Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1108

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Parties demanderesse : K. L.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 23 mai 2023
(GE-22-4149)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 16 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-608

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue de son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Sa demande d’exemption pour motifs religieux a été refusée. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission) a conclu que la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après révision, la Commission n’a pas changé sa décision. La prestataire a donc fait appel à la division générale.

[4] La division générale a jugé que la prestataire avait été suspendue de son emploi après avoir refusé de se conformer à la politique de l’employeur. La demande d’exemption pour motifs religieux de la prestataire a été refusée. La division générale a établi que la prestataire savait que l’employeur la suspendrait probablement dans ces circonstances. La division générale a conclu qu’elle avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire cherche maintenant à obtenir la permission de porter la décision de la division générale en appel devant la division d’appel. Elle soutient que la division générale a commis des erreurs de fait et a mal appliqué la loi lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que l’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Il s’agit des erreurs révisables suivantes :

  1. La procédure de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a tranché une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit dans sa décision.

[10] La demande de permission de faire appel est une étape préliminaire à l’examen sur le fond. Il s’agit d’une première étape que la prestataire doit franchir, mais où le critère juridique est moins exigeant que celui à remplir pour un appel sur le fond. À l’étape de la permission de faire appel, la prestataire n’a pas à prouver ses arguments. Elle doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est possible de soutenir qu’il y a eu une erreur révisable pouvant faire en sorte que l’appel soit accueilli.

[11] Par conséquent, avant d’accorder la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés plus haut et qu’au moins un des motifs donne à l’appel une chance raisonnable de succès.

La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

[12] La prestataire soutient que son employeur n’a pas suivi une procédure équitable lorsqu’il a évalué ses croyances religieuses sincères et a refusé injustement sa demande de mesures d’adaptation pour motifs religieux. Elle affirme que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas appliqué l’article 29 de la Loi sur l’assurance-emploi. La prestataire fait valoir que, selon la jurisprudence, une personne est fondée à quitter son emploi si son employeur n’est pas disposé à lui offrir des mesures d’adaptation alors qu’elle en a fait la demande. La prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que de démissionner pour préserver ses convictions religieuses. Elle ajoute que la division générale aurait dû suivre le même raisonnement juridique que celui d’une autre décision rendue par la division générale.

Congé volontaire

[13] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur en omettant d’appliquer l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi à son cas.

[14] Le relevé d’emploi de la prestataire montre qu’elle a été mise en congéNote de bas de page 1. Dans sa demande de prestations d’assurance-emploi, la prestataire n’a pas indiqué qu’elle avait quitté son emploiNote de bas de page 2. La prestataire a déclaré qu’elle avait été mise en congé parce qu’elle n’avait pas respecté la politique de vaccination de l’employeurNote de bas de page 3. La preuve démontre également que l’employeur a empêché la prestataire de travailler, même s’il y avait du travailNote de bas de page 4.

[15] D’après la preuve, il est clair que la prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi. L’employeur l’a mise en congé. Par conséquent, l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi ne s’applique pas.

[16] Je ne vois aucune erreur révisable que la division générale aurait commise lorsqu’elle n’a pas appliqué l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi au cas de la prestataire.

Inconduite

[17] La division générale devait décider si la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. Il appartenait à la division générale de vérifier et d’interpréter les faits de la présente affaire, et de faire sa propre évaluation de la question de l’inconduite.

[18] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à son usage quotidien. Une personne peut être exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle a fait quelque chose de « mal » ou de « répréhensible »Note de bas de page 5.

[19] D’après la preuve, l’employeur a empêché la prestataire de travailler. Le congé a été imposé à la prestataire et elle aurait sans aucun doute continué de travailler si la politique n’avait pas été en place. L’employeur a empêché la prestataire de travailler, même s’il y avait du travail. La prestataire a perdu temporairement son emploi. Elle a donc été suspendue au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 6.

[20] La notion d’inconduite ne sous-entend pas qu’il est nécessaire que la façon d’agir résulte d’une intention coupable. Il suffit que l’inconduite soit consciente, délibérée ou intentionnelle. Autrement dit, pour qu’il y ait inconduite, l’acte reproché doit avoir été de nature délibérée ou, à tout le moins, de nature insouciante ou négligente au point où l’on pourrait dire que la personne a délibérément ignoré les effets de ses actes sur son rendement.

[21] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de décider si l’employeur était coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de telle sorte que sa suspension était injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[22] Selon la preuve, la division générale a conclu que la prestataire a été suspendue parce qu’elle a refusé de se conformer à la politique. Elle avait été informée de la politique, et son employeur lui a donné du temps pour qu’elle s’y conforme. Aucune exemption pour motifs religieux ne lui a été accordée. Le refus de la prestataire était intentionnel et volontaire. Il s’agit de la cause directe de sa suspension. La division générale a jugé que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension.

[23] La division générale a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[24] Une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 7. On considère également comme une inconduite au sens de la Loi le fait de ne pas respecter une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une entrepriseNote de bas de page 8.

[25] On ne conteste pas le fait qu’un employeur a l’obligation de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de son personnel sur le lieu de travail. La politique était en place lorsque la prestataire a été suspendue. Le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si les mesures de santé et de sécurité mises en place par l’employeur pour lutter contre la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables.

[26] Les questions de savoir si l’employeur a omis d’offrir des mesures d’adaptation à la prestataire en refusant sa demande d’exemption pour motifs religieux et si la politique allait à l’encontre des droits de la personne et des droits constitutionnels relèvent d’une autre instance. Ce tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que la prestataire demandeNote de bas de page 9.

[27] La Cour fédérale du Canada a rendu une décision dans l’affaire Cecchetto qui a eu lieu récemment. Cette affaire portait sur l’inconduite d’un prestataire et sur son refus de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur.

[28] Le prestataire, M. Cecchetto, a fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a affirmé qu’aucune preuve ne démontrait que le vaccin était sécuritaire et efficace. Le prestataire s’est senti discriminé en raison de son choix médical personnel. Le prestataire a soutenu qu’il a le droit de contrôler sa propre intégrité physique et que ses droits ont été violés aux termes du droit canadien et du droit internationalNote de bas de page 10.

[29] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel : selon la loi, le Tribunal n’est pas autorisé à trancher ces questions. La Cour a convenu que, en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 11. La Cour a déclaré qu’il existe d’autres moyens qui permettraient aux demandes du prestataire de progresser adéquatement dans le cadre du système juridique.

[30] Dans l’affaire Paradis, le prestataire s’est vu refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite, car la politique de l’employeur allait à l’encontre de ses droits au titre de l’Alberta Human Rights Act [loi de l’Alberta sur les droits de la personne]. La Cour fédérale a conclu que cette question relevait d’une autre instance.

[31] La Cour fédérale a déclaré qu’une partie prestataire a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que le programme d’assurance-emploi fasse les frais du comportement.

[32] Dans l’affaire Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation d’un employeur d’offrir des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite en assurance-emploi.

[33] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale n’est pas de décider si l’employeur était coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[34] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur, qui avait été mise en place en réponse à la situation exceptionnelle causée par la pandémie, ce qui a entraîné sa suspension.

[35] Je ne vois pas en quoi la division générale aurait commis une erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement d’après les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[36] Je suis pleinement conscient que la prestataire peut demander réparation auprès d’une autre instance, si l’existence d’une violation est établieNote de bas de page 13. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite.

[37] La prestataire a fait référence à une décision de la division générale portant sur une affaire qu’elle considère comme semblable à la sienne. Dans cette affaire, l’appelante n’a pas été exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Elle demande au Tribunal de suivre cette décisionNote de bas de page 14.

[38] Il est important de mentionner que la décision de la division générale a récemment été annulée par la division d’appelNote de bas de page 15. De plus, la décision de la division générale dont il est question a été rendue avant que la Cour fédérale rende sa décision dans l’affaire Cecchetto. La division d’appel est tenue de suivre les décisions de la Cour fédérale.

[39] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments que la prestataire a présentés pour appuyer sa demande de permission de faire appel, je n’ai pas d’autre choix que de conclure que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. La prestataire n’a invoqué aucun motif qui correspond à l’un des moyens d’appel mentionnés plus haut et qui pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

Conclusion

[40] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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