Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 94

Numéro de dossier du Tribunal: GE-21-169

ENTRE :

T. M.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Katherine Wallocha
DATE DE L’AUDIENCE : Le 9 mars 2021
DATE DE LA DÉCISION : Le 12 mars 2021

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Le prestataire a démontré qu’il avait un motif valable pour avoir tardé à renouveler sa demande de prestations existante. Il a également démontré sa disponibilité pour travailler durant la période du retard.

[3] Le prestataire n’est donc pas inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE) à partir du 1er mai 2019 et jusqu'à la fin de sa période de prestations, en décembre 2019.

Aperçu

[4] Le prestataire est devenu chômeur en décembre 2018. En novembre 2019, il a demandé des prestations de maladie de l’AE. La Commission lui a accordé ces prestations de décembre 2018 à avril 2019.

[5] Le prestataire a ensuite demandé des prestations ordinaires de l’AE à partir du 1er mai 2019. Il a réclamé que sa demande renouvelée soit antidatée au 1er mai 2019. La Commission a cependant rejeté sa requête, jugeant qu'il n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard. On lui a également refusé des prestations ordinaires parce qu'il n'avait pas prouvé qu'il était capable de travailler et disponible à cette fin.

[6] Le prestataire n’est pas d’accord avec cette décision. Il estime avoir présenté des certificats médicaux et une preuve corroborant qu’il était prêt à travailler et qu’il avait le désir et la capacité de le faire dès mai 2019. Il a cotisé au régime d’AE et en a besoin pour survivre.

Question de compétence

[7] Je pense qu’il est important de fournir l'historique de cette affaire. Le prestataire a demandé des prestations de maladie de l’AE le 13 novembre 2019. Des prestations de maladies lui ont été accordées de façon rétroactive à partir du 18 décembre 2019, et jusqu’au 13 avril 2019. Il a bénéficié du maximum de prestations permis par la loi, soit 15 semaines.

[8] Le 3 janvier 2020, le prestataire a demandé des prestations ordinaires de l’AE à partir du 1er mai 2019. La Commission a alors soulevé les deux problèmes suivants dans sa lettre de décision datée du 24 janvier 2020 :

  • Sa demande renouvelée de prestations d’AE ne peut prendre effet avant le 1er mai 2019, puisqu’il n’a pas présenté sa demande à temps ni prouvé qu’il avait un motif valable pour son retard.
  • Il était impossible de lui verser des prestations d’AE à compter du 15 avril 2019. Même s’il avait dit à la Commission qu’il s'était rétabli, il n’avait fourni aucune preuve médicale à cet effet. Il n’avait donc pas prouvé qu'il était capable de travailler.

[9] Le prestataire a soumis une note médicale datée du 6 février 2020, estampillée par la Commission en date du 10 février 2020. Cette note expliquait que le prestataire était incapable de réintégrer son ancien poste en date de mai 2019, mais qu’il était à la recherche d’un autre emploi à ce moment.

[10] Le prestataire a ensuite soumis un certificat médical daté du 10 mars 2020 ainsi que sa demande de révision qui avait été estampillée en date du 13 mars 2020. Avant même que la Commission puisse donner suite à sa demande de révision, une autre lettre de décision est parue le 18 mars 2020. La lettre expliquait qu’il n’était pas possible de lui verser des prestations d’AE à compter du 15 avril 2019, puisqu’il n’avait pas démontré qu’il était prêt à travailler, qu’il avait le désir et la capacité de le faire et qu'il cherchait activement un emploi convenable. Autrement dit, il n'avait pas prouvé qu'il était disponible pour travailler.

[11] La Commission s’est entretenue avec le prestataire le 8 mai 2020. Ce dernier a confirmé qu’il voulait obtenir une révision en bonne et due forme des refus relatifs à sa disponibilité et à l’antidate demandée.

[12] Le 22 mai 2020, la Commission a rendu sa décision de révision. Elle y précisait que cette décision donnait suite à la demande de révision du 13 mars 2020, qui elle, visait la décision d’AE datant du 24 janvier 2020. La Commission a maintenu toutes ces décisions, mais en nommant uniquement la question de la [traduction] « disponibilité pour travailler ».

[13] Le prestataire a fait appel de cette décision. Un autre membre de la division générale a instruit son appel, mais strictement à l'égard de sa disponibilité pour travailler. Le 7 octobre 2020, la division générale a rejeté son appel.

[14] La prestataire a alors fait appel de la décision de la division générale. Le 25 janvier 2021, la division d’appel a statué et décidé de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen. C’est ainsi que j’ai la tâche de trancher cet appel.

[15] La division générale n’a précisé aucune consigne qu’il me faudrait observer. Je dois donc instruire cet appel comme s’il l'était pour la toute première fois.

[16] Après avoir examiné soigneusement le dossier d’appel, j’ai pu déceler des erreurs relativement aux questions portées en appel. J’ai demandé à la Commission de confirmer qu’elle avait rejeté la requête du prestataire pour faire antidater sa demande au 1er mai 2019. Advenant un tel refus, j’ai constaté que j’avais compétence pour me prononcer sur la question de l’antidate dans cet appel. J’ai donc demandé à la Commission de me soumettre ses arguments et ses observations.

[17] La Commission a soumis sa réponse le 24 février 2021. Elle a convenu que j’étais habilitée à trancher les deux questions. La Commission a également confirmé avoir rejeté la demande d’antidate, puis a présenté ses observations. J’ai expliqué le tout au prestataire lors de l’audience. Il s’est dit d’accord de vouloir porter les deux questions en appel.

[18] Je note que la lettre de décision du 4 janvier 2020 précise que le prestataire n’avait pas démontré qu’il était capable de travailler. Toutefois, c’est seulement le 18 mars 2020 qu’elle a aussi décidé qu’il n’avait pas démontré qu’il était capable de travailler ni activement à la recherche d’un emploi.

[19] Pour les raisons qui suivent, rien ne semble justifier que mon pouvoir se limite à décider si le prestataire était capable de travailler :

  • Le prestataire et la Commission conviennent que le prestataire a démontré qu'il était capable de travailler à partir du 1er mai 2019.
  • La loi spécifie, au sujet de la disponibilité, que le prestataire doit être « capable de travailler et disponible à cette fin ».
  • La Commission et le prestataire ont tous les deux présenté des arguments sur la disponibilité de ce dernier.
  • Si je refusais d’exercer ma compétence, les deux parties seraient aux prises avec un processus plus long et plus complexe.

[20] Par égard pour l’intérêt de la justice et mon devoir de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances permettentNote de bas de page 1, je conclus que je suis saisie de la question de la disponibilité.

Questions que je dois trancher

[21] Les deux questions suivantes sont ici en litige :

  1. La demande renouvelée de prestations d'AE du prestataire peut-elle être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 1er mai 2019?
  2. Le prestataire était-il capable de travailler et recherchait-il activement un emploi durant la période courant du 1er mai 2019 à décembre 2019?

Motifs de ma décision

[22] Toute personne qui cesse de travailler n’est pas forcément admissible aux prestations de l’AE. La personne doit présenter une demande de prestations dans les délais prescritsNote de bas de page 2 et prouver, selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 3, qu’aucune circonstance ou condition ne la rendait inadmissible au bénéfice des prestations ni exclue de leur bénéficeNote de bas de page 4.

La demande renouvelée de prestations du prestataire peut-elle être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 1er mai 2019?

[23] Quand une demande de prestations d’AE est présentée après le délai prescrit, la Commission peut décider de considérer la demande comme ayant été présentée à une date antérieure. C'est ce qu'on appelle une antidate.

[24] Le prestataire doit prouver qu’il avait un motif valable pendant toute la période de son retardNote de bas de page 5.

Le prestataire a-t-il prouvé qu’il avait un motif valable justifiant son retard?

[25] Oui, je conclus que le prestataire a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait un motif valable pendant toute la période de son retard.

[26] Un motif valable n’est pas l’équivalent d’une bonne raison ou d’une justification au retard. Pour prouver qu’il dispose d’un motif valable, le prestataire doit démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’enquérir de ses droits et de ses obligations selon la loiNote de bas de page 6.

[27] Le prestataire doit en faire la preuve pour toute la période du retardNote de bas de page 7. Si le prestataire n’a pas fait de telles démarches, il doit alors prouver que des circonstances exceptionnelles l’en ont empêchéNote de bas de page 8.

[28] Je juge que le prestataire n’a pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans sa situation pour s’enquérir de ses droits et de ses obligations. Toutefois, il a prouvé que des circonstances exceptionnelles justifient cette conduite.

[29] Selon le relevé d’emploi du 15 janvier 2020, le prestataire a travaillé jusqu’au 24 septembre 2019. L’employeur a cependant précisé que le prestataire avait bénéficié d’une assurance salaire du 25 septembre au 25 septembre 2018. Il a présenté une demande de prestations d’AE le 13 novembre 2019.

[30] J’accepte que la cessation d’emploi a seulement eu lieu en décembre 2018, malgré un dernier jour de travail remontant au 24 septembre 2019. Le prestataire a donc tardé à présenté sa demande du 26 décembre 2018 au 13 décembre 2019. Toutefois, il a reçu des prestations de maladie pendant 15 semaines, soit jusqu’au 13 avril 2019. Par conséquent, la période de son retard court du 14 avril au 13 novembre 2019.

[31] Lors de l’audience, le prestataire a fait preuve de beaucoup de candeur et de franchise. Il m’a confié qu’il était un alcoolique en rémission. Son mariage avait fait faux bond. Il avait alors commencé un traitement en 2016 et avait été sobre pendant deux ans. Les aléas de la vie avaient toutefois repris le dessus; il avait perdu la garde de ses enfants et avait vraiment touché le fond du baril.

[32] Le prestataire m’a dit qu’il avait cessé de travailler pour son employeur le 24 septembre 2018 et qu’il avait recommencé un traitement. Il bénéficiait alors d’une assurance salaire, ce qui a duré jusqu’au 25 décembre 2018. Il a expliqué qu’il lui était impossible, à cause du stress, de reprendre son ancien emploi, où il devait travailler à l’ordinateur toute la journée et gérer une équipe de 15 personnes. Son médecin l’avait avisé de ne pas retourner travailler pour son ancien employeur. C’est à ce moment-là qu’il a quitté son emploi.

[33] C’est alors qu’il m’a confié qu’il était en rémission et logeait temporairement chez d’autres personnes, comme il n’avait nulle part où vivre. Il visitait régulièrement son médecin de famille et son thérapeute. Il avait reçu un diagnostic de trouble anxieux dans le passé, mais son état était vraiment pire maintenant du fait qu'il ne consommait plus d’alcool pour se soulager.

[34] Le prestataire a expliqué qu’il était finalement parvenu à avoir un milieu de vie stable en mars 2019. Il voyait encore son thérapeute et son médecin de famille, dont la recommandation était de ne pas replonger dans un environnement stressant vu le peu temps qui s’était écoulé. Son médecin lui a donné la permission de reprendre le travail en mai 2019, mais pas auprès de son ancien employeur.

[35] Le prestataire m’a confié qu’il avait presque perdu sa vie avant de reprendre son traitement. Même si la situation avait sonné l’alarme pour lui, il se sentait incapable de reprendre un emploi supposant un haut niveau de stress. Il a dit qu’il se retrouverait sinon dans le même bateau, et estimait que c’était une situation de vie ou de mort. Il lui fallait prioriser sa santé afin d’être là pour ses enfants.

[36] La preuve au dossier d’appel montre que le prestataire a téléphoné à la Commission le 18 décembre 2019 pour savoir si sa demande avait été traitée. Il avait dit à la Commission qu’il souffrait d’anxiété et de dépression. La simple idée de quitter la maison lui donne des cauchemars.

[37] J’ai interrogé le prestataire sur ce commentaire adressé à la Commission. Il a confirmé la véracité de son propos. Il lui est parfois difficile de sortir de la maison, mais il fait de son mieux comme c’est une nécessité.

[38] J’ai aussi interrogé le prestataire sur un commentaire qu’il avait fait au membre précédent de la division générale. Il avait dit au membre qu’il faisait une dépression, sans que celle-ci  l’empêche de chercher du travail. Il m’a expliqué que sa dépression venait du fait qu’il postulait pour des emplois sans jamais en décrocher un, du fait d’être seul, et du fait de perdre la garde de ses enfants. Il était déprimé et détestait devoir sortir chez lui, mais il le faisait quand même.

[39] Le 3 janvier 2020, la Commission a demandé au prestataire d’expliquer pourquoi il n’avait pas présenté une demande à la date antérieure. Il a dit qu’il n’en avait pas été capable d’un point de vue médical et qu’il n'était pas alors bien certain de la manière de présenter ou de renouveler une demande. Il ne pensait pas non plus qu’il serait admissible à des prestations.

[40] Le 10 janvier 2020, le prestataire a communiqué avec la Commission afin de mettre au clair sa déclaration. Il avait initialement dit qu’il n’en aurait pas été capable d’un point de vue médical. Il a toutefois voulu préciser qu’il était capable de travailler, mais que les ordinateurs lui causaient de l’anxiété, ce qui l’avait rendu incapable de soumettre sa demande de renouvellement en temps opportun.

[41] J’ai demandé au prestataire pourquoi il n’avait pas présenté une demande de prestations d’AE lorsque son médecin l’avait autorisé à chercher du travail à partir de mai 2019. Il m’a dit qu’il avait reçu des prestations d’AE en 2016. Un agent de l’AE l’avait alors encouragé à suivre un cours, ce qu’il avait fait. Il avait ensuite reçu une lettre expliquant qu’il devait rembourser 16 000 $ en raison du cours qu’il avait suivi. Il avait appelé Service Canada parce qu’il avait l’impression de se faire raconter une histoire différente chaque fois qu'il parlait à une personne différente. Ainsi, en mai 2019, il n’avait pas immédiatement présenté une demande parce qu’il pensait que sa dette le rendrait inadmissible à des prestations. Et il n’était pas prêt à affronter sa dette, ni mentalement ni financièrement.

[42] Le prestataire m’a aussi dit que sa partenaire de l’époque l’avait aidé à présenter sa demande de prestations d’AE de 2016, étant donné qu'elle avait un ordinateur. Quand tout s’était effondré pour lui cette fois-ci, un simple sac renfermait tous ses biens personnels. Il a affirmé que la Commission lui avait dit qu’il devait rembourser 16 000 $, n’avait pas d’ordinateur ni de téléphone, et pouvait juste penser à trouver un emploi pour se remettre à flot.

[43] Le prestataire m’a expliqué qu’il faisait des efforts pour demeurer stable et qu’il pensait alors qu’il lui devait recommencer à travailler pour ravoir la garde de ses enfants. Il prenait son temps, [traduction] « y allait par tâtonnement » et essayait de tirer son épingle du jeu. D’habitude, il pouvait trouver rapidement un emploi. Le fait de ne pas recevoir d’offre d’emploi le faisait donc douter de sa valeur.

[44] J’ai demandé au prestataire ce qui l’avait incité à présenter une demande de prestations quand il l’avait fait. Il a expliqué qu’il avait continué à voir son médecin et son thérapeute, qu’il cherchait du travail et que quelque chose devait changer. Il avait parlé au conseiller en assurance dont il avait obtenu une assurance salaire l’année précédente, puis s'était adressé à l’aide sociale. Dans les deux cas, on lui avait recommandé de présenter une demande de prestations d’AE. Il m’a dit qu’il avait demandé des prestations d’AE peu après être allé discuter avec l’aide sociale.

[45] Je constate que le prestataire n’a pas assez rapidement vérifié ses droits et ses obligations selon la loi. Toutefois, je juge qu’il a prouvé l’existence de circonstances exceptionnelles qui expliquent pourquoi sa demande de prestations d’AE n’a pas été présentée à la date antérieure.

[46] La Commission a fait valoir que rien n’avait empêché le prestataire, sur le plan médical, de présenter une demande de prestations d’AE, comme il était alors en mesure d’accepter du travail.

[47] Je respecte cet argument de la Commission. Je respecte aussi ce que le prestataire m'a dit, à savoir qu’il ne s’estimait pas obligé de parler à la Commission de sa vie la plus profondément intime, particulièrement après que le médecin l’ait déclaré capable de travailler.

[48] Le prestataire était en rémission de son alcoolisme. Il composait aussi avec son trouble anxieux qui n’était pas pris en charge. Il avait été sans-logis pendant un certain temps. Il ne possédait ni ordinateur ni téléphone. Il avait continué à voir son médecin et son thérapeute, faisant ainsi preuve d'efforts pour assurer son rétablissement.

[49] Ses médecins lui avaient également dit d’éviter les situations stressantes. Le prestataire m’a convaincue que régler sa dette envers Service Canada aurait été une situation stressante qui aurait nui à sa santé et à son rétablissement.

[50] Compte tenu de toutes les circonstances de l’époque, notamment de l’état de santé du prestataire, de l’ordre de son médecin d’éviter les situations stressantes, de son itinérance et de ressources qui lui manquaient, comme un ordinateur et un téléphone, le prestataire a prouvé qu’il avait un motif valable justifiant sa demande tardive pour le renouvèlement de sa demande de prestations d’AE.

Le prestataire était-il capable de travailler et recherchait-il activement un emploi durant la période courant du 1er mai 2019 à décembre 2019?

[51] Deux différents articles de la loi exigent que les prestataires montrent qu’ils étaient disponibles pour travailler. La Commission a imposé au prestataire une inadmissibilité aux prestations en application des deux articles.

[52] Le prestataire doit démontrer qu’il a fait des démarches habituelles et raisonnables pour trouver un emploi convenableNote de bas de page 9. Il doit aussi prouver qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenableNote de bas de page 10. 

Démarches habituelles et raisonnables pour trouver un emploi convenable

[53] Pour décider si le prestataire a fait des démarches habituelles et raisonnables, je dois tenir compte de facteurs prévus par la loiNote de bas de page 11. Je dois chercher à savoir si ses démarches étaient soutenues et orientées vers l’obtention d’un emploi convenable.

[54] Je dois aussi examiner les démarches du prestataire pour trouver un emploi. La loi énumère neuf activités de recherche d’emploi dont je dois tenir compte, y compris les suivantes :

  • l’évaluation des possibilités d’emploi;
  • la rédaction d’un CV ou d’une lettre de présentation;
  • la présentation de demandes d’emploi;
  • le réseautage, et l’inscription à des outils de recherche d’emploi ou auprès de banques d’emplois électroniques ou d’agences de placement.

[55] La Commission soutient que le prestataire n’a pas montré qu’il avait essayé de trouver un emploi. Cette exigence incombe à tout prestataire qui souhaite toucher des prestations ordinaires d’AE.

[56] Le prestataire m’a dit qu’on lui avait demandé de soumettre l’historique de sa recherche d’emploi. Il n’avait pas conservé un tel registre à l’époque, parce qu’il ignorait qu’il devait le faire. Il avait donc demandé du temps pour réunir ces informations. Une fois ces informations réunies, il avait essayé d’appeler la Commission pour savoir comment les soumettre, mais avait été incapable de parler à quelqu’un. Lorsqu’on lui a finalement répondu, il se souvient que l’agente de la Commission lui avait dit que sa demande de prestations avait été rejetée. Elle lui avait ensuite dit [traduction] « Bonne chance pour trouver un emploi sans téléphone », et avait raccroché. Le prestataire a dit qu’il avait demandé au cabinet de son médecin de télécopier l’information au numéro qu’on lui avait donné, et il est étonné que cette information ne figure pas au dossier.

[57] Le prestataire a dit au membre précédent de la division générale qu’il avait accepté de l’aide pour préparer son CV et une lettre de présentation. La même personne l’avait aussi aidé en simulant des entrevues avec lui. Il s’était inscrit à des sites de recherche d’emploi comme Indeed et Kijiji et avait envoyé son CV. Il avait visité des chantiers de construction, des restaurants et des bureaux de placement pour ouvriers afin de trouver du travail. Il faisait du réseautage auprès d’anciens employeurs et d’amis, et avait même demandé à sa mère de se renseigner dans sa paroisse pour l’aider. Durant sa première audience, le prestataire a déclaré qu’il posait sa candidature à cinq à dix emplois par jour, chaque semaine.

[58] J’ai demandé au prestataire comment il lui avait été possible de postuler à un si grand nombre d’emplois, alors qu’il disait ne pas posséder d’ordinateur et que les ordinateurs lui causaient du stress. Il m’a dit qu’il avait fini par vivre avec un colocataire qui lui, avait un ordinateur. Il n'aimait pas l’utiliser, et n'envoyait donc que quelques CV puis faisait une pause sans ordinateur. Il allait se promener à pied dans son quartier et, quand il voyait des chantiers de construction, il se renseignait sur les possibilités d’emploi de nettoyage des sites et de main-d’œuvre.

[59] Le prestataire a expliqué qu’il cherchait du travail dans les restaurants parce qu’il avait déjà travaillé comme cuisinier à la chaîne. Il allait dans des restaurants pour demander s’ils embauchaient. Il a dit qu’il voulait simplement avoir son pied dans la porte. Avant même que je soulève cette question, le prestataire a dit reconnaître que le travail en restaurant était  stressant, mais qu’il souhaitait obtenir un emploi comme commis de cuisine en dehors des heures achalandées, ou comme plongeur.

[60] Le prestataire a suivi un cours de charpenterie en 2016. Il m’a dit qu’il n’était pas un charpentier certifié, mais qu’il était capable de travailler dans le domaine. Il a dit qu’il avait un ami charpentier à qui il téléphonait régulièrement dans l’espoir de trouver un emploi.

[61] Le prestataire avait déjà été contremaître en aménagement paysager. Il postulait donc pour des emplois manuels auprès de compagnies de paysagement. Il a dit qu’il ne voulait pas la pression d’un poste de responsable, mais qu’il n’avait pas peur de faire du travail de nature physique.

[62] D’après ce qui précède, je conclus que le prestataire a prouvé qu’il a fait des démarches habituelles et raisonnables pour trouver un emploi convenable, dans les limites imposées par son état de santé. Le prestataire avait rédigé un CV et une lettre de présentation, et fait des simulations d’entrevues. Il avait activement posé sa candidature à des emplois pour lesquels il était qualifié, et parfois surqualifié. Il avait fait du réseautage auprès de sa famille et de ses amis et avait visité des lieux de travail afin de trouver un emploi. Le tout démontre que ses démarches avaient été soutenues et orientées vers l’obtention d’un emploi convenable.

Capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable

[63] Je dois déterminer si le prestataire a prouvé qu'il est capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenableNote de bas de page 12. Pour montrer qu’il était disponible pour travailler au sens de cet article, le prestataire doit prouver qu’il Note de bas de page 13

  1. désirait réintégrer les marché du travail dès qu’un emploi convenable serait disponible;
  2. a manifesté ce désir en faisant des démarches pour trouver un emploi convenable;
  3. ne s’est imposé aucune condition personnelle qui aurait indûment compromis ses chances de réintégrer le marché du travail.

[64] Pour trancher la question de sa disponibilité, je dois examiner chacun de ces facteurs à la lumière de l’attitude et de la conduite du prestataireNote de bas de page 14.

Le prestataire était-il capable de travailler?

[65] Oui, le prestataire a prouvé qu’il était capable de travailler.

[66] La Commission affirme que le prestataire a fourni des informations médicales montrant qu’il peut accepter un emploi dans un autre domaine que celui où il travaillait auparavant.

[67] J’ai examiné les notes médicales et je suis d’accord avec la Commission. Le prestataire a en effet prouvé qu’il est capable de travailler.

Le prestataire désirait-il réintégrer le marché du travail dès qu’un emploi convenable serait disponible?

[68] Oui, le prestataire a fait manifesté le désir de réintégrer le marché du travail dès qu’un emploi convenable serait disponible.

[69] Le prestataire a dit à maintes reprises qu’il voulait trouver un emploi et se remettre à flot. À l’audience, il m’a dit qu’il était motivé à trouver un emploi parce qu’il voulait revoir ses enfants. Il voulait aussi leur montrer l'exemple. J’en conclus que l’attitude et la conduite du prestataire montrent qu’il avait le désir de recommencer à travailler.

Le prestataire a-t-il fait des démarches pour trouver un emploi convenable?

[70] Oui, le prestataire a fait des démarches pour trouver un emploi convenable.  

[71] Le médecin du prestataire a déclaré qu’il ne pouvait pas recommencer à travailler pour son ancien employeur en raison du stress que cet emploi lui causait. À défaut de suivre cet avis, son médecin s’inquiétait que son rétablissement soit compromis et que son état de santé, qui n’était pas parfaitement stable à l’époque, s’aggrave.

[72] Le prestataire a recouru à ses expériences de travail passées. Il m’a dit qu’il avait déjà travaillé comme cuisiner et qu’il cherchait donc du travail dans les restaurants, moyennant un poste moins stressant. Il m’a dit qu’il avait déjà travaillé comme contremaître en paysagement, et il cherchait donc un emploi d’ouvrier auprès de compagnies de paysagement. Le prestataire avait aussi suivi des cours de charpenterie. Il m’a admis ne pas aimer travailler dans ce domaine, mais qu’il ferait ce qu’il fallait faire, et il communiquait donc avec ses amis charpentiers pour trouver du travail. Il avait sondé des chantiers de construction dans l’espoir de trouver du travail de manœuvre général.

[73] Le prestataire avait aussi visité des bureaux de placement pour ouvriers. Il a expliqué qu’il fallait s’y présenter le matin même dans l’espoir d’obtenir un emploi rémunéré en argent comptant pour la journée. Il a dit qu’il y était allé peut-être trois fois en tout. Je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas continué à le faire. Il a dit qu’il s’agissait d’emplois rémunérés en espèces, et qu’il avait l’impression que les autres personnes qui cherchaient ces emplois étaient des toxicomanes qui voulaient de l’argent comptant afin de pouvoir se défoncer. Il a dit que ce n’était pas le meilleur environnement pour un ancien alcoolique.

[74] Le prestataire a dit à la Commission qu’il cherchait un emploi comme instructeur de guitare. Je lui ai demandé s’il avait les compétences requises à cet effet. Il m’a dit qu’il avait joué dans un groupe pendant des années, et qu’il pourrait enseigner la guitare dans un magasin de musique de son quartier.

[75] Eu égard à ce qui précède, je suis convaincue que le prestataire cherchait activement un emploi convenable, compte tenu des limitations liées à son état de santé.

Le prestataire s’était-il imposé des conditions personnelles pouvant indûment compromettre ses chances de réintégrer le marché du travail?

[76] Non, le prestataire ne s’est pas imposé de conditions personnelles qui auraient pu compromettre indûment ses chances d’obtenir un emploi.

[77] Il est inscrit au dossier que le prestataire s’est vu retirer son permis de conduire en 2016. Cette circonstance limitait sa recherche à des employeurs au sein même de la ville, desservis par autobus durant leurs heures de service. Toutefois, le prestataire m’a dit qu’il avait son permis de conduire, dans la mesure où il pouvait garder un antidémarreur éthylométrique dans sa voiture. Ce dispositif coûtait 100 $ par mois. Après la fin de son traitement en décembre 2018, il était incapable d’assumer le coût de l’antidémarreur, de l’assurance et de l’entretien de son véhicule. Il m’a dit qu’avoir une voiture n’était pas sa priorité, puisqu’il lui fallait d’abord régler d’autres problèmes, comme trouver un emploi. J’estime que le prestataire ne s’est pas imposé une condition personnelle du fait qu’il n’avait pas les moyens d'entretenir un véhicule.

[78] Le prestataire dit qu’il ne peut pas travailler à l’ordinateur. Il m’a dit que cela l’énerve et qu’il pense que c’est de sa faute. Il affirme qu’il a désormais de la difficulté à se concentrer à l'ordinateur et qu’il ignore comment il y arrivait auparavant. Il dit ne pas être versé en informatique, et préférer ne pas travailler à l’ordinateur s’il n’y est pas obligé.  

[79] La Commission a noté que le prestataire accepterait un emploi dans un milieu de travail tranquille, sans stress ni personnes qui crient. Il m’a expliqué qu’il accepterait un emploi qui ne serait pas une source de stress, et qu’il ne voulait donc pas un poste de superviseur. En parlant d'un milieu de travail tranquille, il a dit entendre qu'il ne tolérerait pas de se faire crier dessus et d’être [traduction] « traité comme de la merde ». Il a affirmé qu’il voulait réussir, et qu’il préférait donc éviter de s’exposer à du stress.

[80] La Commission a noté que le prestataire accepterait un quart de travail d’après-midi parce que l’obligation de se lever tôt ou de veiller tard lui causait du stress. Le prestataire m’a dit que son propos avait été mal rapporté. Il avait dit à la Commission qu’il travaillait en après-midi dans le cadre de son dernier emploi et qu’il s’agissait de son quart de travail préféré. Il n’avait pas signifié qu’il n’accepterait pas d’autres quarts de travail, comme il a besoin de travailler.

[81] La Commission a noté que le prestataire cherchait un emploi dans un entrepôt, mais qu’il n’avait pas de moyen de transport pour s'y rendre le soir, lorsque les autobus n’étaient plus en service. Le prestataire m’a dit qu’il avait postulé auprès de plusieurs entrepôts, mais qu’on lui avait dit qu’il était surqualifié pour ce travail. Il a affirmé qu’il se serait débrouillé s’il avait réussi à obtenir un tel emploi.

[82] J’estime que le prestataire ne s’est pas imposé une condition personnelle du fait qu’il a limité sa recherche d’emploi aux emplois qui convenaient à ses limitations médicales. En cherchant un emploi qui ne le stresserait pas, il suivait les ordres de son médecin. Il est compréhensible que le prestataire commence lentement, pour s’assurer que son état de santé physique et mental demeure stable. Le prestataire a démontré qu’il a eu recours à son expérience de travail et cherché un emploi convenable respectant les limites prescrites par son médecin.

Le prestataire était-il capable de travail et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable?

[83] Compte tenu des différentes conclusions que j’ai tirées par rapport à chacun des facteurs, je conclus que le prestataire a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable.

Conclusion

[84] L’appel est accueilli. Le prestataire a démontré qu’il avait un motif valable pour avoir tardé à renouveler sa demande existante de prestations d’AE. Il n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations d’AE pour la période allant du 1er mai 2019 à décembre 2019.

 

Date de l’audience :

Le 9 mars 2021

Mode d'instruction:

Téléconférence

Comparution:

T. M., appelant

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