Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1006

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale — Section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. C.
Représentante : M. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (514929) datée du 8 septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Audrey Mitchell
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 13 janvier 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Date de la décision : Le 14 février 2023
Numéro de dossier : GE-22-3321

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec l’appelante.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). Par conséquent, l’appelante n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.Note de bas de page 1

Aperçu

[3] L’appelante a été suspendue de son emploi. L’employeur de l’appelante affirme qu’elle a été suspendue, puis congédiée, parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner.

[4] Même si l’appelante ne conteste pas ce qui s’est passé, elle affirme que ne pas se faire vacciner n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison de la suspension fournie par l’employeur. Elle a conclu que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que l’appelante est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

L’ajout d’une représentante

[6] Dans son avis d’appel, l’appelante a déclaré qu’elle n’avait pas de représentante ou de représentant. Par la suite, elle a demandé de modifier la date de son audience parce qu’elle avait obtenu les services d’une représentante. L’audience a été reportée afin d’assurer une audience équitable. Note de bas de page 2

[7] À l’audience, la représentante a clarifié son rôle. Elle a dit que l’appelante lui avait demandé d’être sa représentante, et qu’elle l’aiderait à répondre aux questions. Pour cette raison, j’ai demandé à la représentante de prendre une affirmation solennelle avec l’appelante.

Question en litige

[8] L’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[9] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique dans les cas de congédiement et de suspension.Note de bas de page 3

[10] Pour décider si l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider de deux choses. D’abord, je dois décider pourquoi l’appelante a été suspendue de son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi?

[11] Je conclus que l’appelante a été suspendue de son emploi parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner comme l’exigeait la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

[12] L’appelante affirme que son employeur l’a suspendue en raison de son statut vaccinal. Elle n’a pas reçu le vaccin contre la COVID-19 en raison de ses croyances religieuses.

[13] La Commission affirme que l’appelante n’a pas respecté la politique de son employeur sur le vaccin contre la COVID-19. Elle affirme que cela a entraîné sa suspension.

[14] La Commission a parlé à trois représentantes et représentants de l’employeur. Les renseignements fournis par chacun étaient quelque peu différents. Voici ce qu’ils ont déclaré, respectivement :

  • l’appelante a été congédiée de son emploi parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner;
  • l’employeur devait interdire à l’appelante de travailler si elle refusait de se faire vacciner contre la COVID-19 pour des motifs religieux; alors pour lui offrir des mesures d’adaptation, il a décidé de ne pas envisager son congédiement;
  • l’appelante n’est pas suspendue, mais l’employeur ne peut pas lui donner des quarts de travail parce que l’ordonnance provinciale en matière de santé précise que les employés dans son poste doivent être vaccinés. De plus, la demande d’exemption de l’appelante ne répondait pas au critère.

[15] L’appelante a demandé à son employeur de l’exempter de la vaccination contre la COVID-19. Elle a dit que le fait de se faire vacciner violerait les principes de ses croyances religieuses en tant que chrétienne. Elle a déclaré que son employeur avait dit qu’il ne pouvait pas examiner sa demande. L’appelante a déclaré qu’elle se demandait pourquoi c’était le cas étant donné qu’elle travaille pour une organisation chrétienne.

[16] La politique de l’employeur sur le vaccin contre la COVID-19 comporte une section sur les mesures d’adaptation. Elle prévoit ce qui suit :

  • l’employeur n’a pas le pouvoir d’accorder des exemptions à l’ordonnance des autorités provinciales de santé publique pour le personnel non vacciné;
  • il ne sera pas possible d’offrir des mutations à d’autres postes qui ne sont pas couverts par l’ordre des autorités provinciales de santé publique;
  • en ce qui concerne les employés qui demandent des mesures d’adaptation pour un motif protégé autre que médical, l’employeur n’a d’autre choix que de les mettre en congé sans solde.

[17] J’accorde plus d’importance à la raison invoquée par le représentant de l’employeur qui a déclaré que l’employeur ne pouvait pas permettre à l’appelante de continuer à travailler si elle avait demandé des mesures d’adaptation pour des motifs religieux. Cette raison est conforme à ce qu’indique la politique de vaccination de l’employeur. Elle est également plus conforme au témoignage de l’appelante selon lequel son employeur lui a dit qu’il ne pouvait pas examiner sa demande.

[18] J’accepte comme un fait établi que l’appelante a demandé une exemption pour des motifs religieux à son employeur, et que ce dernier n’a pas examiné sa demande. J’accepte également comme un fait établi que l’appelante a refusé de se faire vacciner en raison de ses croyances religieuses. Je conclus donc que l’employeur a suspendu l’appelante parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner comme l’exigeait sa politique.

La raison de la suspension de l’appelante est-elle une inconduite au sens de la loi?

[19] La raison de la suspension de l’appelante n’est pas une inconduite au sens de la loi.

[20] La Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas ce qu’on entend par inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et tribunaux) nous montre comment déterminer si la suspension de l’appelante constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle énonce le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[21] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle.Note de bas de page 4 L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée.Note de bas de page 5 Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal).Note de bas de page 6

[22] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit congédiée pour cette raison.Note de bas de page 7

[23] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeur.Note de bas de page 8 Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi.Note de bas de page 9

[24] La Commission doit prouver que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.Note de bas de page 10

[25] Je peux trancher les questions en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi seulement. Je ne peux pas décider si l’appelante a d’autres options en vertu d’autres lois. Et ce n’est pas à moi de décider si son employeur l’a congédiée à tort (ou l’a suspendue à tort dans ce cas-ci) ou s’il aurait dû prendre des dispositions raisonnables (mesures d’adaptation) pour elle.Note de bas de page 11 Je ne peux examiner qu’une seule chose : la question de savoir si ce que l’appelante a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[26] Dans une affaire appelée McNamara, l’appelant a soutenu qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur l’avait congédié à tort.Note de bas de page 12 Il a perdu son emploi en raison de la politique de son employeur sur le dépistage des drogues. Il a fait valoir qu’il n’aurait pas dû être congédié, puisque le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances. Il a dit qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il était incapable de travailler en toute sécurité parce qu’il consommait des drogues. De plus, les résultats de son dernier test de dépistage auraient dû être valides.

[27] En réponse, la Cour d’appel fédérale a souligné qu’elle a toujours dit que, dans les cas d’inconduite, la question à trancher est celle de savoir si l’acte ou l’omission de l’employé constitue une inconduite au sens de la Loi, et non si l’employé a été congédié à tort.Note de bas de page 13

[28] La Cour d’appel fédérale a également déclaré que, lorsqu’on interprète et applique la Loi, l’accent est clairement mis sur le comportement de l’employé, et non sur celui de l’employeur. Elle a souligné que les employés qui ont été congédiés à tort ont d’autres solutions à leur disposition. Ces solutions pénalisent le comportement de l’employeur, plutôt que de faire payer les actions de l’employeur par les contribuables.Note de bas de page 14

[29] Dans une affaire plus récente appelée Paradis, l’appelant a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage.Note de bas de page 15 Il a fait valoir qu’il a été congédié à tort, puisque les résultats des tests ont démontré qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail. Il a dit que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation en fonction de ses propres politiques et des lois provinciales sur les droits de la personne. La Cour s’est appuyée sur l’arrêt McNamara et a déclaré que le comportement de l’employeur n’était pas pertinent pour décider de l’inconduite au sens de la Loi.Note de bas de page 16

[30] De même, dans l’arrêt Mishibinijima, l’appelant a perdu son emploi en raison de sa dépendance à l’alcool.Note de bas de page 17 Il a fait valoir que son employeur devait lui offrir des mesures d’adaptation parce que la dépendance à l’alcool est considérée comme une invalidité. La CAF a répété que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou n’a pas fait; il n’est pas pertinent que l’employeur n’ait pas pris des mesures d’adaptation pour lui.Note de bas de page 18

[31] Ces affaires ne concernent pas les politiques de vaccination contre la COVID-19. Mais ce qu’elles disent est toujours pertinent. Mon rôle n’est pas d’examiner le comportement ou les politiques de l’employeur et d’établir s’il était correct de suspendre l’appelante. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi.

[32] L’appelante affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que son refus de se faire vacciner contre la COVID-19 n’équivaut pas à un refus de remplir ses fonctions ou à un refus de se présenter au travail. À l’audience, sa représentante a précisé que l’appelante estimait que le gouvernement avait imposé la prise du vaccin, et que la vaccination allait à l’encontre de ses croyances religieuses.

[33] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que l’appelante savait qu’elle serait sujette à un congé sans solde si elle ne respectait pas la politique de son employeur. Elle affirme que le comportement de l’appelante était volontaire, délibéré ou intentionnel.

[34] Je juge que la Commission n’a pas prouvé qu’il y a eu inconduite. Je conclus que l’appelante savait qu’elle ne pouvait pas faire son travail si elle n’était pas vaccinée et si elle n’avait pas obtenu une exemption médicale approuvée ou en attente. Cependant, j’estime que l’employeur a accepté le choix de l’appelante de ne pas se faire vacciner, car il l’a placée en congé sans solde, mais ne l’a pas congédiée.

[35] Le travail effectué par l’appelante pour son employeur est financé par un organisme externe. L’employeur a fourni des détails sur l’exigence de vaccination dans une lettre adressée à l’appelante. Elle affirme que l’autorité provinciale de santé publique a émis une ordonnance exigeant que le personnel des fournisseurs de services financés par l’organisme externe confirme qu’il est entièrement vacciné contre la COVID-19 ou qu’il bénéficie d’une exemption au plus tard le 14 janvier 2022. L’organisme externe a exigé que les fournisseurs de services préparent et mettent en œuvre des plans et ne permettent pas au personnel de travailler à moins que le personnel ait fait ce qui suit :

  • il a déclaré son statut vaccinal à l’employeur au plus tard le 3 décembre 2021;
  • il a reçu une première dose du vaccin au plus tard le 10 décembre 2021 et l’a prouvé;
  • il a reçu une deuxième dose du vaccin au plus tard le 14 janvier 2022 et l’a prouvé.

[36] La lettre mentionnée ci-dessus avisait l’appelante que l’employeur la mettait en congé sans solde à compter du 10 décembre 2021, car elle n’avait pas fourni de preuve montrant qu’elle avait reçu la première dose du vaccin.

[37] L’appelante a déclaré qu’elle se souvenait d’avoir reçu des courriels de son employeur au sujet des ordonnances de vaccination. Elle a dit qu’elle comprenait que si elle ne présentait pas de preuve de vaccination, elle serait placée en congé sans solde.

[38] L’appelante a demandé à son employeur de lui offrir des mesures d’adaptation en raison de ses croyances religieuses, afin qu’elle n’ait pas à se faire vacciner contre la COVID-19. J’ai interrogé l’appelante à ce sujet. Elle a dit que son employeur lui avait dit qu’il ne pouvait pas le faire.

[39] L’employeur de l’appelante a mis en œuvre sa propre politique conformément à ce que l’organisme externe exigeait. Comme je l’ai mentionné plus haut, la politique comporte une section sur les mesures d’adaptation. Elle précise que l’employeur n’a pas le pouvoir d’accorder des exemptions à l’ordonnance de l’autorité provinciale pour le personnel non vacciné. Le personnel qui souhaite obtenir une exemption peut le faire auprès de l’autorité provinciale, mais seulement pour des raisons médicales.

[40] La politique de l’employeur précise également qu’il n’a pas le pouvoir d’accorder des mesures d’adaptation pour d’autres motifs protégés. Elle indique que, comme des mutations à d’autres postes ne peuvent pas être offertes, l’employeur n’a d’autre choix que de placer les employés qui demandent des mesures d’adaptation en congé sans solde. Toutefois, l’employeur ne peut pas mettre fin à leur emploi pour ces motifs.

[41] Comme je l’ai mentionné plus haut, la Commission a parlé à trois représentantes et représentants de l’employeur. J’ai accordé plus d’importance aux déclarations du chef principal des services financiers qu’aux autres représentants. Selon la Commission, le chef principal des services financiers a déclaré que [traduction] « pour accommoder le client qui demande une exemption religieuse, l’employeur n’envisage pas le congédiement, seulement la suspension ». Encore une fois, je juge que cela est conforme au libellé de la politique de l’employeur.

[42] J’ai interrogé l’appelante au sujet de la déclaration du chef financier. Elle a dit que son employeur et elle n’avaient pas beaucoup discuté de la question. Elle a dit que le président de l’employeur avait affirmé que la question de la vaccination ne portait pas sur la relation entre l’employeur et ses employés, mais plutôt sur la relation entre les employés et la province.

[43] Je conclus de la politique de l’employeur qu’il n’avait pas le pouvoir d’exempter l’appelante de l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19. Je conclus également qu’il n’aurait pas pu la réaffecter à un autre poste. Étant donné la déclaration du chef financier, je conclus que, comme l’appelante a demandé des mesures d’adaptation pour des motifs religieux, il a pris des mesures d’adaptation en choisissant de ne pas envisager son congédiement. Je ne considère pas qu’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi, même si l’appelante savait que ne pas se faire vacciner entraînerait effectivement sa suspension.

Donc, l’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

[44] À la lumière de mes conclusions précédentes, je conclus que l’appelante n’a pas été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[45] La Commission n’a pas prouvé que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelante n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[46] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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