Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : LM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1088

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelantes : L. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Isabelle Thiffault

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 7 octobre 2022
(GE-22-1954)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 25 avril 2023
Personnes présentes à
l’audience :

Appelante
Représentante de l’intimée (seulement par écrit)
Date de la décision : Le 14 août 2023
Numéro de dossier : AD-22-790

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L. M., l’appelante (prestataire), travaillait comme analyste d’entreprise dans le domaine de la santé. Elle fait appel de la décision de la division générale. Celle‑ci a conclu que l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait prouvé que la prestataire avait été suspendue, puis qu’elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Autrement dit, la Commission a conclu que la prestataire avait fait quelque chose qui avait entraîné sa suspension, puis son congédiement. Elle n’avait pas respecté la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19.

[3] La division générale a conclu qu’il y a eu inconduite. Par conséquent, la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi pendant sa suspension, puis exclue du bénéfice des prestations après son congédiement.

[4] Selon la prestataire, la division générale a fait des erreurs de droit et de fait. Elle dit qu’il n’y a eu aucune inconduite, car elle n’avait pas de mauvaises intentions et ne voulait pas nuire à son employeur. Elle ajoute qu’elle a rempli toutes ses obligations aux termes de son contrat de travail.

[5] La prestataire fait remarquer que sa convention collective n’obligeait personne à se faire vacciner. Elle fait valoir que, comme son employeur a adopté une nouvelle politique qui ne faisait pas partie de son contrat de travail, elle n’avait pas à s’y conformer. De plus, si elle n’avait pas à respecter la nouvelle politique, elle affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour non‑respect de la politique.

[6] La prestataire dit aussi qu’il n’y a pas inconduite si son employeur ne lui a pas offert de mesures d’adaptation. Elle ajoute que son employeur n’avait aucun motif de la congédier, alors elle dit qu’elle a droit aux prestations d’assurance-emploi, en plus d’une indemnité de départ pour congédiement injustifié.

[7] La Commission soutient que la division générale n’a fait aucune erreur. Elle demande à la division d’appel de rejeter l’appel.

Questions en litige

[8] Voici les questions à trancher dans le présent appel :

  1. a) La division générale a-t-elle mal interprété la notion d’inconduite?
  2. b) A‑t-elle ignoré la convention collective de la prestataire?
  3. c) A‑t-elle oublié de vérifier si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation pour la prestataire?

Analyse

[9] La division d’appel peut modifier les décisions de la division générale si celle‑ci a fait une erreur de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 1.

La division générale a‑t-elle mal interprété la notion d’inconduite?

[10] La prestataire soutient que la division générale a mal interprété la notion d’inconduite. Elle dit qu’il n’y a pas eu d’inconduite. Elle affirme qu’elle était une employée exceptionnelle qui ne voyait aucun avantage à se conformer à la politique de vaccination de son employeur. Elle affirme que la politique en question n’avait rien à voir avec l’exécution de ses tâches au travail.

[11] Selon la prestataire, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit présenter un [traduction] « écart très marqué par rapport aux normes » et impliquer [traduction] « un degré élevé ou grave de négligence qui se manifeste par un comportement bien pire que celui d’un homme raisonnable moyenNote de bas de page 2 ». Elle dit que sa conduite ne correspond à aucune de ces définitions, alors selon elle, il n’y a pas eu d’inconduite.

[12] La prestataire affirme que la politique de vaccination de son employeur fait partie d’un plan mondial visant à injecter des produits chimiques toxiques dans le corps des gens, sans se soucier des dommages causés. Elle dit que tout le monde sait que les vaccins ont tué des gens ou leur ont fait beaucoup de mal. Elle a demandé à son employeur l’assurance qu’elle ne subirait aucun tort, mais il ne voulait être tenu responsable d’aucun risque.

[13] La prestataire affirme qu’il devrait y avoir des limites à ce que les organisations peuvent faire ou à ce qu’elles peuvent exiger des personnes qu’elles emploient. Elle se demande si, par exemple, le fait de refuser de se conformer à l’exigence de son employeuse ou employeur de se couper le doigt serait une inconduite. Elle avance que si une organisation veut imposer une politique à son personnel, elle devrait avoir l’obligation de justifier la politique et de démontrer le lien avec les tâches du personnel.

[14] La prestataire fait valoir que la Constitution et d’autres lois lui donnent le droit de refuser une injection et tout acte médical. Il ne devrait donc y avoir aucune inconduite si elle ne faisait qu’exercer ses droits.

[15] Essentiellement, la prestataire soutient que la politique de vaccination de son employeur était illégitime, car elle n’avait pas de lien avec son emploi. Elle affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’on a le droit de refuser une politique illégitime ou une intervention médicale non souhaitée.

L’affaire Cecchetto

[16] La Cour fédérale a déjà abordé certaines des questions soulevées par la prestataire. Dans l’affaire CecchettoNote de bas de page 3 v Canada (Procureur général), M. Cecchetto a soutenu que la Cour devait annuler la décision de la division d’appel dans son dossier. Selon lui, la division d’appel n’avait pas examiné les questions qu’il avait soulevées sur la légalité d’obliger le personnel à subir des actes médicaux, y compris la vaccination et le dépistage.

[17] M. Cecchetto a fait valoir qu’en l’absence de preuve démontrant l’efficacité et la sûreté de ces interventions, il ne devrait pas être obligé de se faire vacciner. Un peu comme la prestataire, il a fait valoir qu’il y avait des raisons légitimes de refuser la vaccination. Ainsi, il a avancé que le choix de ne pas se faire vacciner n’aurait pas dû entraîner une inconduite.

[18] Voici ce que la Cour a écrit :

[traduction]

[46] Comme je l’ai mentionné plus haut, le demandeur [M. Cecchetto] trouvera probablement ce résultat frustrant, car mes motifs n’abordent pas les questions juridiques, éthiques et factuelles fondamentales qu’il soulève. Mais bon nombre de ces questions dépassent tout simplement le cadre de la présente affaire. Lorsqu’un tribunal rend sa décision, il n’est pas déraisonnable qu’il refuse de se prononcer sur les arguments juridiques qui ne relèvent pas de son mandat légal.

[47] La division générale et la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale ont un rôle important, mais restreint et précis à jouer dans le système juridique. Dans la présente affaire, ce rôle consistait à voir pourquoi le demandeur avait été congédié et si ce motif constituait une « inconduite ». (…)

[48] Malgré les arguments du demandeur, le fait que la division d’appel n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la [politique de vaccination] ni rendu de décision à ce sujet ne justifie pas l’annulation de sa décision. Ce genre de conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence du Tribunal de la sécurité sociale, que ce soit à la division d’appel ou à la division généraleNote de bas de page 4 [citation omise].

[19] La Cour a déclaré qu’il n’appartenait pas à la division d’appel d’examiner le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de vaccination dans le dossier de M. Cecchetto. Elle a établi que la division d’appel a un rôle très limité à jouer. Il se résume à déterminer les raisons pour lesquelles les prestataires perdent leur emploi et à voir si ces raisons constituent une inconduite.

[20] Je sais que M. Cecchetto cherche à porter cette décision en appel. Mais je suis obligée de suivre la loi dans son état actuel, ce qui comprend l’application de la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Cecchetto.

[21] Étant donné la décision de la Cour dans l’affaire Cecchetto, il est évident que les arguments de la prestataire sur le bien-fondé, la légitimité et la légalité de la politique de vaccination de son employeur ne sont pas pertinents pour évaluer la question de l’inconduite. Pour cette raison, la division générale n’a pas fait d’erreur lorsqu’elle a décidé qu’elle devait avant tout regarder ce que la prestataire a fait ou non et si cela constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Définition de l’inconduite selon la division générale

[22] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. La division générale s’est donc penchée sur diverses sources faisant autorité, y compris les décisions de la Cour d’appel fédérale. Elle a cité la définition de l’inconduite qui émane de la Cour d’appel.

[23] Voici comment la division générale a défini la notion d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi :

[19] Il y a inconduite au sens de la loi si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur. Et elle savait ou aurait dû savoir que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit suspendue ou congédiée [citation omise].

[20] Il y a inconduite lorsque la conduite de la prestataire est délibérée. Cela signifie que sa conduite était consciente, voulue ou intentionnelle ou d’une insouciance frôlant le caractère délibéré [citation omise]. Elle n’avait pas à avoir une intention coupable. Autrement dit, elle n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal [citation omise].

[21] Il doit y avoir un lien de causalité entre l’inconduite de la prestataire et son emploi. Autrement dit, l’inconduite doit constituer un manquement à une obligation expresse ou implicite découlant de son contrat de travail, et elle a été suspendue et a perdu son emploi en raison d’une inconduite et non pour une autre raison [citation omise].

[24] L’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi répond à un critère moins rigoureux que ce qu’on envisage habituellement dans le domaine du travail. Selon la Loi, l’inconduite n’implique pas nécessairement un acte criminel, immoral ou contraire à l’éthique. Dès que la personne manque à une obligation envers son employeuse ou employeur en posant un geste ou en refusant de faire quelque chose, sa conduite pourra être qualifiée d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[25] La division générale a simplement repris la définition de l’inconduite établie par la jurisprudence. Par conséquent, la division générale n’a pas fait d’erreur dans sa définition.

La prestataire affirme qu’elle a rempli ses obligations

[26] La prestataire conteste la façon dont la division générale a appliqué la loi aux faits. La prestataire admet qu’il doit y avoir un lien entre l’inconduite d’une personne et son emploi. Mais elle affirme que, dans son cas, il n’y avait aucun lien entre la vaccination et son emploi.

[27] Elle affirme qu’elle travaillait de la maison, qu’elle n’avait aucun contact avec ses collègues ou les patients et qu’elle n’est jamais allée sur les lieux de travail. Elle avance qu’il n’y avait aucune inquiétude en matière de sécurité. De plus, elle pouvait remplir toutes ses obligations sans avoir à se faire vacciner.

[28] Toutefois, dès que l’employeur de la prestataire a mis en place sa politique de vaccination, elle est devenue une des exigences de son emploi, et ce, même si la prestataire n’était pas d’accord avec la politique et croyait que la politique n’avait aucun lien avec son emploi. L’employeur obligeait son personnel à se faire vacciner, alors c’est devenu une condition essentielle de son emploi. Par conséquent, la prestataire était censée se conformer à la politique de vaccination de l’employeur.

[29] La prestataire conteste le fait que son employeur puisse légalement lui imposer de nouvelles conditions d’emploi sans son consentement. Elle affirme que son employeur ne pouvait pas changer les conditions de son emploi et que, par conséquent, elle n’avait pas à se conformer aux nouvelles conditions qu’elle n’avait pas acceptées. Je vais examiner cette question plus bas.

La division générale a‑t-elle ignoré la convention collective de la prestataire?

[30] La prestataire soutient que la division générale n’a pas tenu compte des modalités de sa convention collective. Elle fait valoir que si la division générale avait pris ce document en compte, elle aurait conclu qu’elle n’avait pas à se faire vacciner. Rien dans la convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner.

[31] La prestataire a présenté le même argument à la division générale. Elle a dit qu’il n’y avait pas eu d’inconduite parce que la vaccination n’était une condition ni expresse ni implicite de son contrat de travail. La division générale a conclu le contraire. Elle a décidé que la politique de vaccination de l’employeur faisait de la vaccination une condition d’emploi, de sorte qu’elle est devenue une condition implicite du contrat de la prestataire.

[32] Essentiellement, la prestataire avance que, pour qu’il y ait inconduite, il faut qu’il y ait violation d’une des dispositions de la convention collective. Elle s’appuie sur la décision rendue par la division générale dans l’affaire AL c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 5.

[33] Cependant, cette décisiona depuis été annulée par la division d’appelNote de bas de page 6. Celle‑ci a conclu que la division générale avait mal interprété la notion d’inconduite. La division d’appel a conclu que la convention collective d’A. L. n’était pas pertinente pour savoir s’il y avait eu inconduite.

[34] La décision de la division d’appel dans l’affaire AL est conforme à la jurisprudence. Les cours ont confirmé qu’il n’est pas nécessaire qu’une disposition précise de la convention collective ou du contrat de travail soit violée pour qu’il y ait inconduite.

[35] Dans une affaire appelée NguyenNote de bas de page 7, par exemple, la Cour d’appel a conclu qu’il y avait eu inconduite même si la politique de harcèlement de l’employeur ne décrivait pas le comportement de M. Nguyen. De même, dans une autre affaire, appelée KareliaNote de bas de page 8, l’employeur a imposé de nouvelles conditions à M. Karelia. Il s’absentait toujours du travail. Les conditions ne faisaient pas partie de son contrat de travail initial, mais la Cour d’appel a décidé que M. Karelia devait les respecter, sinon il y avait inconduite.

[36] Dans l’affaire CecchettoNote de bas de page 9, la Cour fédérale a conclu qu’il y a eu inconduite parce que M. Cecchetto n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur. Il ne s’est pas conformé à sa politique sur la vaccination et le dépistage. Il a fait valoir que refuser de respecter une politique de vaccination qui n’existait pas auparavant, que son employeur a imposée de façon unilatérale et avec laquelle il n’était pas d’accord ne constituait pas une inconduite.

[37] La Cour a songé à cette question. La politique de vaccination ne faisait pas partie du contrat de travail de M. Cecchetto. En effet, son employeur n’a pas adopté sa propre politique. Il suivait plutôt les règles établies par une directive de la santé publique provinciale.

[38] Elle a toutefois conclu qu’aucun des arguments de M. Cecchetto ne permettait d’annuler la décision de la division d’appel dans cette affaire. En d’autres mots, la Cour a admis que l’employeur de M. Cecchetto pouvait mettre en place une politique rendant la vaccination obligatoire même si elle ne faisait pas partie du contrat initial, que le personnel devait respecter cette politique et que le non-respect de la politique donnerait lieu à une inconduite.

[39] Ces affaires montrent clairement que, pour qu’il y ait inconduite, le manquement ou l’infraction ne doit pas nécessairement violer le contrat de travail initial ou la convention collective originale.

[40] Même si sa décision n’est pas directement pertinente pour l’évaluation de l’inconduite, je remarque en passant que la Cour suprême du Canada a établi que les employeuses et employeurs peuvent imposer une nouvelle règle ou politique de façon unilatérale, même sans le consentement du syndicat ou du personnel, pourvu que certaines conditions soient rempliesNote de bas de page 10. Ainsi, les organisations ne sont pas toujours obligées d’obtenir le consentement de leur personnel avant d’adopter de nouvelles politiques.

La division générale a‑t-elle oublié de vérifier si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation pour la prestataire?

[41] La prestataire soutient que son employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation pour elle et lui accorder une exemption à sa politique de vaccination. Indépendamment de sa position personnelle sur la politique, la prestataire travaillait de la maison et n’avait aucune interaction avec ses collègues ou les patients. Elle n’allait pas non plus sur les lieux de travail.

[42] La division générale a reconnu les arguments de la prestataire voulant que son employeur aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation pour elle. La division générale n’a pas abordé directement cette question, mais cela n’aurait rien changé à l’issue de l’affaire.

[43] Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’affaire MishibinijimaNote de bas de page 11 c Canada (Procureur général), la question de savoir si l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation pour le prestataire n’était pas pertinente pour évaluer l’inconduite.

La division générale a‑t-elle oublié de vérifier si l’employeur avait congédié la prestataire de façon injustifiée?

[44] La prestataire laisse entendre que la division générale aurait dû vérifier si son congédiement était injustifié. Elle dit que si la division générale avait examiné cette question, elle aurait admis qu’elle a été congédiée de façon injustifiée et qu’elle a droit aux prestations d’assurance-emploi ainsi qu’à une indemnité de départ.

[45] Les cours ont toujours affirmé que, dans le contexte du régime d’assurance-emploi, la question du congédiement injustifié n’est pas pertinente. Le rôle de la division générale est restreint. Elle doit se pencher avant tout sur la question de savoir si l’acte reproché ou l’omission reprochée constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[46] Le personnel a d’autres voies de recours pour contester un congédiement injustifié.

Conclusion

[47] L’appel est rejeté. La division générale n’a fait aucune erreur qui pourrait correspondre aux moyens d’appel permis.

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