Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1142

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (559195) datée du 3 janvier 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Gary Conrad
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 23 mai 2023
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 1er juin 2023
Numéro de dossier : GE-23-404

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il n’avait pas une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand il l’a fait. L’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi parce que le départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant a quitté son emploi et il a demandé des prestations d’assurance-emploi.

[4] Il dit avoir démissionné parce que son employeur refusait de lui payer les heures supplémentaires et la commission qu’il lui devait. Il dit avoir essayé pendant des mois de se faire payer ses heures supplémentaires et sa commission par son employeur. Mais celui-ci lui aurait fait une offre finale, qui était inférieure de plusieurs dizaines de milliers de dollars au montant qu’il lui était dû, selon lui.

[5] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que l’appelant n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi parce que quitter son emploi n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, elle ne pouvait pas lui verser de prestations.

[6] La Commission affirme que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables : il aurait pu continuer à travailler tout en cherchant un autre emploi stable; il aurait pu continuer à travailler pendant qu’il essayait de régler le problème avec son employeur; et il aurait pu communiquer avec les autorités compétentes en matière de normes du travail.

[7] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

Question en litige

[8] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[9] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelant. Ensuite, je dois décider s’il était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties sont d’accord sur le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi

[10] J’accepte le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi. L’appelant reconnaît qu’il a pris la décision de démissionner. Je ne vois aucune preuve du contraire.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi

[11] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.

[12] La loi prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[13] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable au moment où elle l’a fait.

[14] L’appelant est responsable de prouver que son départ était fondé. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 2.

[15] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi. La loi énonce des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 3.

[16] Une fois que j’aurai déterminé les circonstances qui s’appliquent à l’appelant, celui-ci devra démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 4.

Les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi

[17] L’appelant affirme que deux des circonstances énoncées dans la loi s’appliquent à son cas. Plus précisément, il affirme que des modifications importantes ont été apportées aux conditions de son salaireNote de bas de page 5 et que son employeur a refusé de lui payer les heures supplémentaires qu’il a faitesNote de bas de page 6.

Modifications importantes aux conditions de son salaire

[18] L’appelant affirme que, selon son contrat de travail, il reçoit 5 % des profits provenant des projets qu’il réalise et que ce pourcentage doit lui être versé tous les trimestres sous forme de prime. Il dit que son employeur ne lui a jamais versé cette prime.

[19] L’appelant travaille comme gestionnaire de projet pour une entreprise de services de restauration. Par exemple, si un égout refoule chez une personne à 2 h du matin, il est le premier à se rendre sur place pour évaluer les dégâts et faire venir l’équipe nécessaire pour commencer les réparations.

[20] Il évalue tout le travail qui doit être fait et détermine le coût total des travaux. Il remet la facture à la personne qui possède la propriété, qui l’approuve et la signe ensuite. Puis, l’appelant la soumet à la compagnie d’assurance pour qu’elle puisse l’approuver.

[21] L’appelant explique que la facture finale qui est remise comprend tous les coûts. Son employeur peut donc savoir combien d’argent il recevra pour chacun des travaux effectués, de sorte que sa prime peut être calculée à ce moment-là.

[22] L’appelant affirme qu’il est déraisonnable que son employeur veuille attendre que la facture finale soit payée par la compagnie d’assurance et que le projet soit terminé avant de calculer sa prime, car il peut s’écouler un an ou plus avant que tout soit payé.

[23] Il dit qu’il devrait plutôt être payé en fonction de la facture finale et de la marge de profit estimée, et que si le profit réel du projet est en fin de compte inférieur à celui qu'il avait estimé, des ajustements pouvaient être apportés à sa prime plus tard.

[24] Selon ses estimations, l’appelant affirme que son employeur lui doit des commissions non payées s’élevant à des dizaines de milliers de dollarsNote de bas de page 7.

[25] Il dit qu’il a tenté de discuter de sa prime avec son employeur à de nombreuses reprises, mais que celui-ci a continué d’éviter le sujet. L’appelant affirme qu’à un moment donné, on lui a dit que sa prime serait de 8 124,84 $, mais qu’on lui a offert par la suite un montant final de 264,54 $. Il affirme que ce montant n’est même pas près de celui qui lui est dû.

[26] La Commission soutient qu’aucun changement n’a été apporté au salaire de l’appelant puisque son employeur respectait le contrat de travail.

[27] Selon la Commission, le contrat de travail prévoit que, chaque trimestre, l’appelant reçoit 5 % des profits provenant des projets qu’il réalise. Le contrat ne dit pas qu’il reçoit un pourcentage des profits qu’il a lui-même estimés, ce que l’appelant demandait.

[28] Je conclus qu’il n’y a pas eu de changement aux conditions de salaire de l’appelant.

[29] Le contrat de travail de l’appelant précise que son salaire annuel est de 85 000 $Note de bas de page 8. Il confirme qu’il a reçu ce salaire sans problèmeNote de bas de page 9. Par conséquent, je conclus qu’aucun changement n’a été apporté à son salaire de base.

[30] J’estime que l’employeur n’a pas modifié le montant offert à l’appelant à titre de prime. Son employeur ne lui a jamais offert une prime de 8 124,84 $, comme l’appelant le laisse entendre.

[31] Pour appuyer ses allégations selon lesquelles il s’est vu offrir une prime de 8 124,84 $, l’appelant a montré un message texte qu’il a reçu. Dans ce message texte, l’employeur dit en fait qu’ils ont réalisé quatre projets rémunérés au deuxième trimestre pour un total de 8 124,84 $, mais que les coûts n’avaient toujours pas été soustraits de ce montant. L’employeur n’a jamais dit qu’il s’agissait du montant de sa primeNote de bas de page 10.

[32] De plus, j’estime que l’employeur n’a pas refusé de lui verser la prime de 5 %. Il ne lui offrait simplement pas le montant auquel l’appelant pensait avoir droit.

[33] L’appelant a peut-être supposé qu’il recevrait 5 % des profits qu’il estimait que chaque projet lui rapporterait. Mais ce n’est pas ce que son contrat de travail dit. En fait, il n’y a presque rien dans le contrat de travail qui explique la façon dont la prime de 5 % est calculée.

[34] Cependant, le contrat de travail dit que l’appelant reçoit 5 % des profits des projets réalisés sous forme de prime. Le contrat ne dit pas qu’il reçoit 5 % des profits estimés ou projetésNote de bas de page 11.

[35] Je constate que l’appelant a même déclaré que la marge de profit qu’il a utilisée pour estimer le montant de la prime auquel il pensait avoir droit était une moyenne qu’il a choisie. L’appelant explique que certains emplois ont des marges de profits plus élevées et d’autres, moins élevéesNote de bas de page 12.

[36] À mon avis, cela montre que le montant de la prime auquel l’appelant pense avoir droit découle simplement de son opinion du profit que le projet rapportera. Il ne reflète pas le réel profit du projet, d'autant plus que l’appelant a établi lui-même la marge de profit. Ainsi, le fait que son employeur ne soit pas d’accord avec les estimations de l’appelant quant au montant des profits que les projets rapportent et qu’il refuse de déterminer sa prime en fonction de ces estimations ne constitue pas un changement important à ses conditions de salaire.

[37] Je suis également d’avis que le fait que sa prime était en retard, puisqu’elle n’a pas été versée à la fin du mois de juin 2022, soit à la fin d’un trimestre, n’a pas entraîné de changement important à son salaire. Son employeur lui offrait encore la prime. Il l’aurait donc tout de même reçue, comme le précisait son contrat.

Heures supplémentaires non rémunérées

[38] L’appelant affirme que son employeur lui doit des milliers de dollars en heures supplémentaires non rémunéréesNote de bas de page 13 parce que, selon les normes d’emploi de sa province, le personnel salarié doit être rémunéré pour des heures supplémentaires.

[39] L’appelant affirme que, même s’il était autorisé à quitter le travail environ quatre heures plus tôt un vendredi sur deux, cela était loin d’être suffisant pour compenser toutes les heures supplémentaires qu’il avait faites. Il ajoute qu’en aucun cas cela ne fait en sorte que son employeur n’a pas à le payer pour des heures supplémentaires.

[40] La Commission affirme que l’appelant a travaillé des heures additionnelles sur appel pour percevoir plus de commissions ou gagner plus d’argent, et pour aider l’entreprise à atteindre ses objectifs. En échange, il avait une certaine flexibilité en ce qui concerne sa présence au travail. La Commission ajoute qu’il n’a pas effectué un nombre d’heures supplémentaires excessif.

[41] Je remarque que la plainte de l’appelant ne repose pas sur un nombre d’heures supplémentaires trop élevé, mais plutôt sur le fait qu’il n’a pas été payé pour toutes les heures supplémentaires qu’il a faites.

[42] Je souligne également que, même si l’appelant a déclaré qu’il a droit aux heures supplémentaires conformément à l’Employment Standard Code [code des normes du travail] de sa province, il ne s’agit pas de la question que je dois trancher. Je dois décider si son employeur a refusé de lui payer des heures supplémentairesNote de bas de page 14, et non s’il doit lui payer des heures supplémentaires ou le nombre d’heures supplémentaires qu’il doit lui payer.

[43] Je considère que l’appelant n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que son employeur a refusé de lui payer des heures supplémentaires.

[44] Je note que l’employeur a dit à la Commission à un moment donné qu’il envisageait de verser une prime à l’appelant pour les heures supplémentaires. Il a ensuite déclaré que, selon les normes du travail, il n’était pas tenu de le dédommager pour les heures supplémentaires, mais qu’il était prêt à lui payer les heures additionnelles qu’il avait travaillées pour des projetsNote de bas de page 15. À mon avis, cela démontre que son employeur n’a pas refusé de lui payer des heures supplémentaires. En effet, la question de savoir si l’appelant allait être payé pour ses heures supplémentaires n’était pas réglée et les discussions étaient toujours en cours.

[45] De plus, l’appelant a déclaré que son employeur lui avait offert un montant final lors de la rencontre du mois d’août, soit à la rencontre au cours de laquelle il a démissionné. J’estime que cela démontre que son employeur n’avait pas refusé de lui payer des heures supplémentaires. L’employeur lui avait simplement offert un montant moins élevé que celui auquel il pensait avoir droit.

[46] Toutefois, même si son employeur avait catégoriquement refusé de lui payer des heures supplémentaires, l’appelant aurait quand même eu d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi, comme je l’explique ci-dessous.

Solutions raisonnables

[47] J’estime que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi : il aurait pu continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi; il aurait aussi pu continuer à travailler et communiquer avec les autorités compétentes en matière de normes du travail s’il croyait que son employeur devait lui payer des heures supplémentaires, mais qu’il ne les payerait pas, ou s’il estimait que les conditions de son contrat de travail n’étaient pas respectées.

[48] J’estime qu’il aurait été raisonnable pour l’appelant de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il ait trouvé un autre emploi, malgré les différends au sujet des primes et des heures supplémentaires, pour les raisons suivantes :

[49] L’appelant a déclaré qu’il a postulé à des emplois avant de démissionner et qu’il a même passé une entrevue la semaine où il a quitté son emploi. Il dit que cette entrevue était l’une des raisons pour lesquelles il a démissionné : il croyait que l’entrevue s’était très bien passée et il pensait obtenir un emploi très rapidement après son départ.

[50] En fin de compte, il n’a pas immédiatement obtenu un emploi. Il a passé une autre entrevue et il a dû franchir de nombreux obstacles, mais il a fini par être embauché. Cela montre qu’il aurait été raisonnable pour l’appelant d’obtenir un autre emploi avant de démissionner.

[51] De plus, il pouvait toujours déposer une plainte auprès de son employeur ou des autorités compétentes en matière de normes du travail afin de se faire payer pour toute prime ou les heures supplémentaires qui, selon lui, devaient lui être payées. Il pouvait déposer sa plainte tout en continuant de travailler, donc avant de démissionner et d’obtenir un autre emploi.

[52] J’estime que l’appelant avait une autre solution raisonnable que de quitter son emploi s’il estimait que son employeur n’avait pas respecté son contrat de travail ni le droit du travail concernant les heures supplémentaires. Il aurait pu communiquer avec des autorités compétentes, comme les autorités en matière de normes d’emploi, pour obtenir des clarifications sur ces questions ou pour déposer une plainte.

[53] Il s’agit d’une solution raisonnable, car l’appelant et son employeur n’étaient pas d’accord sur la façon dont les primes devaient être calculées au titre du contrat de travail et sur la question de savoir si l’appelant devait se faire payer des heures supplémentaires. L’employeur et l’appelant ont chacun supposé que les choses devraient fonctionner d’une certaine façon. C’est là que les autorités en matière de norme du travail auraient pu intervenir pour donner une réponse définitive à ces questions, que ce soit en les conseillant ou en examinant une plainte. L’appelant aurait alors su si la façon dont son employeur traitait ses heures supplémentaires et appliquait le contrat de travail était réellement incorrecte. Il aurait donc pu simplement éviter de supposer que son employeur faisait quelque chose de mal et de démissionner.

[54] Compte tenu de toutes les circonstances qui existaient quand l’appelant a quitté son emploi, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Cela signifie qu’il n’était pas fondé à quitter son emploi et qu’il est donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Conclusion

[55] L’appel est rejeté.

[56] Je conclus que l’appelant n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations.

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