Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ML c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1007

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : M. L.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 27 mars 2023 (GE-22-3487)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 30 juillet 2023
Numéro de dossier : AD-23-376

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Décision

[1] Je refuse la permission de faire appel parce que la prestataire ne présente aucun argument défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire travaillait comme technologiste médicale pour X, un réseau régional d’hôpitaux. Le 17 février 2022, X l’a congédiée parce qu’elle a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’il ne fallait pas verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire, car le non-respect de la politique vaccinale de l’employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel de la prestataire. Sa conclusion était que la prestataire avait enfreint délibérément la politique vaccinale de son employeur. La division générale a établi que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique pouvait bel et bien lui faire perdre son emploi.

[4] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale, car elle comporterait plusieurs erreurs.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie appelante doit démontrer au moins une des choses suivantes :

  • la division générale a agi de façon inéquitable;
  • elle a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Avoir une chance raisonnable de succès, c’est avoir une cause défendableNote de bas de page 3. Si la prestataire ne présente aucun argument défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape préliminaire, je dois trancher la question suivante : peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Motifs d’appel

[8] La prestataire avance que la division générale a commis des erreurs liées aux aspects suivants :

Équité :

  • La division générale a attendu la dernière fin de semaine avant l’audience pour dire que la Commission ne se présenterait pas.
  • Pour enregistrer l’audience, la division générale a utilisé Zoom plutôt qu’un appareil distinct, contrairement à ce que le personnel du Tribunal avait laissé entendre.
  • À l’audience, la division générale a empêché la prestataire de présenter des arguments fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés.

Compétence :

  • Dans sa définition d’inconduite, la division générale a inclus le refus d’un traitement médical, alors que c’était un choix que la prestataire avait fait avant l’entrée en vigueur de la politique de vaccination.

Droit :

  • La division générale a mal interprété la notion d’« inconduite » que l’on trouve dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • La division générale a ignoré le fait que rien dans la loi n’exigeait que l’employeur établisse et applique une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • La division générale a ignoré le fait que l’employeur a tenté d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans le consentement de la prestataire.
  • La division générale a établi, contrairement à la preuve, que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il y avait une réelle possibilité de congédiement.

Faits :

  • La division générale a fait erreur sur une série de choses importantes : la nature de l’emploi, le contenu de la politique vaccinale de l’employeur et les circonstances dans lesquelles la politique a été communiquée.

Analyse

[9] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit applicable et la preuve qui l’ont menée à sa décision. J’ai conclu que la prestataire ne présente aucun argument défendable.

La Commission n’avait pas à se présenter à l’audience

[10] Rien n’oblige une partie engagée dans une procédure du Tribunal à assister à une audience. La Commission a déposé des observations écrites et a choisi de ne pas participer à la téléconférence de la division générale en mars dernier. On ne peut pas dire que cette absence a porté atteinte aux intérêts de la prestataire. Je ne vois pas d’argument défendable ici. Je ne vois pas non plus en quoi la prestataire a été lésée en apprenant l’absence de la Commission à court préavis.

La façon d’enregistrer l’audience n’a pas d’importance

[11] La prestataire reproche au Tribunal un manque de transparence pour avoir soi-disant mal expliqué le moyen que la division générale utiliserait pour enregistrer l’audience. Que l’audience soit enregistrée au moyen de la fonction intégrée de Zoom ou d’un appareil distinct n’a pas d’importance. L’essentiel, c’est que l’audience a été enregistrée et documentée.

Le Tribunal n’est pas obligé de prévenir les parties des arguments qu’il peut ou non prendre en considération

[12] La prestataire fait valoir qu’à l’audience, la division générale l’a empêchée de présenter des arguments fondés sur la Charte, ce qui l’a désemparée. Elle affirme qu’elle aurait dû le savoir plus tôt.

[13] Les parties prestataires sont responsables de se familiariser avec la loi, les compétences du Tribunal et ses règles de procédure. Lorsqu’elle s’est préparée, la prestataire aurait dû apprendre que la division générale pouvait seulement examiner les violations de la Charte qui découlent de dispositions précises de la Loi sur l’assurance-emploi, et non de toutes les lois ou politiques gouvernementales. La prestataire aurait aussi dû savoir qu’une personne qui souhaite présenter une contestation fondée sur la Charte devant la division générale doit d’abord suivre la procédure préliminaire de l’article 1 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Un employeur peut imposer de nouvelles conditions d’emploi

[14] La prestataire affirme que la division générale ne pouvait pas dire qu’un choix qu’elle avait fait avant l’entrée en vigueur de la politique vaccinale était une inconduite. Je tiens à préciser que l’inconduite ne vient pas seulement du non-respect de conditions d’emploi qui existaient au moment de l’embauche; elle peut aussi venir du non-respect de nouvelles conditions d’emploi imposées en raison de circonstances particulièresNote de bas de page 4. La loi entourant l’assurance-emploi reconnaît que X était libre d’instaurer lui-même une nouvelle condition d’emploi et d’imposer des mesures disciplinaires, comme la suspension, aux personnes contrevenantes.

Une inconduite est un comportement intentionnel qui peut entraîner une perte d’emploi

[15] La prestataire affirme qu’elle n’est pas coupable d’inconduite parce qu’elle n’a rien fait de mal. Elle laisse entendre qu’en la forçant à se faire vacciner sous menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits. Elle soutient qu’il a tenté de lui imposer contre son gré un vaccin potentiellement dangereux et inefficace.

[16] Je peux comprendre la frustration de la prestataire, mais selon la loi en vigueur, je ne vois pas le bien-fondé de ses arguments. Gardons à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens bien précis en assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage courant du mot. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (autrement dit, qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 5.

[17] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit entourant l’inconduite. Elle a ensuite mentionné à juste titre qu’elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

La conduite de l’employeur n’est pas pertinente

[18] La prestataire affirme que la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire a porté atteinte à ses droits fondamentaux. Ce n’est pas ce qu’il faut examiner. En réalité, il faut voir si l’employeur avait une politique en place et si la personne employée a refusé volontairement d’en tenir compte. Dans sa décision, la division générale a formulé sa réflexion comme suit :

La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeur. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et me demander si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si certaines lois offrent d’autres options à l’appelante. Si son employeur l’a congédiée injustement ou s’il aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation raisonnables. [sic] Je peux seulement évaluer une chose : si ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 6.

[19] Comme la loi nécessite l’examen de questions précises, la division générale n’avait pas le pouvoir de décider si la politique vaccinale de X contrevenait au contrat de travail de la prestataire ou violait ses droits fondamentaux ou constitutionnels. Elle n’avait pas non plus le pouvoir de décider si X avait été équitable dans l’application de sa politique.

Une affaire récente valide l’interprétation de la division générale

[20] Une décision récente de la Cour fédérale réaffirme l’approche de la division générale à l’égard de l’inconduite quand il est question d’une obligation de vaccination contre la COVID-19. Comme dans le dossier présent, le prestataire de l’affaire Cecchetto a refusé de respecter la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 7. La Cour fédérale a confirmé ce qu’avait conclu la division d’appel, c’est-à-dire que les pouvoirs du Tribunal étaient limités par la loi à certains types de questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, le fait que la division d’appel n’a pas évalué ni établi le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique provinciale de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ne justifie pas l’annulation de sa décision. Ce genre de conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence du Tribunal de la sécurité sociale, que ce soit à la division d’appel ou à la division généraleNote de bas de page 8.

[21] La Cour fédérale a conclu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique vaccinale de son employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle a précisé que M. Cecchetto avait d’autres options dans le système de justice pour faire valoir ses revendications en matière de congédiement injustifié ou de droits de la personne.

[22] C’est aussi vrai dans la présente affaire. L’essentiel est de se demander si la prestataire a enfreint la politique vaccinale de son employeur. Si c’est le cas, il faut aussi se demander si cette faute était délibérée et susceptible d’entraîner une suspension ou un congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale a examiné tous les facteurs pertinents

[23] D’après ce que je peux voir, la division générale n’a pas ignoré ou mal compris le témoignage de la prestataire. Elle lui a simplement accordé moins d’importance que ce que la prestataire pensait. Elle a plutôt décidé que d’autres éléments de preuve étaient plus crédibles.

[24] La division générale a fondé sa décision sur ce qui suit :

  • X était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination comme il l’entendait.
  • X a adopté et communiqué une politique qui exigeait que chaque membre du personnel fournisse une preuve de vaccination complète dans un délai précis.
  • La prestataire a refusé intentionnellement de se faire vacciner dans le délai prévu.
  • La prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique dans le délai prévu pouvait lui faire perdre son emploi.
  • La prestataire n’a pas convaincu X qu’elle remplissait les conditions pour être exemptée de la politique pour des motifs médicaux.
  • X n’était pas obligé d’accueillir les demandes de mesures d’adaptation de la prestataire.

[25] Ces énoncés semblent refléter fidèlement les documents au dossier et le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu qu’il y avait inconduite de la part de la prestataire parce que son refus de suivre la politique de son employeur était délibéré et qu’il a entraîné son congédiement.

La preuve montre que la prestataire savait qu’elle serait congédiée

[26] La prestataire soutient qu’elle n’a jamais imaginé perdre son emploi si elle ne se faisait pas vacciner. Toutefois, le dossier comporte des documents qui montrent le contraire, et la division générale avait le droit d’y prêter attention. Le 7 septembre 2021, X a établi une politique écrite qui exigeait que chaque membre du personnel fournisse une preuve de vaccination complète au plus tard le 20 octobre 2021Note de bas de page 9. Au téléphone avec le personnel de la Commission, la prestataire a reconnu avoir reçu la politique et en connaître le délaiNote de bas de page 10. Il semble que X ait même prolongé le délai en raison de l’examen de la demande d’exemption de la prestataireNote de bas de page 11.

[27] Étant donné ces éléments de preuve, je ne pense pas que l’on puisse soutenir que la division générale a commis une erreur de fait, importante ou non. Dans son rôle de juge des faits, la division générale a droit à une certaine latitude dans l’examen de la preuve à sa dispositionNote de bas de page 12. Après avoir examiné les documents et entendu le témoignage, la division générale a conclu que la prestataire connaissait la politique de son employeur et comprenait qu’elle risquait de se faire congédier si elle ne s’y conformait pas dans un certain délai. Je ne vois aucune raison de douter de cette conclusionNote de bas de page 13.

La division générale n’a pas mal interprété la politique vaccinale de X

[28] Une grande partie des observations écrites de la prestataire est une liste numérotée où elle réfute la décision de la division générale. Presque tous ses énoncés reviennent à une chose : elle ne se sentait pas visée par la politique de X sur la vaccination obligatoire parce que cette politique n’existait pas au départNote de bas de page 14.

[29] Cet argument n’a aucune chance raisonnable de succès. Comme je l’ai mentionné, la politique existait bel et bien, et la prestataire y a fait référence plusieurs fois quand elle a discuté avec le personnel de la Commission. Elle a même demandé une exemption de nature médicale suivant les modalités de la politique. L’argument de la prestataire semble être basé, en partie, sur le fait que le titre de la politique de X contenait le mot [traduction] « immunisation » plutôt que « vaccination ». Il me semble que cette distinction n’a pas vraiment d’incidence.

[30] La prestataire semble aussi laisser entendre que la politique de vaccination ne s’appliquait pas à elle parce qu’elle avait été embauchée plusieurs années avant son entrée en vigueur. Comme je l’ai expliqué plus haut, cet argument ne peut pas être retenu. Un employeur peut imposer une nouvelle condition d’emploi sans le consentement de son personnel. C’est donc une inconduite de ne pas respecter cette nouvelle condition, même si elle ne faisait pas partie du contrat de travail initial.

Conclusion

[31] Pour les raisons que j’ai mentionnées, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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