Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MT c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1794

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : M. T.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (458562) datée du 11 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 14 septembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 4 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1337

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné ce résultat). Par conséquent, la prestataire n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] M. T. est la prestataire dans cette affaire. Elle travaillait comme infirmière auxiliaire autorisée depuis environ 14 ans dans un centre de soins infirmiers. Son employeur l’a suspendue, puis congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à la [traduction] « politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 » au travailNote de bas de page 2. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[4] La Commission a décidé que la prestataire n’avait pas droit aux prestations parce qu’elle avait été suspendue et avait perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 4.

[5] La prestataire n’est pas d’accord avec la Commission parce que l’employeur a rejeté sa demande d’exemption pour motifs religieux et médicauxNote de bas de page 5.

Une téléconférence a été organisée

[6] La prestataire a d’abord demandé une audience en personneNote de bas de page 6. À l’époque, ce n’était pas possible en raison de la pandémie de COVID-19. Le Tribunal lui a offert une téléconférence ou une vidéoconférence. La prestataire a informé le Tribunal par écrit qu’elle préférait une téléconférenceNote de bas de page 7. Une telle audience a donc été organiséeNote de bas de page 8.

Question en litige

[7] La prestataire a-t-elle été suspendue et a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] Une personne qui perd son emploi en raison de son inconduite ou qui le quitte volontairement sans justification n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[9] Une personne suspendue de son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 10.

[10] Une personne qui prend volontairement une période de congé sans justification n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 11.

[11] Pour décider si la prestataire a arrêté de travailler en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois établir pour quelle raison elle a arrêté de travailler. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

La prestataire a été suspendue et congédiée

[12] Je considère que la prestataire a été suspendue le 2 novembre 2021 parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de son employeur qui lui exigeait de se faire vacciner contre la COVID-19. La prestataire n’a pas été autorisée à continuer de travailler ni à retourner sur son lieu de travail.

[13] Je considère aussi qu’elle a été congédiée le 3 janvier 2022 pour la même raison.

[14] Ces dates concordent avec le témoignage de la prestataireNote de bas de page 12, son relevé d’emploi, ses lettres de suspension et de congédiement, et les discussions entre elle et la CommissionNote de bas de page 13.

Politique de l’employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19

[15] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’employeur a établi une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19, qui est entrée en vigueur le 7 septembre 2021Note de bas de page 14. Une copie de la politique se trouve au dossierNote de bas de page 15.

[16] La politique précise que l’employeur s’engage à prendre toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour préserver la santé et la sécurité du personnel malgré les risques de la COVID-19Note de bas de page 16.

[17] La politique prévoit ce qui suit :

  1. a) Les membres du personnel doivent divulguer leur statut vaccinal à l’employeur au plus tard le 13 septembre 2021.
  2. b) Les membres du personnel doivent être entièrement vaccinés contre la COVID-19 au plus tard le 30 octobre 2021Note de bas de page 17. Toutefois, cette date a été reportée au 13 décembre 2021, puis au 2 janvier 2022 pour la prestataireNote de bas de page 18.
  3. c) Pour une série de deux doses, il faut avoir reçu la première dose au plus tard le 30 septembre 2021, puis la deuxième au plus tard le 30 octobre 2021. Pour une dose unique, il faut l’avoir reçue au plus tard le 30 septembre 2021.

[18] La politique prévoit également des mesures d’adaptation pour les personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner contre la COVID-19 pour des motifs de protection fondés sur le Code des droits de la personneNote de bas de page 19. La politique décrit les étapes à suivre pour présenter une demande, comme l’obligation de présenter une preuve écrite qui montre la nécessité de la mesure d’adaptation.

La politique a été communiquée à la prestataire

[19] La prestataire a déclaré qu’elle a été informée de la politique entre fin août et septembre 2021. Elle a dit que l’employeur avait envoyé des courriels au travail et qu’une lettre lui avait été envoyée par la poste. De plus, elle a obtenu une copie de la politique sur le site Web et l’a imprimée pour pouvoir l’examiner.

[20] Je reconnais que la politique a été communiquée à la prestataire entre fin août et début septembre 2021. La preuve montre qu’elle a signé et présenté un formulaire de demande de mesure d’adaptation fondée sur ses croyances le 3 septembre 2021Note de bas de page 20.

La politique prévoyait des conséquences en cas de non-respect

[21] La politique prévoit que [traduction] « toute personne qui ne se conforme pas aux dispositions en vigueur s’expose à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiementNote de bas de page 21 ».

[22] La prestataire a déclaré qu’elle savait qu’elle serait suspendue si elle ne respectait pas la politique. Cependant, elle a expliqué qu’elle ne savait pas qu’elle serait congédiée.

[23] Je n’ai pas été convaincue par le témoignage de la prestataire. Elle a affirmé qu’elle ne savait pas qu’elle serait congédiée parce que la politique dit qu’une personne qui ne se conforme pas aux dispositions en vigueur [traduction] « s’expose à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiementNote de bas de page 22 ». La prestataire a convenu qu’elle avait une copie de la politique et qu’elle l’avait examinée. Elle aurait donc consulté la section qui portait sur la non-conformité.

[24] L’employeur a produit d’autres documents pour présenter les conséquences en cas de non-respect.

[25] Le 6 octobre 2021, un courriel interne a été envoyé au personnel. On disait que quiconque ne respectait pas les dates limites serait suspendu et qu’un congédiement suivrait le 13 décembre 2021Note de bas de page 23.

[26] De plus, la lettre de suspension datée du 1er novembre 2021 indiquait que tout non-respect continu entraînerait un congédiement motivé le 13 décembre 2021Note de bas de page 24.

[27] Dans une lettre subséquente, on a accordé une prolongation à la prestataire. Elle avait jusqu’au 2 janvier 2022 pour se conformer à la politique. Autrement, il y aurait congédiement motivé le 3 janvier 2022Note de bas de page 25.

La prestataire n’a obtenu aucune exemption approuvée

[28] Comme je l’ai mentionné plus haut, la politique prévoyait une exemption et des mesures d’adaptation pour les personnes qui ne pouvaient pas se faire vacciner contre la COVID-19 pour des motifs de protection fondés sur le Code des droits de la personneNote de bas de page 26.

[29] La prestataire a déclaré qu’elle avait demandé une exemption fondée sur ses croyances et des motifs médicaux. Elle a expliqué qu’elle a des allergies. Le 3 septembre 2021, elle a présenté sa première demande de mesures d’adaptation fondée seulement sur ses croyancesNote de bas de page 27. Le 28 septembre 2021, l’employeur a reconnu qu’il avait reçu sa demandeNote de bas de page 28. Le 7 octobre 2021, elle a présenté une deuxième demande de mesures d’adaptation fondée sur ses croyances et des motifs médicauxNote de bas de page 29. Elle a fourni des copies de documents à l’appui de sa demandeNote de bas de page 30.

[30] Le 26 octobre 2021, l’employeur a rejeté la demande d’exemptionNote de bas de page 31. Dans la lettre à cet effet, l’employeur avertit la prestataire qu’elle doit se conformer à la politique sur-le-champ et lui accorde un délai de grâce de cinq jours ouvrables pour qu’elle obtienne sa première dose.

Qu’est-ce qu’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi?

[31] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 32. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 33.

[32] Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (autrement dit, qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour qu’il y ait inconduite au sens de la loiNote de bas de page 34.

[33] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 35.

[34] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 36.

[35] J’estime que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes.

[36] Premièrement, je considère que la politique a été communiquée à la prestataire au début de septembre 2021 et qu’elle connaissait les délais pour s’y conformer. Elle aurait eu assez de temps. En fait, le délai a été prolongé deux fois, et ce, jusqu’au 2 janvier 2022.

[37] Deuxièmement, j’estime que la prestataire a choisi de façon volontaire et consciente de ne pas respecter la politique pour des raisons personnelles. Elle n’était pas d’accord avec les exigences et a décidé de ne pas s’y conformer.

[38] Elle a agi délibérément. La cour a déjà établi qu’une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 37. J’admets que la prestataire n’avait pas d’intention coupable, mais il y a tout de même eu inconduite de sa part.

[39] Troisièmement, j’estime que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect des exigences entraînerait une suspension et un congédiement. Selon la preuve, la prestataire savait qu’elle serait suspendue et congédiée si elle ne se conformait pas à la politique. Les conséquences de tout non-respect lui ont été communiquées de vive voix et par écrit.

[40] Quatrièmement, la prestataire n’a pas prouvé qu’elle était exemptée de la politique. Elle a demandé une exemption fondée sur ses croyances et des motifs médicaux, mais l’employeur lui a refusée. Par conséquent, une fois que le refus lui a été annoncé le 26 octobre 2021, elle savait qu’elle devait se conformer à la politique. Elle a eu droit à une nouvelle prolongation du délai pour ce faireNote de bas de page 38.

[41] La Commission ontarienne des droits de la personne a déclaré que la vaccination demeure volontaire. Cependant, l’obligation de fournir une preuve de vaccination pour protéger les personnes qui travaillent ou qui reçoivent des services est permise en règle générale par le Code des droits de la personneNote de bas de page 39, pourvu qu’il y ait des mesures d’adaptation prévues pour les personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons liées au CodeNote de bas de page 40.

[42] Enfin, je reconnais de façon générale que les employeurs peuvent décider d’élaborer et d’imposer des politiques en milieu de travail. Dans la présente affaire, l’employeur a imposé une politique de vaccination liée à la pandémie de COVID-19. La prestataire travaillait comme infirmière auxiliaire autorisée dans un centre de soins de longue durée. La vaccination contre la COVID-19 est alors devenue une condition d’emploi lorsque la politique a été mise en place. La prestataire a enfreint la politique en choisissant de ne pas s’y conformer, ce qui a nui à sa capacité de remplir ses obligations.

Arguments supplémentaires de la prestataire

[43] La prestataire a soulevé d’autres arguments pour appuyer sa position. En voici quelques-uns :

  1. a) L’employeur ne lui a pas accordé de mesures d’adaptation.
  2. b) L’employeur a rejeté injustement sa demande d’exemption pour motifs religieux.
  3. c) Elle n’était pas obligée de se faire vacciner contre la grippe.
  4. d) Il n’y a eu aucun consentement éclairé.
  5. e) L’employeur a porté atteinte à ses droits garantis par la CharteNote de bas de page 41.
  6. f) Beaucoup de personnes résidant au centre de soins de longue durée n’étaient pas vaccinées.

[44] La cour a déjà établi que le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si une sanction ou un congédiement était justifié. Le Tribunal doit décider si la conduite de la personne visée constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 42. J’ai déjà tranché : la conduite de la prestataire constitue une inconduite selon la Loi.

[45] Je reconnais les arguments supplémentaires de la prestataire. Mais pour obtenir la réparation qu’elle souhaite, elle devrait entreprendre des démarches en cour ou devant un autre tribunal qui pourrait examiner ses arguments particuliersNote de bas de page 43.

[46] Je remarque que la prestataire a déposé un grief syndical, mais qu’elle attend une date d’arbitrageNote de bas de page 44. De plus, elle a dit que son employeur lui a suggéré de déposer une demande au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. La prestataire affirme s’être renseignée sur les modalités pour déposer une plainte liée aux droits de la personne et qu’elle a un an pour le faire.

Conclusion

[47] La prestataire avait le choix. Elle a décidé de ne pas se conformer à la politique pour des raisons personnelles, ce qui a donné un résultat indésirable, soit une suspension et un congédiement.

[48] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi elle n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi.

[49] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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