Assurance-emploi (AE)

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Citation : RL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2018 TSS 1447

Numéro de dossier du Tribunal : GE-17-2442

ENTRE :

R. L.

Appelant :

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée :


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Lucie Leduc
DATE DE L’AUDIENCE : Décision sur la foi du dossier
DATE DE LA DÉCISION : 16 juillet 2018

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Aperçu

[1] L’appelant avait initialement établi des périodes de prestations d’assurance-emploi prenant effet le 5 octobre 2014 et le 8 novembre 2015. La Commission de l’assurance-emploi (Commission) a par la suite annulé ces périodes soumettant que l’appelant ne rencontrait pas les conditions d’admissibilité, précisément qu’il n’avait pas eu d’arrêt de rémunération. Suite à l’appel de l’appelant, le Tribunal a entendu le litige et rendu une décision sur l’admissibilité de l’appelant à l’égard desdites périodes de prestations. Le Tribunal a conclu que l’appelant avait réussi à démontrer qu’un arrêt de rémunération était survenu pour la période de prestations débutant le 5 octobre 2014 puisqu’il avait fourni une preuve de séjour à l’extérieur du pays d’au moins 7 jours consécutifs suivant le début de la période de prestations. Cependant, le Tribunal a décidé que l’appelant n’avait pas prouvé qu’un arrêt de rémunération était survenu pour la période de prestations débutant le 8 novembre 2015, puisque dans ce cas, sa preuve de séjour à l’extérieur du pays était datée d’avant le début de sa période de prestations. Le Tribunal a par conséquent imposé à l’appelant une inadmissibilité au bénéfice des prestations pour cette période.

[2] L’appelant a par la suite déposé une demande de révision de la décision du Tribunal basé sur un fait nouveau ou un fait essentiel. À l’appui, il soumet une preuve de séjour à l’extérieur du pays après la période de travail initiant la demande initiale de prestations.

[3] Le Tribunal doit décider les questions suivantes :

  1. a) Est-ce que la preuve de séjour à l’extérieur du pays soumis par l’appelant constitue un fait nouveau ou un fait essentiel?
  2. b) Si oui, y a-t-il lieu d’annuler ou de modifier la décision initialement rendue par le Tribunal?

Questions préliminaires

[4] L’audience a été tenue sur le fonds pour les raisons suivantes :

  1. a) Le membre a décidé qu'une nouvelle audience n’est pas nécessaire.
  2. b) L’information au dossier est complète et ne nécessite aucune clarification.
  3. c) La crédibilité ne figure pas au nombre des questions principales.

Analyse

[5] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe à la présente décision.

Question en litige no 1 : Est-ce que la preuve de séjour à l’extérieur du pays soumise par l’appelant constitue un fait nouveau ou un fait essentiel?

[6] L’appelant a présenté une demande d’annulation ou de modification portant sur une décision rendue précédemment par le Tribunal. L’appelant a produit, à l’appui de sa demande, une preuve d’un voyage effectué en janvier 2016 dans le but de démontrer un arrêt de rémunération aux fins d’une période de prestations ayant pris effet en novembre 2015. La preuve ne figurait pas au dossier du Tribunal au moment où le membre a rendu sa décision.

[7] Pour que le Tribunal puisse annuler ou modifier une décision antérieure visant la Loi sur l’assurance-emploi, il faut répondre aux exigences prévues à l’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), que voici :

66 (1) Le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue relativement à une demande particulière :

  1. a) dans le cas d’une décision visant la Loi sur l’assurance-emploi, si des faits nouveaux lui sont présentés ou s’il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait[.]

[8] Le Tribunal conclut que la nouvelle preuve soumise par l’appelant constitue un fait essentiel pour les raisons énoncées ci-après.

[9] L’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le MEDS comporte deux critères distincts, et une décision peut être annulée ou modifiée si l’un ou l’autre de ces deux critères est rempli. Le premier critère permet d’annuler ou de modifier une décision sur le fondement de « faits nouveaux ». La seconde partie de l’alinéa 66(1)a) s’applique lorsqu’on parvient à démontrer que « la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait ».

Faits nouveaux

[10] Le critère relatif aux « faits nouveaux » a été précisé dans la cause Canada (Procureur général) c Chan, [1994] A.C.F. 1916 (Chan) et confirmé par la Cour d’Appel fédérale dans Canada c Hines, 2011 CAF 252. Il faut que ce soit des faits qui se sont produits après que la décision a été rendue ou qui se sont produits avant, mais qui n’aurais pas pu être découverts par un prestataire qui fait preuve de diligence. En deuxième temps, les faits doivent être déterminants quant à la question en litige.

[11] Dans le présent cas, le Tribunal estime que la preuve présentée existait au moment de l’audience. La preuve faisant référence à un séjour hors pays du 22 au 29 janvier 2016 et l’audience ayant eu lieu le 27 avril 2017, les faits se sont produits avant l’audience. Le Tribunal conclut donc que la preuve du séjour, la facture, était disponible et l’appelant aurait pu la produire au moment de l’audience, ce qu’il n’a pas fait.

[12] L’appelant prétend que le membre du Tribunal a présenté une interprétation inusitée (et potentiellement erronée) de la Loi sur l’assurance-emploi relativement à la notion d’arrêt de rémunération. Il soutient qu’il n’était pas conscient, en raison de cette nouvelle interprétation, du fardeau dont il devait s’acquitter, et que c’est pour cette raison qu’il n’a pas produit la preuve pertinente. Il est bien établi que l’ignorance de la loi n’est pas un motif, que ce soit en appel ou dans le cadre d’une révision. Si toutefois le membre du Tribunal a commis une erreur de droit, l’appelant aurait plutôt dû présenter une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal.

[13] De plus, les arguments de l’appelant ne changent rien au fait que les faits ne sont pas nouveaux en ce sens qu’ils ne se sont pas produits après que la décision ait été rendue, ni même lors de la tenue de l’audience. Par conséquent, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas de faits nouveaux permettant de réviser sa décision initiale selon l’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le MEDS.

Fait essentiel ou erreur relative à un tel fait

[14] Qu’en est-il maintenant du second volet de l’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le MEDS, soit lorsque la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait ?

[15] Les cours fédérales ont donné peu de précisions sur le sens du second critère de l’alinéa 66(1)a), mais il semble être admis qu’il diffère de ce qui constitue des « faits nouveaux » (voir Green, 2012 CAF 313; Badra, 2002 CAF 140). La jurisprudence ne propose aucune interprétation du second critère de l’alinéa 66(1)a). Le libellé de l’alinéa 66(1)a) est presque identique à celui de l’article 120 de la Loi sur l’assurance-emploi, aujourd’hui abrogé. Malgré cette ressemblance, il n’existe aucune jurisprudence portant sur l’ancienne disposition qui préciserait l’interprétation qu’il faut faire de l’alinéa 66(1)a).

[16] Sans indication plus précise de la part des cours, il est difficile d’établir le critère exact à appliquer. Le Tribunal tentera d’appliquer le sens de « la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel » de la façon qu’il juge la plus pertinente et cohérente à l’esprit de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). L’exigence selon laquelle le fait doit être « essentiel » signifie que le « fait » présenté doit être déterminant dans le dossier. Ceci est fondé sur le sens ordinaire du terme « essentiel », et sur la notion voulant qu’une décision ne puisse être modifiée sans raison valable. En effet, l’alinéa 66(1)a) a été décrite comme un mécanisme de recours restreint devant demeurer une mesure exceptionnelle.

[17] Si le Tribunal ne peut établir la nature exacte du second critère de l’alinéa 66(1)a), il présume que cette disposition se limite à accorder réparation dans des cas où l’erreur relative à un fait essentiel ou la méconnaissance d’un tel fait était indépendante de la volonté du demandeur. Cette version de la disposition est cohérente avec l’essence du critère relatif aux « faits nouveaux », qui permet uniquement d’accorder réparation si le demandeur a été désavantagé pour des raisons indépendantes de sa volonté. La différence entre les deux critères de l’alinéa 66(1)a), concrètement, est que le second critère peut s’appliquer dans des situations où le « fait » en question n’était pas un « fait nouveau » au sens de l’alinéa 66(1)a), mais bien un fait essentiel que le membre du Tribunal ne connaissait pas ou qu'il avait mal compris.

[18] Dans le cas qui nous préoccupe, le Tribunal n’est pas en présence d’un fait essentiel qu’il avait mal compris puisque le fait (le séjour hors pays) n’a pas été soumis au Tribunal. Le Tribunal n’a donc pas fait d’erreur relative à un fait essentiel qu’il ne connaissait pas.

[19] Cependant, le Tribunal estime que la preuve du séjour hors pays soumis avec la demande de modification de l’appelant constitue un fait essentiel puisqu’elle aurait été susceptible d’avoir une influence majeure sur la solution du litige. De plus, le Tribunal accepte l’argument de l’appelant à l’effet que l’interprétation du Tribunal, qu’il juge nouvelle, a pu faire en sorte que le fait de ne pas avoir soumis la preuve en question était indépendant de sa volonté. Le Tribunal convient que sa décision initiale ne réfère pas à une décision des cours fédérales pour supporter son interprétation. Le Tribunal note par ailleurs que l’appelant n’a pas non plus déposé de décision à l’appui de sa position voulant que l’arrêt de rémunération pouvait avoir eu lieu à n’importe quel moment au cours de la période de référence précédant l’établissement d’une période de prestations. Saisi de la question et en l’absence de jurisprudence claire sur ce pointu détail du moment de l’arrêt de rémunération, le Tribunal dans son analyse a appliqué son raisonnement selon son interprétation de l’intention du législateur et la cohérence du régime d’assurance-emploi.

[20] Néanmoins, tel que mentionné, le Tribunal reconnait que son interprétation ait pu surprendre l’appelant et accepte que l’interprétation était indépendante de sa connaissance et/ou de sa volonté. Qui plus est, le Tribunal juge essentielle la preuve d’un séjour hors pays après l’arrêt de travail de l’appelant puisque sa décision repose fondamentalement sur cet aspect, c’est-à-dire le moment du séjour. Tel que soulevé par les parties, une preuve de même nature a été jugée pertinente et a permis de rendre l’appelant admissible au bénéfice des prestations dans le cas d’une autre période de prestations en litige. On ne peut donc qu’admettre qu’elle ne serait essentielle dans un dossier quasi identique mis à part l’année de la période de chômage. Ne pas considérer cette preuve pourrait être significativement désavantageux pour l’appelant, ce qui serait contre l’esprit d’un régime et d’une Loi à caractère sociale comme celle qui nous gouverne.

[21] Le Tribunal est convaincu que la nouvelle preuve soumise par l’appelant rencontre les critères de l’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le MEDS, précisément le second volet portant sur un fait essentiel.

Question en litige no 2 : Si oui, y a-t-il lieu d’annuler ou de modifier la décision initialement rendue par le Tribunal?

[22] Puisque le Tribunal a conclu sur la balance des probabilités que la preuve de séjour hors pays de l’appelant, du 22 au 29 janvier 2016, constitue un fait essentiel, il peut modifier ou annuler la décision qu’il a rendue le 10 juillet 2017 conformément à l’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le MEDS. Le Tribunal estime que sa décision du 10 juillet 2017 doit être modifiée relativement à la période de prestations de l’appelant prenant effet le 8 novembre 2015. Les modifications suivantes sont prescrites :

[23] Le Tribunal avait décidé que l’appelant n’avait pas rencontré les exigences lui permettant d’établir une période de prestations et ainsi être admissible au bénéfice des prestations. Plus précisément, le Tribunal avait conclu que l’appelant n’avait pas démontré un arrêt de rémunération provenant de son emploi tel que requis par le paragraphe 7(2) de la Loi (Thériault c Canada (PG), 2008 CAF 283).  Pour démontrer un arrêt de rémunération, un prestataire doit être sans emploi et sans salaire pendant 7 jours consécutifs conformément au paragraphe 14(1) du Règlement sur l’assurance-emploi (le Règlement).

[24] Le Tribunal a par ailleurs estimé qu’il était logique et raisonnable de conclure à un arrêt de rémunération dans les cas où l’appelant est à l’extérieur du pays sans salaire, sans avantage relié à son emploi, sans son téléphone cellulaire et ne bénéficiant pas d’aucun avantage lié à son travail. S’appuyant sur ce raisonnement, le Tribunal a accepté des factures de voyage soumises par l’appelant et a déterminé qu’un arrêt de rémunération était survenu lorsqu’il a quitté le pays durant au moins 7 jours consécutifs le 18 janvier 2015, pour la période de prestations débutant le 5 octobre 2014. Le Tribunal a cependant conclu que l’appelant n’avait pas démontré un arrêt de rémunération pour sa période de prestations débutant le 8 novembre 2015 parce que le séjour hors pays mis en preuve par l’appelant avait eu lieu avant la période d’emploi (du 18 au 25 janvier 2015). Le Tribunal a interprété l’exigence du paragraphe 14(1) du Règlement de sorte que l’arrêt de rémunération doit survenir après une période d’emploi et non avant.

[25] Le séjour hors pays déposé en preuve à l’audience se trouvait à avoir été avant la période d’emploi et c’est pourquoi le Tribunal ne l’a pas jugé pertinent dans la démonstration de l’arrêt de rémunération. Or, l’appelant dépose maintenant une nouvelle preuve d’un séjour hors pays ayant eu lieu du 22 au 29 janvier 2016. Conformément à son interprétation dans la décision initiale du 10 juillet 2017, le Tribunal estime que l’appelant a dorénavant démontré un arrêt de rémunération pour la période de prestations débutant le 8 novembre 2015. Le Tribunal détermine que cet arrêt est survenu après avoir quitté le pays durant au moins 7 jours consécutifs le 22 janvier 2016. Le Tribunal accepte en preuve la facture de ce voyage et estime que c’est à ce moment que l’appelant n’a ni travaillé ni bénéficié du téléphone de la compagnie et donc d’aucune rémunération au sens de la Loi durant 7 jours complets consécutifs.

[26] Le Tribunal note que la décision du 10 juillet 2017 en ce qui a trait à l’admissibilité de l’appelant pour la période de prestations de prenant effet le 5 octobre 2014 demeure inchangée. La décision du Tribunal relativement à la question de l’état de chômage de l’appelant pour ses deux périodes de prestations demeure également inchangée.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli. La présente décision modifie la décision du 10 juillet 2017.

Annexe

Droit applicable

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

66 (1) Le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue relativement à une demande particulière :

  1. a) dans le cas d’une décision visant la Loi sur l’assurance-emploi, si des faits nouveaux lui sont présentés ou s’il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait;
  2. b) dans les autres cas, si des faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable lui sont présentés.

(2) La demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date où l’appelant reçoit communication de la décision.

(3) Il ne peut être présenté plus d’une demande d’annulation ou de modification par toute partie visée par la décision.

(4) La décision est annulée ou modifiée par la division qui l’a rendue.

Loi sur l’assurance-emploi

7 (1) Les prestations de chômage sont payables, ainsi que le prévoit la présente partie, à un assuré qui remplit les conditions requises pour les recevoir.

(2) L’assuré remplit les conditions requises si, à la fois :

  1. (a) il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi;
  2. (b) il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins le nombre d’heures indiqué au tableau qui suit en fonction du taux régional de chômage qui lui est applicable.
Tableau
Taux régional de chômage Nombre d’heures d’emploi assurable requis au cours de la période de référence
6 % et moins 700
plus de 6 %, mais au plus 7 % 665
plus de 7 %, mais au plus 8 % 630
plus de 8 %, mais au plus 9 % 595
plus de 9 %, mais au plus 10 % 560
plus de 10 %, mais au plus 11 % 525
plus de 11 %, mais au plus 12 % 490
plus de 12 %, mais au plus 13 % 455
plus de 13 % 420

(3) à (5) [Abrogés, 2016, ch. 7, art. 209]

(6) L’assuré ne remplit pas les conditions requises s’il est convenu, au titre de l’article VI de l’Accord entre le Canada et les États-Unis d’Amérique concernant l’assurance-chômage signé les 6 et 12 mars 1942, qu’il doit d’abord épuiser ses droits de recevoir des prestations, ou y mettre fin, aux termes des lois de l’autre juridiction.

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