Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1103

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (540592) datée du 7 octobre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience  : Le 5 avril 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 17 mai 2023
Numéro de dossier : GE-22-3621

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel de J. B (l’appelant).

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé qu’il a été suspendu de son emploi pour une raison que la Loi sur l’assurance-emploi considère comme une inconduite (c’est-à-dire parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension)Note de bas page 1.

[3] Par conséquent, il ne peut pas recevoir de prestations régulières d’assurance‑emploi pendant sa suspensionNote de bas page 2.

[4] La Commission a donc pris la bonne décision.

Aperçu

[5] L’appelant a été suspendu de son emploi en mars 2022. Il travaillait pour le gouvernement du Canada (l’employeur) en tant qu’inspecteur des aliments.

[6] Son employeur affirme l’avoir mis en congé administratif sans solde parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19.

[7] L’appelant ne conteste pas ce fait.

[8] La Commission a accepté la raison de la suspension que l’employeur a fournie. Elle a estimé que l’appelant a été suspendu de son emploi pour une raison que la Loi sur l’assurance-emploi considère comme une inconduite. Elle ne lui a donc pas versé de prestations pendant sa suspension (du 18 avril 2022 au 17 juin 2022)Note de bas page 3.

[9] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu inconduite. Il dit que sa décision de ne pas se faire vacciner n’était pas volontaire ou délibérée. Il soutient que son employeur lui a dit qu’il pouvait faire appel du rejet de sa demande d’exemption religieuse. C’est ce qu’il a fait, mais son employeur ne lui a jamais répondu. Par conséquent, son refus de suivre la politique de vaccination de son employeur n’est pas délibéré.

[10] Je dois décider pour quelle raison l’appelant a été suspendu et si cette raison est constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

Documents envoyés au Tribunal après l’audience

[11] Lors de l’audience, l’appelant a déclaré qu’il avait d’autres documents qui étaient importants pour son appel. Il me les a décrits brièvement.

[12] J’ai dit à l’appelant qu’il pouvait se référer aux documents pendant l’audience et les envoyer au Tribunal après. Je lui ai donné une date limite pour qu’il les envoie.

[13] L’appelant a fait parvenir au Tribunal les documents suivantsNote de bas page 4 :

  1. a) une lettre que l’employeur lui a remise pendant la pandémie de COVID-19 (datée du 7 avril 2020) pour l’aider à avoir accès aux endroits où il devait faire des inspections;
  2. b) un courriel de l’équipe de vaccination du Centre d’excellence de l’employeur (daté du 21 décembre 2021) l’informant que les décisions sur les demandes de mesures d’adaptation ne seraient probablement pas rendues avant la nouvelle année civile;
  3. c) deux courriels (datés du 24 février 2022) que son superviseur lui a envoyés l’informant de ce que l’équipe de vaccination du centre d’excellence avait dit au sujet des options dont il disposait pour répondre au rejet de sa demande d’exemption religieuse;
  4. d) la lettre que son employeur lui a envoyée (datée du 16 mars 2022) pour le mettre en congé administratif sans solde à compter du 18 mars 2022.

[14] Le Tribunal a envoyé les documents à la Commission avec un délai pour y répondre.

[15] J’accepte les documents b, c et d en preuve pour trois raisons :

  • J’ai dit à l’appelant qu’il pouvait envoyer des documents après l’audience.
  • Ces documents sont pertinents par rapport à une question de droit que je dois trancher, à savoir si sa conduite était une inconduite.
  • Ce n’est pas injuste envers la Commission parce que je lui ai donné la possibilité de répondre.

Je vais donc examiner les documents b, c et d lorsque je rendrai ma décision.

Question en litige

[16] L’appelant a-t-il été suspendu de son emploi pour une raison que la Loi sur l’assurance-emploi considère comme une inconduite?

Analyse

[17] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendue.

[18] Je dois examiner deux choses :

  • la raison de la suspension de l’appelant;
  • si la Loi sur l’assurance-emploi considère cette raison comme une inconduite.

La raison de la suspension de l’appelant

[19] Je conclus que l’employeur a suspendu l’appelant parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination.

[20] L’appelant et la Commission sont d’accord sur ce pointNote de bas page 5. Et il n’y a aucun élément de preuve qui contredit cela.

Cette raison est une inconduite au sens de la loi

[21] Le refus de l’appelant de respecter la politique de vaccination de son employeur constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Voici les raisons pour lesquelles je suis arrivé à cette conclusion.

Ce qu’est une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi

[22] La Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Les décisions des tribunaux définissent le critère juridique de l’inconduite. Ce critère m’indique les types de faits et les questions juridiques que je dois prendre en considération au moment de rendre ma décision.

[23] La Commission doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, et non pour une autre raisonNote de bas page 6.

[24] Je dois me pencher sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 7. Je ne peux pas examiner si la politique de l’employeur est raisonnable ou si la suspension était une pénalité raisonnableNote de bas page 8.

[25] Il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que je conclus que sa conduite constitue une inconduiteNote de bas page 9. Pour être considérée comme une inconduite, sa conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 10. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 11.

[26] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit suspendu pour cette raisonNote de bas page 12.

[27] La récente décision Cecchetto de la Cour fédérale dit ce qui suit en ce qui concerne les affaires où il est question d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi liée au vaccin contre la COVID-19Note de bas page 13 :

  • Le Tribunal a un rôle important, mais restreint et précis, qui consiste à établir pourquoi une partie appelante a été congédiée et si cette raison est une inconduite.
  • Le Tribunal ne peut pas prendre en considération ou trancher des questions juridiques, éthiques et factuelles fondamentales concernant les vaccins contre la COVID-19 et les obligations liées à la COVID-19 mises en place par les gouvernements et les employeurs.
  • Le Tribunal ne peut pas évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité des directives et des politiques gouvernementales visant à lutter contre la pandémie de COVID-19 ni rendre de décision à ce sujet. Il existe d’autres moyens pour les parties appelantes de contester ces directives et politiques.
  • Le Tribunal n’a pas à examiner et à trancher des arguments et des questions qui ne relèvent pas de son rôle restreint et précis, et les tribunaux n’interviendront pas dans ses décisions s’il ne le fait pas.

Ce que disent la Commission et l’appelant

[28] La Commission affirme que la politique de vaccination de l’employeur était une condition d’emploiNote de bas page 14. Au 3 mars 2022, l’appelant savait qu’il devait se conformer à la politique (attester qu’il était entièrement vacciné) avant la date limite du 16 mars 2022 ou qu’il serait suspendu. Il a demandé une exemption religieuse, mais son employeur a rejeté sa demande, et l’en a informéNote de bas page 15. L’appelant n’a pas attesté avoir été vacciné avant la date limite. Il s’agissait d’un choix personnel intentionnel.

[29] La Commission affirme que l’appelant a admis qu’il savait qu’il pouvait être suspendu s’il ne respectait pas la politique de vaccination. Voici la partie essentielle des notes de la Commission concernant son appel téléphonique avec l’appelant [je souligne] :

[traduction]

À ce moment-là, avez-vous été informé des conséquences si vous continuiez à ne pas vous conformer à la politique et de la nouvelle date limite du 3 mars 2022 pour la signature de l’attestation? Le client a reconnu qu’il avait jusqu’au 3 mars pour signer l’attestation et que la lettre indiquait également que s’il ne s’était toujours pas conformé à la politique au plus tard le 17 mars 2022, il serait mis en congé administratif jusqu’à ce qu’il s’y conforme ou que la politique soit annulée. Avez-vous reçu la dernière lettre vous informant que votre congé commencerait le 18 mars ou le 16 mars? Le client a déclaré que c’est après le 17 mars – le 28 mars – qu’il a présenté à nouveau sa demande d’exemption religieuse et qu’il était déjà en congé à ce moment-là. Le client déclare que sa nouvelle demande n’a toujours pas été traitéeNote de bas page 16.

[30] La Commission affirme donc que la conduite de l’appelant constitue une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[31] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu inconduite. Il a déclaré ce qui suit à l’audience :

  • bien que son employeur ait rejeté sa demande d’exemption religieuse, son superviseur lui a dit qu’il pouvait la présenter à nouveau;
  • il l’a fait, mais son employeur ne lui a jamais répondu;
  • il n’a pas pu décider s’il allait se faire vacciner parce qu’il attendait toujours de savoir si son employeur approuverait sa demande d’exemption religieuse.

[32] L’appelant a donc fait valoir que sa décision de ne pas suivre la politique de vaccination de son employeur n’était pas délibérée. Il s’est exprimé ainsi à l’audience : comment pourrait-il s’agir d’une décision délibérée alors qu’il n’avait pas reçu de réponse à son appel? Sans cette réponse, il ne pouvait pas décider s’il devait ou non se faire vacciner. Il devait connaître l’issue de son appel parce qu’on lui demandait de faire quelque chose qu’il estimait illégal et contraire à ses croyances religieuses. Il a déclaré qu’il était dans l’incertitude, attendant une réponse pour prendre une décision.

[33] J’ai demandé à l’appelant s’il savait qu’il pouvait être suspendu. Il a répondu qu’il le savait. Il a dit qu’il était au courant de la politique de vaccination et de la possibilité qu’il soit suspendu à l’automne 2021. Le personnel avait reçu une lettre vers Noël 2021. Cependant, il attendait la décision de son employeur concernant sa demande d’exemption religieuse.

[34] Enfin, il a déclaré que la demande de son employeur de se faire vacciner et d’attester qu’il était vacciné était illégale et équivalait à de l’extorsion et de l’intimidation. Il se sentait visé personnellement et non en tant qu’employé.

Mes conclusions et ma décision

[35] La Commission et l’appelant sont d’accord sur les principaux faits et éléments de preuve dans cette affaire, sauf un, que j’examinerai au paragraphe suivant. J’accepte donc la preuve de la Commission et celle de l’appelant : il connaissait la politique, il savait ce qu’elle exigeait de lui (se faire vacciner et attester qu’il était vacciné), il connaissait la date limite pour le faire, il n’a pas respecté la date limite et son employeur l’a suspendu en conséquence.

[36] La Commission affirme que l’appelant savait qu’il était possible que son employeur le suspende s’il ne respectait pas sa politique de vaccination. Son refus de suivre la politique de vaccination était donc un choix personnel intentionnel. L’appelant n’est pas d’accord. Il dit que sa conduite n’était pas délibérée parce qu’il attendait que son employeur se prononce sur son appel au sujet de sa demande d’exemption religieuse.

[37] Je préfère la preuve de la Commission à celle de l’appelant à ce sujet. Et je conclus que son refus de suivre la politique de vaccination de son employeur était délibéré.

[38] La preuve de la Commission montre que l’appelant a fait appel du rejet de sa demande d’exemption religieuse après avoir été suspendu. Je n’ai aucune raison de douter des notes concernant ce que l’employeur a dit à la Commission. L’appelant n’a pas contredit ce que son employeur a dit à la Commission à ce sujet. Et il n’y a pas d’autres éléments de preuve qui vont à l’encontre de cela.

[39] Je conclus donc que l’appelant savait qu’il serait suspendu s’il ne respectait pas la politique de vaccination de son employeur dans les délais prescrits. Il a décidé de ne pas s’y conformer. Et son employeur l’a suspendu pour cette raison.

[40] Je rejette également l’argument de l’appelant selon lequel sa conduite n’était pas délibérée pour une autre raison. Les tribunaux fédéraux ont dit que je ne dois pas me concentrer sur la conduite de son employeurNote de bas page 17. Le fait que son employeur n’ait pas répondu à son appel concernant le rejet de sa demande d’exemption religieuse ne l’a pas amené à faire quelque chose qui a conduit à sa suspension. Lorsque l’employeur a suspendu l’appelant, celui-ci n’avait pas encore déposé son appel. Cela m’indique que c’est sa conduite, et non celle de son employeur, qui est à l’origine de sa suspension.

[41] Je conclus donc que la Commission a démontré qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de son employeur. Autrement dit, sa conduite était délibérée.

[42] Selon la décision Cecchetto, je n’ai pas à prendre en considération les arguments de l’appelant selon lesquels sa conduite n’était pas une inconduite pour les raisons suivantes :

  • sa foi ne lui permet pas de se faire vacciner et son employeur a eu tort de rejeter sa demande d’exemption religieuse;
  • ce que son employeur lui demandait était illégal aux termes de sa convention collective et contraire à ses droits au titre de la Charte canadienne des droits et libertés, à ses droits donnés par Dieu ainsi qu’à la Loi sur la protection des renseignements personnels sur la santé de l’Ontario;
  • la vaccination forcée va à l’encontre du Rapport sur l'immunisation au Canada, 1996.

Conclusion

[43] La Commission a démontré que l’appelant a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de son employeur. La Commission a également démontré que son employeur l’a suspendu parce qu’il ne s’est pas conformé à sa politique de vaccination.

[44] Cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[45] Comme l’appelant a été suspendu en raison d’une inconduite, il ne peut pas recevoir de prestations régulières d’assurance-emploi pendant sa suspension (du 18 avril 2022 au 17 juin 2022).

[46] La Commission a donc pris la bonne décision.

[47] Je rejette l’appel de l’appelant.

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