Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

L’intimée travaillait comme commis à l’inscription des patients pour X, un réseau d’hôpitaux dans l’est de l’Ontario. Le 29 octobre 2021, X a placé l’intimée en congé sans solde après qu’elle a refusé de confirmer qu’elle avait été vaccinée contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a refusé de verser des prestations d’assurance-emploi à l’intimée parce qu’elle a conclu que le refus de respecter la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

L’intimée a fait appel de la décision de la Commission à la division générale. Celle-ci a accueilli l’appel. La division générale a conclu que l’intimée n’avait pas commis d’inconduite. Elle a conclu que l’intimée n’avait pas manqué à une obligation expresse ou implicite découlant de son contrat de travail. La convention collective de l’intimée lui donnait le droit de refuser la vaccination. Selon la division générale, les droits constitutionnels de l’intimée avaient été violés. La Commission a fait appel de cette décision à la division d’appel. La division d’appel a conclu que la division générale avait commis deux erreurs connexes. Premièrement, elle avait mal interprété le sens d’inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. Deuxièmement, elle avait outrepassé ses pouvoirs en décidant du bien-fondé d’un grief entre un employeur et une employée.

Selon la loi, l’inconduite se résume à deux éléments : 1) une employée a délibérément enfreint la politique de son employeur; 2) l’employée savait que la violation pouvait entraîner une suspension ou un congédiement. La division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’en dépit du fait que ces deux éléments avaient été prouvés, une employée pouvait tout de même ne pas être coupable d’inconduite si la politique de l’employeur était illégale ou incompatible avec les conditions de son contrat de travail. Il y a inconduite lorsqu’une personne manque intentionnellement à une obligation expresse ou implicite et qu’elle est congédiée pour cette raison. La division générale a mis l’accent sur la conduite de l’employeur au lieu de celle de l’employée lorsqu’elle a décidé que l’employeur avait imposé unilatéralement une « nouvelle condition essentielle à l’emploi ». Il s’agit d’une erreur de droit. Le rôle de la division générale n’est pas de décider si la politique de l’employeur est équitable ou légale. Elle doit plutôt décider si les actions de l’employée répondaient aux critères essentiels d’inconduite prévus par la Loi sur l’assurance-emploi. Le Tribunal n’est pas l’endroit pour décider si l’employeur a congédié l’intimée à tort ou s’il a violé ses droits de la personne. Ce sont des questions qui relèvent d’une autre instance.

Comme la loi restreint l’évaluation de l’inconduite à quelques questions précises, la division générale n’avait pas le pouvoir de décider si la politique de vaccination de l’employeur était raisonnable ou équitable. Elle ne pouvait pas non plus décider si la politique contrevenait au contrat de travail de l’intimée ou violait ses droits de la personne. La division générale n’avait pas non plus le pouvoir de décider si l’employeur aurait dû offrir à l’intimée une exemption médicale ou religieuse ni s’il aurait dû lui offrir d’autres mesures d’adaptation vu sa réticence à se faire vacciner.

La division d’appel a accueilli l’appel et rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Elle a conclu que l’intimée avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. L’intimée connaissait la politique de son employeur. Elle a intentionnellement enfreint la politique en refusant de divulguer son statut de vaccination dans les délais prescrits par son employeur. Elle savait ou aurait dû savoir que le refus de se faire vacciner dans les délais prescrits pouvait entraîner une suspension et un congédiement.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c AL, 2023 TSS 1423

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Dani Grandmaître
Partie intimée : A. L.
Représentante ou représentant : Philip Cornish

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 14 décembre 2022
(GE-22-1889)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 17 mai 2023
Numéro de dossier : AD-23-13

Sur cette page

Décision

[1] La prestataire me demande de me récuser (retirer) de l’audience de l’appel.

[2] Je rejette la demande de la prestataire. Elle n’a pas prouvé qu’il y a une crainte raisonnable de partialité.

Aperçu

[3] La prestataire a été suspendue et congédiée de son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. Celui-ci ne lui a pas accordé d’exemption. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[4] La Commission a établi que la prestataire avait été suspendue et congédiée de son emploi en raison d’une inconduite, de sorte qu’elle n’a pas été en mesure de lui verser des prestations. Après une révision défavorable à son égard, la prestataire a fait appel à la division générale.

[5] Le 14 décembre 2022, la division générale a conclu que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[6] Le 2 février 2023, j’ai accordé à la Commission la permission de faire appel sans motifs. Le 7 février 2023, la prestataire a demandé dans les 10 jours que je lui fournisse des motifs écrits à l’appui de ma décision d’accorder la permission de faire appel. Le 9 février 2023, j’ai fourni les motifs à l’appui de ma décision.

[7] La prestataire a également demandé que je me récuse de l’audience de l’appel. Le 10 février 2023, j’ai demandé aux parties de présenter des observations écrites sur cette question avant de rendre ma décision. Les parties ont déposé leurs observations dans le délai convenu.

[8] Le 13 mars 2023, j’ai rendu une décision dans laquelle j’ai rejeté la demande initiale de la prestataire que je me récuse de l’audience.

[9] Lors de la conférence préparatoire que j’ai présidée le 3 avril 2023, la prestataire a répété de vive voix qu’elle souhaitait que je me récuse de l’audience de l’appel.J’ai rejeté sa demande et j’ai fait référence à la décision que j’ai rendue le 13 mars 2023.

[10] Le 12 avril 2023, la prestataire a présenté une autre demande pour que je me récuse de l’audience. Je rejette sa demande. Elle n’a pas prouvé qu’il y a une crainte raisonnable de partialité.

Question en litige

[11] La prestataire a-t-elle prouvé qu’il existe une crainte raisonnable de partialité?

Analyse

Qu’est-ce qu’une « crainte raisonnable de partialité »?

[12] Les membres du Tribunal sont présumés impartiaux. Il y a un critère rigoureux pour prouver qu’une ou un membre du Tribunal manque de partialité pour trancher un appelNote de bas page 1. Cependant, si une personne peut prouver qu’il existe une crainte raisonnable de partialité, alors la ou le membre du Tribunal doit se récuser de l’audience.

[13] Je vais utiliser le critère décrit par la Cour suprême du Canada pour rendre ma décision. Le critère juridique est le suivant :

« […] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?Note de bas page 2 »

[14] La prestataire soutient qu’il est nécessaire de réviser mes décisions antérieures concernant sa demande de récusation en fonction des nouveaux renseignements découlant des décisions que j’ai rendues en matière de permission de faire appel.

Décisions relatives à une permission de faire appel que j’ai rendues

[15] La prestataire soutient que deux décisions relatives à une permission de faire appel que j’ai rendues la portent à croire que je ne serais pas impartial ou que je préjugerais de son affaireNote de bas page 3.

[16] Dans une décision, j’ai refusé à la demanderesse la permission de faire appel parce que l’affaire du prestataire ne s’appliquait pas à son affaire étant donné qu’elle savait clairement qu’elle serait congédiée si elle n’était pas entièrement vaccinée ou si elle refusait de suivre les règles de dépistage. J’ai également mentionné dans une note de bas de page que la décision de la division générale rendue dans le cas de la prestataire était contraire à la jurisprudence de la division d’appel et que la Commission avait fait une demande de permission de faire appel à la division d’appel.

[17] Dans l’autre décision, j’ai refusé la permission de faire appel et j’ai mentionné que l’affaire du prestataire n’aidait pas la demanderesse parce que les faits étaient différents. Même si la demanderesse était régie par une convention collective, celle-ci ne contenait aucune clause lui permettant de refuser toute vaccination.

[18] Comme je l’ai mentionné dans ma première décision sur la récusation, la division d’appel traite un grand nombre de dossiers liés à la question de l’inconduite et des politiques de vaccination. À ce jour, elle a rendu très peu de décisions en faveur des prestataires sur cette question. Contrairement aux observations de la prestataire, de nombreuses décisions sur cette question ont également été rendues par d’autres membres de la division d’appel.

[19] J’aborde tout de même chaque affaire avec un esprit ouvert, sans suppositions inappropriées ou injustifiées.

[20] Comme je l’ai mentionné dans ma première décision sur la récusation, j’ai en fait accordé la permission de faire appel aux prestataires qui soulèvent les mêmes arguments que la prestataire a soulevés avec succès devant la division générale (une clause de convention collective qui permet de refuser toute vaccination). Je n’ai pas encore tranché ces appels.

[21] La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il est difficile de faire avancer l’affirmation selon laquelle les juges ou les tribunaux se déclareraient partiaux simplement parce qu’on leur demande de réexaminer ou de trancher à nouveau une question sur laquelle ils ont déjà exprimé leur opinionNote de bas page 4. Il faut qu’il y ait quelque chose de beaucoup plus fondamental pour justifier une récusationNote de bas page 5.

[22] Autrement dit, le simple fait qu’un juge (ou un membre) ait été impliqué dans une décision antérieure sur une question semblable ne donne pas lieu, en soi, à une crainte raisonnable de partialité. Partir de l’hypothèse qu’une décision antérieure sur la même question constitue un fondement de partialité aurait de graves répercussions sur l’administration de la justice.

[23] Si je suivais les arguments de la prestataire, tout juge (ou membre) qui a rendu une décision antérieure sur une question contraire à la position d’une partie serait considéré comme étant partial et ayant préjugé d’une affaire. Les membres des tribunaux administratifs qui instruisent des affaires semblables chaque jour devraient se récuser après avoir exprimé leur opinion sur d’autres affaires. Il serait également impossible pour les cours d’appel de renvoyer une affaire à un juge qui aurait rendu une décision antérieure et des conclusions défavorables à l’encontre d’une partie.

[24] Il ressort clairement des observations de la prestataire qu’elle n’est pas d’accord avec mes décisions antérieures concernant les politiques de vaccination et mon interprétation de la jurisprudence de la division d’appel et de la Cour fédérale concernant la question de l’inconduite. En soi, cela ne constitue pas un motif d’exclusion. La prestataire n’a pas prouvé que je ne peux pas examiner équitablement les faits nouveaux et les arguments de droit.

[25] Je ne peux pas conclure que cela prouve qu’il y a une crainte raisonnable de partialité.

Les arguments de la prestataire, considérés dans leur ensemble

[26] À quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? Croirait-elle qu’il est plus probable qu’improbable que je ne rendrais pas une décision équitable, que ce soit conscient ou non?

[27] Je tiens à répéter qu’une allégation de partialité est une allégation grave. Elle remet en question l’intégrité du Tribunal et de ses membres. Une telle allégation ne peut pas être faite à la légère. Elle ne peut pas non plus reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressions d’une partie prestataire ou de son avocate ou avocat.

[28] Je ne suis pas convaincu que la prestataire a démontré qu’il existe une crainte raisonnable de partialité.

[29] La prestataire n’a pas démontré que mes paroles ou mes actions amèneraient une personne raisonnable, informée des circonstances du présent appel, à conclure que je ne rendrais pas une décision juste, que cela soit conscient ou non de ma part.

[30] Par conséquent, je rejette la demande de la prestataire voulant que je me récuse de l’audience.

Conclusion

[31] Je rejette la demande de la prestataire voulant que je me récuse de l’audience. Elle n’a pas prouvé qu’il existe une crainte raisonnable de partialité.

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