Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1120

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (544572) datée du 25 novembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jillian Evans
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 23 mai 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Époux de l’appelante
Date de la décision : Le 29 mai 2023
Numéro de dossier : GE-23-123

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, S. M. est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante S. M. était aide en diététique dans un hôpital. Elle a été suspendue de son emploi sans solde le 23 mars 2022, puis congédiée le 7 avril 2022.

[4] En octobre 2021, son employeur a mis en place une politique qui exigeait que tous les membres du personnel se fassent vacciner contre la COVID-19Note de bas de page 2. Une date limite pour la vaccination a d’abord été fournie, mais l’employeur l’a repoussée à plusieurs reprises. En fin de compte, une date limite définitive a été fournie.

[5] Comme l’appelante n’a pas fourni de preuve d’avoir été vaccinée à cette date, son employeur l’a congédiée.

[6] La Commission a décidé que, comme S. M. a perdu son emploi parce qu’elle avait sciemment enfreint l’une des politiques de son employeur, elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a déclaré que l’appelante était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[7] L’appelante ne conteste pas le fait qu’elle n’a pas respecté la politique de son employeur sur la COVID-19. Elle reconnaît qu’elle a choisi de ne pas se faire vacciner et qu’elle savait que cela allait à l’encontre de la politique de son employeur.

[8] Elle convient également que c’est la raison pour laquelle elle a perdu son emploi.

[9] L’appelante n’est toutefois pas d’accord pour dire que le non-respect de la politique de son employeur constitue une inconduite. Elle dit avoir aidé son employeur pendant la pandémie et avoir accepté de travailler sur place alors que beaucoup d’autres membres du personnel refusaient de le faire. Elle faisait toujours bien son travail et n’avait jamais fait l’objet de plaintes.

[10] S. M. affirme également que l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19 ne faisait pas partie de son contrat de travail lorsqu’elle a commencé à travailler, de sorte que son refus de le faire ne peut constituer une inconduite.

[11] L’appelante affirme qu’elle a cotisé au programme d’assurance-emploi pour toute sa vie active et que sa décision de ne pas subir de procédures médicales expérimentales ne devrait pas l’empêcher de recevoir le soutien qu’elle mérite lorsqu’elle a perdu son emploi sans y être pour quoi que ce soit.

[12] Mon travail consiste à décider si les actions et les comportements de l’appelante répondent effectivement à la définition juridique d’inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

Question en litige

[13] Est-ce que S. M. a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[14] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 3.

[15] Pour décider si S. M. a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses :

  1. a) D’abord, je dois établir la raison du congédiement de l’appelante.
  2. b) Ensuite, je dois vérifier si la Loi sur l’assurance-emploi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle perdu son emploi?

[16] Je conclus que S. M. a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de son employeur sur la COVID-19.

[17] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’appelante et la Commission s’entendent sur le fait que c’est la raison de son congédiement. Il n’y a aucun différend entre eux.

[18] Dans sa demande de prestations, S. M. a dit qu’elle ne savait pas pourquoi elle avait été congédiéeNote de bas de page 4.

[19] Cependant, à l’audience, elle a déclaré avoir reçu une lettre de son employeur en février 2023 l’informant qu’elle serait congédiée si elle ne respectait pas la politique de vaccination de l’hôpital. Elle a également confirmé qu’elle avait reçu un certain nombre d’autres lettres auparavant, l’avisant qu’elle devait se conformer à la politique.

[20] S. M. a également confirmé à l’audience que lorsqu’elle a été suspendue sans solde le 23 mars 2023, elle a compris que c’était parce qu’elle n’avait toujours pas respecté la politique de l’hôpital qui exigeait qu’elle fournisse une preuve de vaccination.

[21] Elle a finalement été congédiée le 7 avril 2022 pour cette même raison.

[22] Cela concorde avec le dossier de la Commission, où plusieurs agentes et agents ont noté que S. M. leur avait dit qu’elle avait perdu son emploi parce qu’elle n’avait pas respecté la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 5. Il s’agit également de la raison que son employeur a donnée à la Commission pour l’avoir congédiéeNote de bas de page 6.

[23] Aucun élément de preuve ne me porte à croire que l’appelante a été congédiée pour une autre raison. Par conséquent, je conclus que la raison pour laquelle elle a été congédiée est qu’elle n’a pas reçu le vaccin contre la COVID-19 et qu’elle ne s’est donc pas conformée à la politique de son employeur sur la COVID-19.

La raison du congédiement de l’appelante est-elle une inconduite au sens de la loi?

[24] Le non-respect par l’appelante des exigences de son employeur en matière de vaccination contre la COVID-19 constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[25] La Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment établir si les actions de l’appelante constituent une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Cette loi et la jurisprudence énoncent le critère juridique de l’inconduite. Dans certaines circonstances, par exemple, le terme « inconduite » désigne la violation d’une règle d’emploi par un membre du personnel.

[26] Lorsque la Commission est d’avis qu’une personne qui demande des prestations a commis une inconduite, c’est à elle qu’incombe le fardeau de la preuve. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Dans le cas de S. M., cela signifie que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 7.

[27] Je dois me concentrer sur la raison pour laquelle S. M. a été congédiée et voir s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas rendre ma décision en me fondant sur d’autres lois.

[28] Je ne peux pas décider, par exemple, qu’une personne a été congédiée de façon déguisée ou injustifiée au titre du droit du travail : la Cour fédérale a clairement dit que le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si la politique de l’employeur était équitable ou si le congédiement d’une personne au titre de cette politique était justifié ou raisonnableNote de bas de page 8.

[29] De même, je n’ai pas le droit d’interpréter un contrat de travail ni de décider si la politique repose sur une base scientifique valableNote de bas de page 9. La Cour fédérale a déclaré que les travailleuses et les travailleurs ont d’autres voies de recours légales pour contester la conduite d’un employeur ou bien la justesse ou la légalité de ce que l’employeur a fait ou omis de faire.

[30] La compétence du Tribunal se limite à la Loi sur l’assurance-emploi. Je dois donc me concentrer sur le comportement et les gestes de l’employée et vérifier si ces comportements constituaient une inconduiteNote de bas de page 10.

[31] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 11. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable. La Commission n’a pas à démontrer que S. M. avait l’intention de faire quelque chose de dangereux ou de mal pour que je décide que sa conduite constitue une inconduiteNote de bas de page 12.

[32] La jurisprudence précise également qu’il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit suspendue ou congédiée pour cette raisonNote de bas de page 13.

La position de la Commission et de l’appelante dans la présente affaire

[33] L’appelante et la Commission s’entendent sur un certain nombre de faits. Très peu d’éléments de preuve concernant la politique, la date des événements et la raison du congédiement de S. M. sont contestés.

[34] J’ai examiné le dossier (y compris les déclarations écrites de l’appelante, le contenu du dossier de la Commission et la preuve que S. M. a présentée à son audience) et voici ce que je juge que la preuve montre :

  1. a) L’appelante a été embauchée par l’employeur en mai 2020.
  2. b) Le contrat de travail qu’elle a conclu à ce moment-là exigeait qu’elle reçoive une liste précise de vaccins, de tests médicaux et de vaccins de rappel (entre autres pour la rougeole, le tétanos, la rubéole et la tuberculose) avant de commencer à travaillerNote de bas de page 14.
  3. c) Son contrat de travail n’exigeait pas la vaccination contre la COVID-19 au moment de son embauche.
  4. d) S. M. a volontairement reçu tous les vaccins énumérés à ce moment-làNote de bas de page 15.
  5. e) En septembre ou en octobre 2021, l’hôpital a mis en place une nouvelle politique exigeant que tous les membres du personnel fournissent une preuve d’avoir reçu toutes les doses requises d’un vaccin contre la COVID-19Note de bas de page 16.
  6. f) S. M. a reçu une copie de cette politique. Elle n’a pas reçu la série de vaccins requise.
  7. g) S. M. a reçu un certain nombre de rappels et d’avertissements par écrit en novembre, en décembre et en janvier au sujet du fait qu’elle allait à l’encontre de la politiqueNote de bas de page 17.
  8. h) Ces rappels ont été laissés dans sa boîte aux lettres au travail et l’appelante a confirmé à l’audience qu’elle les avait reçus.
  9. i) S. M. a compris qu’elle pouvait être suspendue sans traitement ou congédiée parce qu’elle n’avait pas respecté la politique.
  10. j) À une date en février 2022, elle a reçu une lettre de son employeur dans sa boîte aux lettres au travail qui l’informait qu’elle serait suspendue le 23 mars 2022 si elle n’avait pas reçu les vaccins à ce moment-là.
  11. k) L’appelante n’a pas reçu les vaccins et a été suspendueNote de bas de page 18.

[35] L’appelante et la Commission sont d’accord sur ces faits.

[36] Ils ne sont pas d’accord sur la signification de ces faits.

[37] La Commission affirme que ces faits démontrent que l’appelante a commis une inconduite : elle a consciemment et délibérément refusé de suivre la politique de vaccination de son employeur et elle savait que si elle ne respectait pas la politique, il y avait une réelle chance qu’elle perde son emploi.

[38] Elle a quand même choisi de ne pas se conformer à la politique.

[39] La Commission affirme que cela correspond à la définition d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[40] L’appelante ne conteste pas qu’elle était au courant des conséquences de la décision de ne pas se faire vacciner. Elle convient qu’elle a fait un choix personnel et qu’elle savait que ce choix contrevenait à la politique de son employeur.

[41] Elle n’est toutefois pas d’accord pour dire que ce choix devrait être qualifié d’inconduite.

[42] S. M. affirme que la politique qui a forcé les membres du personnel à subir des procédures médicales (en particulier celles qu’elle croit être expérimentales) était coercitive et a porté atteinte à son droit personnel au consentement éclairé.

[43] Elle a également fait valoir que l’exigence de recevoir des vaccins contre la COVID-19 ne faisait pas partie de son contrat de travail et que, par conséquent, le fait de ne pas se faire vacciner ne peut pas constituer une inconduite.

[44] Enfin, l’appelante a fait valoir que les principes d’équité et de justice exigent que le régime d’assurance-emploi soutienne les personnes dans sa situation.

Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite.

[45] Selon la preuve, je conclus que la Commission a prouvé que S. M. a eu un comportement inapproprié. Elle a démontré qu’elle :

  1. (1) connaissait les exigences de vaccination;
  2. (2) savait qu’elle pouvait perdre son emploi si elle ne respectait pas la politique;
  3. (3) a sciemment pris une décision personnelle de ne pas recevoir les vaccins;
  4. (4) a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée aux exigences de vaccination.

[46] Comme je l’ai expliqué plus haut, je n’ai pas le pouvoir de décider si la politique de l’employeur était valable du point de vue scientifique ou si elle était juste ou raisonnable. Je n’ai pas le pouvoir de rendre des décisions au titre de la loi sur le consentement ou du Code canadien du travail. Je me limite à interpréter et à appliquer la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas rendre ma décision en me fondant sur d’autres lois.

[47] Les tribunaux ont déclaré que les personnes qui croient avoir été congédiées à tort ou avoir été victimes de discrimination de la part de leur employeur ont d’autres options à leur disposition, et qu’elles peuvent intenter des poursuites contre leur employeur auprès d’autres instances. Ces solutions sanctionnent le comportement de l’employeur et permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance-emploi les contribuables fassent les frais de ce comportementNote de bas de page 19.

[48] Dans une affaire judiciaire récente, un travailleur faisant appel du refus de lui verser des prestations d’assurance-emploi devant la Cour fédérale a soulevé un certain nombre d’arguments très semblables à S. M. Il avait lui aussi perdu son emploi dans un hôpital parce qu’il avait refusé de se faire vacciner contre la COVID-19Note de bas de page 20.

[49] Tout comme S. M., il a soutenu que la politique mise en place dans son lieu de travail portait atteinte à son droit au choix médical, était discriminatoire envers les membres du personnel qui avaient certaines croyances et n’était pas justifiée scientifiquement.

[50] Sa demande de prestations avait été rejetée par la Commission et ce refus a été maintenu tant à la division générale qu’à la division d’appel du Tribunal. Il a demandé un contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

[51] Le juge de la Cour fédérale qui a instruit son affaire a confirmé que le Tribunal était seulement autorisé à examiner et à appliquer la Loi sur l’assurance-emploi.

[32] Même si le demandeur est clairement frustré par le fait qu’aucun des décideurs n’a abordé ce qu’il considère comme les questions fondamentales de droit ou de fait qu’il soulève (par exemple, en ce qui concerne l’intégrité corporelle, le consentement aux tests médicaux, l’innocuité et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 ou les tests antigéniques) cela ne rend pas la décision du [Tribunal] déraisonnable. Le problème clé de l’argument du demandeur est qu’il reproche aux décideurs de ne pas avoir traité un ensemble de questions qu’ils ne sont pas autorisés, au titre de la loi, à aborder.

[47] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale et la division d’appel ont un rôle important, mais restreint et précis à jouer au sein du système juridique. Dans la présente affaire, ce rôle consistait à établir pourquoi le demandeur avait été congédié de son emploi et si ce motif constituait une « inconduite ». C’est exactement ce qu’elle a fait, et le demandeur n’a présenté aucun argument juridique ou factuel qui me convainc que la décision de la division d’appel est déraisonnableNote de bas de page 21.

[52] La Loi sur l’assurance-emploi est un régime d’assurance créé par une loi. Comme pour les autres polices d’assurance, les travailleuses et travailleurs qui souhaitent recevoir des prestations au titre du régime doivent remplir les conditions prévues par celui-ciNote de bas de page 22. Le rôle du Tribunal est d’établir si la partie appelante (la personne qui demande des prestations au titre de la police d’assurance) remplissait les conditions requises. Il doit suivre la loi et appliquer la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 23.

[53] J’ai appliqué la Loi sur l’assurance-emploi et je conclus que la décision consciente de l’appelante de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur répond à la définition d’inconduite.

Alors, l’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[54] Selon mes conclusions précédentes, je juge que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[55] La Commission a prouvé que S. M. a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[56] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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