Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : PZ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1199

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelant : P. Z.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Julie Villeneuve

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 25 janvier 2023
(GE-22-2455)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 25 juillet 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 31 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-169

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant, P. Z. (prestataire), fait appel de la décision de la division générale. Celle-ci a conclu que l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait démontré que le prestataire avait été suspendu de son emploi entre le 8 décembre 2021 et le 10 janvier 2022 en raison d’une inconduite. Il n’avait pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

[3] En raison de son inconduite, le prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[4] Le prestataire soutient que la division générale a mal interprété ce qu’est une inconduite. Plus précisément, il affirme qu’il n’y a pas inconduite s’il est question de nouvelles conditions d’emploi. Il affirme qu’une personne n’a pas à se conformer à de nouvelles conditions d’emploi qui n’existaient pas au moment où elle a commencé à travailler.

[5] Le prestataire soutient également que la division générale n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve. Il affirme que la preuve montre que son contrat de travail initial n’exigeait pas qu’il se fasse vacciner. Il dit aussi que la division générale aurait dû tenir compte de ces éléments de preuve.

[6] Enfin, le prestataire soutient également que la division d’appel jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner la légalité et le caractère raisonnable de la politique de vaccination d’un employeur et rendre une décision à ce sujet, dans le contexte de la détermination de l’existence d’une inconduite.

[7] Le prestataire demande à la division d’appel d’accepter qu’il n’a commis aucune inconduite et de conclure qu’il était admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[8] La Commission soutient que la division générale n’a commis aucune erreur révisable. Elle demande à la division d’appel de rejeter l’appel.

Questions préliminaires : nouveaux éléments de preuve

[9] Le prestataire s’appuie sur de nouveaux éléments de preuve, dont un article de journal de la fin de juin 2023. Ces éléments de preuve n’existaient pas lorsque la division générale a rendu sa décision. Le prestataire affirme que l’article fait référence à une décision de la Cour supérieure du Québec. Il prétend que la Cour a conclu que la politique de vaccination dans cette affaire violait les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

[10] Le prestataire veut aussi déposer une copie de son contrat de travail avec la Commission provinciale du cancer, où il travaillait depuis 1995. La Commission n’existe plus, mais elle fait maintenant partie des Services de santé provinciaux, son employeur actuel. Il affirme que le contrat avec la Commission du cancer démontrera que son employeur n’exigeait aucun type de vaccination.

[11] Le prestataire s’appuie également sur des avis juridiques qui disent qu’il est possible que son employeur l’ait congédié de façon déguisée.

[12] Le prestataire soutient que la division d’appel devrait accepter cette preuve parce qu’elle porte sur la question en litige et qu’elle prouve que la politique de vaccination de son employeur n’avait aucun fondement juridique ou constitutionnel.

[13] La Commission ne conteste pas le fait que les contrats de travail ou les conventions collectives du prestataire n’exigeaient pas qu’il se fasse vacciner. Toutefois, elle soutient que la division d’appel ne devrait pas accepter les nouveaux éléments de preuve parce qu’il est bien établi dans la loi qu’en général, aucun nouvel élément de preuve n’est accepté. Les nouveaux éléments de preuve peuvent être acceptés s’ils fournissent des renseignements généraux, mais ce n’est pas le cas dans la présente affaire.

[14] Je n’accepte pas les nouveaux éléments de preuve. Ils ne fournissent pas de renseignements généraux et ils n’aident pas à démontrer l’existence d’erreurs de procédure. Fait plus important encore, comme je l’expliquerai ci-dessous, ces éléments de preuve ne sont pas pertinents pour la question de l’inconduite.

Questions en litige

[15] Voici les questions en litige dans l’appel actuel :

  1. (a) La division générale a-t-elle mal interprété ce qu’est une inconduite?
  2. (b) La division générale a-t-elle ignoré certains éléments de preuve?
  3. (c) La division générale a-t-elle omis d’exercer sa compétence?

Analyse

[16] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si celle-ci a commis une erreur de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 1. Pour ce qui est des erreurs de fait, la division générale doit avoir fondé sa décision sur cette erreur et avoir tiré la conclusion de fait de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance.

La division générale a-t-elle mal interprété ce qu’est une inconduite?

[17] Le prestataire soutient que la division générale a mal interprété ce qu’est une inconduite. La division générale a conclu qu’il y avait eu inconduite parce que le prestataire a délibérément choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur.

[18] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas reconnu que son contrat de travail initial de 2017 n’exigeait pas qu’il soit vacciné. Cela faisait déjà un bon bout de temps qu’il occupait son emploi lorsque l’employeur a mis en place la politique de vaccination. Celle-ci constituait une nouvelle condition d’emploi.

[19] Le prestataire soutient qu’il n’y a pas inconduite lorsqu’une partie prestataire ne respecte pas les nouvelles conditions d’emploi. Il affirme qu’un employeur ne peut pas modifier son contrat de travail unilatéralement et de façon substantielle.

[20] Le prestataire reconnaît qu’il n’a pas de jurisprudence précise qui appuie sa position. Cependant, il affirme que, selon divers avis juridiques, sa situation pourrait équivaloir à un congédiement déguisé.

[21] La Commission fait valoir qu’il importe peu qu’une politique ne figure pas dans un contrat de travail. Elle s’appuie sur une affaire appelée NelsonNote de bas de page 2. Dans cette affaire, l’employeur a congédié Mme Nelson de son emploi. Elle a été jugée comme ayant enfreint l’interdiction de son employeur de consommer de l’alcool ou de la drogue dans les réserves. Mme Nelson a été vue en état d’ébriété en public dans la réserve, malgré un avertissement préalable.

[22] Mme Nelson a fait valoir qu’il devait y avoir un lien de causalité entre son comportement en dehors du service et son emploi pour conclure à une inconduite. La Cour d’appel fédérale était d’accord, mais elle a souligné que la division d’appel avait expressément conclu à l’existence d’un tel lien. Elle a continué en disant :

[25] De plus, il n’importe guère que l’interdiction de consommer de l’alcool ne soit qu’une condition d’emploi prévue dans les politiques de l’employeur et qu’elle ne soit pas stipulée dans le contrat de travail conclu entre la demanderesse et l’employeur […] les politiques de l’employeur définissent clairement les normes de conduite attendues de la demanderesse et des autres employés, notamment concernant l’interdiction de consommer de l’alcool dans la réserve. Qui plus est, c’est précisément en se basant sur des politiques écrites que notre Cour a conclu, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Lemire, 2010 CAF 314 (par. 17, 19 et 20), que le défendeur avait enfreint une condition de son emploi.

[23] Le prestataire répond que Nelson se distingue de son cas, donc qu’il n’est pas applicable. Dans l’affaire Nelson, il y avait déjà une politique établie lorsque Mme Nelson a commencé à travailler. Dans son cas, il fait remarquer que l’employeur n’exigeait aucune vaccination lorsqu’il a commencé à travailler. En effet, il affirme que son employeur encourageait la vaccination, mais qu’il ne l’a pas imposée.

Examen d’autres affaires judiciaires

[24] Toutefois, les tribunaux ont tranché d’autres affaires concernant de nouvelles politiques qui n’existaient pas auparavant.

[25] Dans une affaire appelée KareliaNote de bas de page 3, l’employeur a imposé de nouvelles conditions à M. Karelia. Il était toujours absent du travail. Ces nouvelles conditions ne faisaient pas partie de son contrat de travail. Malgré cela, la Cour d’appel a décidé que M. Karelia devait s’y conformer, sinon il y aurait inconduite.

[26] Une autre affaire, appelée CecchettoNote de bas de page 4, concernait la vaccination. M. Cecchetto avait fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination qui n’existait pas auparavant ne constituait pas une inconduite. Son employeur a mis en place la politique sans son consentement ou celui de son syndicat. Il n’était pas d’accord avec la politique.

[27] La Cour fédérale était au courant de la preuve et de l’argument de M. Cecchetto. Personne ne conteste le fait que la politique de vaccination de l’employeur ne faisait pas partie du contrat de travail de M. Cecchetto. (En fait, l’employeur n’avait pas sa propre politique de vaccination, mais suivait les règles établies par une directive provinciale sur la santé.)

[28] La Cour fédérale a conclu que les arguments de M. Cecchetto ne permettaient pas d’infirmer la décision de la division d’appel dans cette affaire. Autrement dit, la Cour a admis que l’employeur pouvait mettre en place une politique exigeant la vaccination même si elle ne faisait pas partie du contrat initial. Elle a conclu qu’il y avait inconduite si un membre du personnel omettait sciemment de se conformer à cette politique et qu’il connaissait les conséquences qui en découleraient.

[29] La Cour fédérale a examiné cette question dans une affaire plus récente appelée KukNote de bas de page 5.La Cour fédérale a rendu cette décision après l’audience dans la présente affaire.

[30] M. Kuk a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. Il a soutenu que la division d’appel avait commis une erreur en concluant qu’il avait manqué à ses obligations contractuelles en ne se faisant pas vacciner.

[31] La Cour a écrit :

[traduction]
[34] Comme la Cour d’appel fédérale l’a confirmé dans l’affaire Nelson, il n’est pas nécessaire que le contrat de travail initial contienne une politique écrite pour justifier une inconduite : voir les paragraphes 22 à 26. Une politique écrite communiquée à un employé peut constituer en soi une preuve suffisante de la connaissance objective par l’employé « que le congédiement était une possibilité réelle » de ne pas se conformer à cette politique. Le contrat et la lettre d’offre du demandeur ne contiennent pas les conditions complètes, explicites ou implicites, de son emploi […] Il est bien accepté en droit du travail que les employés ont l’obligation de se conformer aux politiques de santé et de sécurité qui sont mises en œuvre par leurs employeurs au fil du temps.

[37] De plus, contrairement à ce que laisse entendre le demandeur, le Tribunal n’est pas obligé de se concentrer sur le langage contractuel ni d’établir si le prestataire a été congédié de façon justifiée selon les principes du droit du travail lorsqu’il examine une inconduite au sens de la [Loi sur l’assurance-emploi]. Comme je l’ai mentionné plus haut, le critère de l’inconduite porte plutôt sur la question de savoir si un prestataire a intentionnellement commis un acte (ou omis de commettre un acte) contraire à ses obligations professionnelles.

(C’est moi qui souligne)

[32] La Cour fédérale a conclu que, pour qu’il y ait inconduite, il n’était pas nécessaire qu’il y ait eu manquement à une obligation expresse ou implicite découlant du contrat de travail. Une inconduite peut survenir même s’il y a eu manquement à une politique qui ne faisait pas partie du contrat de travail initial.

[33] La Cour fédérale a conclu qu’il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que les arguments de M. Kuk concernant son contrat de travail n’avaient aucune chance raisonnable de succès. Elle a donc rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Kuk.

L’inconduite ne se limite pas à une violation du contrat de travail

[34] Il ressort clairement de ces autorités que la politique de l’employeur n’a pas à faire partie du contrat de travail pour qu’il y ait inconduite. Comme les tribunaux l’ont toujours affirmé, le critère de l’inconduite est de savoir si une partie prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte) contraire à ses obligations professionnelles. Il s’agit d’un critère très étroit et précis.

[35] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle s’est concentrée sur les actions du prestataire et sur la question de savoir s’il aurait dû prévoir qu’elles entraîneraient probablement une suspension et un congédiement, afin d’établir s’il y avait eu inconduite.

[36] Par conséquent, il importait peu que la politique de vaccination n’existait pas auparavant ou qu’elle ne fasse pas partie du contrat de travail du prestataire pour qu’il y ait une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

La division générale a-t-elle ignoré certains éléments de preuve?

[37] Le prestataire soutient que la division générale a ignoré certains éléments de preuve. Plus précisément, il affirme qu’elle n’a pas tenu compte du fait que son contrat de travail initial n’exigeait pas la vaccination.

[38] Comme je l’ai mentionné plus haut, la jurisprudence montre clairement que le contrat de travail d’une partie prestataire n’est pas pertinent pour la question de l’inconduite. Une inconduite peut être constatée en cas de manquement à une politique en dehors du contrat de travail. La division générale n’a donc pas ignoré le fait que le contrat de travail du prestataire n’exigeait pas la vaccination.

Le prestataire affirme que sa situation équivaut à un congédiement déguisé

[39] Le prestataire soutient qu’il a été congédié de façon déguisée. Il dit avoir des avis juridiques à l’appui. Comme la Cour fédérale l’a souligné dans l’affaire Kuk, si le prestataire souhaite faire une allégation de congédiement déguisé, il devra le faire auprès d’une autre instanceNote de bas de page 6.

La division générale a-t-elle omis d’exercer sa compétence?

[40] Le prestataire soutient également que la division générale a omis d’exercer sa compétence en ne se prononçant pas sur la légalité ou le caractère raisonnable de la politique de vaccination de son employeur.

[41] Le prestataire affirme que la division d’appel devrait décider si la politique de vaccination de son employeur était légale ou raisonnable. Il fait valoir que la division d’appel jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner la légalité et le caractère raisonnable de la politique de vaccination d’un employeur, et pour décider s’il y a inconduite.

[42] La Cour fédérale a abordé cette question dans l’arrêt Cecchetto. Elle a établi que ni la division générale ni la division d’appel n’ont la compétence d’évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de vaccination ou de rendre une décision à ce sujet. Cela ne relève tout simplement pas de leur mandatNote de bas de page 7.

[43] La division générale n’a donc pas omis d’exercer sa compétence en n’examinant pas la légalité ou le caractère raisonnable de la politique de vaccination de l’employeur. Elle n’avait tout simplement pas le pouvoir de trancher cette question.

Conclusion

[44] L’appel est rejeté. La division générale n’a pas commis d’erreur correspondant aux moyens d’appel permis. La division générale a établi à juste titre qu’elle devait se concentrer sur la question de savoir si l’action ou l’inaction du prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

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