Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1154

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. L.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (546072) datée du 1er novembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Paula Turtle
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 14 mars 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 6 avril 2023
Numéro de dossier : GE-22-3857

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

[3] Le prestataire soutient qu’il a démissionné de son emploi. J’estime qu’il ne l’a pas fait. Cependant, si c’est effectivement le cas, il n’était pas fondé à le faire parce que son départ n’était pas la seule solution raisonnable pour lui. Il serait donc tout de même exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[4] Le prestataire a perdu son emploi de travailleur social dans un hôpital. Son employeur a déclaré qu’il avait été congédié pour les raisons suivantes :

  • Il a harcelé une collègue. Cela contrevenait à la politique de l’employeur concernant le harcèlement.
  • Il n’a pas protégé la confidentialité de son compte courriel de l’hôpital. Cela contrevenait à la politique de confidentialité de l’employeur.

[5] Le prestataire n’est pas d’accord sur le fait qu’il a harcelé une collègue. Il dit qu’il entretenait une relation intime avec sa collègue et que cela s’est su dans le milieu de travail. Il dit que la plupart des choses dont la collègue s’est plainte n’étaient pas du harcèlement.

[6] Le prestataire ajoute qu’il a déposé un grief après avoir été congédié. Son syndicat a réglé le grief. Selon le règlement, le prestataire avait démissionné de son emploi le 17 juin 2022. Le prestataire affirme que je devrais conclure qu’il a quitté son emploi et qu’il était fondé à le faire à ce moment-là.

[7] La Commission a d’abord établi que le prestataire était admissible aux prestations parce qu’il n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite. L’employeur a déposé une demande de révision. La Commission a obtenu de plus amples renseignements de l’employeur et du prestataire et a conclu que celui-ci n’était pas admissible aux prestations parce qu’il avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[8] Le prestataire a porté la décision découlant de la révision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[9] Je dois décider si le prestataire a démissionné son emploi. Si je conclus que c’est le cas, je dois alors examiner s’il était fondé à quitter son emploi.

[10] Je dois aussi décider si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Analyse

[11] Pour décider si le départ du prestataire était fondé, je dois d’abord décider s’il a démissionné de son emploi. Je dois ensuite examiner s’il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas.

[12] Je dois décider si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour ce faire, je dois trancher deux éléments. Je dois d’abord établir pourquoi le prestataire a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Le prestataire a-t-il quitté son emploi?

[13] Je conclus que le prestataire n’a pas démissionné de son emploi.

[14] Selon la loi, une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 2.

[15] La loi explique ce que signifie « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. La loi indique qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 3.

[16] Le prestataire est responsable de prouver qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 4.

[17] Pour décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances présentes au moment où il a démissionné. La loi énonce des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 5.

[18] Une fois que j’aurai établi les circonstances qui s’appliquent au prestataire, celui-ci devra démontrer que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas à ce moment-làNote de bas de page 6.

[19] La Cour d’appel fédérale affirme que pour décider si le prestataire a démissionné, je dois examiner s’il avait le choix de continuer à travaillerNote de bas de page 7. Il n’avait pas le choix de le faire parce qu’il a été congédié. Il n’a donc pas démissionné.

[20] Le prestataire soutient que même s’il a été congédié, je devrais conclure qu’il a démissionné de son emploi. Il a réglé son grief. Il a accepté de quitter son emploi dans le cadre du règlement.

[21] Le prestataire affirme que la principale raison pour laquelle il a accepté de régler son grief et de quitter son emploi était qu’il ne voulait pas qu’une décision publique soit rendue au sujet de son grief. Les renseignements contenus dans une décision publique au sujet de sa relation avec une collègue de travail pourraient les mettre lui et sa famille dans l’embarras. De plus, il craignait que cela ait une incidence sur sa carrière. Il a également dit que lorsqu’il a réglé son grief, il avait déjà un nouvel emploi. Il pensait qu’il valait mieux rompre ses liens avec son employeur.

[22] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal n’est pas tenu d’accepter ce sur quoi un employeur et un syndicat se sont entendus dans le cadre d’un règlement. Même s’il y a un règlement qui dit qu’une partie prestataire a démissionné, le Tribunal doit examiner tous les éléments de preuve et décider si les agissements de la personne constituaient une inconduiteNote de bas de page 8.

[23] Le prestataire affirme qu’il croyait qu’au moment où il a réglé son grief, cela voulait dire que les raisons de son congédiement avaient été retirées. Je ne peux pas me fonder sur le règlement pour conclure que le prestataire a démissionné. Je suis d’avis que le prestataire n’a pas quitté son emploi.

[24] Même si le prestataire avait démissionné de son emploi, je conclurais qu’il n’était pas fondé à le faire à ce moment-là. Le prestataire a décidé de quitter son emploi pour éviter les conséquences négatives (une décision publique) du processus d’arbitrage. Il avait d’autres solutions raisonnables. À titre d’exemple, il aurait pu continuer la lutte dans le cadre du grief.

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[25] Je conclus que le prestataire a perdu son emploi parce qu’il a enfreint deux des politiques de l’employeur. Il a harcelé une collègue, et son épouse a pu accéder à son courriel du travail parce qu’elle connaissait son mot de passe. L’employeur affirme avoir congédié le prestataire en raison de ces deux violations, mais qu’il l’aurait fait pour l’une ou l’autre d’entre elles.

La raison du congédiement du prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[26] Selon la loi, la raison du congédiement du prestataire est une inconduite.

[27] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 9. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 10. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que sa façon d’agir soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 11.

[28] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 12.

[29] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 13.

[30] Le rôle du Tribunal n’est pas de décider si la décision de l’employeur de congédier une personne employée était justifiée ou représentait une sanction appropriéeNote de bas de page 14.

[31] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que le prestataire a enfreint la politique de l’employeur concernant le harcèlement lorsqu’il a harcelé une collègue. La collègue de travail du prestataire s’est plainte à l’employeur du fait que le prestataire la harcelait. L’employeur a retenu les services d’une enquêteuse professionnelle pour enquêter sur la plainte de la collègue. L’enquêteuse a conclu que le prestataire avait harcelé sa collègue.

[32] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu inconduite parce qu’il n’a pas harcelé sa collègue. Il affirme que l’enquête sur le harcèlement était injuste. Il affirme également que son épouse était en partie responsable du harcèlement.

[33] La Commission affirme également qu’il y a eu inconduite parce que le prestataire a enfreint la politique de confidentialité de l’employeur.

[34] Le prestataire reconnaît que son épouse connaissait son mot de passe donnant accès à ses courriels professionnels. Il est d’accord pour dire qu’elle n’aurait pas dû avoir accès à son courriel du travail.

[35] Le prestataire affirme que la politique signifie qu’il doit prendre des mesures raisonnables pour protéger son compte courriel du travail. Selon le prestataire, le fait d’avoir le même mot de passe, que sa femme connaît, pour tous ses comptes n’enfreint pas la politique de confidentialité.

[36] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite.

[37] Le prestataire savait que son employeur avait une politique concernant le harcèlement qui disait que les personnes employées ne devaient pas harceler leurs collègues. Le prestataire savait que son employeur avait une politique de confidentialité qui l’obligeait à protéger la confidentialité de ses courriels de travail.

[38] Le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’en cas d’infraction à l’une ou l’autre de ces politiques, il pouvait être congédié.

Le prestataire a enfreint la politique de l’employeur concernant le harcèlement

[39] Le prestataire entretenait une relation intime avec une collègue de travail. La relation a pris fin. Par la suite, la collègue s’est plainte à l’employeur du fait que le prestataire la harcelait.

[40] Le prestataire s’est plaint à son employeur du fait que la collègue le harcelait. L’employeur a retenu les services d’une enquêteuse indépendante pour faire enquête sur les deux plaintes.

[41] L’enquêteuse a parlé au prestataire, à la collègue et à deux autres témoins. Elle a produit un rapport de 44 pages accompagné de 24 pages de pièces jointes. Le rapport conclut que le prestataire a harcelé sa collègue et recommande qu’il fasse l’objet de mesures disciplinaires. Le rapport explique ce que le prestataire, la collègue et les témoins ont dit à l’enquêteuse. Le document explique comment l’enquêteuse a établi que le prestataire avait harcelé sa collègue.

[42] Le prestataire n’est pas d’accord avec le rapport de l’enquêteuse. Il affirme que le document est injuste parce qu’il n’est pas fondé sur ce qui s’est passé, mais sur la crédibilité et sur ce qui était le plus probable.

[43] L’enquêteuse a conclu que le prestataire avait harcelé sa collègue à plusieurs reprises. Selon le prestataire, son épouse avait suivi la collègue dans sa voiture après le travail et elle avait affronté celle-ci. Le prestataire était dans la voiture et il a demandé à son épouse d’arrêter. Le prestataire a dit que l’on n’aurait pas dû le congédier pour cela. Le prestataire a également refusé d’admettre qu’il harcelait sa collègue lorsqu’il a fait d’autres choses qui, selon l’enquêteuse, étaient du harcèlement :

  • Il a demandé à son employeur d’organiser ses communications de travail pour qu’il n’ait pas à communiquer avec sa collègue. Par la suite, il n’a pas communiqué avec sa collègue au sujet de problèmes relatifs au travail. De plus, il a envoyé des courriels agressifs à sa collègue au sujet du non-respect des règles selon lesquelles elle ne devait pas communiquer avec lui.
  • Il a envoyé des courriels à sa collègue lorsqu’elle se garait derrière son véhicule.
  • Il s’est garé près de la voiture de sa collègue pour qu’elle les voie, lui et son épouse.

[44] Le prestataire a convenu qu’il avait téléphoné à l’époux de sa collègue de travail et qu’il lui avait dit quelque chose de contrariant et de sexiste.

[45] Le prestataire a dit ne pas avoir fait toutes les choses dont l’enquêteuse le rend responsable. Son épouse a suivi la collègue et a affronté celle-ci alors qu’il se trouvait dans la voiture avec elle. Il a essayé de calmer son épouse.

[46] Il y a de nombreuses bonnes raisons pour lesquelles je préfère la conclusion de l’enquêteuse, selon laquelle le prestataire a harcelé sa collègue à plusieurs reprises, plutôt que les dénégations de harcèlement du prestataire. La raison la plus importante est que l’enquêteuse a parlé au prestataire, à sa collègue et à des témoins. Elle est donc bien mieux placée que moi pour décider de ce qui s’est passé entre le prestataire et sa collègue.

[47] Cependant, je n’ai pas besoin de conclure que le prestataire a fait tout ce dont il a été accusé pour conclure que ses agissements constituaient une inconduite. Le prestataire a convenu que son épouse avait affronté sa collègue alors qu’il était dans la voiture et qu’il avait téléphoné à l’époux de sa collègue pour lui dire des choses contrariantes et sexistes. Ce sont des infractions à la politique concernant le harcèlement.

Le prestataire a enfreint la politique de confidentialité de l’employeur

[48] La deuxième raison distincte pour laquelle le prestataire a été congédié était le fait qu’il n’a pas gardé son mot de passe de compte courriel du travail secret.

[49] Le prestataire a convenu que son épouse connaissait le mot de passe de son courriel du travail parce qu’il utilise le même mot de passe pour tout. Il a convenu qu’il était contraire à la politique que son épouse consulte ses courriels professionnels.

[50] L’utilisation par une personne du même mot de passe, connu de sa conjointe ou de son conjoint, pour ses courriels professionnels et tous ses autres comptes n’est pas une façon raisonnable de protéger son compte courriel du travail.

Alors, le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[51] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a démontré que le prestataire était au courant des politiques de son employeur concernant le harcèlement et la confidentialité. Il a enfreint ces politiques. Il savait ou aurait dû savoir que ces infractions pouvaient mener à son congédiement.

Conclusion

[52] Je conclus que le prestataire n’a pas démissionné de son emploi. S’il avait quitté son emploi, son départ n’aurait pas été fondé.

[53] La Commission a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[54] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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