Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 812

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission d’en appeler

Partie demanderesse : A. S.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 25 janvier 2023
(GE-22-3260)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 21 juin 2023
Numéro de dossier : AD-23-257

Sur cette page

Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel s’arrête ici.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue de son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur, et ce sans avoir reçu d’exemption. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi (AE).

[3] La défenderesse (Commission) a décidé que la prestataire avait été suspendue pour inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. La prestataire a porté en appel la décision rendue après révision à la division générale.

[4] La division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue de son emploi après avoir refusé de se conformer à la politique de l’employeur. Elle a conclu que la prestataire savait que l’employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances. La division générale a conclu que la suspension de la prestataire était due à son inconduite.

[5] La prestataire demande la permission d’appeler de la décision de la division générale à la division d’appel. La prestataire soutient que la division générale a refusé d’exercer sa compétence et commis des erreurs de fait et de droit en concluant que sa suspension était due à son inconduite.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui donnerait à son appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission d’en appeler parce que l’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès? 

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les seuls moyens permettant de faire appel d’une décision de la division générale. Ces erreurs révisables sont les suivantes :

  1. La division générale a mené une audience qui, d’une quelconque manière, n’était pas équitable.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle devait trancher. Ou bien, elle a tranché une question sans en avoir le pouvoir.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond. C’est une première étape que la prestataire doit franchir, moins exigeante que pour un appel sur le fond. À l’étape de la permission d’en appeler, la prestataire n’a pas à prouver ses prétentions. Elle doit simplement établir que l’appel a une chance raisonnable de succès compte tenu d’une erreur révisable. Autrement dit, il doit être défendable qu’une erreur révisable lui donne une chance de gagner en appel.

[11] Par conséquent, pour lui accorder la permission d’en appeler, je dois être convaincu que ses motifs de l’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés plus haut et qu’au moins un des motifs a une chance raisonnable de succès. 

La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui donnerait à son appel une chance de succès?

[12] Devant la division générale, et à l’appui de sa demande de permission d’en appeler, la prestataire se défend d’avoir commis une inconduite puisqu’elle n’a jamais eu de comportement répréhensible. Ses renseignements médicaux sont confidentiels. Elle dit qu’elle avait demandé à son employeur d’obtenir de l’information et de continuer à travailler. Elle se demandait pourquoi son employeur jugeait qu’il lui devenait plus risqué de soigner des patients une fois la politique en place. En effet, avant son entrée en vigueur, la prestataire avait été autorisée à travailler et à fournir des soins pendant la pandémie de COVID-19. Elle soutient qu’aucune preuve scientifique ne démontre que le vaccin prévienne la COVID-19.

[13] La division générale a dû décider si la prestataire avait été suspendue en raison de son inconduite.Note de bas de page 1

[14] L’inconduite ne suppose pas obligatoirement qu’une intention frauduleuse soit à la source d’un comportement fautif. Il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour être une inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins résulter d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions de ses actes sur son rendement.

[15] La division générale n’a pas à juger de la sévérité de la sanction imposée par l’employeur. Elle ne décide pas non plus si la suspension est injustifiée parce que l’employeur l’aurait ordonnée en commettant lui-même une inconduite. Le rôle de la division générale est plutôt de décider si la prestataire a commis une inconduite et si sa suspension est attribuable à cette inconduite Note de bas de page 2.

[16] À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue pour avoir refusé de se conformer à la politique de l’employeur. Elle avait été informée de la politique et avait eu le temps de s’y conformer. Son refus de s’y conformer était intentionnel, délibéré. Et il est la cause directe de sa suspension.

[17] La division générale a conclu que le prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pourrait entraîner sa suspension.

[18] La division générale a conclu, d’après la preuve prépondérante, que le comportement de la prestataire avait valeur d’inconduite.

[19] Il est bien établi qu’une inconduite est commise au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) lorsqu’on enfreint délibérément une politique de l’employeurNote de bas de page 3. Toujours selon la Loi sur l’AE, le fait de ne pas observer une politique, dûment approuvée par un gouvernement ou une industrie, est aussi considéré comme une inconduiteNote de bas de page 4.

[20] Personne ne remet vraiment en question l’obligation des employeurs de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de leurs employés sur le lieu de travail. Ici, la politique a été instaurée par l’employeur X dans le but de protéger la santé de l’ensemble du personnel et des patients pendant la pandémie. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été suspendueNote de bas de page 5.

[21] Il ne revient pas au Tribunal de juger de l’efficacité ou du caractère raisonnable des mesures prises par l’employeur en matière de santé et de sécurité pour contrer la COVID-19.

[22] La question de savoir si l’employeur n’a pas offert à la prestataire des mesures d’adaptation nécessaires ou si sa politique violait des droits de la personne ou des droits constitutionnels relève d’une autre autorité. Le Tribunal n’est pas l’instance où la prestataire peut obtenir la réparation qu’elle demandeNote de bas de page 6.

[23] La Cour fédérale du Canada s’est récemment prononcée, dans l’affaire Cecchetto, sur l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de vaccination de son employeur contre la COVID-19. Le prestataire faisait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur ne représentait pas une inconduite. Selon le prestataire, rien ne démontrait que le vaccin était sécuritaire et efficace. Il s’est senti discriminé en raison de son choix médical personnel. Le prestataire a revendiqué son droit au contrôle de sa propre intégrité physique et affirmé que ses droits avaient été violés en vertu du droit canadien et du droit internationalNote de bas de page 7.

[24] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel, à savoir que la loi ne permettait pas au Tribunal de se prononcer sur ces questions. La Cour a convenu que le prestataire avait fait le choix personnel et délibéré de ne pas se conformer à la politique de son employeur et qu’il avait ainsi manqué à ses obligations envers lui et perdu son emploi pour inconduite au sens de la Loi sur l’AENote de bas de page 8. La Cour a déclaré que le système judiciaire offre au prestataire d’autres avenues où faire valoir ses revendications.

[25] Dans la cause Paradis, le prestataire s’est vu refuser des prestations d’AE. Le prestataire soutenait alors qu’il n’y avait pas eu d’inconduite puisque la politique de l’employeur violait ses droits protégés par l’Alberta Human Rights Act (loi albertaine sur les droits de la personne). La Cour fédérale a conclu que cette question relevait d’une autre instance.

[26] La Cour fédérale a affirmé qu’un prestataire dispose d’autres recours pour pénaliser un employeur au comportement fautif, sans en faire assumer les coûts au régime d’assurance-emploi.

[27] Dans l’affaire Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation des employeurs de fournir des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour juger les dossiers d’inconduite en AE.

[28] Comme je l’ai mentionné plus tôt, le rôle de la division générale n’est pas de décider si l’employeur a commis une inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée, mais plutôt de décider si la prestataire a, elle, commis une inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[29] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que la prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, et que ce choix a causé sa suspension.

[30] Je ne remarque aucune erreur révisable que la division générale aurait pu commettre quand elle s’est prononcée exclusivement sur la question de l’inconduite en respectant les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite selon la Loi sur l’AENote de bas de page 9.

[31] Je suis pleinement conscient que la prestataire pourrait demander réparation auprès d’une autre instance, si une violation est démontréeNote de bas de page 10. Il en demeure que la Commission a prouvé, selon la Loi sur l’AE et la prépondérance des probabilités, que la suspension de la prestataire était attribuable à son inconduite.

[32] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments invoqués par la prestataire dans sa demande de permission d’en appeler, je conclus que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès sur la question de l’inconduite. 

Conclusion

[33] La permission d’en appeler est refusée. L’appel s’arrête donc ici.

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