Assurance-emploi (AE)

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Citation : SC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1077

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : S. C.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
4 mai 2023 (GE-22-3894)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 14 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-577

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Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue parce qu’elle a refusé de respecter la politique de vaccination contre la COVID-19 (politique) adoptée par l’employeur. L’employeur ne lui a pas accordé une exemption.

[3] La défenderesse (Commission) a conclu que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite. Elle l’a donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. La prestataire a demandé la révision de la décision. La Commission a maintenu sa décision initiale. La prestataire a interjeté appel devant la division générale.

[4] La division générale a déterminé que la prestataire a refusé de se conformer à la politique de l’employeur. Elle a conclu que la prestataire savait que l’employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances et que son refus était volontaire, conscient et délibéré. La division générale a conclu que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.

[5] La prestataire demande à la division d’appel la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a commis des erreurs de fait et erré en droit en concluant qu’elle a été suspendue en raison de son inconduite.

[6] Je dois décider si on peut soutenir que la division générale a commis une erreur révisable qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[7] Je refuse la permission d’en appeler puisqu’aucun des moyens d’appel soulevés par la prestataire ne confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] Est-ce que la prestataire soulève, dans ses moyens d’appel, une erreur révisable qu’aurait commise la division générale et qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès? 

Remarques préliminaires

[9] Afin de décider de la demande pour permission d’en appeler de la prestataire, j’ai considéré que la preuve présentée devant la division générale. Les pouvoirs de la division d’appel sont limités. En effet, un appel devant la division d’appel n’est pas une audience de nouveau lors de laquelle une partie peut présenter une autre fois de la preuve et espérer une décision différente.Note de bas de page 1

Analyse

[10] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, spécifie les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Ces erreurs révisables sont que :

  1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une certaine façon.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question sans pouvoir de le faire.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit dans sa décision.

[11] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond de l'affaire. C'est une première étape que la prestataire doit franchir, mais le fardeau est ici inférieur à celui auquel elle devra rencontrer à l'audience de l'appel sur le fond. À l’étape de la demande permission d’en appeler, la prestataire n’a pas à prouver sa thèse mais elle doit établir que son appel a une chance raisonnable de succès. En d’autres mots, elle doit établir que l’on peut soutenir qu’il y a eu erreur révisable sur laquelle l’appel peut réussir.

[12] La permission d’en appeler sera en effet accordée si je suis convaincu qu’au moins l’un des moyens d’appel soulevé par la prestataire confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

Est-ce que la prestataire soulève, dans ses moyens d’appel, une erreur révisable qu’aurait commise la division générale et qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès?

[13] La prestataire soulève les moyens d’appel suivants :

  1. a) L’employeur l’a placé en congé sans son consentement et elle n’a pas été suspendue;
  2. b) La division générale n’a pas tenu compte de la preuve de la sincérité de sa croyance religieuse et que cette croyance est objectivement liée à un précepte religieux qui découle d’un texte ou d’un autre article de foi;
  3. c) La politique de l’employeur lui causait des problèmes de conscience religieuse puisqu’il n’y avait pas moyen de s’assurer que les vaccins avaient été produits, approuvés, distribués, de façon éthiquement acceptable.
  4. d) L’employeur se devait de l’accommoder en accordant son exemption religieuse;
  5. e) La politique de l’employeur était déraisonnable, abusive et discriminatoire;
  6. f) Elle a suivi la politique de l’employeur car elle a demandé une exemption.

[14] La division générale devait décider si la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.

[15] Il appartenait à la division générale de vérifier et d'interpréter les faits de la présente affaire et de faire sa propre évaluation sur la question de l'inconduite.

[16] Il n'était pas nécessaire que la division générale décide si l'employeur pouvait mettre la prestataire en « congé sans solde » pour avoir refusé de suivre sa politique. Il est bien établi que la procédure disciplinaire d'un employeur n'est pas pertinente pour déterminer une inconduite en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Loi sur l’AE).Note de bas de page 2

[17] La preuve démontre que l'employeur a empêché la prestataire de travailler même s'il y avait du travail. La prestataire a reconnu que le congé lui était imposé et qu'elle aurait continué à travailler n'eut été de la politique. La prestataire a temporairement perdu son emploi. Elle a donc été suspendue en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas de page 3

[18] La notion d’inconduite ne prévoit pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[19] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension serait injustifiée, mais bien de savoir si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné sa suspension.

[20] La division générale a déterminé que la prestataire a été suspendue parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de l’employeur en réponse à la pandémie. La prestataire a été informée de la politique mise en place par l’employeur pour préserver la santé et la sécurité de tout le personnel et a eu le temps de s’y conformer.

[21] La division générale a déterminé que la prestataire a volontairement refusé de suivre la politique et qu’elle n’a pas obtenu une exemption. C’est ce qui a directement entraîné sa suspension. La division générale a déterminé que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pourrait mener à sa suspension.

[22] La division générale a conclu de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[23] Il est bien établi que le non-respect délibéré de la politique d’un employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.Note de bas de page 4 Est également considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l'AE le non-respect d'une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une industrie.Note de bas de page 5

[24] La question de savoir si la politique de l’employeur était déraisonnable, abusive et discriminatoire, relève d'un autre forum. Ce Tribunal n'est pas le forum approprié par lequel la prestataire peut obtenir la réparation qu'elle demande.Note de bas de page 6

[25] Il n'est pas vraiment contesté qu'un employeur a l'obligation de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés sur leur lieu de travail. Il n'appartient pas à ce Tribunal de décider si les mesures de santé et de sécurité de l'employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été suspendue.

[26] La question de savoir si l'employeur a fait défaut d’accommoder la prestataire, ou si la politique de l’employeur a violé ses droits humains et constitutionnels, relève d'un autre forum. Ce Tribunal n'est pas le forum approprié par lequel la prestataire peut obtenir la réparation qu'elle demande.Note de bas de page 7

[27] La Cour fédérale du Canada a rendu une décision récente dans Cecchetto concernant l'inconduite et le refus d'un prestataire de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de l'employeur.Note de bas de page 8

[28] Dans cette affaire, le prestataire a soutenu que refuser de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur ne constitue pas une inconduite. Il a avancé qu'il n'était pas prouvé que le vaccin était sûr et efficace. Le prestataire s'est senti victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Le prestataire a soutenu qu'il a le droit de contrôler sa propre intégrité corporelle et que ses droits ont été violés en vertu du droit canadien et international.

[29] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d'appel selon laquelle, en vertu de la loi, ce Tribunal n'est pas autorisé à traiter de ces questions. La Cour a convenu qu'en faisant un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l'employeur, le prestataire avait manqué à ses devoirs envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d'une inconduite en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas de page 9 La Cour a déclaré qu'il existe d'autres moyens par lesquels les demandes du prestataire peuvent correctement avancer dans le cadre du système juridique.

[30] Dans l'affaire Paradis, le prestataire s'était vu refuser des prestations d'assurance-emploi en raison d'une inconduite. Il a soutenu qu'il n'y avait pas eu d'inconduite parce que la politique de l'employeur violait ses droits en vertu de la Loi sur les droits de la personne de l'Alberta. La Cour fédérale a conclu qu'il s'agissait d'une question relevant d'une autre instance.

[31] La Cour fédérale a déclaré qu'il existe des recours disponibles pour un prestataire afin de sanctionner le comportement d'un employeur autres que le transfert des coûts de ce comportement au Programme d'assurance-emploi.

[32] Dans l'affaire Mishibinijima, la Cour d'appel fédérale a déclaré que l'obligation d'accommodement de l'employeur n'est pas pertinente pour trancher les cas d'inconduite au titre de l'assurance-emploi.

[33] Tel qu'énoncé précédemment, le rôle de la division générale n'est pas de déterminer si l'employeur s'est rendu coupable d'inconduite en suspendant la prestataire d'une manière telle que sa suspension était injustifiée, mais plutôt de décider si la prestataire s'est rendue coupable d'inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[34] La preuve prépondérante démontre que la politique de l'employeur s'appliquait à la prestataire. Après le refus de son accommodement, elle a refusé de se conformer à la politique. Elle savait ou aurait dû savoir que l'employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances et son refus était volontaire, conscient et délibéré.

[35] La prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l'employeur en réponse aux circonstances uniques et exceptionnelles créées par la pandémie et cela a entraîné la suspension de son emploi.

[36] Je ne vois aucune erreur révisable commise par la division générale lorsqu'elle a tranché la question de l'inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d'appel fédérale, qui a défini l'inconduite en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas de page 10

[37] Je suis pleinement conscient que la prestataire peut demander réparation devant une autre instance, si une violation est établie.Note de bas de page 11 Cela ne change rien au fait qu'en vertu de la Loi sur l'AE, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.

[38] Après examen du dossier d’appel, de la décision de la division générale et des arguments au soutien de la demande de permission d’en appeler, je suis d’avis que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. La prestataire ne soulève aucune question dont la réponse pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

Conclusion

[39] La permission d’en appeler est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

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