Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1783

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : M. D.
Représentante ou représentant : S. G.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (463746) datée du 13 avril 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 27 septembre 2022
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 25 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1664

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire a été suspendu puis congédié de son emploi. Son employeur affirme qu’il a été congédié parce qu’il est allé à l’encontre de sa politique de vaccination : il ne s’est pas fait vacciner.

[4] Même si le prestataire ne conteste pas ce qui s’est passé, il affirme que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite. Il avait des raisons religieuses et médicales pour ne pas se faire vacciner.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement fournie par l’employeur. Elle a conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle l’a donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Questions que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[6] Le Tribunal a désigné l’ancien employeur du prestataire comme partie mise en cause potentielle dans l’appel du prestataire. Le Tribunal lui a donc envoyé une lettre pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il souhaitait être ajouté comme partie mise en cause. En date de la présente décision, l’employeur n’a pas répondu à la lettre. Comme rien dans le dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie à l’appel.

Le représentant du prestataire n’était pas présent à l’audience

[7] Dans son avis d’appel, le prestataire a déclaré qu’il était représenté par un représentant de son syndicat. Le représentant ne s’est pas présenté à l’audience. J’ai demandé au prestataire s’il voulait ajourner l’audience et s’arranger pour que son représentant y assiste. Le prestataire a dit que le représentant syndical ne souhaitait pas assister à l’audience.

[8] J’ai dit au prestataire que j’accepterais une déclaration écrite de son représentant après l’audience s’il voulait fournir des éléments de preuve ou des observations au sujet de l’appel. Après l’audience, le prestataire a dit au Tribunal que le représentant ne fournirait pas de déclaration écriteNote de bas de page 2.

J’ai accepté les documents déposés par le prestataire après l’audience

[9] Après l’audience, le prestataire a déposé plusieurs documents par courriel. Il s’agissait notamment de renseignements sur sa demande d’exemption, sa rencontre de congédiement et sa convention collective. J’ai accepté ces documents en preuve, car ils sont pertinents pour l’appel du prestataire.

Question en litige

[10] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[11] La loi prévoit qu’une partie prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison de son inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendueNote de bas de page 3.

[12] Pour décider si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison le prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[13] J’estime que le prestataire a perdu son emploi parce qu’il est allé à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur.

La raison du congédiement du prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[14] Selon la loi, la raison du congédiement du prestataire est une inconduite.

[15] La Loi sur lassurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si le congédiement du prestataire est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en compte quand on examine la question de l’inconduite.

[16] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 6.

[17] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 7.

[18] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 8.

[19] Je peux seulement trancher les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options au prestataire. Je n’ai pas à décider si son employeur l’a injustement congédié ou aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 9. Je peux seulement évaluer une chose : si ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[20] Dans une décision de la Cour d’appel fédérale qui s’intitule Canada (Procureur général) c McNamara, M. McNamara a été congédié de son emploi à cause de la politique de son employeur sur le dépistage de droguesNote de bas de page 10. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié, car le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances, notamment parce qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire qu’il était incapable de travailler de façon sécuritaire parce qu’il aurait consommé de la drogue. De plus, les résultats de son test de dépistage précédent auraient dû être toujours valides. Essentiellement, M. McNamara a fait valoir qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que les actions de son employeur concernant son congédiement n’étaient pas justifiées.

[21] La Cour d’appel fédérale a répondu aux arguments de M. McNamara en faisant remarquer qu’elle a toujours affirmé que, dans les dossiers d’inconduite, la question n’est pas de savoir « si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt, il [lui] appartient de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la [Loi sur l’assurance-emploi] ». Elle a aussi dit que dans l’interprétation et l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a fait remarquer que les personnes injustement congédiées ont d’autres solutions pour sanctionner le comportement d’un employeur, c’est-à-dire « d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance-emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[22] Dans une affaire plus récente intitulée Paradis c Canada (Procureur général), M. Paradis, tout comme M. McNamara, a été congédié pour avoir échoué à un test de dépistage de droguesNote de bas de page 11. M. Paradis a soutenu qu’il avait été injustement congédié, que les résultats du test montraient qu’il n’avait pas travaillé avec des facultés affaiblies et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à sa politique et à la loi provinciale sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur la décision McNamara et a dit que le comportement de l’employeur n’était pas un facteur pertinent pour évaluer s’il y avait eu une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi Note de bas de page 12.

[23] Dans une autre affaire semblable de la Cour d’appel fédérale intitulée Mishibinijima c Canada (Procureur général), M. Mishibinijima a perdu son emploi en raison de son trouble lié à la consommation d’alcoolNote de bas de page 13. Il a soutenu que son employeur devait lui offrir des mesures d’adaptation parce que le trouble lié à la consommation d’alcool est considéré comme une déficience. La Cour d’appel fédérale a encore une fois affirmé qu’il fallait se concentrer sur ce que la personne employée a fait ou n’a pas fait. Le fait que l’employeur ne lui avait pas offert de mesures d’adaptation n’était pas pertinentNote de bas de page 14.

[24] Ces dossiers ne portent pas sur les politiques de vaccination contre la COVID-19. Mais ce qu’ils disent est tout de même pertinent. Mon rôle n’est pas d’évaluer le comportement ou les politiques de l’employeur et d’établir s’il a eu raison de congédier le prestataire. Je dois plutôt me concentrer sur ce que le prestataire a fait ou a omis de faire et décider s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi

[25] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que :

  • l’employeur avait une politique de vaccination;
  • l’employeur a clairement informé le prestataire de ses attentes concernant la vaccination;
  • l’employeur a parlé au prestataire à plusieurs reprises pour lui faire part de ses attentes;
  • le prestataire savait ou aurait dû savoir quelles étaient les conséquences s’il ne respectait pas la politique de vaccination de l’employeur.

[26] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’il ne peut pas se faire vacciner en raison de ses croyances religieuses. Il avait aussi des préoccupations d’ordre médical liées aux vaccins contre la COVID-19. De plus, il était en dépression à ce moment-là et pense que son état mental a nui à sa capacité de prendre une décision sur la vaccination.

[27] La politique de vaccination de l’employeur prévoit que le personnel doit fournir une preuve de vaccination complète ou avoir une exemption approuvée au plus tard le 15 octobre 2021. Le personnel qui ne satisfait pas à ces exigences peut faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiementNote de bas de page 15.

[28] L’employeur a envoyé des courriels à tout le personnel le 26 août 2021 et le 3 septembre 2021 pour annoncer la politiqueNote de bas de page 16.

[29] Le 30 août 2021, l’employeur a envoyé au prestataire un courriel indiquant qu’il respectait son choix en matière de vaccination et lui demandant de lire la politique et de comprendre les implications de la directive provinciale. Le prestataire a dit que son superviseur avait également tenté de communiquer avec lui par téléphone. Toutefois, le prestataire était en congé parental à ce moment-là. Il a envoyé un courriel à l’employeur pour lui demander pourquoi la politique était mise en place si rapidement alors que la province n’avait pas encore adopté de loi à ce sujet. Il a dit qu’il voulait avoir le temps de faire ses devoirs et de répondre à son superviseur.

[30] Le prestataire a déclaré qu’il avait pris connaissance de la politique en septembre lorsque son superviseur l’a appelé. Cependant, il était en congé et voulait régler la question à son retour au travail. Il a été avisé de la politique et des attentes de l’employeur concernant la vaccination lorsqu’il est revenu de congé le 11 octobre 2021.

[31] Le 20 octobre 2021, l’employeur a envoyé un courriel au prestataire pour l’informer qu’il n’était pas entièrement vacciné comme l’exigeait la politique. La date limite pour se conformer à la politique a été reportée au 15 novembre 2021 afin de lui donner le temps de se faire vacciner, et on s’attendait à ce qu’il soit [traduction] « en pleine conformité » avec la politique au plus tard le 15 novembre 2021. Le courriel précise qu’il s’agit d’un [traduction] « dernier rappel de ses obligations en tant qu’employé » et que le non-respect de la politique pourrait entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiementNote de bas de page 17.

[32] Le 15 novembre 2021, l’employeur a mis le prestataire en congé administratif sans solde (suspension) pendant deux semaines pour non-respect de la politique de vaccinationNote de bas de page 18.

[33] Le prestataire a été de nouveau suspendu le 29 novembre 2021, le 14 janvier 2022 et le 11 février 2022. L’employeur lui a envoyé des avis de suspension à chacune de ces datesNote de bas de page 19. Le 11 février 2022, le prestataire a reçu un [traduction] « avis final de congé administratif sans solde ». Dans cet avis, il est indiqué que son congé sans solde se poursuivra jusqu’au 24 mars 2022 ou jusqu’à ce qu’il se conforme à la politiqueNote de bas de page 20. L’employeur a congédié le prestataire le 25 mars 2022.

[34] Le 20 décembre 2021, le prestataire a demandé une exemption à la politique de vaccination pour motifs religieuxNote de bas de page 21. L’employeur a rejeté sa demande d’exemption le 4 janvier 2022Note de bas de page 22.

[35] Le prestataire savait ce qu’il devait faire dans le cadre de la politique de vaccination et ce qui se passerait s’il ne la respectait pas. L’employeur a informé le prestataire des exigences et des conséquences de ne pas la respecter.

[36] Le prestataire a fait valoir qu’il n’avait pas fait de choix en matière de vaccination, mais qu’il voulait être patient et attendre d’avoir plus d’informations sur les vaccins contre la COVID-19. Cependant, la politique de l’employeur exigeait qu’il fournisse une preuve de vaccination complète au plus tard le 15 novembre 2021. En ne fournissant pas de preuve, il est allé à l’encontre de ce qu’exigeait la politique de son employeur.

[37] L’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Lorsque l’employeur a mis en place cette politique comme exigence pour tout le personnel, cette politique est devenue une condition expresse de l’emploi du prestataireNote de bas de page 23.

[38] De plus, le prestataire a déclaré qu’il n’était pas en mesure de prendre une décision éclairée quant à savoir s’il devait se conformer à la politique de l’employeur parce qu’il avait des problèmes de santé mentale à ce moment-là. J’accepte le témoignage du prestataire selon lequel il était en dépression, mais la preuve montre qu’il a fait un choix délibéré. Il a déclaré de façon constante tout au long de la procédure d’appel qu’il avait des raisons médicales et religieuses valables pour ne pas vouloir se faire vacciner à ce moment-là. La date limite pour se conformer à la politique et les conséquences de ne pas se faire vacciner lui ont été clairement communiquées. Pourtant, il a choisi de ne pas se conformer aux exigences de la politique de l’employeur.

[39] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite parce que :

  • l’employeur avait une politique de vaccination selon laquelle le prestataire devait être entièrement vacciné ou avoir une exemption approuvée;
  • l’employeur a clairement informé le prestataire de ses attentes envers son personnel concernant la vaccination;
  • l’employeur a envoyé des lettres au prestataire à plusieurs reprises pour lui faire part de ses attentes;
  • le prestataire savait ou aurait dû savoir quelles étaient les conséquences s’il ne respectait pas la politique de vaccination de l’employeur.

Alors, le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[40] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[41] En effet, les actions du prestataire ont mené à son congédiement. Il a agi délibérément. Il savait que son refus de se faire vacciner pouvait entraîner la perte de son emploi.

Conclusion

[42] La Commission a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[43] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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