Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 925

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à la permission d’en
appeler

Demanderesse : J. P.
Défenderesse : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 14 mars 2023
(GE-22-3210)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 17 juillet 2023
Numéro de dossier : AD-23-358

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Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission d’interjeter appel parce qu’elle n’a pas de cause défendable. Cet appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, J. P., travaillait comme préposée aux services de soutien pour un hôpital régional. Le 3 mars 2022, l’hôpital l’a congédiée après qu’elle eut refusé de se faire vacciner contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’était pas tenue de verser des prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que son défaut de se conformer à la politique de vaccination de son employeur équivalait à une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le fait de ne pas respecter la politique entraînerait probablement son congédiement.

[4] La prestataire demande maintenant la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Elle allègue que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété le sens du terme « inconduite » figurant dans la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).
  • Elle n’a pas tenu compte du fait que son employeur a tenté d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans son consentement;
  • Elle n’a pas tenu compte du fait que son contrat de travail ne disait rien à propos de l’obligation qu’elle avait de suivre un traitement médical;
  • Elle n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle la politique de vaccination obligatoire de son employeur violait ses droits fondamentaux.
  • Elle n’a pas tenu compte du grief déposé par son syndicat pour protester contre la politique de vaccination de son employeur;
  • Elle n’a pas tenu compte des dispositions pertinentes du Code criminel du Canada, du Code de Nuremberg, du Code des droits de la personne de l’Ontario et de la Charte canadienne des droits et libertés;
  • Elle n’a pas tenu compte du fait qu’elle a offert de faciliter les choses à son employeur en se soumettant à des tests réguliers et en s’isolant pendant ses jours de congé;
  • Elle n’a pas tenu compte de la preuve que son employeur avait rejeté sa demande d’exemption pour motifs de religion et de santé sans motif valable;
  • Elle a fait fi d’une décision récente dans laquelle des prestations d’assurance-emploi ont été accordées à une prestataire qui, comme elle, avait refusé de se soumettre à la politique de vaccination obligatoire de son employeur.

Question en litige

[5] Il existe quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie appelante doit démontrer l’un ou l’autre des moyens suivants :

  • la division générale a agi de manière injuste;
  • a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Une chance raisonnable de succès est assimilée à une cause défendable en droitNote de bas de page 3. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, cette affaire prend fin maintenant.

[7] À l’étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et la preuve qu’elle a invoquée pour rendre cette décision. J’ai conclu que la prestataire n’a pas de cause défendable.

L’argument selon lequel la division générale a mal interprété la loi n’est pas fondé

[9] Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’inconduite, le Tribunal ne peut examiner le bien-fondé d’un litige entre un employé et son employeur. Cette interprétation de la Loi peut sembler injuste pour le prestataire, mais les tribunaux ont adopté cette interprétation à plusieurs reprises et la division générale était tenue de la suivre.

L’inconduite est un acte intentionnel pouvant entraîner la perte d’un emploi

[10] La prestataire soutient qu’elle n’est pas coupable d’inconduite parce qu’elle n’a rien fait de mal. Elle laisse entendre qu’en l’obligeant à se faire vacciner sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits. Elle soutient que son employeur tentait de lui imposer contre son gré un vaccin potentiellement dangereux et inefficace.

[11] Je peux comprendre la frustration de la prestataire, mais, compte tenu de la loi telle qu’elle existe, je suis d’avis que ses arguments ne sont pas fondés.

[12] Il ne faut pas oublier que l’« inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage du terme dans la vie de tous les jours. La division générale définit l’inconduite de la façon suivante :

D’après la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle Cela comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait une intention coupable (autrement dit, qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que sa conduite soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiée.Note de bas de page 4

[13] Ces paragraphes montrent que la division générale a résumé avec exactitude le droit concernant l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre qu’elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[14] La prestataire soutient que la politique de vaccination obligatoire de son employeur violait ses droits fondamentaux, mais ce n’est pas la question en l’espèce. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur avait une politique et si l’employée n’en a pas tenu compte de façon délibérée. Dans sa décision, la division générale s’est exprimée ainsi :

Je dois me concentrer uniquement sur la Loi. Je ne peux pas décider si l’appelante a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question de savoir si l’appelante a été congédiée à tort ou si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à l’égard de l’appelante. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que l’appelante a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.Note de bas de page 5

[15] Comme la loi l’obligeait à se concentrer sur des questions précises, la division générale n’avait pas le pouvoir de décider si la politique de l’hôpital contrevenait au contrat de travail de la prestataire ou violait les droits fondamentaux ou constitutionnels de cette dernière. La division générale n’avait pas non plus le pouvoir de décider si le processus de demande d’exemption de l’hôpital était équitable ou s’il aurait pu tenir compte de la réticence de la prestataire à accepter le vaccin.

Une affaire récente confirme l’interprétation de la loi par la division générale

[16] Dans une décision récente, la Cour fédérale a confirmé cette approche à l’égard de l’inconduite dans le contexte particulier de la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto concernait le refus d’un appelant de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 6. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à répondre à ces questions :

[Traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’existe aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.Note de bas de page 7

[17] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi. La Cour a précisé que le système juridique offrait d’autres voies par lesquelles M. Cecchetto aurait pu faire valoir ses allégations de congédiement injustifié ou ses revendications en matière de droits de la personne.

[18] C’est également vrai dans la présente affaire. En l’espèce, les seules questions qui importaient étaient celles de savoir si la prestataire avait enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si ce manquement était voulu et vraisemblablement susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas omis de tenir compte d’un précédent contraignant

[19] La prestataire s’appuie sur une décision récente de la division générale intitulée A.L., dans laquelle il a été conclu qu’une prestataire de l’assurance-emploi avait droit à des prestations même si elle avait désobéi à la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 8. La prestataire semble faire valoir que le membre de la division générale qui a entendu sa cause aurait dû effectuer une analyse semblable à celle de la décision A.L.

[20] Je ne peux être d’accord.

[21] Premièrement, la division générale n’a pas omis de tenir compte de la décision A.L. Elle a examiné cette affaire, mais elle a décidé qu’elle n’était pas d’accord avec son approche à l’égard du droit. Puisque l’affaire A.L. a été tranchée par la division générale, comme dans le cas de la prestataire, le président de l’audience n’était pas tenu de la suivre. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne sont pas liés par les décisions de leurs pairs.

[22] Deuxièmement, la décision A.L., comme la prestataire semble le penser, n’accorde pas aux prestataires d’assurance-emploi une exemption générale des politiques obligatoires de leur employeur en matière de vaccination. La décision A.L. semble concerner une prestataire dont la convention collective empêchait expressément son employeur de la forcer à se faire vacciner. D’après mon examen de ce dossier, la prestataire n’a invoqué à aucun moment une disposition comparable dans son propre contrat de travail. Dans la décision Cecchetto, récente affaire de la Cour fédérale qui portait sur l’obligation de vaccination imposée par un employeur, la décision A.L. a également été examinée. Il a été donné à entendre qu’elle n’était pas applicable de façon généraleNote de bas de page 9.

L’argument selon lequel la division générale a négligé ou mal compris la preuve n’est pas fondé

[23] Devant la division générale, la prestataire a invoqué des éléments de preuve selon lesquels le vaccin n’a pas été mis à l’essai ni testé. Elle a insisté sur le fait qu’elle était exemptée de devoir se faire vacciner pour des raisons médicales et religieuses. Elle a insisté sur le fait qu’elle était disposée à accepter des mesures de rechange qui assureraient la sécurité de ses collègues.

[24] D’après ce que je vois, la division générale n’a pas omis de tenir compte de ces points. Elle ne leur a tout simplement pas accordé tout le poids que, de l’avis de la prestataire, ils méritaient. Compte tenu du droit entourant la question de l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur dans son évaluation de la preuve.

[25] La division générale a fondé sa décision sur les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination comme il le jugeait bon.
  • L’employeur a adopté et communiqué une politique de vaccination claire exigeant que tout employé fournisse une preuve démontrant qu’il était entièrement vacciné avant une certaine date limite.
  • La prestataire savait ou aurait dû savoir que le défaut de se conformer à la politique dans le délai prescrit entraînerait la perte de son emploi.
  • La prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner avant la date limite.
  • La prestataire n’a pas convaincu l’employeur qu’elle était admissible à une exemption pour motifs religieux sous le régime de la politique;
  • L’employeur n’était pas tenu d’accepter les demandes de mesures d’adaptation de la prestataire.

[26] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier ainsi que le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire avait commis une inconduite parce que son refus de suivre la politique de son employeur était délibéré et qu’il a vraisemblablement mené à son congédiement. La prestataire a peut-être cru que le refus de se conformer à la politique ne causerait aucun préjudice à son employeur, mais, du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

Conclusion

[27] Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincu que le présent appel ait une chance raisonnable de succès. La permission d’en appeler est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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