dit qu’en l’absence d’un moyen de subvenir aux besoins de sa famille, il se sentait anxieux et dépassé par l’idée de devoir passer à travers un autre appel.

[12] Dans les circonstances, j’estime que cette explication est raisonnable. C’est pourquoi j’examine la demande du prestataire même si elle était tardive. L’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

[13] Il existe quatre moyens d’appel devant la division d’appel. Un prestataire doit démontrer que la division générale :

  • a agi de manière injuste;
  • a excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 4.

[14] Avant que le prestataire puisse aller de l’avant avec son appel, je dois décider si celui-ci a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 5. Une chance raisonnable de succès est assimilée à une cause défendable en droitNote de bas de page 6. Si le prestataire n’a pas de cause défendable, cette affaire prend fin maintenant.

[15] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et la preuve qu’elle a invoquée pour rendre cette décision. J’ai conclu que le prestataire n’a pas de cause défendable.

L’argument selon lequel la division générale a négligé ou mal compris la preuve n’est pas fondé

[16] Devant la division générale, le prestataire a insisté pour dire qu’il n’avait rien fait de mal en refusant de divulguer son statut vaccinal. Il a donné à entendre qu’en l’obligeant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits. Il a souligné qu’il était prêt à négocier une mesure d’adaptation qui répondrait aux préoccupations de son employeur en matière de santé et de sécurité.

[17] D’après ce que je vois, la division générale n’a pas omis de tenir compte de ces points ni ne les a mal décrits. Elle ne leur a tout simplement pas accordé tout le poids que, de l’avis du prestataire, ils méritaient. Compte tenu du droit entourant la question de l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur dans son évaluation.

[18] Lorsque la division générale a examiné la preuve produite, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur du prestataire était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination et de tests de dépistage comme bon lui semblait.
  • L’employeur du prestataire a adopté et communiqué une politique de vaccination obligatoire claire exigeant que tout employé fournisse une preuve démontrant qu’il était entièrement vacciné.
  • Le prestataire savait que le défaut de se conformer à la politique avant une certaine date entraînerait la perte de son emploi.
  • Le prestataire a intentionnellement refusé de divulguer s’il avait été vacciné dans les délais prescrits par son employeur.
  • Le prestataire n’a pas convaincu son employeur qu’il était admissible à l’une des exemptions prévues par la politique.
  • Le prestataire a demandé des mesures d’adaptation en vertu de la politique, mais son employeur n’était pas tenu d’acquiescer à sa demande.

[19] Ces conclusions semblent correspondre fidèlement aux documents au dossier ainsi qu’au témoignage du prestataire. La division générale a conclu que le prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actes étaient voulus et qu’ils ont vraisemblablement mené à son congédiement. Le prestataire a peut-être cru que son refus de se conformer à la politique ne causait aucun préjudice à son employeur, mais, du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui d’en décider.

L’argument selon lequel la division générale a mal interprété la loi n’est pas fondé

L’inconduite est un acte intentionnel pouvant entraîner la perte d’un emploi

[20] Devant la division générale, le prestataire a fait valoir que rien dans la loi n’obligeait son employeur à mettre en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Il a soutenu que la vaccination n’a jamais été une condition de son emploi.

[21] Je ne vois pas comment, en rejetant ces arguments, la division générale a mal compris le droit.

[22] Il ne faut pas oublier que l’« inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du terme. La division générale définit l’inconduite de la façon suivante :

Pour qu’il y ait une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle Cela comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée.

Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (autrement dit, qu’il ait voulu mal agir) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait nuire à l’exécution de ses fonctions envers son employeur et qu’il existait une possibilité réelle d’être congédié à cause de cela. Note de bas de page 7

[23] Ces paragraphes montrent que la division générale a résumé avec exactitude le droit concernant l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, pour déterminer l’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi, elle n’avait pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Le refus de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est pas pertinent

[24] Le prestataire allègue également que la division générale n’a pas tenu compte de sa volonté d’explorer des façons de tenir compte de ses croyances tout en assurant la sécurité de ses collègues.

[25] Toutefois, le refus de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour le prestataire n’est pas la question. Ce qui importe, c’est qu’il avait une politique et que le prestataire n’en a pas tenu compte de façon délibérée. Dans sa décision, la division générale s’est exprimée ainsi :

Je prends acte du fait que le prestataire espérait qu’il ne serait pas congédié après avoir présenté son formulaire de demande de mesure d’adaptation, mais l’employeur a finalement décidé de le licencier parce qu’il n’avait pas l’intention de se conformer à sa politique, même à une date ultérieure.

J’admets de manière générale que l’employeur peut décider de créer et d’imposer des politiques en milieu de travail. Dans la présente affaire, l’employeur a imposé une politique de vaccination en raison de la pandémie de COVID-19. Note de bas de page 8

[26] Comme la loi l’obligeait à se concentrer sur des questions précises, la division générale n’avait pas le pouvoir d’évaluer le comportement de l’employeur. Pour cette raison, elle n’a pas pu décider si l’employeur aurait dû, d’une façon ou d’une autre, tenir compte des préoccupations du prestataire concernant la divulgation de son statut vaccinal. La division générale a conclu que le prestataire avait désobéi à la politique et que c’était tout ce qu’il fallait pour établir une inconduite au sens de la Loi.

Une affaire récente valide l’interprétation de la loi par la division générale

[27] Dans une décision récente, on a confirmé cette approche à l’égard de l’inconduite dans le contexte particulier de la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto concernaitle refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 9. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à répondre à ces questions :

[Traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’existe aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.Note de bas de page 10

[28] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas se conformer à la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi. La Cour a précisé que le système juridique offrait au prestataire d’autres moyens de présenter ses allégations de congédiement injustifié ou ses revendications en matière de droits de la personne.

[29] En l’espèce, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui importent sont les questions de savoir si le prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si ce manquement était voulu et vraisemblablement susceptible d’entraîner son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

Conclusion

[30] Le Tribunal ne peut examiner le bien-fondé d’un différend entre un employé et son employeur. Cette interprétation de la Loi peut sembler injuste au prestataire, mais les tribunaux ont adopté cette interprétation à maintes reprises et la division générale était tenue de la suivre.

[31] Pour cette raison, je ne suis pas convaincu que l’appel ait une chance raisonnable de succès. La permission d’en appeler est refusée. Le présent appel n’ira pas de l’avant.

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