Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1797

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (482739) datée du 29 juillet 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Mark Leonard
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience  : Le 12 décembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 28 décembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2861

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que l’employeur de l’appelante (prestataire) a imposé un congé sans solde (suspension pour une période indéterminée) pour une raison qui peut être qualifiée d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (parce que la prestataire aurait fait quelque chose de mal ou qu’elle aurait eu une conduite indésirable). Par conséquent, la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 1.

Aperçu

[3] L’employeur affirme que la prestataire a enfreint la politique de vaccination contre la COVID-19 qu’il avait mise en place, car elle a refusé de se faire vacciner et de communiquer son statut vaccinal. L’employeur a mis la prestataire en congé involontaire. Essentiellement, elle a été suspendue pour une période indéterminée.

[4] La Commission a accepté la raison de la suspension que l’employeur a fournie. Elle a décidé que les gestes de la prestataire avaient entraîné sa suspension. Elle a conclu que sa façon d’agir constituait une inconduite et l’a exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[5] La prestataire ne conteste pas ce qui s’est passé. Toutefois, elle affirme que malgré la politique de son employeur, sa décision de ne pas se faire vacciner n’est pas une inconduite.

Question en litige

[6] La décision de la prestataire de ne pas se faire vacciner et de ne pas communiquer son statut vaccinal à son employeur était-elle une inconduite?

Analyse

[7] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique que la personne ait été congédiée ou suspendueNote de bas page 2.

[8] Pour décider si la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite, je dois évaluer deux choses. D’abord, je dois établir la raison de sa suspension. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’employeur a-t-il suspendu la prestataire pour une période indéterminée?

[9] J’estime que la prestataire a été suspendue parce qu’elle a choisi de ne pas se faire vacciner et de ne pas le dire à son employeur, ce qui allait à l’encontre de la politique de vaccination contre la COVID-19 établie à son travail.

[10] La Loi sur l’assurance-emploi précise qu’une personne suspendue de son emploi en raison de son inconduite est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 3. L’employeur a inscrit que la raison du relevé d’emploi de la prestataire était [traduction] « Autre ». Il a ajouté le commentaire suivant : [traduction] « Congé en raison du non-respect de la politique vaccinale de l’employeur. Veuillez considérer la raison comme un code M. » Le code « M » de la case 16 du relevé d’emploi correspond à un congédiement ou à une suspension.

[11] Une suspension pour une période indéterminée survient lorsqu’une personne employée arrête involontairement d’être rémunérée pour une durée indéfinie, en attendant une enquête, une demande de renseignements ou une autre mesure administrative.

[12] Comme le congé n’avait aucune date de fin prévue, je suis convaincu que la raison de l’employeur correspond à une suspension pour une période indéterminée et qu’elle répond à la définition d’une suspension qui se trouve dans la Loi sur l’assurance-emploi.

[13] La Commission affirme que la prestataire a été suspendue pour une période indéterminée parce qu’elle n’a pas respecté la politique de l’employeur sur la vaccination contre la COVID-19.

[14] La prestataire ne le conteste pas. Elle explique avoir décidé de ne pas se faire vacciner et que, même si elle était surprise de sa suspension, elle savait que la politique comportait des modalités sur la possibilité de suspension ou de congédiement.

[15] Je conclus que la prestataire a été suspendue parce qu’elle n’a pas respecté la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. L’employeur a invoqué ce motif pour justifier sa suspension, et la prestataire n’a pas démontré ni même laissé entendre que sa suspension découlait d’autre chose.

La raison du congédiement de la prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[16] Selon la loi, la raison du congédiement de la prestataire n’est pas une inconduite. J’estime que la Commission n’a pas prouvé que les gestes de la prestataire constituent une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[17] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) m’aide à décider si le congédiement de la prestataire est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les facteurs à prendre en compte quand on examine une affaire d’inconduite.

[18] Selon la jurisprudence, la Commission doit prouver trois éléments pour affirmer qu’il y a inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

  • La conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 4. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 5. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (autrement dit, qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour qu’il y ait inconduite au sens de la loiNote de bas page 6.
  • Il doit y avoir un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travailNote de bas page 7.
  • La prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas page 8.

[19] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas page 9. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait et me demander si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 10.

[20] Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si certaines lois offrent d’autres options à la prestataire. Et ce n’est pas à moi non plus de décider si son employeur l’a congédiée injustement ou s’il aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas page 11. Je peux seulement évaluer une chose : si ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[21] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 12.

[22] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur a le droit d’établir des règles.
  • Il a instauré une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Il a clairement informé la prestataire de ses exigences liées à la vaccination contre la COVID-19 et à la communication du statut vaccinal.
  • La prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne respectait pas la politique.

[23] La Commission a conclu que la suspension de la prestataire découlait directement de sa décision de ne pas respecter la politique vaccinale de l’employeur. La Commission l’a alors exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[24] La prestataire n’est pas d’accord avec la décision de la Commission pour les raisons suivantes :

  • L’employeur aurait dû lui offrir des options autres que la vaccination.
  • La politique de vaccination obligatoire est illégale et inconstitutionnelle et porte atteinte à ses droits.
  • La politique viole le droit international.
  • La menace de perte d’emploi en cas de non-respect est de l’intimidation et va à l’encontre du Code criminel.
  • L’employeur ne peut pas bafouer son droit à la confidentialité de ses renseignements médicaux.
  • Son contrat de travail n’exige pas qu’elle se fasse vacciner ni qu’elle communique son statut vaccinal.
  • Elle a télétravaillé sans incident et sans compromettre la santé et la sécurité au travail.
  • Elle cotise à l’assurance-emploi depuis les années 1980.

[25] La politique vaccinale décrivait bien les attentes de l’employeur : chaque membre du personnel devait être vacciné contre la COVID-19, à moins de se faire accorder une mesure d’adaptation pour une contre-indication médicale certifiée, pour un motif religieux ou pour d’autres motifs de distinction illicite définis dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[26] La prestataire savait ce qu’elle devait faire pour respecter la politique de vaccination et ce qui se passerait si elle ne la respectait pas. L’employeur l’a avisée des exigences et des conséquences en cas de non-respect.

[27] La prestataire avait jusqu’au 29 octobre 2021 pour confirmer son statut vaccinal. Elle savait que si elle ne le faisait pas, elle serait congédiée au plus tard le 15 novembre 2021.

[28] Si la prestataire refusait de confirmer son statut vaccinal, l’employeur la considérerait comme non vaccinée et la mettrait en congé sans solde (elle serait suspendue de son emploi).

[29] Lorsque la prestataire n’a pas confirmé son statut vaccinal, l’employeur l’a avisée par courriel qu’il la mettait en congé (qu’elle était suspendue) et qu’elle ne pouvait plus travailler. Après avoir examiné la raison de la suspension, la Commission a conclu qu’il s’agissait d’une inconduite et a exclu la prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[30] La Commission affirme que l’employeur avait le droit d’établir des règles, comme une politique de vaccination contre la COVID-19. Elle dit que la prestataire aurait dû savoir que le non-respect de la politique lui ferait perdre son emploi. Elle soutient que ses gestes étaient délibérés (voulus et intentionnels). Elle ajoute que ses gestes devaient constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail et appuie son affirmation au moyen d’une affaire de la Cour d’appel fédéraleNote de bas page 13.

[31] La prestataire ne conteste pas qu’elle a refusé de se faire vacciner et de communiquer son statut. Elle affirme que le fait d’exiger la communication de son statut vaccinal allait à l’encontre de son droit à la confidentialité de ses renseignements médicaux. Elle ajoute que l’exigence de vaccination pour garder son emploi est de la coercition et qu’elle n’a pas à se faire vacciner. Elle soutient que son contrat de travail n’exige pas qu’elle se fasse vacciner ni qu’elle communique son statut vaccinal.

La prestataire a-t-elle manqué à une obligation résultant expressément ou implicitement de son contrat de travail?

[32] J’estime que la Commission n’a pas prouvé que la prestataire a manqué à une obligation expresse (explicite) ou implicite de son contrat de travail, selon laquelle elle devait se faire vacciner contre la COVID-19 et communiquer son statut vaccinal.

[33] La prestataire a précisé qu’elle est une employée syndiquée de l’administration fédérale et que son contrat de travail (convention collective) ne comporte aucune modalité de vaccination obligatoire. À sa connaissance, il n’y a pas eu de discussion ni d’entente entre l’équipe de négociation et l’employeur pour qu’une exigence de vaccination contre la COVID-19 fasse partie de sa convention collective.

[34] La Commission a présenté une copie de la politique de l’employeur sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas page 14. La politique cite de nombreux textes, comme des lois, des directives et des politiques à l’appui. La convention collective de la prestataire n’est pas citée. De plus, aucune des références législatives citées ne contient une disposition qui appuie la vaccination obligatoire contre la COVID-19 pour le personnel de l’administration fédérale.

Y a-t-il une obligation résultant expressément du contrat de travail de la prestataire?

[35] J’estime que la Commission n’a pas démontré qu’il y avait une obligation résultant expressément du contrat de travail de la prestataire qui l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19.

[36] Une obligation expresse est un énoncé formel qui se trouve dans un contrat de travail (convention collective), ou bien une notion de nature si fondamentale qu’elle est évidente en soi. En d’autres mots, le contrat de travail devrait contenir une exigence explicite de vaccination contre des affections précises, laquelle la prestataire aurait acceptée au moment de son embauche ou plus tard au cours de son emploi, avant son congédiement.

[37] La prestataire travaillait en administration pour un ministère fédéral. Elle a confirmé qu’elle était une employée syndiquée protégée par une convention collective. Elle a fait valoir qu’aucune disposition de sa convention collective n’exigeait qu’elle soit vaccinée contre la COVID-19.

[38] La Commission n’a pas présenté de copie de la convention collective ni fait référence à une de ses dispositions qui appuieraient l’obligation imposée par la politique de vaccination. Rien n’indique que l’employeur et l’équipe de négociation (syndicat) se sont entendus sur une nouvelle condition d’emploi essentielle à imposer à la prestataire et aux autres membres de l’unité de négociation.

[39] Rien n’indique qu’il y avait une exigence expresse que la prestataire accepte la vaccination contre la COVID-19 ni aucun autre type de vaccination ou de traitement médical que l’employeur pourrait imposer. Il n’y a aucun élément de preuve sous la forme d’un contrat de travail, d’un protocole d’entente ou d’un ajout à la convention collective qui permettrait de conclure qu’il y avait une obligation expresse. Rien n’indique que la prestataire a accepté d’être liée par une exigence de vaccination dans son contrat de travail, parce qu’elle n’a jamais accepté d’être vaccinée avant sa suspension. Rien n’indique que l’équipe de négociation s’est entendue avec l’employeur à propos de la politique de vaccination qu’il a mise en place.

Y a-t-il une obligation résultant implicitement du contrat de travail de la prestataire?

[40] J’estime que la Commission n’a pas démontré qu’il y avait une obligation résultant implicitement de la convention collective de la prestataire ou de tout contrat de travail qui l’obligeait à accepter de se faire vacciner ou à communiquer son statut vaccinal.

[41] Une obligation implicite est quelque chose que l’on peut déduire d’un contrat de travail et qui englobe ce qui n’est pas mentionné précisément (expressément). La Commission n’a présenté aucune preuve selon laquelle la prestataire était tenue, en fonction d’un principe général, d’accepter toute politique de l’employeur qui pouvait raisonnablement contenir une exigence de vaccination. La prestataire travaillait en administration. Elle télétravaillait chez elle avant sa suspension. Elle a déclaré qu’elle n’a jamais eu besoin de prouver qu’elle était vaccinée contre quoi que ce soit pour garder son emploi.

[42] L’obligation d’accepter un traitement médical pour garder un emploi va bien au-delà de la simple exigence de respect des protocoles de santé et de sécurité. Ce n’est pas la même chose que de s’attendre à ce qu’une personne se lave les mains avant de manipuler des aliments ou porte un gilet de sécurité. Si l’on accepte qu’une personne risque d’être congédiée en ne respectant pas une politique que l’employeur met en place pour exiger un type de traitement médical, on accepte qu’une simple attente de respect des protocoles généraux de santé et de sécurité devienne une condition d’emploi essentielle.

Imposition d’une nouvelle condition d’emploi essentielle

[43] Rien n’indique que l’employeur a discuté avec l’équipe de négociation, ou avec la prestataire, pour modifier son contrat de travail afin d’y incorporer une exigence de vaccination. Rien n’indique que la prestataire a explicitement accepté ce changement ou accepté de travailler en respectant la politique avant d’être congédiée.

[44] Essentiellement, l’employeur a lui-même rouvert le contrat de travail de la prestataire et imposé une nouvelle condition d’emploi essentielle sans son consentement ni l’accord de l’équipe de négociation.

[45] L’exigence de vaccination, à moins d’une exemption valide, n’était pas une condition d’emploi essentielle établie au moment de l’embauche ni acceptée par la prestataire à un moment donné pendant son emploi, avant son congédiement. Par conséquent, on ne peut pas dire que son contrat de travail contenait une disposition qui établissait une obligation expresse ou implicite de se conformer à la politique vaccinale de son employeurNote de bas page 15.

[46] La Commission laisse entendre que la simple existence d’une politique, que la prestataire n’a pas respectée, suffit pour démontrer un manquement à une obligation envers l’employeur. Elle étaye son argument en citant une affaire de la Cour d’appel fédérale qui s’intitule Lemire.

[47] Je ne suis pas convaincu que les circonstances sur lesquelles les juges se sont fondés dans l’affaire Lemire correspondent à celles de la prestataire. Dans cette affaire, l’employé a vendu des cigarettes de contrebande à son lieu de travail, tout en portant son uniforme, ce qui contrevenait à la politique de l’employeur. Même s’il n’est pas précisément indiqué que la politique existait au moment de l’embauche, l’employé congédié a admis qu’il la connaissait. Il avait accepté de plein gré de travailler en vertu de cette politique lorsqu’il s’est fait prendre. Autrement dit, la politique existait dans le cadre d’un contrat de travail que l’employé avait accepté avant l’infraction qui a mené à son congédiement.

[48] De plus, il est clair que les juges de l’affaire Lemire ont fait référence aux dispositions de la convention collective de l’employé congédié pour examiner les questions entourant la sanction appliquée. De toute évidence, les juges ont bien fait de tenir compte de la convention collective en examinant l’affaireNote de bas page 16.

[49] Dans la présente affaire, il n’y avait aucune disposition dans la convention collective ou la politique déjà existante par laquelle la prestataire a accepté d’être liée. La prestataire n’a pas non plus accepté la nouvelle politique et travaillé selon les conditions de celle-ci pour la transgresser plus tard. Elle a exprimé son désaccord dès la mise en œuvre de la politique et n’a jamais accepté d’être liée par celle-ci.

[50] Enfin, malgré les nombreuses références législatives dans la politique de l’employeur, rien n’indique qu’il existe des parties de loi fédérale ou provinciale exigeant que le personnel soit vacciné contre la COVID-19. C’était simplement le choix de l’employeur d’instaurer sa politique sans consulter l’équipe de négociation de la prestataire.

[51] La Commission devait prouver que la prestataire avait manqué à une obligation expresse ou implicite envers son employeur lorsqu’elle a choisi de ne pas se faire vacciner, alors qu’elle n’avait pas d’exemption approuvée. Contrairement à ce que la Commission affirme, je suis convaincu qu’elle ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve.

Autres éléments à l’appui d’une conclusion d’inconduite

[52] La Commission soutient que les gestes de la prestataire étaient délibérés (voulus et intentionnels), lorsqu’elle a choisi de ne pas se conformer à la politique vaccinale de son employeur.

[53] De plus, la Commission soutient que la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa décision entraînerait son congédiement. Personne ne conteste le fait que la prestataire était au courant des exigences de la politique et des conséquences probables en cas de non-respect. Elle admet que son choix était une décision personnelle.

[54] Toutefois, j’estime que ni son intention ni la connaissance des conséquences ne sont pertinentes. Il faut prouver les trois éléments mentionnés au début pour conclure à une inconduite. J’ai déjà dit que la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’il y a eu manquement à une obligation expresse ou implicite découlant du contrat de travail de la prestataire.

[55] Peu importe si les gestes de la prestataire peuvent être qualifiés de délibérés ou si elle savait que sa décision entraînerait probablement sa suspension ou une autre mesure disciplinaire, la Commission n’a pas prouvé que la prestataire avait une obligation envers son employeur d’accepter la vaccination pour garder son emploi. En fait, la prestataire avait parfaitement le droit de ne pas consentir aux demandes unilatérales de l’employeur.

La politique de vaccination viole-t-elle les droits de la prestataire?

[56] La prestataire avance que la politique de l’employeur est illégale et porte atteinte à ses droits.

[57] Comme je l’ai mentionné plus haut, les actions de l’employeur ne sont pas pertinentes. Il revient à une autre instance d’examiner la légalité de sa politique. Ma compétence se limite à décider si les gestes de la prestataire constituent une inconduite qui justifie une exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploi au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

[58] Toutefois, comme je dois examiner la conduite de la prestataire, je vais évaluer la légalité de son choix de ne pas se faire vacciner. La prestataire a clairement indiqué qu’elle exerçait son droit de ne pas se faire vacciner et de ne pas communiquer ses renseignements médicaux.

[59] Comme je l’ai mentionné plus haut, aucune disposition législative, fédérale ou provinciale, n’exige la vaccination contre la COVID-19. Puisqu’il n’y a aucune obligation légale de se faire vacciner, la vaccination contre la COVID-19 est volontaire.

[60] La common law canadienne reconnait depuis longtemps qu’une personne a le droit de contrôler les interventions sur son corpsNote de bas page 17. Il revient à chaque personne de décider des traitements médicaux qu’elle accepteNote de bas page 18.

[61] La Commission a même souligné dans ses observations que la prestataire avait tout à fait le droit de refuser la demande de l’employeur de fournir une preuve de vaccinationNote de bas page 19. Pourtant, elle a conclu que, par l’exercice de son droit, la prestataire avait commis une inconduite.

[62] Je ne suis pas d’accord avec la Commission. La common law confirme que la prestataire a un fondement juridique (un « droit ») pour ne pas accepter un traitement médical, y compris la vaccination. Si la vaccination est donc volontaire, la prestataire a le choix de l’accepter ou de la refuser. L’exercice de son droit de refus remet en question la conclusion selon laquelle sa façon d’agir s’apparente à quelque chose qui est « mal » ou qu’elle « n’aurait pas dû faire », délibérément ou non, et qui correspond à une inconduite et à une exclusion au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 20.

[63] La question de la vaccination contre la COVID-19 et des conséquences du non-respect des politiques est une situation nouvelle. À l’heure actuelle, il n’existe pas de jurisprudence précise pour orienter la prise de décision.

[64] En effet, je n’ai pas pu trouver une seule affaire où une partie prestataire avait fait quelque chose qui est permis par la loi, et où l’on a tout de même conclu à l’inconduite simplement parce que le geste avait été jugé délibéré.

[65] Même en l’absence d’une décision de la Cour d’appel fédérale qui pourrait m’orienter sur la question, je suis persuadé que la prestataire a le droit d’accepter ou de refuser un traitement médical. Malgré le fait que son choix contredit la politique de son employeur et a entraîné sa suspension, j’estime que l’exercice de ce « droit » ne peut pas être qualifié d’acte répréhensible ou de conduite indésirable qui mènerait à une conclusion d’inconduite, et ainsi, à l’exclusion au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

Alors, la prestataire a-t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

[66] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve pour conclure à l’inconduite. La Commission n’a pas démontré un manquement à une obligation expresse ou implicite découlant du contrat de travail de la prestataire.

[67] De plus, la common law reconnait le droit d’accepter ou non un traitement médical, y compris la vaccination. Par conséquent, la décision de la prestataire de ne pas se faire vacciner ni de communiquer son statut vaccinal est une explication raisonnable et acceptable, que la loi appuie, pour ne pas se conformer à la politique vaccinale de son employeur. Malgré le fait que la prestataire a été suspendue, ses gestes ne constituent pas une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Conclusion

[68] La Commission n’a pas prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. C’est pourquoi la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[69] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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