Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DN c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1133

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Parties demanderesse : D. N.
Représentante ou représentant : Paul Gemmink
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 31 mai 2023 (GE-23-369)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 21 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-662

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur (prestataire) a perdu son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Il n’a pas eu d’exemption. Il a alors demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission de l’assurance-emploi) a conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après une révision infructueuse pour le prestataire, celui-ci a fait appel à la division générale.

[4] La division générale a établi que le prestataire avait perdu son emploi après avoir refusé de se conformer à la politique de son employeur. Il n’a pas eu d’exemption. Selon la division générale, le prestataire savait ou aurait dû savoir que son employeur allait probablement le congédier dans ces circonstances. La division générale a conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[5] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale devant la division d’appel. Il affirme que la division générale n’a pas tenu compte de toutes les circonstances de sa situation. Elle aurait donc commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si le prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que cet appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[10] Le prestataire soulève-t-il une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

Analyse

[11] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social établit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Il s’agit des erreurs révisables suivantes :

  1. 1. La procédure de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. 2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a décidé d’une question qui dépassait sa compétence.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[12] La demande de permission de faire appel est une étape qui vient avant l’examen sur le fond. C’est une première étape que la partie prestataire doit franchir, où la barre est moins haute que durant l’appel sur le fond. Lors de la demande de permission de faire appel, la partie prestataire n’a pas à prouver ce qu’elle avance. Elle doit plutôt montrer que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, elle doit établir qu’une erreur susceptible de révision a été commise et peut permettre à l’appel d’être accueilli.

[13] Alors, avant d’accorder la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés ci-dessus et qu’au moins un de ces motifs a une chance raisonnable de succès.

Le prestataire soulève-t-il une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès? 

[14] Voici les motifs du prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel :

  1. a) La division générale devait bien examiner toutes les circonstances pertinentes dans l’affaire, y compris la question de savoir si la politique sur la COVID-19 faisait partie de son contrat de travail.
  2. b) L’employeur ne pouvait pas imposer lui-même des modifications à son contrat de travail sans son consentement.
  3. c) L’employeur n’était pas prêt à donner des options autres que la vaccination, comme le télétravail ou les tests de dépistage.
  4. d) La division générale n’a pas tenu compte du contexte global de l’affaire, comme on l’exige dans la décision Astolfi. Elle n’a donc pas fait toute l’analyse nécessaire.
  5. e) La division générale aurait dû suivre le bon raisonnement du membre de la division générale qui a rendu la décision AL.

Inconduite

[15] La division générale devait décider si le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[16] La division générale était responsable de vérifier et d’interpréter les faits et d’effectuer son propre examen sur la question de l’inconduite. Elle n’était pas liée par les raisons de la fin d’emploi invoquées par le prestataire ou son employeur.

[17] Je tiens à rappeler que le Guide de la détermination de l’admissibilité est un ensemble de principes d’interprétation qui n’a pas force de loi au Tribunal de la sécurité sociale. Toute politique reflète simplement l’opinion de l’administration qui agit selon les règles de droit en place. Cette opinion ne correspond pas nécessairement à la loiNote de bas de page 1.

[18] Je tiens aussi à souligner que le terme « inconduite » a un sens bien précis en assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage courant du mot. Une personne exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi n’a pas forcément fait quelque chose de « mal »Note de bas de page 2.

[19] Dans la notion d’inconduite, ce n’est pas nécessaire qu’il y ait une intention coupable dans le comportement fautif; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour arriver à une conclusion d’inconduite, l’acte reproché doit être délibéré ou, du moins, d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a délibérément décidé d’ignorer les répercussions de cet acte sur son travail.

[20] Le rôle de la division générale n’est pas de se prononcer sur la sévérité de la sanction imposée par l’employeur ni de savoir s’il a mal agi en congédiant le prestataire, de sorte que sa perte d’emploi serait injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si le prestataire a commis une inconduite et si cette inconduite lui a fait perdre son emploi.

[21] À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que le prestataire a perdu son emploi parce qu’il avait refusé de suivre la politique de son employeur. Il avait été informé de cette politique et aurait eu le temps de s’y conformer. Il n’a pas eu d’exemption. Son refus était intentionnel. Il a agi délibérément. C’est la cause directe de son congédiement.

[22] La division générale a établi que le prestataire savait ou aurait dû savoir que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner son congédiement.

[23] La division générale a conclu, à partir de la preuve prépondérante (jugée suffisante), que le comportement du prestataire constituait une inconduite.

[24] Une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 3. On dit aussi que le non-respect d’une politique approuvée par un gouvernement ou une entreprise est une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 4.

[25] On s’entend pour dire qu’un employeur doit prendre toutes les précautions raisonnables pour veiller à la santé et à la sécurité de son personnel au travail. Il n’appartient pas au Tribunal de décider si les mesures de santé et de sécurité de l’employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables. La politique était en vigueur lorsque le prestataire a été congédié.

[26] Il revient à d’autres instances de trancher les questions suivantes : l’employeur a-t-il omis de s’adapter aux besoins du prestataire en ne lui offrant pas d’options de télétravail ou de tests de dépistage; la politique a-t-elle porté atteinte à ses droits fondamentaux et constitutionnels ou à ses droits en matière d’emploi? Le Tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que le prestataire rechercheNote de bas de page 5.

[27] Récemment, la Cour fédérale du Canada a tranché l’affaire intitulée Cecchetto concernant l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Les enseignements de la Cour vont bien au-delà de l’interprétation du prestataire.

[28] Le prestataire dans l’affaire Cecchetto a fait valoir que le refus de se plier à une politique vaccinale imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a avancé que rien ne prouvait que le vaccin était sûr et efficace. Le prestataire s’est senti discriminé par son choix médical personnel. Il a ajouté qu’il avait le droit de préserver son intégrité physique et que ses droits avaient été violés selon la loi canadienne et internationaleNote de bas de page 6.

[29] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel, selon laquelle le Tribunal n’est pas légalement autorisé à traiter ce genre de questions. La Cour a convenu qu’en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique vaccinale de son employeur, le prestataire dans l’affaire Cecchetto avait manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 7. La Cour a déclaré que le prestataire avait d’autres options dans le système de justice pour faire valoir ses revendications.

[30] Dans une affaire précédente qui s’intitule Paradis, un prestataire s’est vu refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Selon lui, il n’y avait aucune inconduite de sa part, puisque la politique de son employeur avait violé ses droits garantis par l’Alberta Human Rights Act [loi albertaine sur les droits de la personne]. La Cour fédérale a conclu que cette question relevait d’une autre instance.

[31] La Cour fédérale a déclaré qu’il existe d’autres moyens de sanctionner le comportement d’un employeur, qui permettent d’éviter que le programme d’assurance-emploi fasse les frais du comportement incriminé.

[32] Dans l’affaire intitulée Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a affirmé que l’obligation de l’employeur d’accorder des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les affaires d’inconduite en assurance-emploi.

[33] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale n’est pas de savoir si l’employeur a mal agi en congédiant le prestataire, de sorte que sa perte d’emploi serait injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si le prestataire a commis une inconduite et si cette inconduite lui a fait perdre son emploi.

[34] La preuve prépondérante devant la division générale montre que le prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique que son employeur avait établie en réponse aux circonstances pandémiques exceptionnelles. C’est ce qui a entraîné son congédiement.

[35] La division générale ne semble avoir commis aucune erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite en suivant uniquement les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite conformément à la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8.

[36] Je suis tout à fait conscient que le prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé qu’il est plus probable qu’improbable (selon la prépondérance des probabilités) que le prestataire a été congédié.

[37] Le prestataire a fait valoir que son employeur l’avait rappelé au travail et avait fini par annuler sa politique. La nature de l’inconduite reste la même, et elle a mené au congédiement du prestataireNote de bas de page 9.

Affaire Astolfi

[38] Le prestataire affirme que la division générale n’a pas suivi l’affaire Astolfi et que c’était une erreurNote de bas de page 10.

[39] Pendant la pandémie, l’employeur a mis en place une politique de santé et de sécurité avec laquelle le prestataire était en désaccord. Cette initiative de l’employeur ne justifiait pas l’application des principes de l’affaire Astolfi. Dans la présente affaire, la politique de l’employeur concernait tout le personnel. Chaque personne pouvait refuser de s’y conformer si elle le voulait. Rien ne donne à penser, comme dans l’affaire Astolfi, que l’employeur avait ciblé précisément le prestataire.

[40] Je ne vois aucune erreur révisable que la division générale aurait commise lorsqu’elle n’a pas appliqué les principes de l’affaire Astolfi.

Affaire AL

[41] Une décision de la division générale intitulée AL a récemment été annulée par trois membres de la division d’appelNote de bas de page 11. La prestataire dans cette affaire a fait valoir que sa convention collective et son contrat de travail ne contenaient aucune obligation explicite ou implicite de se faire vacciner contre la COVID-19.

[42] Les membres ont conclu à l’unanimité que la division générale avait commis deux erreurs. Tout d’abord, elle avait mal interprété la notion d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Ensuite, elle était allée au-delà de ses pouvoirs en décidant du bien-fondé d’un litige entre un employeur et son employée. Se demander s’il existe une obligation explicite ou implicite est une chose. C’en est une autre de se demander si l’obligation était valable. La seconde question dépasse le cadre législatif de l’assurance-emploi.

[43] La division générale ne semble avoir commis aucune erreur révisable lorsqu’elle n’a pas appliqué à la présente affaire le raisonnement que la division générale a adopté dans la décision AL. Même si la Cour fédérale a bel et bien mentionné l’affaire AL dans la décision Cecchetto, on ne peut pas dire que les enseignements de cette décision ne sont pas pertinents dans la présente affaire.

Conclusion

[44] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments du prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel, j’arrive à une seule conclusion : l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Les motifs du prestataire ne correspondent à aucun des moyens d’appel que j’ai mentionnés au début et qui pourraient mener à l’annulation de la décision contestée.

[45] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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