Assurance-emploi (AE)

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Citation : LL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 331

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : L. L.
Représentante ou représentant : Serge Bouchard
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (567728) datée du 8 mars 2023 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Manon Sauvé
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 23 mai 2023
Personnes présentes à l’audience : L’appelante
Le représentant
Date de la décision : Le 28 juin 2023
Numéro de dossier : GE-23-812

Sur cette page

Décision

[1] La Commission ne peut pas réclamer les prestations reçues par l’appelante, parce qu’il s’est écoulé plus de 36 mois depuis son congédiement.Note de bas de page 1 En effet, les modifications temporaires adoptées par le gouvernement en raison de la pandémie de la COVID-19 s’appliquent à l’appelante.

[2] L’appel est accueilli.

Aperçu

[3] Depuis plusieurs années, l’appelante travaille à titre de secrétaire-trésorière pour une municipalité. Au mois de février 2019, elle est suspendue jusqu’au mois de juin 2019. Le 22 juin 2019, la ville met fin à son emploi.

[4] L’appelante dépose une plainte au Tribunal administratif du travail. Le 21 septembre 2022, les parties s’entendent concernant la plainte de l’appelante.

[5] La ville lui verse la somme de 500,000 $ répartie de la façon suivante : 226 588,38 $ à titre d’indemnité de perte de salaire ; 106 126,24 à titre d’indemnité pour dommages moraux ; indemnité de 7285,38 $ pour le remboursement des honoraires professionnels et 160,000 $ pour les sommes dépensées pour le recours exercé par les procureurs de l’appelante.

[6] Le 22 septembre 2022, l’appelante transmet à la Commission l’entente intervenue entre les parties. Le 16 décembre 2022, la Commission décide que l’indemnité versée à titre de perte de salaire constitue une rémunération au sens de la Loi. Cette somme doit être répartie sur les semaines de prestations du 23 juin 2019 au 8 août 2020. La Commission réclame à l’appelante la somme de 21, 918 $.

[7] La Commission a tenu compte de la législation en vigueur au moment de rendre sa décision le 16 décembre 2022. La loi prévoit que le somme n’est pas remboursable si plus de 36 mois se sont écoulés depuis le licenciement et que le coût administratif pour déterminer le remboursement est égal ou supérieur à la somme due. La Commission estime le coût à 386 $. Par conséquent, elle lui réclame 21,918$

[8] L’appelante n’est pas d’accord avec la Commission. Selon les dispositions en vigueur au moment de l’entente et de la transmission de l’entente à la Commission, la somme n’est pas remboursable si seulement plus de 36 mois se sont écoulés depuis le licenciement. La deuxième condition a été temporairement suspendue. Ainsi, la Loi a été modifiée temporairement, afin de soutenir économiquement les Canadiens et les Canadiennes dont les prestataires pendant la pandémie de la COVID-19.

Question en litige

[9] Est-ce que les modifications temporaires de l’article 46.01 de la loi sur l’assurance-emploi s’appliquent à l’appelante ?

Le contexte

[10] Depuis 1986, l’appelante travaille pour une municipalité. En 2009, l’appelante est promue directrice générale et secrétaire-trésorière. l

[11] Le 6 février 2019, la municipalité suspend l’appelante jusqu’au 22 juin 2019. Le 22 juin 2019, la ville met fin à l’emploi de l’appelante.

[12] L’appelante dépose une plainte au Tribunal administratif du travail. Le Tribunal ordonne que les résolutions de la suspension et de la fin d’emploi soient annulées et que l’appelante réintègre son poste. La municipalité mandate un médiateur pour établir un règlement à l’amiable entre les parties.

[13] Les parties signent une entente de règlement le 21 septembre 2022. Il importe de retenir aux fins du présent litige que la municipalité verse plusieurs indemnités à l’appelante, dont la somme de 226 588,30 $ à titre de perte de salaire qui fait l’objet du présent litige.

[14] Le 22 septembre 2022, le représentant transmet à la Commission une copie de l’entente.

[15] Le 16 décembre 2022, la Commission rend une décision concernant la somme de 226 588,30 $ reçue à titre d’indemnité de perte de salaire. Il s’agit d’un revenu au sens de LoiNote de bas de page 2.

[16] En effet, selon la Loi, la somme payée à l’égard, entre autres, d’une ordonnance du Tribunal dans le cas d’un congédiement, la somme doit être répartie sur les semaines pour lesquelles elle est attribuée. Autrement dit, la somme payée est répartie sur les semaines de prestations d’assurance-emploi reçues par l’appelanteNote de bas de page 3.

[17] Je comprends que la rémunération et la répartition de la somme de 226 588,30 $ ne sont pas constatées par l’appelante.  

[18] La Commission réclame donc les prestations qu’elle a versées. Cela représente 21 918 $.

Cadre législatif

[19] Selon l’article 45 et le paragraphe 46 (1) de la Loi de l’assurance-emploi, le prestataire qui reçoit une somme à la suite d’une ordonnance doit rembourser les prestations versées par la Commission ou son employeur.

[20] La règle habituelle prévoit qu’aucune somme ne doit être remboursée s’il s’est écoulé plus de 36 mois depuis la cessation d’emploi et que de l’avis de la Commission, le coût administratif est égal ou supérieur à sa valeurNote de bas de page 4.

46.01 Aucune somme n’est à rembourser aux termes de l’article 45 ou à retenir aux termes du paragraphe 46 (1), à titre de remboursement d’un versement excédentaire de prestations, s’il s’est écoulé plus de trente-six mois depuis le licenciement ou la cessation d’emploi du prestataire pour lequel la rémunération est payée ou à payer et que, de l’avis de la Commission, le coût administratif pour la détermination du remboursement est vraisemblablement égal ou supérieur à sa valeurNote de bas de page 5.

[21] Dans ce cas-ci, la Commission a indiqué que le coût pour recouvrer la somme auprès de l’appelante était de 355 $ en 2019 et 390 $ en 2022, soit largement inférieur à la demande de remboursement de 21 918 $.

[22] Je mentionne la règle habituelle, parce qu’en raison de la pandémie de la COVID-19, le parlement du Canada a adopté différentes mesures, afin d’aider les Canadiennes et les Canadiennes au niveau économique.

[23] Ainsi, l’article 46.01 a été modifié dans le cadre de la mise en œuvre de différentes mesures mises en placeNote de bas de page 6. La deuxième condition, soit le coût administratif pour déterminer si le remboursement doit être fait, selon les coûts administratifs, a été abolie. Autrement dit, le seul critère pour ne pas avoir à rembourser le trop payé est l’écoulement d’une période de plus de 36 mois.

46.01 Aucune somme n’est à rembourser aux termes de l’article 45 ou à retenir aux termes du paragraphe 46 (1), à titre de remboursement d’un versement excédentaire de prestations, s’il s’est écoulé plus de trente-six mois depuis le licenciement ou la cessation d’emploi du prestataire pour lequel la rémunération est payée ou à payerNote de bas de page 7.

Analyse

[24] Je dois donc déterminer si la modification de l’article 46.01 en vigueur entre le 26 septembre 2021 au 24 septembre 2022, s’applique à l’appelante.

[25] Avant de répondre à cette question, la preuve démontre qu’il s’est écoulé plus de 36 mois entre la fin de l’emploi de l’appelante et le règlement entre les parties. L’appelante a été congédiée le 22 juin 2019 et l’entente a été signée le 21 septembre 2022 ou si la Commission était justifiée de prendre en compte sa décision, le 16 décembre 2022.

[26] Les parties ont produit leurs observations et le représentant de l’appelante a présenté son argumentaire lors de l’audience.

[27] Selon la Commission, elle doit appliquer les règles en vigueur au moment où elle rend une décision, soit le 16 décembre 2022. À cette date, les deux conditions sont de nouveau en vigueur.

[28] Au soutien de sa prétention, la Commission cite le paragraphe 20 de la décision du Tribunal dans l’affaire VB c Commission de l’assurance-emploi du Canada 2020 TSS 61. Le Tribunal a calculé les 36 mois de la façon suivante : la période entre la date de la fin de l’emploi et la décision de la Commission.

[29] Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation de la Commission concernant cette décision. Tout d’abord, cette affaire a donné lieu à 4 décisions : deux de la division générale et deux de la division d’appel. Il était également question du pouvoir de la Commission de réexamen dans les 36 mois qui suivent le moment ou des prestations ont été payables ou sont devenues payables. Elle dispose d’un délai de 72 mois, lorsqu’elle estime qu’il y a eu de fausses déclarationsNote de bas de page 8.

[30] À mon avis, cette affaire n’appuie pas les prétentions de la Commission, bien au contraire, elle sème davantage de confusion concernant l’interprétation de la disposition 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi. D’ailleurs le Tribunal reprochait les explications laconiques de la Commission concernant l’interprétation de cette même dispositionNote de bas de page 9. 

[31] De plus, j’estime que la lecture de l’article 46.01 ne permet pas de calculer les délais comme le mentionne la Commission. Il n’est pas mentionné que la période est celle qui correspond à la date de la fin d’emploi et la date de la décision de la Commission. Mais celle entre la fin d’emploi et le moment où la somme est payée ou payable par l’employeur.

[32] D’ailleurs, dans une autre décision de la division d’appelNote de bas de page 10, le Tribunal concluait que la période se calculait de la façon suivante : la date de la cessation d’emploi jusqu’au moment où la responsabilité de verser une rémunération est établie.

[33] Ainsi, dans le cas de l’appelante, elle a été congédiée le 22 juin 2019 et la somme était payable, le 21 septembre 2022 qui correspond à la date de signature de l’entente. Le calcul de 36 mois se fait entre ses deux dates.

[34] La Commission soutient également que le législateur n’avait pas l’intention de permettre à des prestataires de recevoir des prestations et un salaire en même temps.

[35] Je ne suis pas d’accord avec la Commission. Elle n’a pas démontré qu’effectivement ce n’était pas l’intention du législateur. Au contraire, en cette période difficile, le gouvernement a allégé certaines règles pour permettre aux Canadiennes et Canadiens de passer à travers les problèmes engendrés par la pandémie.Note de bas de page 11

[36] De plus, sans la modification, la disposition permet à un prestataire de recevoir des prestations et son salaire, s’il répond aux deux critères.

[37] Ainsi, je suis d’avis qu’en enlevant la deuxième condition, le législateur voulait avantager les prestataires en période de pandémie. La Commission ne pouvait plus exercer son pouvoir discrétionnaire concernant le coût de recouvrement de la dette, lorsque les 36 mois se sont écoulés. Elle devait appliquer seulement le premier critère pendant la période du 26 septembre 2021 au 24 septembre 2022.

[38] Je constate que le législateur a modifié plusieurs dispositions de la Loi, afin de permettre à plus de Canadiens et Canadiennes d’avoir accès à une aide financière : une majoration des Note de bas de page 12heures d’emploi assurable, pas de délai de carence pour recevoir des prestationsNote de bas de page 13.

[39] Également, la Commission a facilité les demandes des prestataires pour qu’ils puissent obtenir plus rapidement des prestations. Le législateur a accordé à la Commission un droit de réviser dans certaines situations l’admissibilité à recevoir des prestationsNote de bas de page 14.

[40] Lorsque le législateur accorde un pouvoir discrétionnaire à la Commission, il le spécifie. Par exemple, dans le cadre des mesures temporaires, le législateur a accordé un pouvoir à la Commission concernant l’obligation de fournir un certificat médical.Note de bas de page 15 Les modifications ont été adoptées pour faciliter l’accès à de l’aide financière.

[41] Dans ce sens, j’estime qu’en enlevant le deuxième critère prévu à l’article 46.01, le législateur visait le même objectif.

Droit acquis

[42] L’appelant soutient également que l’appelante avait un droit acquis concernant l’application des modifications à la Loi.

[43] Ainsi, il faut appliquer la loi en vigueur au moment du dépôt de la demande et non au moment où la Commission rend sa décision. En effet, la loi nouvelle est réputée respecter les situations sans porter atteinte aux droits acquisNote de bas de page 16, lorsque la situation juridique est individualisée et que la situation juridique est constituée au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loiNote de bas de page 17 l’appelante répond aux critères pour la reconnaissance des droits acquis. La situation juridique est individualisée et concrète : l’appelante a signé l’entente le 21 septembre 2022, les sommes sont payables. Elle a produit les documents à la Commission le 22 septembre 2022.

[44] Le législateur n’a pas donné le pouvoir à la Commission de décider quand les règles doivent s’appliquer. Cela lui permettrait de contourner la volonté du législateur et d’exercer un pouvoir discrétionnaire qui est contraire à la volonté de ce dernier.

[45] La Commission prétend que c’est le règlement tardif du grief de l’appelante qui crée la situation en sa faveur. Ce n’est pas la Commission qui est responsable du délai de traitement du dossier de congédiement.

[46] Je suis d’accord avec l’appelante. Le législateur ne voulait pas permettre à la Commission de décider quand les nouvelles règles doivent s’appliquer. Également, il ne voulait pas permettre à un prestataire de bénéficier des nouvelles mesures en retenant le moment de transmettre l’entente de règlement, afin que la Commission rende une décision pendant la période de l’application de la nouvelle règle.

[47] Par conséquent, j’estime que le calcul de l’écoulement de la période de 36 mois doit se faire de la façon suivante : la date du congédiement, le 22 juin 2019 jusqu’à la date où la somme est à payer le 21 septembre 2022.

[48] Sinon, on se livre à un exercice qui est contraire à l’intention du législateur : accorder un pouvoir discrétionnaire à la Commission dans le traitement des dossiers. Au contraire, il a retiré ce pourvoir à la Commission temporairement.

La défalcation

[49] L’appelante demande au Tribunal d’annuler le trop payé en raison de l’application de l’article 46.01 de la Loi qui ne permet pas le recouvrement du versement excédentaire après 3 ans.

[50] Selon la Commission, le Tribunal n’a pas le pouvoir de défalquer le trop payé du prestataireNote de bas de page 18. Elle cite plusieurs arrêts à l’appui de ses prétentionsNote de bas de page 19. Je constate que les arrêts cités sont antérieurs à l’adoption de nouvelles dispositions de la Loi créant le Tribunal de la sécurité sociale. Cependant, le principe demeureNote de bas de page 20.

[51] Effectivement, je n’ai pas le pouvoir de décider de défalquer un trop payé réclamé par la Commission. Toutefois, j’ai le pouvoir de décider si la Commission a correctement appliqué les dispositions de la Loi.

[52] Dans cette perspective, j’estime que selon les mesures temporaires adoptées par le gouvernement pendant la pandémie, l’appelante n’a pas à rembourser les prestations reçues, parce qu’il s’est écoulé plus de 36 mois entre la date du congédiement, soit le 22 juin 2019 à laquelle la somme est à payer soit le 21 septembre 2022.

Conclusion

[53] Les dispositions temporaires prévues à l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi s’appliquent à l’appelante.

[54] L’appel est accueilli.

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