Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : XS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1138

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : X. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (485240) rendue le 10 juillet 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 11 avril 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 4 mai 2023
Numéro de dossier : GE-22-2634

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante (qui est la prestataireNote de bas de page 1).

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a été suspendue en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelante n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 2.

Aperçu

[3] L’appelante a été suspendue par son employeuse pour non-respect de sa politique de vaccination : elle a refusé de se faire vacciner.

[4] Même si l’appelante ne conteste pas ces faits, elle affirme que contrevenir à la politique de vaccination de son employeuse n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a admis que la raison de la cessation d’emploi était une suspension sans solde. Selon elle, l’appelante savait ou aurait dû savoir qu’une des conséquences de son refus pouvait être un congé sans solde. La Commission a décidé que l’appelante avait été suspendue en raison d’une inconduite. Elle a donc conclu que l’appelante est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

L’audience a été ajournée (reportée)

[6] Au départ, l’audience devait avoir lieu le 22 décembre 2022. Le 15 décembre 2022, l’appelante a demandé le report de l’audience. Elle avait présenté une demande de renseignements personnels, mais n’avait pas encore reçu les documents qu’elle voulait obtenir. Elle a ajouté qu’elle avait dû gérer des problèmes familiaux au début de 2022, alors elle préférait que l’appel ait lieu en avril 2023.

[7] Une conférence préparatoire a eu lieu le 10 janvier 2023. L’objectif était de discuter de possibles dates d’audience et de l’état de la demande d’accès à l’information. L’appelante s’est présentée le jour prévu. Elle préférait que l’audience se tienne en avril 2023 pour les raisons mentionnées plus haut. Le Tribunal lui a offert d’obtenir les documents qu’elle voulait s’ils faisaient partie de son dossier à la CommissionNote de bas de page 3. L’appelante a refusé. Elle voulait les obtenir directement auprès de la Commission.

[8] Dans l’intérêt de la justice naturelle, j’ai accepté que l’audience se déroule en avril 2023. La nouvelle date d’audience a été fixée pour le 11 avril 2023.

[9] L’audience s’est déroulée le jour prévu, en présence de l’appelante.

J’accepte les documents envoyés après l’audience

[10] Lors de l’audience, l’appelante a fait référence à ses documents. Elle les a utilisés pour témoigner. À l’audience, j’ai décidé d’accepter les documents, car j’étais convaincu qu’ils avaient une valeur probante (pouvaient servir de preuve).

[11] Les documents ont été envoyés comme convenu. Ils ont été ajoutés au dossier d’appelNote de bas de page 4. Ils ont ensuite été envoyés à la Commission pour qu’elle puisse présenter des observations supplémentaires. La Commission a choisi de ne déposer aucune autre observation.

Question en litige

[12] L’appelante a‑t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

Analyse

[13] D’après la loi, on ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique en cas de congédiement et en cas de suspensionNote de bas de page 5.

[14] Pour savoir si l’appelante a été suspendue en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison elle a été suspendue. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

[15] Une personne qui perd son emploi en raison d’une « inconduite » n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Dans ce contexte précis, le terme « inconduite » fait référence à la violation d’une règle de son emploi.

Pourquoi l’appelante était-elle en congé sans solde?

[16] Je conclus que l’appelante a été suspendue parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeuse.

[17] L’appelante ne conteste pas le fait qu’elle a été suspendue en raison de la politique de vaccination. Mais elle n’est pas d’accord pour dire que c’était une inconduite.

[18] Selon la Commission, l’appelante a été suspendue parce qu’elle n’a pas suivi la politique de vaccination de l’employeuse.

[19] Les déclarations que l’appelante a faites à la Commission et au Tribunal sont cohérentes. Elle a toujours soutenu que l’employeuse l’avait placée en congé sans solde. Elle affirme que ce n’est pas de sa faute si l’employeuse a fait cela et qu’elle était prête à travailler chaque jour.

[20] Je juge que l’appelante a été suspendue pour non-respect de la politique de vaccination mise en place par l’employeuse. Je conclus que c’est l’employeuse qui est à l’origine du congé sans solde. Ce n’est pas l’appelante. Il ne s’agit pas d’un congé volontaire.

La raison de la suspension est-elle une inconduite au sens de la loi?

[21] La raison pour laquelle l’appelante a été suspendue, puis congédiée est une inconduite au sens de la loi.

[22] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Mais la jurisprudence (les décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment savoir si la suspension de l’appelante constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est‑à-dire les points et les critères à prendre en considération lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[23] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 6. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 7. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est‑à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 8.

[24] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeuse et que la possibilité d’être congédiée pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 9.

[25] La loi ne m’oblige pas à tenir compte du comportement de l’employeuseNote de bas de page 10. Je dois plutôt me pencher sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait, puis voir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 11.

[26] La seule chose que je peux décider, c’est s’il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas fonder ma décision sur d’autres loisNote de bas de page 12. Je ne peux pas décider si les prestataires se sont fait congédier de façon déguisée ou injustifiée aux termes du droit du travail. Je ne peux pas interpréter les conventions collectives ni les contrats de travail. Je ne peux pas décider si les organisations ont violé le contrat de travail de leur personnelNote de bas de page 13. Je ne peux pas décider si elles ont fait preuve de discrimination à l’égard des prestataires ou auraient dû répondre à leurs besoins au titre de la législation sur les droits de la personneNote de bas de page 14. Et je ne peux pas décider si elles ont porté atteinte à la vie privée des prestataires ou à leurs autres droits dans le contexte de leur emploi ou de toute autre situation.

[27] La Cour d’appel fédérale a affirmé que le Tribunal n’a pas à décider si la politique d’une employeuse ou d’un employeur était raisonnable. Je ne peux pas non plus décider si la suspension ou le congédiement était justifié. Le Tribunal doit décider si la conduite de la prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 15.

[28] La Commission doit prouver que l’appelante a été suspendue en raison d’une inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que l’appelante a été suspendue en raison d’une inconduiteNote de bas de page 16.

[29] Une inconduite est tout geste intentionnel qui est susceptible d’entraîner la perte de son emploi. Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne et l’organisation pour laquelle elle travaille. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à l’appelante, mais c’est celle que les cours ont adoptée à maintes reprises et que le Tribunal est obligé de suivre.

[30] Il est important de garder à l’esprit qu’aux fins de l’assurance-emploi, le terme « inconduite » a un sens précis qui ne correspond pas nécessairement au sens qu’on lui donne d’habitude. En fait, le critère expliqué dans les paragraphes qui précèdent précise le sens du mot.

[31] Selon la Commission, il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeuse avait adopté une politique de vaccination. La politique précise que les personnes qui ne la suivent pas risquent de se faire suspendre sans salaire.
  • L’employeuse a communiqué la politique à tout le personnel.
  • La communication informait clairement l’appelante des attentes au regard de la politique.
  • L’appelante savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne suivait pas la politique.

[32] Selon l’appelante, voici pourquoi il n’y a pas eu d’inconduite :

  • La politique n’était pas raisonnable, car l’appelante travaillait à domicile. La Commission n’a fourni aucune preuve montrant que l’appelante pourrait être appelée à retourner au bureau.
  • La Commission ne devrait pas utiliser la décision Lemire pour prouver qu’il y a eu inconduiteNote de bas de page 17. Dans cette décision, la politique faisait déjà partie du contrat de travail. La Commission n’a pas demandé une copie de son contrat de travail. Elle ne pouvait donc pas prouver que le refus de se faire vacciner était un manquement explicite ou implicite à une obligation.
  • L’appelante travaillait de la maison et son rendement dépassait les exigences.
  • L’employeuse a imposé une nouvelle condition essentielle à l’emploi. Elle a agi de façon unilatérale. La condition n’existait pas à l’embauche. L’introduction d’une nouvelle condition essentielle ouvre la porte à la négociation du contrat de travail.
  • Le chapitre 7 du Guide de la détermination de l’admissibilité précise que, de façon générale, l’inconduite désigne des actions malveillantes.
  • La section 7.2.4.2 du Guide précise ceci : « Pour que l’on puisse conclure qu’il y a eu inconduite, la conduite […] doit contrecarrer, d’une façon quelconque, la capacité de l’employé de s’acquitter de ses fonctions ». L’appelante fait valoir qu’elle a toujours été en mesure d’accomplir ses tâches. Son statut vaccinal n’avait aucune répercussion sur son travail.
  • Il peut y avoir une conclusion d’inconduite seulement si la preuve est évidente.
  • Sa demande d’exemption a été rejetée par une tierce personne. L’appelante se demande si cette personne a les compétences requises pour rendre une telle décision.
  • La tierce personne n’a pas communiqué avec son médecin avant de rendre la décision sur son exemption. Elle a invoqué des raisons de confidentialité des renseignements personnels même si l’appelante avait signé une autorisation de divulgation.
  • Au Canada, la vaccination n’est pas obligatoire. L’appelante a droit à l’intégrité physique. L’exercice de ce droit ne peut pas constituer une inconduite.
  • La politique de vaccination est injustifiée. Les vaccins n’empêchent pas la transmission du virus.
  • La Commission s’est contredite. Elle a soutenu que la politique était raisonnable dans le contexte du milieu de travail. Par la suite, elle a fait valoir que le Tribunal n’a pas la compétence de décider si la politique était effectivement raisonnable.

[33] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Voici pourquoi :

  • L’employeuse a adopté une politique de vaccination qui obligeait le personnel à s’y conformer ou à tomber en congé sans solde.
  • L’employeuse a clairement informé l’appelante de ses attentes en matière de vaccination du personnel.
  • L’employeuse a communiqué la politique à tout le personnel pour lui expliquer ses attentes.
  • L’appelante connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de l’employeuse.

[34] L’appelante a déclaré que l’employeuse a bel et bien communiqué la politique de vaccination obligatoire au personnel en octobre 2021. Elle l’a lue à ce moment‑là. Elle a admis que la politique mentionnait le congé sans solde pour les personnes qui ne respectaient pas la politique. Elle convient aussi que la politique donnait la possibilité de demander une exemption.

[35] Durant son témoignage, l’appelante a confirmé qu’elle avait demandé une exemption en novembre 2021. Le 19 novembre 2021, elle a appris que sa demande était rejetée. Ce jour‑là, elle a aussi été avisée que, comme le prévoyait la politique, elle tomberait en congé sans solde dès le lendemain.

[36] Le Guide présente les principes que la Commission applique lorsqu’elle décide d’approuver ou de rejeter les demandes de prestations d’assurance-emploi. C’est un outil de référence. Les principes tirés du Guide ne font pas partie de la loi. En conséquence, je ne suis pas obligé de les suivre. Je dois suivre la Loi sur l’assurance-emploi et les décisions pertinentes de la Cour fédérale qui établissent le critère juridique de l’inconduite. Et c’est ce que j’ai fait dans la présente décision.

[37] L’appelante aurait dû savoir ce qu’elle devait faire selon la politique de vaccination et ce qui se passerait si elle ne la respectait pas. Elle savait ce qu’elle faisait. Je suis d’accord pour dire que c’était sans intention coupable, mais c’était en toute connaissance de cause.

[38] Récemment, dans une affaire appelée ParmarNote de bas de page 18, la Cour devait trancher la question savoir si un employeur était autorisé à mettre une employée en congé sans solde parce qu’elle ne respectait pas la politique de vaccination obligatoire. Mme Parmar ne voulait pas se faire vacciner parce qu’elle s’inquiétait de l’efficacité à long terme du vaccin et de ses conséquences potentiellement négatives sur la santé.

[39] Dans cette affaire, la Cour a reconnu que [traduction] « l’adoption d’une politique touchant l’intégrité physique d’une employée était extraordinaire », mais elle a conclu que la politique de vaccination en question était raisonnable, compte tenu des [traduction] « défis sanitaires extraordinaires posés par la pandémie mondiale de COVID-19 ». La Cour a ajouté ceci :

[traduction]

[154] [Les politiques de vaccination obligatoire] n’obligent pas le personnel à se faire vacciner. Ce qu’elles obligent les gens à faire, c’est de choisir entre se faire vacciner pour continuer à gagner un revenu ou bien ne pas se faire vacciner mais perdre leur revenu (…).

[40] Dans une autre affaire récente, qui date de janvier 2023, la Cour fédérale confirme que le pouvoir du Tribunal est limitéNote de bas de page 19. Le paragraphe 32 dit ceci :

[traduction]

[32] Même si le demandeur est visiblement frustré par le fait qu’aucune des décisions n’ait abordé ce qu’il considère comme les questions de droit ou de fait fondamentales qu’il soulève, par exemple en ce qui concerne l’intégrité physique, le consentement aux tests médicaux, la dangerosité et l’efficacité des tests antigéniques et des vaccins contre la COVID-19, la décision de la division d’appel n’est pas déraisonnable pour autant. La principale faille dans l’argument du demandeur est qu’il critique les personnes qui ont rendu ces décisions parce qu’elles n’ont pas réglé un ensemble de questions qu’elles ne peuvent pas légalement examiner.

[41] Par conséquent, je ne tire aucune conclusion sur la validité de la politique ou la violation des droits de l’appelante aux termes d’autres lois. Si une organisation violait un contrat de travail, les recours dont son personnel pourrait se prévaloir relèvent d’autres cours et tribunaux. Il en irait de même si l’employeuse contrevenait, par exemple, aux droits de la personne de l’appelante. 

[42] Je suis d’accord sur un point : l’appelante peut refuser de se faire vacciner. C’est une décision personnelle qui lui appartient. J’admets aussi que l’employeuse doit gérer les activités quotidiennes dans les lieux de travail. Cela comprend l’élaboration et l’application de politiques de santé et de sécurité au travail.

[43] Je juge que l’appelante est très crédible. Ses déclarations étaient cohérentes et la Commission n’a laissé entrevoir aucun problème de crédibilité. Je n’ai aucun doute que l’appelante était une employée appréciée. Rien dans le dossier n’indique le contraire.

[44] L’appelante affirme que le critère de l’inconduite n’est pas rempli. J’admets qu’elle n’a jamais eu d’intention coupable. Il n’y a rien dans le dossier qui pourrait laisser croire une telle chose et je suis certain qu’elle n’en a jamais eu. Toutefois, au fil des ans, les cours ont décidé que l’intention coupable n’est pas nécessaire pour qu’il y ait inconduiteNote de bas de page 20.

Somme toute, l’appelante a‑t-elle été suspendue pour inconduite?

[45] Compte tenu des conclusions que je viens de tirer, je juge que l’appelante a été suspendue en raison d’une inconduite. La suspension découle de ses faits et gestes. Elle a agi en toute connaissance de cause. Elle savait qu’elle risquait une suspension si elle refusait de se conformer à la politique de vaccination.

Conclusion

[46] La Commission a prouvé que l’appelante a été suspendue en raison d’une inconduite. En conséquence, l’appelante est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[47] L’appel est donc rejeté.

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