Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

L’intimée a demandé des prestations d’assurance-emploi. L’employeur a dit qu’elle a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à sa politique de vaccination contre la COVID-19. L’intimée n’a pas demandé d’exemption.

La Commission de l’assurance-emploi du Canada a établi que l’intimée avait perdu son emploi en raison d’une inconduite; elle ne pouvait donc pas lui verser des prestations. Après une révision défavorable à son égard, l’intimée a fait appel à la division générale. Celle-ci a conclu que la Commission n’avait pas prouvé que l’intimée avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a porté cette décision en appel à la division d’appel, qui a accueilli l’appel.

La division générale a conclu que la preuve démontrait que l’intimée était au courant de la politique de vaccination et qu’elle avait manifestement décidé de ne pas recevoir de vaccins à ARNm. La division générale a jugé que l’intimée contrevenait à la politique de vaccination et qu’elle savait depuis le mois de décembre qu’un congédiement était possible. Toutefois, la division générale a choisi de se concentrer sur la question de savoir si les agissements de l’employeur étaient justifiés. Cette analyse s’écartait de la jurisprudence contraignante, de même que de la procédure établie du Tribunal relativement à l’inconduite. Comme la loi réduit l’évaluation de l’inconduite à quelques questions précises, la division générale n’avait pas le pouvoir de décider si la politique de vaccination de l’employeur qui s’appliquait au personnel travaillant à domicile était raisonnable ou équitable. Elle ne pouvait pas non plus décider si l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation en accordant à l’intimée une prolongation de délai pour lui permettre de recevoir le vaccin Novavax. De plus, le rôle de la division générale n’était pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de savoir s’il s’était rendu coupable d’inconduite en congédiant l’intimée de telle sorte que son congédiement était injustifié. La division générale devait plutôt décider si l’intimée s’était rendue coupable d’inconduite et si celle-ci avait entraîné son congédiement.

Lorsqu’il s’agit d’évaluer s’il y a eu inconduite, le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne et l’organisation pour laquelle elle travaille. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à l’intimée, mais c’est celle que les cours ont adoptée à maintes reprises et que la division générale avait l’obligation de suivre. Le critère de l’inconduite vise à décider si les prestataires savaient ou auraient dû savoir que leur conduite entraînerait un congédiement. La personne qui rend la décision ne doit pas tenir compte de la conduite de l’employeur ni des principes juridiques qui s’appliquent à l’extérieur du contexte de l’assurance-emploi, comme le droit du travail ou le droit en matière de droits de la personne.

La division d’appel a conclu que la division générale avait outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit dans son interprétation de l’inconduite. Elle a ensuite rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Selon la division d’appel, le refus de l’intimée de se conformer à la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite; par conséquent, elle était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c RB, 2023 TSS 1249

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Julie Villeneuve
Intimée : R. B.
Représentant : L. M.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 31 janvier 2023 (GE-22-3167)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 13 juin 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 12 septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-186

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

Aperçu

[2] L’intimée (la prestataire) a perdu son emploi. L’employeur a affirmé qu’elle a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur (politique). La prestataire n’a pas demandé d’exemption. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance‑emploi.

[3] L’appelante (Commission) a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite, de sorte qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations. Après une révision défavorable à son égard, la prestataire a interjeté appel devant la division générale.

[4] La division générale a conclu que la Commission n’a pas prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[5] La division d’appel a accordé à la prestataire la permission d’en appeler. La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[6] Je dois décider si la division générale a commis une erreur de droit ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[7] J’accueille l’appel de la Commission.

Question en litige

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Analyse

Le mandat de la division d’appel

[9] La Cour d’appel fédérale a conclu que, lorsqu’elle entend des appels conformément à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loiNote de bas page 1.

[10] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieureNote de bas page 2.

[11] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je dois rejeter l’appel.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite?

La position des parties

[12] La Commission soutient que l’employeur avait l’obligation légale d’assurer la santé et la sécurité du lieu de travail et des employés. Par conséquent, la politique de l’employeur reposait sur un fondement légal. Elle soutient que le défaut de se conformer à une directive légale est considéré comme une inconduite au sens de la Loi.

[13] La Commission fait valoir que la raison pour laquelle l’employeur n’a pas accepté de reporter le délai pour se conformer à la politique n’était pas pertinente pour déterminer si la conduite de la prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi.

[14] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit parce que la prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas respecter la politique de l’employeur. Il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi.

[15] La prestataire soutient qu’elle a été congédiée de son poste parce qu’elle a refusé les vaccins qui étaient offerts au moment de la politique. Elle était toutefois prête à recevoir le vaccin de Novavax qui n’était pas encore approuvé. Comme la prestataire était autorisée à travailler de la maison, elle ne se mettait pas en danger ni ne mettait en danger ses collègues. Elle n’a rien fait de mal. Il n’y a pas eu d’inconduite. La prestataire soutient que la politique de l’employeur accordait un pouvoir discrétionnaire pour son application que l’employeur n’a pas utilisé dans son cas.

[16] La prestataire fait valoir que l’employeur a communiqué avec elle à l’automne 2022 et lui a demandé de reprendre son ancien poste sur une base contractuelle, même si la politique était toujours en place et que la prestataire n’était toujours pas vaccinée contre la COVID-19. L’employeur a prolongé son contrat à deux reprises et est maintenant en train de décider s’il va l’embaucher à nouveau à temps plein même si la politique est toujours en place et que la prestataire n’est pas vaccinée.

[17] La prestataire soutient que l’employeur utilise maintenant son pouvoir discrétionnaire et se demande pourquoi il ne l’a pas utilisé au moment du licenciement.

La décision de la division générale

[18] Le 31 janvier 2023, la division générale a accueilli l’appel de la prestataire après avoir conclu que la Commission n’avait pas prouvé qu’il y avait inconduite.

[19] La division générale a conclu que l’employeur n’était pas flexible dans son application des dispositions strictes de la politique et n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire prévu dans la politique. Elle a conclu que la prestataire était disposée à recevoir le vaccin de Novavax lorsqu’il serait disponible dans six à huit semaines. Elle voulait se conformer à la politique, mais ne pouvait pas respecter l’échéance. La division générale a jugé qu’elle ne pouvait pas conclure que la Commission avait prouvé que la prestataire avait délibérément enfreint la politique et manqué à une obligation envers l’employeur. Elle a accueilli l’appel de la prestataire.

La division générale a outrepassé sa compétence et a dérogé aux principes établis par la jurisprudence

[20] Après avoir examiné les arguments des deux parties, j’ai conclu que la décision de la division générale ne peut être maintenue.

[21] La division générale devait décider si la prestataire avait été congédiée en raison d’une inconduite.

[22] Il ne faut pas oublier que l’« inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance‑emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du terme. Un employé peut être exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il a fait quelque chose de [traduction] « mal » ou de [traduction] « répréhensible »Note de bas page 3.

[23] La notion d’inconduite ne signifie pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou du moins procéder d’une insouciance ou négligence telle que l’on pourrait dire que l’employé a délibérément décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[24] Par conséquent, la division générale devait évaluer les actes de la prestataire pour trancher les questions suivantes :

  • si elle était au courant de la politique de son employeur;
  • si elle a ignoré de façon délibérée la politique de son employeur;
  • si elle connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de son employeur.

[25] Cette jurisprudence ramène constamment aux mêmes principes :

  • Il y a inconduite lorsqu’un employé enfreint une règle ou une politique établie par son employeur.
  • Le critère relatif à l’inconduite porte sur les faits et gestes de l’employé et non sur ceux de l’employeurNote de bas page 4.
  • La règle ou la politique peut être explicite ou impliciteNote de bas page 5.
  • Il faut que la violation de la règle ou de la politique soit intentionnelle ou d’une insouciance telle qu’elle est presque intentionnelleNote de bas page 6.
  • Il faut que l’employé sache que le non-respect de la règle ou de la politique pourrait nuire à ses fonctions et entraîner sa suspension ou son congédiementNote de bas page 7.

[26] La division générale a conclu que la preuve démontrait que la prestataire était au courant de la politique et qu’elle avait manifestement décidé de ne pas recevoir les vaccins à ARNm. Elle a conclu que la prestataire avait contrevenu à la politique. La division générale a conclu qu’elle savait depuis décembre que son congédiement était possible.

[27] Toutefois, la division générale a choisi de se concentrer sur la question de savoir si les mesures prises par l’employeur étaient adéquates. Cette analyse s’écarte de la jurisprudence contraignante, ainsi que de la jurisprudence établie par le Tribunal sur l’inconduite.

[28] L’analyse de la division générale comporte un grave problème : elle remet en question la façon dont l’employeur a appliqué sa politique de vaccination contre la COVID-19 :

[traduction]

[33] […] La politique conférait à l’employeur le pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures autres que le congédiement ou d’accorder une prorogation du délai à la prestataire qu’elle recoive le vaccin de Novavax. L’employeur a refusé. Cela indiquait que l’employeur donnait la priorité à la date limite énoncée dans la politique, qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de la modifier, plutôt qu’au maintien en poste d’une employé précieuse et estimée. Ce refus était incompatible avec le fait d’avoir autorisé la prestataire à travailler à domicile à compter du 17 janvier 2022. Le refus était également incompatible avec le motif du licenciement : les très grandes préoccupations en matière de santé étant une violation importante de la politique. Le travail à domicile ne constituait pas une préoccupation importante en matière de santé. Si la prestataire recevait le vaccin de Novavax lorsqu’il serait offert, la préoccupation en matière de santé serait éliminée. Ce sont ces gestes de l’employeur qui ont donné lieu à l’inconduite alléguée.

[29] Ce passage porte à croire que la division générale a confondu des concepts juridiques distincts. C’est une chose de se demander s’il existe une obligation expresse ou implicite. C’en est une autre de se demander si l’obligation a été imposée de façon valable. La deuxième question dépasse le cadre de la législation relative à l’assurance-emploi.

[30] Comme la loi réduit l’évaluation de l’inconduite à quelques questions précises, la division générale n’avait pas le pouvoir de trancher des questions portant sur l’équité ou le caractère raisonnable de la politique de l’employeur qui s’appliquait aux employés travaillant à domicile. Elle n’avait pas non plus le pouvoir de décider si l’employeur aurait dû offrir à la prestataire des mesures d’adaptation en lui accordant une prolongation du délai pour recevoir le vaccin de NovavaxNote de bas page 8.

[31] En outre, le rôle de la division générale n’était pas de juger de la sévérité de la sanction imposée par l’employeur ni de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant la prestataire de sorte que son congédiement était injustifié, mais bien de décider si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a mené à son congédiement.

[32] De plus, la division générale n’a pas expliqué pourquoi elle ne suivait pas la jurisprudence existante. Selon la Cour suprême du Canada,une décision raisonnable est une décision qui est : a) fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et b) justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujettiNote de bas page 9. En l’espèce, la division générale a écarté certaines des contraintes juridiques que comporte l’analyse de l’inconduite aux fins de l’assurance-emploi.

[33] Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’inconduite, le Tribunal ne peut pas examiner le bien‑fondé d’un différend entre un employé et son employeur. Cette interprétation de la Loi peut sembler injuste à la prestataire, mais c’est celle que les cours ont adoptée à maintes reprises et que la division générale est tenue de suivre.

[34] Le critère de l’inconduite vise à décider si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite entraînerait son congédiement. La personne qui rend la décision ne doit pas tenir compte de la conduite de l’employeur ni des principes juridiques qui s’appliquent en dehors du contexte de l’assurance-emploi, comme le droit du travail ou les droits de la personne.Note de bas page 10

[35] Dans ce contexte, la division générale a outrepassé sa compétence de plusieurs façons :

  • Elle a décidé que l’employeur n’avait pas utilisé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a refusé de reporter la date limite de la politique afin que la prestataire puisse recevoir le vaccin de Novavax.
  • Elle a décidé que, comme la prestataire travaillait de la maison, l’employeur allait au-delà de ce qui était nécessaire pour répondre à ses préoccupations en matière de santé.
  • Elle a décidé que l’employeur n’avait pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a décidé de congédier la prestataire.

[36] Il n’appartenait pas à la division générale de trancher l’une ou l’autre de ces questions. Ses conclusions dépassaient la portée de l’analyse de l’inconduite aux fins de l’assurance-emploi qui est décrite dans la jurisprudence. En s’aventurant dans les domaines du droit du travail et du droit en matière de santé publique, la division générale a outrepassé sa compétence et a commis une erreur de droitNote de bas page 11.

[37] De plus, le fait que l’employeur ait mis en œuvre une politique de santé et de sécurité pendant la pandémie avec laquelle la prestataire était manifestement en désaccord dès sa mise en œuvre ne constitue pas un comportement qui justifie l’application de la décision Astolfi par la division générale. En l’espèce, l’employeur a suivi les recommandations du médecin hygiéniste en chef de l’Alberta pour mettre en œuvre sa politique qui s’appliquait à tous ses employés. Les employés pouvaient refuser de suivre la politique de l’employeur. Rien ne laisse croire, comme c’est le cas dans l’affaire Astolfi, que l’employeur a ciblé en particulier la prestataireNote de bas page 12.

[38] Pour ces motifs, je suis d’avis que la division générale a outrepassé sa compétence et a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’inconduite.

[39] Je suis donc en droit d’intervenir.

Réparation

Il y a deux façons de corriger les erreurs de la division générale

[40] Lorsque la division générale commet une erreur, la division d’appel peut la corriger de deux façons : 1) elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle la juge à nouveau ou 2) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas page 13.

Le dossier est assez étoffé pour que je tranche l’affaire sur le fond

[41] Les faits de l’affaire ne sont pas vraiment contestés, et les autres questions portent entièrement sur des questions de droit et de compétence. Les parties ont eu amplement l’occasion de présenter des arguments écrits et oraux devant la division générale et la division d’appel.

[42] Par conséquent, je suis en mesure d’apprécier la preuve dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreur.

[43] À mon avis, si la division générale avait correctement appliqué le droit relatif à l’inconduite, elle en serait arrivée à une conclusion différente. Ma propre évaluation du dossier me convainc que le refus de la prestataire de se conformer à la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite et l’a exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Le refus délibéré de la prestataire de suivre la politique de vaccination de son employeur était une inconduite

[44] Je dois trancher la question de l’inconduite uniquement dans les limites des paramètres établis par les cours fédérales, qui ont défini l’inconduite au sens de la LoiNote de bas page 14.

[45] La notion d’inconduite ne signifie pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou du moins procéder d’une insouciance ou négligence telle que l’on pourrait dire que l’employé a délibérément décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[46] Mon rôle n’est pas de juger de la sévérité de la sanction imposée par l’employeur ni de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant la prestataire de sorte que son congédiement était injustifié, mais bien de décider si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a mené à son congédiement.

[47] D’après la preuve, la prestataire était au courant de la politique et a manifestement décidé de ne pas recevoir les vaccins à ARNm. Elle n’a pas demandé d’exemption. La prestataire a refusé intentionnellement; ce refus était délibéré. Il s’agissait de la cause directe de son congédiement.

[48] La prestataire savait ou aurait dû savoir que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner son congédiement. La prestataire a déclaré qu’elle avait tout essayé pour conserver son emploi sans avoir à satisfaire à l’exigence de recevoir les vaccins offert à l’époque, mais que son employeur appliquait la politique de façon stricteNote de bas page 15.

[49] La preuve prépondérante étaye la conclusion selon laquelle le comportement de la prestataire constituait de l’inconduite.

[50] Le non‑respect voulu de la politique de l’employeur constitue une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 16. Le non‑respect d’une politique dûment approuvée par un gouvernement ou un secteur d’activité est également considéré comme une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 17.

[51] Nul ne conteste réellement le fait que l’employeur est tenu de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de son personnel au travail. Dans la présente affaire, l’employeur a suivi la recommandation du médecin hygiéniste en chef de l’Alberta de mettre en œuvre sa politique visant à protéger la santé de l’ensemble du personnel pendant la pandémieNote de bas page 18. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été congédiée.

[52] La question de savoir si l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la prestataire, si l’employeur a contrevenu à son contrat de travail ou si la politique de l’employeur contrevenait à ses droits fondamentaux et à ses droits constitutionnels relève d’une autre instance. Le Tribunal n’est pas l’instance par laquelle la prestataire peut obtenir la réparation qu’elle rechercheNote de bas page 19.

[53] La Cour fédérale a confirmé que, même si une personne a un motif légitime de porter plainte légitime contre son employeur, « il n’appartient pas aux contribuables canadiens de faire les frais de la conduite fautive de l’employeur par le biais des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 20 ».

[54] La prestataire s’appuie fortement sur la décision AL de la division généraleNote de bas page 21. Cette décision a toutefois été infirmée par une formation de trois membres de la division d’appelNote de bas page 22. La division d’appel a conclu que la division générale avait mal interprété la notion d’inconduite au sens de la Loi et qu’elle était allée au-delà de ses pouvoirs en décidant du bien-fondé d’un grief entre un employeur et son employée.

[55] De plus, la Cour fédérale a rendu depuis la décision Cecchetto portant sur l’inconduite et le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeurNote de bas page 23. Les enseignements de la Cour fédérale dans cette affaire vont bien au-delà de l’interprétation donnée par le prestataire.

[56] Le prestataire, M. Cecchetto, a fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur ne constitue pas une inconduite. Il n’a pas été prouvé que le vaccin était sûr et efficace, a‑t‑il avancé. Le prestataire s’est senti victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Il a fait valoir qu’il a le droit de décider de sa propre intégrité corporelle et que ses droits ont été violés sous le régime du droit canadien et international.

[57] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel, soit qu’en faisant le choix personnel et voulu de ne pas respecter la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 24. La Cour a de nouveau affirmé que le prestataire dispose d’autres recours dans le cadre du système judiciaire pour faire valoir ses allégations.

[58] La décision Cecchetto a depuis été suivie dans deux autres décisions de la Cour fédérale concernant des affaires de vaccination, soit les décisions Milovac et KukNote de bas page 25. Ces décisions indiquent toutes qu’il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de vaccination de l’employeur et de se prononcer sur ces questions.

[59] La Cour fédérale a conclu qu’il était raisonnable de la part du Tribunal de conclure que les prestataires avaient perdu leur emploi en raison de leur inconduite parce qu’ils étaient au courant de la politique de vaccination de leur employeur et des conséquences qui découleraient du refus de s’y conformer.

[60] Dans l’arrêt Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a affirmé que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite liés à l’assurance‑emploi.

[61] Comme je l’ai déjà mentionné, le rôle de la division générale n’est pas de décider si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant la prestataire de sorte que son congédiement était injustifié, mais bien de décider si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a mené à son congédiement.

[62] La preuve prépondérante dont dispose la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné son congédiement.

[63] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait que, conformément à la Loi, la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire a été congédiée en raison de son inconduite.

[64] La prestataire a fait valoir que l’employeur l’avait rappelée au travail même si elle n’était pas vaccinée. Ce fait ne modifie pas la nature de l’inconduite, qui a initialement mené au congédiement de la prestataireNote de bas page 26.

Conclusion

[65] L’appel est accueilli. La prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

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