Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1151

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : R. L.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 6 juin 2023
(GE-22-3671)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 23 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-679

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur (prestataire) a été suspendu de son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. On ne lui a pas accordé d’exemption. Le prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] Après révision, la défenderesse (Commission) a décidé que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Le prestataire a porté la décision de révision en appel à la division générale.

[4] La division générale a jugé que le prestataire avait été suspendu de son emploi parce qu’il avait refusé de se conformer à la politique de l’employeur. On ne lui a pas accordé d’exemption. Elle a établi que le prestataire savait que l’employeur le suspendrait probablement dans ces circonstances. La division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

[5] Le prestataire cherche maintenant à obtenir la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Le prestataire soutient que l’audience n’était pas équitable et que le membre était partial. Selon lui, la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes et elle a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il avait été suspendu en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si le prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que l’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[10] Le prestataire soulève-t-il une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

Analyse

[11] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Il s’agit des erreurs révisables suivantes :

  1. Le processus d’audience de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a tranché une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit dans sa décision.

[12] La demande de permission de faire appel est une étape préliminaire à l’examen sur le fond. Il s’agit d’une première étape que le prestataire doit franchir, mais où le critère juridique est moins exigeant que celui à remplir pour un appel sur le fond. À l’étape de la permission de faire appel, le prestataire n’a pas à prouver ses arguments. Il doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, il doit démontrer qu’il est possible de soutenir qu’il y a eu une erreur révisable pouvant faire en sorte que l’appel soit accueilli.

[13] Par conséquent, avant d’accorder la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés plus haut et qu’au moins un des motifs donne à l’appel une chance raisonnable de succès.

Le prestataire soulève-t-il une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

[14] Pour appuyer sa demande de permission de faire appel, le prestataire soulève les moyens d’appel suivants :

  1. a) La division générale ne lui a pas donné assez de temps pour présenter ses arguments : on lui a dit de [traduction] « conclure » parce que le temps alloué était écoulé et que les documents qu’il a présentés étaient redondants.
  2. b) Le Tribunal est une farce, tout comme le gouvernement. Il n’y a aucune chance qu’une partie prestataire puisse gagner. Le membre a fait preuve de partialité.
  3. c) La division générale n’a pas accordé d’importance à ses arguments ni tenu compte de ses objections religieuses.
  4. d) La politique lui a été imposée unilatéralement par l’employeur.
  5. e) Son refus de se faire vacciner de force n’est pas une inconduite.
  6. f) La pénalité pour ne pas avoir suivi la politique est disproportionnée; il n’a rien fait de mal.

Inconduite

[15] La division générale devait décider si le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Il appartenait à la division générale de vérifier et d’interpréter les faits de la présente affaire, et de faire sa propre évaluation de la question de l’inconduite.

[16] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à son usage quotidien. Une personne peut être exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle a fait quelque chose de « mal » ou de « répréhensible »Note de bas de page 1.

[17] Comme l’a mentionné la division générale, la preuve montre que le prestataire était régulièrement payé pour travailler pour son employeur. Le relevé d’emploi fourni par le prestataire montre qu’il a reçu une paye au cours de 21 périodes de paye sur 26 entre le 27 novembre 2020 et le 20 novembre 2021.

[18] L’emploi du prestataire était suffisamment régulier et l’on ne s’attendait pas à ce qu’il prenne fin. Par conséquent, il ne peut pas être considéré comme un emploi occasionnel au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 2.

[19] D’après la preuve, l’employeur a empêché le prestataire de travailler en novembre 2021. Le prestataire a reconnu qu’il aurait continué de travailler si la politique n’avait pas été en place. L’employeur a empêché le prestataire de travailler, même s’il y avait du travail. Le prestataire a perdu temporairement son emploi. Il a donc été suspendu aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[20] La notion d’inconduite ne sous-entend pas qu’il est nécessaire que la façon d’agir résulte d’une intention coupable. Il suffit que l’inconduite soit consciente, délibérée ou intentionnelle. Autrement dit, pour qu’il y ait inconduite, l’acte reproché doit avoir été de nature délibérée ou, à tout le moins, de nature insouciante ou négligente au point où l’on pourrait dire que la personne a délibérément ignoré les effets de ses actes sur son rendement.

[21] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de décider si l’employeur était coupable d’inconduite en suspendant le prestataire de telle sorte que sa suspension était injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si le prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[22] D’après la preuve, la division générale a conclu que le prestataire a été suspendu parce qu’il a refusé de se conformer à la politique. Il avait été informé de la politique, et son employeur lui a donné du temps pour qu’il s’y conforme. Aucune exemption pour motifs religieux ne lui a été accordée. Le refus du prestataire était intentionnel et volontaire. Il s’agit de la cause directe de sa suspension.

[23] La division générale a jugé que le prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension.

[24] La division générale a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement du prestataire constituait une inconduite.

[25] Une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 4. On considère également comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi le fait de ne pas respecter une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une entrepriseNote de bas de page 5.

[26] On ne conteste pas le fait qu’un employeur a l’obligation de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de son personnel sur le lieu de travail. L’employeur a suivi les directives du gouvernement pour mettre en œuvre sa politique. La politique était en vigueur lorsque le prestataire a été suspendu.

[27] Le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si les mesures de santé et de sécurité mises en place par l’employeur pour lutter contre la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables. De plus, trancher une question de santé publique dépasse de loin l’expertise du Tribunal en matière d’assurance-emploi et ne relève pas de sa compétence.

[28] Les questions de savoir si l’employeur a omis d’offrir des mesures d’adaptation au prestataire en lui refusant une exemption pour motifs religieux, si l’employeur a enfreint les conditions de son contrat de travail et si la politique allait à l’encontre des droits de la personne et des droits constitutionnels relèvent d’une autre instance. Ce tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que le prestataire demandeNote de bas de page 6.

[29] La Cour fédérale du Canada a rendu une décision dans l’affaire Cecchetto qui a eu lieu récemment. Cette affaire portait sur l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur.

[30] Le prestataire, M. Cecchetto, a fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a affirmé qu’aucune preuve ne démontrait que le vaccin était sécuritaire et efficace. Le prestataire s’est senti discriminé en raison de son choix médical personnel. Le prestataire a soutenu qu’il a le droit de contrôler sa propre intégrité physique et que ses droits ont été violés aux termes du droit canadien et du droit internationalNote de bas de page 7.

[31] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel : selon la loi, le Tribunal n’est pas autorisé à trancher ces questions. La Cour a convenu que, en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers l’employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8. La Cour a déclaré qu’il existe d’autres moyens qui permettraient aux demandes du prestataire de progresser adéquatement dans le cadre du système juridique.

[32] Dans l’affaire Paradis précédente, le prestataire s’est vu refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite, car la politique de l’employeur allait à l’encontre de ses droits au titre de l’Alberta Human Rights Act [loi de l’Alberta sur les droits de la personne]. La Cour fédérale a conclu que cette question relevait d’une autre instance.

[33] La Cour fédérale a déclaré qu’une partie prestataire a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que le programme d’assurance-emploi fasse les frais du comportement.

[34] Dans l’affaire Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation d’un employeur d’offrir des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite en assurance-emploi.

[35] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale n’est pas de décider si l’employeur était coupable d’inconduite en suspendant le prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si le prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[36] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que le prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur, qui avait été mise en place en réponse à la situation exceptionnelle causée par la pandémie, ce qui a entraîné sa suspension.

[37] Je ne vois pas en quoi la division générale aurait commis une erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement d’après les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[38] Je suis pleinement conscient que le prestataire peut demander réparation auprès d’une autre instance si l’existence d’une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite.

Justice naturelle

[39] Le prestataire soutient que la division générale ne lui a pas offert une audience équitable, car elle ne lui a pas donné assez de temps pour présenter ses arguments : on lui a dit de [traduction] « conclure » parce que le temps alloué était écoulé et que les documents qu’il a présentés étaient redondants.

[40] Je ne vois pas en quoi il y a eu un manquement à la justice naturelle. Le prestataire a eu une audience équitable. Il a eu amplement l’occasion de présenter ses arguments, tant à l’oral qu’à l’écrit. L’audience a duré une heure et demie. La division générale a tenu compte des observations du prestataire dans sa décision.

[41] Le prestataire n’a soulevé aucune question pendant l’audience de la division générale. À la fin de l’audience, le prestataire a reconnu que le membre de la division générale avait assez d’éléments pour trancher sa cause. Il a eu plusieurs occasions de présenter sa défense face aux allégations portées contre lui.

[42] Le membre de la division générale était responsable du déroulement de l’audience, et il a décidé d’y mettre fin pour éviter les répétitions. Il ne s’agit pas d’un manquement à la justice naturelle.

Allégation de partialité

[43] Le prestataire soutient que le membre de la division générale a fait preuve de partialité parce qu’il était pressé de mettre fin à l’audience et qu’il ne voulait pas aller à l’encontre du gouvernement.

[44] Une allégation de partialité contre un tribunal est très grave. Elle remet en question l’intégrité du Tribunal et des membres qui ont pris part à la décision contestée. Une telle allégation ne peut pas être faite à la légère. Elle ne peut pas reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou un simple sentiment éprouvé par une partie prestataire ou par son avocat ou avocate. L’allégation doit être appuyée par des éléments de preuve importants qui démontrent un comportement dérogeant à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile, et même nécessaire, de recourir à des éléments de preuve externes aux faits de l’affaire.

[45] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale est d’examiner les éléments de preuve qui lui sont présentés par les deux parties, de déterminer les faits pertinents à la question de droit dont elle est saisie et d’énoncer, dans sa décision écrite, sa propre décision indépendante à cet égard.

[46] Le membre a donné au prestataire assez de temps pour présenter ses arguments. Le fait que le membre de la division générale ait mis fin à l’audience après une heure et demie parce que les arguments du prestataire commençaient à être répétitifs ne constitue pas de la partialité. La division générale doit gérer la durée de son audience pour utiliser ses ressources efficacement.

[47] Le membre de la division générale qui a mené l’audience a rendu une décision très détaillée, appuyée par la preuve. Il a rédigé lui-même cette décision. Le prestataire n’a présenté aucun élément de preuve déterminant qui montrerait que le membre a été influencé par une autre personne ou par une tout autre source pour rendre sa décision.

[48] Je ne vois aucun élément de preuve déterminant qui montrerait que la conduite du membre de la division générale déroge à la norme. Je tiens à répéter qu’une telle allégation ne peut pas reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou un simple sentiment éprouvé par une partie prestataire.

Conclusion

[49] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division et les arguments que le prestataire a présentés pour appuyer sa demande de permission de faire appel, je n’ai pas d’autre choix que de conclure que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Le prestataire n’a soulevé aucun motif qui correspond à l’un des moyens d’appel mentionnés plus haut et qui pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

[50] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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