Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 976

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. D.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (543589) datée du 17 octobre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 12 avril 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 3 mai 2023
Numéro de dossier : GE-22-3562

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Décision

[1] Je rejette l’appel. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelantNote de bas de page 1.

[2] Dans le présent appel, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’employeur de l’appelant l’a suspendu en raison d’une inconduite (c’est‑à‑dire parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension).

[3] Par conséquent, l’appelant n’est pas admissible aux prestations d’assurance‑emploi à la suite de sa suspension. C’est ce qu’a décidé la Commission. Autrement dit, la Commission a rendu la bonne décision en ce qui concerne sa demande de prestations.

Aperçu

[4] L’employeur a mis l’appelant en congé sans solde à compter du 2 novembre 2021. L’appelant est retourné au travail le 18 septembre 2022, après que l’employeur ait levé sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19. La Commission affirme que l’employeur l’a mis en congé parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination.

[5] La Commission a décidé que l’appelant avait été suspendu de son emploi pour une raison que la Loi sur l’assurance-emploi considère comme une inconduite. Elle ne pouvait donc pas de lui verser des prestations d’assurance‑emploi du 6 juin 2022 au 16 septembre 2022Note de bas de page 2.

[6] L’appelant n’est pas d’accord. Sa suspension n’était pas une mesure disciplinaire prise par l’employeur. L’employeur ne peut pas l’obliger à subir des tests génétiques selon la Loi sur la non-discrimination génétique.

[7] Je dois décider si l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

L’audience a été ajournée à plusieurs reprises

[8] L’appelant devait initialement participer à une audience en personne le 15 février 2023. Il a répondu qu’il n’était pas en mesure de porter un masque comme l’exigeait la Commission (c’est-à-dire Service Canada).

[9] En réponse à cela, une téléconférence a été fixée pour le 21 février 2023. L’appelant a répondu à cet avis d’audience. Il a dit que son problème avec les masques était surtout d’ordre auditif. Il n’est pas capable de bien entendre lorsque des personnes portent des masques.

[10] J’ai décidé qu’il serait préférable d’essayer de tenir une conférence de règlement pour discuter des options qui permettraient de tenir une audience. Une conférence de règlement a donc été prévue plutôt qu’une audience par téléconférence. L’objectif était de discuter des options et des dates.

[11] La conférence de règlement a été fixée au 30 janvier 2023. L’appelant y a assisté à titre d’invité. Il a été informé que le Tribunal n’a aucun pouvoir discrétionnaire concernant l’exigence du port du masque dans les bureaux de Service Canada. L’appelant a fait part de sa préférence pour une audience en personne. Il a convenu qu’une audience par téléconférence ou par vidéoconférence était possible, mais il préférerait une audience en personne.

[12] Il a été décidé qu’une audience par vidéoconférence serait fixée au 29 mars 2023. Il ne s’agissait que d’une audience provisoire. Si l’exigence du port du masque était levée, elle serait remplacée par une audience en personne. L’audience devait avoir lieu deux mois plus tard, ce qui permettait de disposer d’un délai supplémentaire en attendant que l’exigence du port du masque soit modifiée.

[13] Le 2 mars 2023, l’appelant a reçu un nouvel avis d’audience pour une audience en personne. Le Tribunal avait été informé que l’exigence du port du masque avait été remplacée par une simple recommandation de porter le masque. La date du 29 mars 2023 a été retenue parce qu’il s’agissait de la même date que celle de l’audience provisoire par vidéoconférence.

[14] En raison d’une situation indépendante de la volonté du Tribunal, le membre du Tribunal n’était plus disponible pour une audience en personne le 29 mars 2023. Le Tribunal a communiqué avec l’appelant le 28 mars 2023. On lui a offert le choix de participer à une audience par vidéoconférence le 29 mars 2023 ou à une audience en personne deux semaines plus tard, le 12 avril 2023.

[15] L’appelant a opté pour l’audience en personne le 12 avril 2023. La nouvelle audience a eu lieu en personne, comme prévu, en présence de l’appelant.

Question en litige

[16] La raison de la suspension de l’appelant était-elle une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi?

Analyse

[17] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas obtenir de prestations d’assurance‑emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendue.

[18] Je dois examiner deux choses. Je dois décider pour quelle raison l’appelant a été suspendu de son emploi. Je dois ensuite décider si celle-ci est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[19] Une personne qui perd son emploi en raison d’une inconduite n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Dans ce contexte, le terme inconduite fait référence à la violation par la personne d’une règle d’emploi.

La raison de la suspension de l’appelant

[20] Je conclus que l’employeur a suspendu l’appelant parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination.

[21] L’appelant et la Commission conviennent qu’il a été suspendu à compter du 2 novembre 2021Note de bas de page 3. Il a été suspendu parce qu’il n’a pas respecté la nouvelle politique de vaccination obligatoire. Les parties ne s’entendent pas sur la question de l’inconduite. L’appelant affirme que la politique était illégale. Il a le droit de refuser les tests imposés par son employeur.

[22] Je n’ai aucune raison de penser qu’il y ait une autre raison pour laquelle l’appelant a été suspendu de son emploi. Rien dans le dossier ou dans les témoignages ne me fait douter de cette conclusion.

[23] Selon les éléments de preuve dont je dispose, j’estime que l’appelant a été mis en congé sans solde parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination de l’employeur.

Cette raison est une inconduite au sens de la loi

[24] Le défaut de l’appelant de se conformer à la politique de vaccination de son employeur constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Ce qu’est une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi

[25] La Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Les décisions des tribunaux définissent le critère juridique de l’inconduite. Ce critère m’indique les types de faits et les questions que je dois prendre en considération au moment de rendre ma décision.

[26] La Commission doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite, et non pour une autre raisonNote de bas de page 4.

[27] Je dois me pencher sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 5. Je ne peux pas examiner si la politique de l’employeur est raisonnable ou si une suspension ou un congédiement constitue une sanction raisonnableNote de bas de page 6.

[28] Il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable. Autrement dit, il n’est pas nécessaire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal pour que je décide que sa conduite est une inconduiteNote de bas de page 7. Pour constituer une inconduite, sa conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 8. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 9.

[29] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit suspendu pour cette raisonNote de bas de page 10.

[30] Je peux seulement décider s’il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas rendre ma décision en me fondant sur d’autres loisNote de bas de page 11. Je ne peux pas décider si l’appelant a été congédié de manière déguisée ou injustifiée selon le droit du travail. Il en va de même pour une suspension sans solde. Je ne peux pas interpréter un contrat de travail ni décider si l’employeur a enfreint la convention collectiveNote de bas de page 12. Je ne peux pas non plus évaluer si l’employeur a fait preuve de discrimination à l’égard de l’appelant ou s’il aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation selon le droit en matière des droits de la personneNote de bas de page 13. Et je ne peux pas décider si l’employeur a porté atteinte à la vie privée ou à d’autres droits de l’appelant dans le contexte de son emploi, ou autrement.

Ce que disent la Commission et l’appelant

[31] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi parce que la preuve démontre ce qui suit :

  • L’employeur avait une politique de vaccination et il l’a communiquée à tout le personnel.
  • La politique de vaccination exigeait que toutes les personnes employées divulguent leur statut vaccinal sous peine d’être mises en congé sans solde.
  • L’appelant savait ce que la politique exigeait de lui.
  • L’appelant savait aussi que son employeur pouvait le suspendre en application de la politique s’il n’acceptait pas de se soumettre aux tests prévus par celle-ci.
  • L’appelant a choisi consciemment et délibérément de ne pas respecter la politique.

[32] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite selon la Loi sur l’assurance‑emploi pour les raisons suivantes :

  • Il a été mis en congé sans solde en raison d’une politique de vaccination illégale.
  • Rien dans la loi ne permet à la Commission de lui refuser des prestations. La Commission ignore son droit à la vie privéeNote de bas de page 14.
  • L’employeur a clairement indiqué que ce congé n’était pas une mesure disciplinaire.
  • La Loi sur la non-discrimination génétique lui donne le droit de refuser tout test de dépistage de la COVIDNote de bas de page 15.
  • La Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé le protège aussi. Le consentement doit être donné volontairement et ne peut être obtenu par la tromperie ou la contrainteNote de bas de page 16.
  • Ses droits au titre du Code des droits de la personne de l’Ontario ont été ignorés.

[33] Les éléments de preuve dans cet appel sont cohérents et simples. Je crois et j’accepte la preuve de l’appelant et celle de la Commission. Je n’ai aucune raison de douter de la preuve produite par l’appelant (ce qu’il a dit à la Commission, écrit dans sa demande de révision et son avis d’appel, et son témoignage à l’audience). Son témoignage est cohérent. Et rien ne contredit ses propos.

[34] J’accepte la preuve de la Commission parce qu’elle concorde avec la preuve de l’appelant. Et rien ne la contredit.

[35] Dans la présente affaire, la preuve n’est pas contestée. En tant que membre du Tribunal, je dois rendre ma décision selon la prépondérance des probabilités. La preuve est claire. Les parties s’entendent sur les faits. Le problème est que l’appelant veut que d’autres lois soient prises en compte, mais le Tribunal n’a pas compétence pour le faire.

[36] L’appelant reconnaît que la politique lui a été communiquée en août ou en septembre 2021. Il convient l’avoir lu et qu’il savait que son non-respect pouvait mener à un congédiement. Il ne savait pas ce que l’employeur ferait exactement, mais il reconnaît qu’il était indiqué dans la politique que son non-respect pouvait entraîner un congédiement. L’employeur a décidé de ne pas le congédier, mais plutôt de le mettre en congé sans solde.

[37] Le critère à remplir se trouve dans la Loi sur l’assurance-emploi. Le Tribunal doit se concentrer sur ce critère. La Commission a prouvé que l’appelant a été informé de la politique, qu’il connaissait les conséquences en cas de non-respect et qu’il a tout de même refusé de s’y conformer en sachant qu’il pouvait se faire suspendre de son emploi. Il a agi de façon délibérée. Ses actions étaient conscientes, voulues ou intentionnelles.

[38] J’estime que l’appelant n’avait aucune intention coupable. Aucun élément de preuve ne le laisse entendre. Comme je l’ai mentionné précédemment, pour qu’il y ait inconduite, le critère à respecter était le caractère délibéré. Il n’est pas nécessaire de prouver une intention coupable.

[39] Je ne peux que décider si la conduite de l’appelant est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas rendre ma décision en me fondant sur d’autres loisNote de bas de page 17. Je ne peux donc pas évaluer si la politique de l’employeur ou la sanction qu’il lui a imposée est raisonnable ou légale au regard d’autres lois. Je ne peux pas, par exemple, vérifier si la politique de vaccination contre la COVID-19 va à l’encontre d’autres lois.

[40] Certaines décisions judiciaires récentes appuient les politiques de vaccination obligatoire. Dans une affaire tranchée récemment qui s’intitule ParmarNote de bas de page 18, la Cour a dû décider si un employeur était autorisé à mettre une personne en congé sans solde parce qu’elle n’avait pas respecté une politique de vaccination obligatoire. Mme Parmar s’est opposée à la vaccination parce qu’elle doutait de son efficacité à long terme et s’inquiétait de ses effets négatifs potentiels sur sa santé.

[41] Dans cette affaire, la Cour a reconnu qu’il était [traduction] « extraordinaire pour un employeur d’adopter une politique qui a une incidence sur l’intégrité physique d’une employée », mais elle a jugé que la politique de vaccination en question était raisonnable, compte tenu des [traduction] « défis sanitaires extraordinaires posés par la pandémie mondiale de COVID-19 ». La Cour a ajouté ce qui suit :

[154] […] [Les politiques de vaccination obligatoire] n’obligent personne à se faire vacciner. En réalité, elles obligent plutôt à faire un choix entre se faire vacciner et continuer à recevoir un salaire, ou rester non vacciné et perdre ce salaire […]

[42] Comme je l’ai mentionné plus haut, la jurisprudence confirme que la compétence du Tribunal est restreinte. Dans une autre affaire récente datant de janvier 2023, la Cour fédérale reconnaît que le Tribunal a un pouvoir limitéNote de bas de page 19. L’affaire, qui a commencé à la Commission, a été présentée à la division générale du Tribunal, puis à la division d’appel, qui a maintenu la décision. Enfin, la Cour fédérale a ensuite examiné le tout. Voici le paragraphe 32 de sa décision :

[traduction]

[32] Le demandeur est visiblement frustré par le fait qu’aucune des décisions n’ait abordé ce qu’il considère comme des questions de droit ou de fait fondamentales, par exemple, l’intégrité physique, le consentement aux tests médicaux, la sûreté et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 ou les tests antigéniques. Mais cela ne rend pas la décision de la division d’appel déraisonnable pour autant. La principale faille de son argument est qu’il reproche aux personnes qui ont rendu les décisions de ne pas avoir réglé un ensemble de questions qu’elles ne sont pas légalement autorisées à examiner.

[43] Par conséquent, je ne tire aucune conclusion sur la validité de la politique de vaccination de l’employeur ou sur toute violation des droits de l’appelant qui sont protégés par d’autres lois.

[44] Je conviens que l’appelant peut refuser la vaccination. Dans son cas, il a choisi de ne pas divulguer son statut vaccinal. Je reconnais qu’il peut également refuser de divulguer son statut vaccinal. C’est sa décision. C’est son droit. Mais je conviens également que l’employeur doit gérer les activités quotidiennes du milieu de travail, ce qui comprend l’élaboration et l’application de politiques de santé et de sécurité au travail. L’employeur a la responsabilité d’offrir un milieu de travail sécuritaire.

[45] Je suis également d’accord sur le fait que l’appelant peut refuser de subir des tests. C’est aussi son choix personnel. Toutefois, comme je l’ai mentionné plus haut, l’employeur a le droit de mettre en œuvre des politiques pour assurer la sécurité du personnel et de la clientèle.

[46] Après avoir examiné la preuve, je conclus que la Commission a prouvé que la conduite de l’appelant était une inconduite parce qu’elle a démontré ce qui suit :

  • Il était au courant de la politique de vaccination et de son obligation de divulguer son statut vaccinal avant la date limite. Il savait aussi quelles seraient les conséquences s’il ne subissait pas les tests.
  • Il savait que son employeur le suspendrait s’il ne respectait pas la politique.
  • Il a consciemment, délibérément ou intentionnellement décider de ne pas se conformer à la politique dans le délai prévu.

[47] Je comprends que l’appelant pourrait être en désaccord avec cette décision. Malgré tout, selon la Cour d’appel fédérale, je ne peux suivre que le sens ordinaire de la loi. Je ne peux pas réécrire la loi ou y ajouter de nouveaux éléments pour obtenir un résultat qui semble plus équitable pour l’appelantNote de bas de page 20.

Conclusion

[48] La Commission a prouvé que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Cela signifie que la Commission a rendu la bonne décision concernant sa demande de prestations d’assurance-emploi.

[49] Par conséquent, je rejette l’appel.

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