Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 965

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. J.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (554825) rendue le 20 décembre 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience  : Le 12 avril 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 3 mai 2023
Numéro de dossier : GE-23-220

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelantNote de bas page 1.

[2] Dans la présente affaire, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’employeuse a suspendu l’appelant en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension).

[3] Par conséquent, à la suite de la suspension, l’appelant n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi. C’est aussi ce que la Commission a décidé. Elle a donc rendu la bonne décision dans le dossier de l’appelant.

Aperçu

[4] L’employeuse a placé l’appelant en congé sans solde malgré lui. Le congé commençait le 2 novembre 2021. L’appelant a repris le travail le 18 septembre 2022, après que l’employeuse a cessé d’appliquer la politique de vaccination. Selon la Commission, l’employeuse a placé l’appelant en congé parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19.

[5] La Commission a décidé que l’appelant a été suspendu pour une raison que la Loi sur l’assurance-emploi considère comme une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations d’assurance-emploi du 6 juin 2022 au 16 septembre 2022Note de bas page 2.

[6] L’appelant n’est pas d’accord. La suspension n’était pas une mesure disciplinaire prise par l’employeuse. Au titre de la Loi sur la non-discrimination génétique, l’employeuse ne peut obliger personne à subir un test génétique.

[7] Je dois décider si l’appelant a été suspendu pour inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Questions que je dois examiner en premier

L’audience a été reportée une fois

[8] Au départ, l’appelant devait se présenter à une audience en personne le 29 mars 2023. Le 27 mars 2023, il a demandé le report de l’audience. Il avait un conflit d’horaire. Il a ajouté qu’il serait disponible pour une autre audience au cours des deux semaines suivantes.

[9] Une nouvelle date d’audience a été fixée pour le 12 avril 2023, soit deux semaines plus tard.

[10] L’audience a eu lieu en personne, à la date prévue, en présence de l’appelant.

Question en litige

[11] La suspension de l’appelant était-elle une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi?

Analyse

[12] D’après la loi, on ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique en cas de congédiement et en cas de suspension.

[13] Je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelant a été suspendu. Ensuite, je dois voir si cette raison est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[14] Une personne qui perd son emploi en raison d’une « inconduite » n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Dans ce contexte précis, le terme « inconduite » fait référence à la violation d’une règle de son emploi.

La raison pour laquelle l’appelant a été suspendu

[15] Je juge que l’employeuse a suspendu l’appelant parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination.

[16] L’appelant et la Commission sont d’accord sur un point : il a été suspendu à compter du 1er février 2022Note de bas page 3. La raison était le non-respect de la nouvelle politique de vaccination obligatoire. Par contre, les parties ne s’entendent pas sur la partie relative à l’inconduite.

[17] Rien ne me permet de croire que l’appelant a été suspendu pour une autre raison. Le dossier ne contient aucun document ou témoignage qui pourrait me faire douter de cette conclusion.

[18] Étant donné la preuve portée à ma connaissance, je conclus que le non-respect de la politique de vaccination est la raison pour laquelle l’appelant a été placé en congé sans solde.

La raison est une inconduite au sens de la loi

[19] Le fait que l’appelant n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeuse est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Définition de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi

[20] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Les décisions des cours ont établi le critère juridique de l’inconduite. Le critère m’indique les types de faits et les points que je dois examiner pour rendre ma décision.

[21] La Commission doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que l’appelant a été suspendu pour une inconduite, et non pour une autre raisonNote de bas page 4.

[22] Je dois d’abord et avant tout vérifier ce que l’appelant a fait ou non et voir si sa conduite constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 5. Je ne peux pas décider si la politique de l’employeuse est raisonnable, ni si la suspension ou le congédiement était une pénalité raisonnableNote de bas page 6.

[23] Il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable. Autrement dit, même s’il n’avait pas l’intention de faire quelque chose de mal, je peux décider que sa conduite est une inconduiteNote de bas page 7. Pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est‑à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 8. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 9.

[24] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeuse et qu’il savait ou aurait dû savoir que la possibilité de se faire renvoyer pour cette raison était bien réelleNote de bas page 10.

[25] La seule chose que je peux décider, c’est s’il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas fonder ma décision sur d’autres loisNote de bas page 11. Je ne peux pas décider si l’appelant a été congédié de façon déguisée ou injustifiée aux termes du droit du travail. C’est la même chose pour une suspension sans salaire. Je ne peux pas interpréter un contrat de travail ni décider si une employeuse ou un employeur a violé une convention collectiveNote de bas page 12. Je ne peux pas non plus décider si l’employeuse a fait preuve de discrimination à l’égard de l’appelant ou si elle aurait dû répondre à ses besoins au titre de la législation sur les droits de la personneNote de bas page 13. Et je ne peux pas décider si l’employeuse a porté atteinte à la vie privée de l’appelant ou à ses autres droits dans le contexte de son emploi ou de toute autre situation.

Ce que disent la Commission et l’appelant

[26] Selon la Commission, il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi parce que la preuve démontre ceci :

  • L’employeuse avait une politique de vaccination qu’elle a communiquée à tout le personnel.
  • Selon la politique, chaque membre du personnel devait divulguer son statut vaccinal ou se voir imposer un congé sans solde.
  • L’appelant savait ce que la politique lui disait de faire.
  • Il savait aussi que son employeuse pouvait le suspendre aux termes de la politique s’il ne s’y conformait pas.
  • De façon consciente et délibérée, il a fait le choix personnel de ne pas se conformer à la politique.

[27] Selon l’appelant, il n’y a pas eu d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi pour les raisons suivantes :

  • Le statut vaccinal d’une personne est un renseignement médical privé.
  • Il a toujours été prêt et disposé à travailler.
  • Il ne posait aucun risque pour les autres, car il travaillait de la maison.
  • Il n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires. Il était un bon employé.
  • Il a été congédié de façon déguisée. La nouvelle politique représentait un changement important de ses conditions d’emploi.
  • Les personnes de la Commission qui ont pris des décisions dans son dossier avaient un parti pris et ne lui ont pas permis de présenter ses renseignements de façon objective. À titre d’exemple, il a écrit qu’il était contre les vaccins. Il n’a jamais divulgué son statut vaccinal.
  • L’appelant a fait de son mieux pour se conformer à la politique. Pendant un certain temps, avant de partir en congé, il subissait les tests requis. Le tout à ses frais.

[28] Dans le présent appel, les éléments de preuve sont cohérents et simples. Je crois et j’accepte la preuve de l’appelant et celle de la Commission. Je n’ai aucune raison de douter de la preuve de l’appelant (ce qu’il a dit à la Commission, ce qu’il a écrit dans sa demande de révision et dans son avis d’appel, ce qu’il a dit à l’audience). Son témoignage est cohérent. Rien ne vient contredire ce qu’il avance.

[29] J’accepte la preuve de la Commission parce qu’elle concorde avec celle de l’appelant. Rien ne vient la contredire.

[30] Dans la présente affaire, la preuve n’est pas contestée. À titre de membre du Tribunal, je dois rendre une décision selon la prépondérance des probabilités. La preuve est claire. Les parties s’entendent sur les faits. Le problème, c’est que l’appelant veut que d’autres lois soient prises en considération, mais le Tribunal n’a pas le pouvoir d’appliquer ces lois.

[31] L’appelant convient que la politique lui a été communiquée en août 2021. Il confirme qu’il l’a lue et que le non-respect de la politique pouvait mener à un congédiement. Il ne croyait pas que les choses iraient jusque‑là. Il a toujours cru qu’une mesure d’adaptation serait mise en place.

[32] Le critère à remplir est celui prévu par la Loi sur l’assurance-emploi. C’est ce critère juridique que le Tribunal doit prendre en considération. La Commission a prouvé que l’appelant a été informé de la politique, qu’il connaissait les conséquences de ne pas s’y conformer et qu’il a continué de refuser de la respecter même s’il savait que cela pouvait entraîner sa suspension ou son congédiement. Son comportement était délibéré. Il a agi de façon consciente, voulue ou intentionnelle.

[33] Je juge que l’appelant n’avait pas d’intention coupable. Rien dans la preuve ne laisse croire une telle chose. Comme je l’ai mentionné plus haut, pour qu’il y ait inconduite, le critère à remplir était le caractère délibéré de la conduite. Il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’une intention coupable.

[34] La seule chose que je peux décider, c’est si la conduite est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas fonder ma décision sur d’autres loisNote de bas page 14. Je ne peux donc pas regarder si la politique de son employeuse ou la pénalité qu’elle lui a imposée est raisonnable ou légale au regard d’autres lois. Cela comprend la question de savoir si la politique de vaccination contre la COVID-19 enfreint d’autres lois.

[35] Des affaires judiciaires très récentes ont appuyé les politiques de vaccination obligatoire. Dans l’une d’elles, intitulée ParmarNote de bas page 15, la question que la Cour devait trancher était celle de savoir si un employeur était autorisé à mettre une employée en congé sans solde parce qu’elle ne respectait pas la politique de vaccination obligatoire. Mme Parmar ne voulait pas se faire vacciner parce qu’elle s’inquiétait de l’efficacité à long terme du vaccin et de ses conséquences potentiellement négatives sur la santé.

[36] Dans cette affaire, la Cour a reconnu que [traduction] « l’adoption d’une politique touchant l’intégrité physique d’une employée était extraordinaire », mais elle a conclu que la politique de vaccination en question était raisonnable, compte tenu des [traduction] « défis sanitaires extraordinaires posés par la pandémie mondiale de COVID-19 ». La Cour a ajouté ce qui suit :

[traduction]

[154] [Les politiques de vaccination obligatoire] n’obligent pas le personnel à se faire vacciner. Ce qu’elles obligent les gens à faire, c’est de choisir entre se faire vacciner pour continuer à gagner un revenu ou bien ne pas se faire vacciner mais perdre leur revenu.

[37] La jurisprudence a confirmé les limites de la compétence du Tribunal, comme je l’ai expliqué plus haut. Dans une autre affaire récente, qui date de janvier 2023, la Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait bel et bien un pouvoir limitéNote de bas page 16. L’affaire a commencé au niveau de la Commission, puis elle a été soumise à la division générale du Tribunal. Par la suite, la division d’appel a maintenu la décision. Enfin, la Cour fédérale a contrôlé la décision. Le paragraphe 32 dit ceci :

[traduction]

Même si le demandeur est visiblement frustré par le fait qu’aucune des décisions n’ait abordé ce qu’il considère comme les questions de droit ou de fait fondamentales qu’il soulève, par exemple en ce qui concerne l’intégrité physique, le consentement aux tests médicaux, la dangerosité et l’efficacité des tests antigéniques et des vaccins contre la COVID-19, la décision de la division d’appel n’est pas déraisonnable pour autant. La principale faille dans l’argument du demandeur est qu’il critique les personnes qui ont rendu ces décisions parce qu’elles n’ont pas réglé un ensemble de questions qu’elles ne peuvent pas légalement examiner.

[38] Par conséquent, je ne tire aucune conclusion sur la validité de la politique ou la violation des droits de l’appelant aux termes d’autres lois.

[39] Dans ce cas‑ci, l’appelant a choisi de ne pas divulguer son statut vaccinal. J’admets que l’appelant peut aussi refuser de divulguer son statut vaccinal. C’est une décision personnelle qui lui appartient. C’est son droit. J’admets aussi que l’employeuse doit gérer les activités quotidiennes dans le lieu de travail. Cela comprend l’élaboration et l’application de politiques de santé et de sécurité au travail. L’employeuse a la responsabilité d’offrir un milieu de travail sécuritaire.

[40] D’après la preuve, je conclus que la Commission a prouvé que la conduite de l’appelant était une inconduite, car elle a démontré ceci :

  • Il était au courant de la politique de vaccination et de l’obligation de divulguer son statut vaccinal avant la date limite.
  • Il savait que le non-respect de la politique aurait des conséquences, y compris des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.
  • De façon consciente, délibérée ou intentionnelle, il a pris la décision personnelle de ne pas s’y conformer dans le délai fixé.

[41] Je comprends que l’appelant n’est peut-être pas d’accord avec la présente décision. Mais suivant les règles de la Cour d’appel fédérale, je peux seulement retenir le sens ordinaire de la loi. Je ne peux pas réécrire la loi, ni lui ajouter de nouveaux éléments pour obtenir un résultat qui semblerait plus équitable à l’appelantNote de bas page 17.

Conclusion

[42] La Commission a prouvé que l’appelant a été suspendu pour inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[43] La Commission a donc rendu la bonne décision dans son dossier d’assurance-emploi.

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