Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : ZH c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1122

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : Z. H.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (547625) datée du 28 octobre 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Elizabeth Usprich
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 4 mai 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 23 mai 2023
Numéro de dossier : GE-22-3934

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné la perte de son emploi ou sa suspension). Par conséquent, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.Note de bas de page 1

Aperçu

[3] L’appelante a été suspendue puis a perdu son emploi. L’employeur de l’appelante indique qu’elle a été suspendue puis congédiée parce qu’elle a contrevenu à sa politique de vaccination : elle n’avait pas obtenu d’exemption et elle ne s’est pas fait vacciner.

[4] Même si l’appelante ne conteste pas ce qui s’est passé, elle affirme qu’aller à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur n’est pas de l’inconduite. L’appelante estime avoir de véritables croyances religieuses qui l’empêchent de se faire vacciner. L’employeur a unilatéralement ajouté une nouvelle condition à son contrat. Elle a droit à l’autonomie corporelle. Elle estime que son employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation. Elle estime qu’elle devrait être admissible aux prestations d’assurance-emploi.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement fournie par l’employeur. Elle a conclu que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

Les observations de l’appelante comprenaient des liens

[6] Les observations de l’appelante comprenaient des liens vers des sites Web. J’ai expliqué à l’appelante que j’avais examiné tous ses documents, mais que nous ne pouvons pas suivre les liens. J’ai dit à l’appelante qu’elle pouvait expliquer tout ce qui se trouvait dans les liens. L’appelante a dit qu’elle comprenait.

Question en litige

[7] L’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique dans les cas de congédiements et de suspensions.Note de bas de page 2

[9] Pour répondre à la question de savoir si l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider de deux choses. D’abord, je dois déterminer pourquoi l’appelante a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle perdu son emploi?

[10] Je considère que l’appelante a perdu son emploi parce qu’elle a contrevenu à la politique de vaccination de son employeur.  

[11] L’appelante travaillait comme infirmière et était assujettie à un ordre de l’autorité provinciale de santé publique qui exigeait que les personnes de certains domaines de la santé soient vaccinées.

[12] L’appelante affirme qu’elle a d’abord été mise en congé pour trois semaines à cause de cela, puis congédiée. L’appelante a dit qu’elle ne pouvait pas se faire vacciner pour des motifs religieux. L’appelante affirme avoir suivi la politique de son employeur et avoir tenté d’obtenir une exemption religieuse. La politique précise que les demandes d’exemption devaient être présentées à l’autorité provinciale de la santé publique pour des raisons médicales. L’autorité de santé publique a refusé sa demande d’exemption. L’appelante estime que son employeur a fait preuve de discrimination à son égard en refusant de lui accorder une exemption religieuse. L’appelante estime que le fait de ne pas respecter la politique ne constitue pas une inconduite. L’appelante estime avoir droit à l’autonomie corporelle. L’employeur n’avait pas le droit d’imposer une politique de vaccination obligatoire. L’appelante est d’avis que son employeur a unilatéralement ajouté une nouvelle condition à son contrat. Son employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation. L’appelante estime qu’elle devrait être admissible aux prestations.

La raison du congédiement de l’appelante est-elle une inconduite au sens de la loi?

[13] La raison du congédiement de l’appelante est une inconduite au sens de la loi.

[14] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’on entend par inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et tribunaux) nous montre comment déterminer si le congédiement de l’appelante constitue une inconduite au sens de la Loi. La jurisprudence énonce le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[15] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle.Note de bas de page 3 L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée.Note de bas de page 4 Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal).Note de bas de page 5

[16] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit congédiée pour cette raison.Note de bas de page 6

[17] La loi n’indique pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeur.Note de bas de page 7 Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi.Note de bas de page 8

[18] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite.Note de bas de page 9

[19] Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Je ne peux pas décider si l’appelante a d’autres options en vertu d’autres lois. Et ce n’est pas à moi de décider si son employeur l’a congédiée à tort ou s’il aurait dû prendre des dispositions raisonnables (mesures d’adaptation) pour elle.Note de bas de page 10 Je ne peux examiner qu’une seule chose : la question de savoir si ce que l’appelante a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.

[20] Dans une affaire appelée McNamara, l’appelant a soutenu qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur l’a congédié à tort.Note de bas de page 11 Il a perdu son emploi en raison de la politique de son employeur sur le dépistage des drogues. Il a fait valoir qu’il n’aurait pas dû être congédié, puisque le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances. Il a dit qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il était incapable de travailler en toute sécurité en raison d’une consommation de drogues. De plus, les résultats de son dernier test de dépistage auraient dû être encore valides.

[21] La Cour d’appel fédérale a répondu qu’elle a toujours dit que, dans les cas d’inconduite, la question à trancher est celle de savoir si l’acte ou l’omission de l’employé constitue une inconduite au sens de la Loi, et non si l’employé a été congédié à tort.Note de bas de page 12

[22] La Cour d’appel fédérale a également déclaré que, lors de l’interprétation et de l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, l’accent est clairement mis sur le comportement de l’employé, et non sur celui de l’employeur. Elle a souligné que les employés qui ont été congédiés à tort ont d’autres solutions à leur disposition. Ces solutions pénalisent le comportement de l’employeur, plutôt que de faire payer les contribuables pour les actions de l’employeur par le biais des prestations d’assurance-emploi.Note de bas de page 13

[23] Dans une affaire plus récente appelée Paradis, l’appelant a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage.Note de bas de page 14 Il a fait valoir qu’il a été congédié à tort, puisque les résultats des tests ont démontré qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail. Il a dit que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et aux lois provinciales en matière de droits de la personne. La Cour s’est appuyée sur l’arrêt McNamara et a déclaré que le comportement de l’employeur n’était pas pertinent pour décider de l’inconduite au sens de la Loi.Note de bas de page 15

[24] Similairement, dans l’affaire Mishibinijima, l’appelant a perdu son emploi en raison de sa dépendance à l’alcool.Note de bas de page 16 Il a fait valoir que son employeur devait lui offrir des mesures d’adaptation parce que la dépendance à l’alcool est considérée comme une invalidité. La Cour d’appel fédérale a de nouveau déclaré que l’accent doit être mis sur ce que l’employé a fait ou n’a pas fait. Le fait que l’employeur ne lui ait pas offert de mesures d’adaptation n’est pas pertinent.Note de bas de page 17

[25] Ces affaires ne concernent pas les politiques de vaccination contre la COVID-19. Mais ce qu’ils disent est quand même pertinent. Mon rôle n’est pas d’examiner le comportement ou les politiques de l’employeur et de déterminer s’il était correct de congédier l’appelante. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi.

[26] Il y a aussi la très récente décision CecchettoNote de bas de page 18 de la Cour fédérale dans laquelle le Tribunal a refusé de verser des prestations à l’appelant parce qu’il n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur. La Cour a conclu que le rôle du Tribunal était restreint et qu’il devait tenir compte de l’« inconduite » au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Ce que disent la Commission et l’appelante

[27] La Commission et l’appelante s’entendent sur les faits essentiels de l’affaire. Les faits essentiels sont les faits que la Commission doit prouver pour démontrer que la conduite de l’appelante constitue une inconduite au sens de la Loi.

[28] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination;
  • l’employeur a clairement informé l’appelante de ses attentes concernant la vaccination;
  • l’employeur a envoyé des lettres à l’appelante à plusieurs reprises pour lui communiquer ses attentes;
  • l’appelante savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne respectait pas la politique.

[29] L’appelante affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • la politique de vaccination de l’employeur était injuste et allait à l’encontre de la loi;
  • son employeur aurait dû lui offrir une mesure d’adaptation;
  • elle a droit à l’autonomie corporelle et la vaccination ne peut pas être obligatoire;
  • l’appelante n’a pas pensé qu’elle pouvait perdre son emploi si elle ne se faisait pas vacciner.

[30] En août 2021, l’employeur a commencé à parler d’une politique de vaccination contre la COVID-19. Le 24 septembre 2021, l’employeur a publié sa politique selon laquelle l’appelante devait commencer à se faire vacciner au plus tard le 26 octobre 2021.Note de bas de page 19

[31] La politique de vaccination de l’employeur prévoit que [traduction] « tout le personnel doit se conformer aux exigences énoncées dans l’ordre de l’autorité provinciale en santé publique et énoncées dans la présente politique ».Note de bas de page 20 L’appelante ne conteste pas le fait que la politique et l’ordre s’appliquaient à elle parce qu’elle est infirmière et travaille dans le domaine de la santé.

[32] La politique exigeait que le personnel ait reçu une première dose du vaccin au plus tard le 25 octobre 2021. Si un membre du personnel ne respecte pas les [traduction] « mesures préventives requises, cette personne n’est pas autorisée à travailler. Le membre du personnel sera mis en congé sans solde et peut faire l’objet de mesures disciplinaires ou d’autres conséquences liées à son emploi, pouvant aller jusqu’au licenciement ».Note de bas de page 21

[33] Le 15 octobre 2021, l’employeur a envoyé à l’appelante une lettre réitérant ses attentes à l’égard de la vaccination. La lettre reconnaissait que « chacun a le droit de prendre ses propres décisions personnelles au sujet de la vaccination. Toutefois, il est important de reconnaître qu’en choisissant de ne pas se faire vacciner ou de ne pas se faire pleinement vacciner, les membres de notre équipe subiront des répercussions importantes. »Note de bas de page 22

[34] L’appelante affirme que son dernier jour de travail était le 15 octobre 2021. Elle dit avoir pris un congé de maladie par la suite.

[35] L’employeur affirme que les tentatives de communiquer avec l’appelante ont échoué. L’employeur indique avoir tenté de communiquer avec l’appelante le 28 octobre 2021 et le 12 novembre 2021.Note de bas de page 23

[36] L’employeur a envoyé une lettre à l’appelante le 29 octobre 2021.Note de bas de page 24 La lettre précise que, comme l’appelante n’a pas reçu le vaccin contre la COVID-19, elle a été placée en congé sans solde à compter du 26 octobre 2021. La lettre indique ce qui suit : [traduction] « si vous n’êtes toujours pas vaccinée le 15 novembre 2021, vous serez congédiée pour non-respect de l’ordre de l’autorité provinciale en santé publique et en raison de votre incapacité à travailler dans votre poste ».Note de bas de page 25

[37] Le 17 novembre 2021, l’employeur a envoyé une autre lettre à l’appelante. Cette lettre indique que les dossiers de l’employeur démontrent que l’appelante n’est toujours pas vaccinée. La lettre précise que l’emploi de l’appelante chez l’employeur prendrait fin immédiatement.Note de bas de page 26

[38] L’appelante ne nie pas avoir reçu ces lettres.

Exemption médicale ou autre exemption

[39] L’appelante savait que la politique de son employeur énonçait que si elle ne se faisait pas vacciner, elle devait obtenir une exemption pour conserver son emploi.Note de bas de page 27 L’appelante a présenté une demande d’exemption pour motifs religieux à l’autorité provinciale en santé publique. Celle-ci a rejeté la demande d’exemption de l’appelante le 22 octobre 2021.Note de bas de page 28 L’autorité provinciale a dit qu’elle acceptait seulement les demandes d’exemption fondées sur des motifs médicaux.   

[40] Lors de son témoignage l’appelante a abordé la façon dont ses croyances religieuses sincères influencent sa position sur la vaccination. J’admets que l’appelante refuse de se faire vacciner contre la COVID-19 en raison de ses croyances religieuses.

[41] L’appelante a convenu qu’elle n’avait pas d’exemption qui correspondait à ce que prévoyait la politique obligatoire de son employeur. Comme il n’y a aucune preuve du contraire, j’accepte le témoignage de l’appelante sur ces points.

Violation de contrat

[42] L’appelante affirme que son employeur a violé son contrat de travail en mettant en œuvre unilatéralement une politique de vaccination. J’ai mentionné plus haut, en faisant référence aux décisions McNamara, Paradis et Mishibinijima,Note de bas de page 29 que plusieurs affaires de la Cour montrent clairement que l’accent doit être mis sur ce qu’une partie appelante a fait ou a omis de faire.

[43] Récemment, la Cour fédérale a rendu une décision dans l’affaire Cecchetto.Note de bas de page 30 Dans cette affaire, le Tribunal (la division générale et la division d’appel) avait rejeté l’appel de l’appelant parce qu’il n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur. La Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait un [traduction] « rôle restreint et précis à jouer dans le système juridique ».Note de bas de page 31 Dans ce cas, le Tribunal devait décider pourquoi l’appelant avait été congédié et s’il s’agissait d’une « inconduite » au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[44] La Cour fédérale a également précisé qu’un prestataire peut ne pas être satisfait du régime d’assurance-emploi, et [traduction] qu’« il y a des façons dont ses demandes peuvent être présentées adéquatement dans le cadre du système juridique ».Note de bas de page 32

[45] Cela signifie qu’il y a d’autres possibilités pour les parties appelantes si elles estiment que leur employeur n’a pas respecté leur contrat de travail. Pour cette raison, je n’ai pas le pouvoir de décider du bien-fondé, de la légitimité ou de la légalité de la politique de vaccination de l’employeur. Cela signifie que je ne vais pas décider si l’employeur a violé une condition du contrat d’emploi, car cela ne relève pas de mon pouvoir.

[46] Encore une fois, je dois me concentrer uniquement sur la Loi. Je ne peux pas décider si l’appelante a d’autres options au titre d’autres lois.Note de bas de page 33 Je peux seulement décider si ce que l’appelante a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.

[47] L’appelante fait valoir qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’elle a effectué toutes les tâches découlant de son contrat de travail. Elle affirme que le non-respect de la politique de vaccination ne l’a pas empêchée de s’acquitter de ses tâches et n’a pas nui à sa capacité de travailler.

[48] L’appelante a conclu une relation d’emploi en septembre 2011. Il est à noter que c’était avant la pandémie. Cela signifie que l’employeur n’aurait pas eu une politique de vaccination en place relativement à la COVID-19.

[49] L’appelante a convenu que lorsqu’elle a été embauchée, elle a accepté de suivre toutes les politiques de l’employeur, et pas seulement celles avec lesquelles elle était d’accord.

[50] Un employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes. Cela comprend le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Lorsque l’employeur a mis en place cette politique comme exigence pour l’ensemble de son personnel, cette politique est devenue une condition expresse de l’emploi de l’appelante.Note de bas de page 34

[51] L’affaire Cecchetto précise également qu’un employeur peut unilatéralement mettre en place une politique de vaccination sans le consentement de l’employé.Note de bas de page 35

Charte et droits de la personne

[52] L’appelante estime que la politique de l’employeur allait à l’encontre de plusieurs lois. L’appelante estime que la politique de son employeur contrevient aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et à la législation sur les droits de la personne. L’appelante croit que la politique de son employeur porte atteinte à son droit à l’autonomie corporelle.

[53] Au Canada, un certain nombre de lois protègent les droits d’une personne. La Charte est l’une de ces lois. Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne et un certain nombre de lois provinciales qui protègent les droits et libertés.

[54] Ces lois sont appliquées par différentes cours et différents tribunaux. Ce Tribunal peut décider si un article de la Loi sur l’assurance-emploi (ou de son Règlement) porte atteinte aux droits garantis par la Charte.

[55] Je n’ai pas le pouvoir d’examiner si une mesure prise par un employeur viole la Charte ou la loi sur les droits de la personne. L’appelante devrait s’adresser à une autre cour ou à un autre tribunal pour régler ce genre de questions.

Violation d’une convention collective et AL c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 36

[56] L’appelante affirme que son employeur a enfreint la convention collective en mettant en œuvre une politique de façon unilatérale. Elle affirme que sa convention collective ne contient aucune disposition relative à l’obligation de se faire vacciner. L’appelante affirme avoir déposé un grief auprès de son syndicat, mais à la date de l’audience, le syndicat n’avait pas donné suite.

[57] L’appelante a fait référence à une décision récente du Tribunal de la sécurité sociale dans laquelle le demandeur s’est vu accorder des prestations parce que l’employeur n’était pas autorisé à modifier unilatéralement un contrat de travail.Note de bas de page 37 Il s’agit de la décision AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada.

[58] Dans cette affaire, A. L. travaillait dans l’administration d’un hôpital et a finalement été congédiée pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeur.

[59] Le membre du Tribunal a conclu qu’A. L. n’avait pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Il a été conclu qu’il existait une convention collective à laquelle l’employeur et les employés étaient liés. Le membre a conclu qu’en l’absence d’une loi spécifique, l’employeur n’était pas en droit d’imposer unilatéralement une nouvelle condition d’emploi, car cela allait à l’encontre de la convention collective. Le raisonnement était que, comme il n’y avait pas de loi exigeant la vaccination obligatoire, il était inapproprié d’imposer unilatéralement cette nouvelle condition.

[60] Par conséquent, il a été conclu qu’A.L. n’avait manqué à aucune obligation envers l’employeur en choisissant de ne pas se faire vacciner, car il n’y avait aucune loi exigeant une politique de vaccination contre la COVID-19. Il a été souligné que la convention collective mentionnait les bienfaits liés à d’autres vaccins. Le membre du Tribunal a conclu que d’autres vaccins étaient prévus dans la convention collective et n’étaient pas obligatoires. Le membre du Tribunal a estimé que les vaccins contre la COVID-19 devraient suivre le même processus que les autres vaccins prévus dans la convention collective.

[61] De plus, le membre du Tribunal a conclu qu’A. L. avait le droit de choisir de recevoir un traitement médical et refuser de suivre un tel traitement. Ce choix était perçu comme un « droit ». Le membre du Tribunal a conclu que même si le choix (le geste posé) était contraire à la politique d’un employeur, cela ne pouvait pas être considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.Note de bas de page 38

[62] Je ne suis pas liée par cette décision ni par d’autres décisions du Tribunal.Note de bas de page 39 Je peux choisir d’adopter leur raisonnement si je le trouve convaincant ou utile. Je n’adopterai pas le raisonnement dans cette affaire pour les raisons qui suivent.

[63] Dans l’affaire dont je suis saisie, l’appelante n’a pas présenté sa convention collective. Cependant, elle a déclaré qu’il n’y avait pas d’obligations vaccinales dans sa convention. Cela ne semble pas être le même cas que celui auquel l’appelante faisait référence. Il s’agit d’une des façons de distinguer le cas de l’appelante de l’arrêt A.L. c Commission de l’assurance-emploi du Canada.

[64] Toutefois, les raisons pour lesquelles je n’ai pas suivi l’affaire A.L. c Commission de l’assurance-emploi du Canada vont au-delà des similitudes et des différences de fait. L’une des raisons pour lesquelles je n’ai pas suivi cette décision est qu’elle est contraire à d’autres décisions de la Cour. J’ai mentionné plus haut, en faisant référence aux décisions McNamara, Paradis, Mishibinijima et CecchettoNote de bas de page 40, que plusieurs décisions de la Cour montrent clairement que l’accent doit être mis sur ce qu’une partie appelante a fait ou a omis de faire.

[65] L’appelante affirme que son employeur a violé la convention collective en mettant en œuvre une politique de façon unilatérale. Il s’agit d’un argument semblable à la conclusion du membre du Tribunal selon laquelle un employeur ne peut pas mettre en place de nouvelles conditions (si aucune loi ne l’exige) à moins qu’un employé n’y consente explicitement ou implicitement. Pourtant, comme je l’ai mentionné plus haut, d’autres cours et tribunaux ont examiné cette même question et tiré des conclusions différentes.

[66] Une partie appelante a d’autres recours si elle estime que l’employeur n’a pas respecté une entente. Pour cette raison, même si je conclus que la situation de l’appelante peut être distinguée de celle décrite dans l’arrêt A.L. c Commission de l’assurance-emploi du Canada, je ne vais pas décider si l’employeur a enfreint une condition de la convention collective, car cela ne relève pas de mon pouvoir.Note de bas de page 41

[67] Encore une fois, je dois me concentrer uniquement sur la Loi. Je ne peux pas décider si l’appelante a d’autres options au titre d’autres lois.Note de bas de page 42 Je peux seulement décider si ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi.

[68] L’appelante affirme que le fait que son employeur modifie les conditions d’emploi et la convention collective est déraisonnable. Cependant, je ne crois pas que cela signifie que l’employeur ne pouvait pas créer et mettre en œuvre une politique pour faire face à une pandémie sans précédent. Encore une fois, l’appelante peut s’adresser à une autre cour ou à un autre tribunal si elle pense que son employeur a enfreint sa convention collective.

Une affaire inconnue du Tribunal de la sécurité sociale a été déposée

[69] L’appelante a également déposé une autre affaire devant le Tribunal de la sécurité sociale.Note de bas de page 43 Il manque à cette affaire l’intitulé de cause. Il n’est donc pas possible de savoir si l’affaire a été annulée.

[70] Dans cette affaire, il était question d’un employé qui n’a pas respecté l’ordre de l’autorité provinciale de santé publique. Mais les faits sont tout à fait différents parce que le membre dans cette affaire a conclu que l’employeur n’avait pas de politique de vaccination.Note de bas de page 44 Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, l’employeur avait sa propre politique et l’appelante a convenu que c’était le cas.Note de bas de page 45  

Éléments d’inconduite?

[71] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes.

[72] Personne ne conteste le fait que l’employeur avait une politique de vaccination. L’appelante était au courant de la politique. J’estime que l’appelante a choisi de son propre gré de ne pas se faire vacciner. Cela signifie que le choix de l’appelante de ne pas se faire vacciner (ou de divulguer son statut vaccinal) était conscient, délibéré et intentionnel.  

[73] L’appelante n’avait pas d’exemption. Sans exemption, l’employeur de l’appelante a clairement indiqué qu’un employé non-vacciné serait mis en congé sans solde, puis congédié.Note de bas de page 46

[74] La politique de l’employeur exige que tous les employés se fassent vacciner s’ils ne bénéficient d’une exemption. L’appelante ne s’est pas fait vacciner et n’avait pas d’exemption. Cela signifie qu’elle n’a pas suivi la politique de son employeur. Par conséquent, elle ne pouvait pas se rendre au travail pour s’acquitter de ses tâches envers son employeur. Il s’agit d’une inconduite.

[75] L’appelante a convenu qu’elle savait qu’en choisissant de ne pas se faire vacciner (et n’ayant pas d’exemption), elle serait placée en congé sans solde. L’appelante a également convenu qu’elle savait qu’elle serait congédiée après son congé sans solde de trois semaines si elle refusait toujours de se faire vacciner. Cela signifie que l’appelante savait qu’il était réellement possible qu’elle soit placée en congé sans solde (suspension) et qu’elle soit ensuite congédiée.

[76] L’inconduite découlant du fait de ne pas se faire vacciner et de ne pas obtenir d’exemption a entraîné la perte de son emploi.

[77] Je conclus que la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’il y a eu inconduite parce que l’appelante savait qu’il y avait une politique de vaccination obligatoire et qu’elle n’a tout de même pas suivi la politique. L’appelante savait que si elle ne respectait pas la politique, elle ne serait pas autorisée à travailler. Par conséquent, elle ne pouvait pas s’acquitter de ses obligations envers son employeur. L’appelante savait aussi qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit congédiée pour cette raison.

Prestations d’assurance-emploi

[78] L’appelante croit également qu’elle devrait avoir droit à des prestations parce qu’elle a cotisé à l’assurance-emploi pendant des années. L’assurance-emploi est un régime d’assurance et, comme pour les autres régimes d’assurance, il faut remplir certaines conditions pour y être admissible. Le régime d’assurance-emploi vise à aider les travailleurs qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, se retrouvent sans emploi et incapables de trouver un autre emploi. J’estime que cela ne s’applique pas dans cette situation.Note de bas de page 47

Donc, l’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[79] À la lumière de mes conclusions précédentes, je conclus que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[80] En effet, la conduite de l’appelante a mené à son congédiement. Elle a agi délibérément. Elle savait que le refus de se faire vacciner allait probablement entraîner la perte de son emploi.

Conclusion

[81] La Commission a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[82] Par conséquent, l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.