Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1109

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. L.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (532224) datée du 7 novembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Audrey Mitchell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 9 mai 2023
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 23 mai 2023
Numéro de dossier : GE-22-4149

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). Par conséquent, l’appelante est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante a été suspendue de son emploi. Son employeur a affirmé qu’elle a été suspendue parce qu’elle a agi contre sa politique de vaccination : elle ne s’est pas fait vacciner.

[4] Bien que l’appelante ne conteste pas ce qui s’est passé, elle affirme qu’agir contre la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison de la suspension que l’employeur a fournie. Elle a conclu que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que l’appelante est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] L’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] La loi prévoit qu’une partie prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendueNote de bas de page 2.

[8] Pour décider si l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelante a été suspendue de son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi?

[9] Je conclus que l’appelante a été suspendue de son emploi parce qu’elle a agi contre la politique de vaccination de son employeur.

[10] L’appelante affirme qu’elle ne travaille pas parce qu’elle est en congé. Elle dit qu’elle n’a pas été suspendue.

[11] La Commission affirme que l’appelante n’a pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. La Commission a conclu qu’il s’agit de la raison de la suspension.

[12] L’appelante affirme que son employeur l’a mise en congé parce qu’il ne lui a pas offert de mesures d’adaptation pour motifs religieux de sorte qu’elle n’ait pas à se faire vacciner contre la COVID-19. Elle n’est toutefois pas d’accord pour dire qu’elle a été suspendue.

[13] La Commission a parlé à l’employeur. Il a déclaré avoir mis l’appelante en congé sans solde parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner contre la COVID-19, comme l’exigeait sa politique.

[14] Dans la présente affaire, je suis d’avis que l’employeur a mis l’appelante en congé sans solde. J’estime que l’employeur l’a fait non pas parce que l’appelante a demandé un congé, mais parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner. Par conséquent, je conclus que l’appelante a été suspendue de son emploi parce qu’elle a agi contre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. 

La raison de la suspension de l’appelante est-elle une inconduite selon la loi?

[15] La raison de la suspension de l’appelante est une inconduite selon la loi.

[16] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si la suspension de l’appelante constitue une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence énonce le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en compte quand on examine la question de l’inconduite.

[17] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle a voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 5.

[18] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 6.

[19] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 7. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait, et sur la question de savoir si sa façon d’agir constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8.

[20] La Commission doit prouver que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 9.

[21] Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à l’appelante. Je n’ai pas à décider si son employeur l’a injustement suspendue ou aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 10. Je dois seulement évaluer une chose : si ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[22] Dans une décision de la cour qui s’intitule McNamara, un appelant a affirmé qu’il devrait avoir droit à des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur l’avait injustement congédiéNote de bas de page 11. Il avait perdu son emploi à cause de la politique de son employeur sur le dépistage de drogues. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié, car le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances. Il a dit qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire qu’il était incapable de travailler de façon sécuritaire parce qu’il aurait consommé de la drogue. De plus, les résultats de son test de dépistage précédent auraient dû être toujours valides.

[23] La Cour d’appel fédérale a répondu en faisant remarquer qu’elle a toujours affirmé que, dans les dossiers d’inconduite, la question est de savoir si l’action ou l’omission de la personne employée est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, que la personne ait été injustement congédiée ou nonNote de bas de page 12.

[24] La Cour d’appel fédérale a aussi dit que l’interprétation et l’application de la loi se concentrent sur le comportement de la personne employée, et non sur celui de l’employeur. Elle a fait remarquer qu’il y avait d’autres solutions pour les personnes injustement congédiées. Ces solutions pénalisent le comportement de l’employeur au lieu de faire en sorte que les actions de l’employeur coûtent de l’argent aux contribuables en versements de prestationsNote de bas de page 13.

[25] Dans une affaire plus récente intitulée Paradis, un appelant a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage de droguesNote de bas de page 14. L’appelant a soutenu qu’il a été injustement congédié, car les résultats des tests montraient qu’il n’avait pas travaillé avec les facultés affaiblies. Il a affirmé que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à sa politique et à loi provinciale sur les droits de la personne. La Cour s’est appuyée sur la décision McNamara et a dit que le comportement de l’employeur n’était pas un facteur pertinent pour évaluer s’il y avait eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 15.

[26] Dans une autre affaire semblable intitulée Mishibinijima, un appelant a perdu son emploi en raison de son trouble lié à la consommation d’alcoolNote de bas de page 16. L’appelant a soutenu que son employeur devait lui offrir des mesures d’adaptation parce que le trouble lié à la consommation d’alcool est considéré comme une déficience. La Cour d’appel fédérale a encore une fois affirmé qu’il fallait se concentrer sur ce que la personne employée a fait ou n’a pas fait. Le fait que l’employeur ne lui avait pas offert de mesures d’adaptation n’était pas pertinentNote de bas de page 17.

[27] Ces dossiers ne portent pas sur les politiques de vaccination contre la COVID-19. Mais ce qu’ils disent est tout de même pertinent. Mon rôle n’est pas d’évaluer le comportement ou les politiques de l’employeur et d’établir s’il a eu raison de suspendre l’appelante. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait, et décider s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[28] L’appelante soutient qu’il n’y a pas eu inconduite parce qu’elle a fait le choix moral de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 en raison de ses croyances religieuses. Elle dit qu’elle n’a pas choisi de ne pas se faire vacciner de façon intentionnelle ou délibérée, mais qu’elle a consciemment choisi de respecter ses croyances religieuses.

[29] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que l’appelante n’a pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Elle dit que l’appelante était au courant de la politique et elle savait qu’elle pouvait être suspendue si elle ne la respectait pas.

[30] Je suis d’avis que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite parce que l’appelante savait qu’elle serait suspendue si elle ne respectait pas la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Cependant, elle a choisi de ne pas se faire vacciner, même après que son employeur a refusé sa demande de mesures d’adaptation.

[31] L’appelante a dit que son employeur l’a mise en congé sans solde. Cette affirmation concorde avec les renseignements qui figurent au relevé d’emploi produit par son employeur. Le dernier jour pour lequel l’appelante a été payée est le 21 janvier 2022.

[32] La Commission a reçu une copie de la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. La politique disait ce qui suit :

  • le personnel devait fournir une preuve de vaccination complète contre la COVID-19;
  • le personnel pouvait, à titre d’exemption à la politique, obtenir une mesure d’adaptation si le motif était protégé par la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  • le personnel qui n’avait pas reçu au moins une dose du vaccin contre la COVID-19 au plus tard le 15 décembre 2021 était mis en congé sans solde, sans avantages sociaux et sans pension.

[33] L’appelante a demandé à son employeur une exemption à la politique de vaccination obligatoire pour motifs religieux. Elle a témoigné au sujet du processus suivi par son employeur. Elle a dit que son employeur lui avait demandé de remplir une déclaration sous serment pour appuyer sa demande. L’appelante affirme que c’était déraisonnable, mais qu’elle a fini par le faire.

[34] L’appelante a déclaré que son employeur l’avait invitée à assister à un entretien avec une tierce partie. Elle a dit y avoir assisté, mais elle avait eu l’impression qu’il s’agissait plutôt d’un interrogatoire. Elle estimait également que son employeur avait manqué à son obligation de confidentialité lorsqu’il a communiqué ses renseignements personnels à la tierce partie.

[35] L’appelante a déclaré avoir reçu un courriel de son employeur le 7 janvier 2022 pour l’informer qu’il ne pouvait pas lui offrir des mesures d’adaptation. L’appelante affirme qu’elle a depuis déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne.

[36] L’employeur a informé la Commission de la demande de mesures d’adaptation de l’appelante. Après avoir rejeté la demande de mesures d’adaptation de l’appelante, l’employeur a déclaré lui avoir accordé un délai supplémentaire pour se faire vacciner : elle avait du 15 décembre 2021 au 21 janvier 2022.

[37] À l’audience, l’appelante a confirmé qu’elle connaissait la politique de son employeur sur la COVID-19. Elle a également confirmé qu’elle savait qu’elle pouvait être mise en congé sans solde si elle ne se faisait pas vacciner.

[38] D’après le témoignage de l’appelante, j’estime qu’elle connaissait la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Elle connaissait les délais pour s’y conformer ainsi que les conséquences de son non-respect.

[39] L’appelante n’est pas d’accord avec la façon dont son employeur a évalué sa demande de mesures d’adaptation. Elle a déclaré que l’employeur avait évalué ses croyances religieuses plutôt que la façon dont il pouvait lui offrir des mesures d’adaptation. Cependant, comme je l’ai mentionné plus haut, ce n’est pas mon rôle de décider si le refus de l’employeur à l’égard de la demande de l’appelante était raisonnable.

[40] L’appelante a déclaré que la Commission n’a pas appliqué l’article de loi portant sur la justificationNote de bas de page 18. Elle a expliqué qu’elle refuse de se faire vacciner en raison de ses croyances religieuses. Elle a ajouté que lorsque son employeur a rejeté sa demande de mesures d’adaptation, son départ était la seule solution raisonnable dans son cas puisqu’il s’agissait de discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[41] J’ai déjà conclu que l’appelante a été suspendue de son emploi. Par conséquent, j’estime que l’article de loi mentionné par l’appelante ne s’applique pas. Elle croit que son employeur a fait preuve de discrimination à son égard lorsqu’il a rejeté sa demande de mesures d’adaptation. Que ce soit ou non le cas, cette question relève d’une autre cour ou d’un autre tribunal.

[42] Je suis d’avis que les actions de l’appelante, soit de s’opposer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur, étaient délibérées. Elle a fait le choix conscient, délibéré et intentionnel de ne pas se faire vacciner. Elle l’a fait en sachant qu’elle serait mise en congé sans solde. Cela signifie donc qu’elle a été suspendue. C’est pourquoi je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite.

Alors, l’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

[43] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[44] En effet, les actions de l’appelante ont mené à sa suspension. Elle a agi délibérément. Elle savait que son refus de se faire vacciner pouvait entraîner sa suspension.

Conclusion

[45] La Commission a prouvé que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi l’appelante est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[46] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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