Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1125

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : A. R.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 23 mai 2023
(GE-22-3947)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 17 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-674

Sur cette page

Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue de son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Elle n’a pas eu d’exemption. Elle a alors demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission de l’assurance-emploi) a décidé que la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après une révision infructueuse pour la prestataire, celle-ci a fait appel à la division générale.

[4] La division générale a établi que la prestataire avait été suspendue après avoir refusé de suivre la politique de son employeur. Elle n’a pas eu d’exemption. Selon la division générale, la prestataire savait ou aurait dû savoir que son employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances. La division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Elle soutient que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes et qu’elle a commis une erreur de droit dans sa conclusion selon laquelle la suspension découlait d’une inconduite.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que cet appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

Questions préliminaires

[9] Selon un principe bien établi, je dois tenir compte de la preuve présentée à la division générale pour trancher la présente demande de permission de faire appel. Les pouvoirs de la division d’appel sont limitésNote de bas de page 1.

[10] La prestataire a fourni des liens vers des sites Web pour appuyer sa position devant la division générale. Comme l’a expliqué la division générale, le Tribunal de la sécurité sociale ne consulte pas ce genre de liens. Je n’ai donc pas tenu compte de ces liens pour rendre ma décision.

Analyse

[11] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social établit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Il s’agit des erreurs révisables suivantes :

  1. La procédure de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a décidé d’une question qui dépassait sa compétence.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[12] La demande de permission de faire appel est une étape qui vient avant l’examen sur le fond. C’est une première étape que la partie prestataire doit franchir, où la barre est moins haute que durant l’appel sur le fond. Lors de la demande de permission de faire appel, la partie prestataire n’a pas à prouver ce qu’elle avance. Elle doit plutôt montrer que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, elle doit établir qu’une erreur susceptible de révision a été commise et peut permettre à l’appel d’être accueilli.

[13] Alors, avant d’accorder la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés ci-dessus et qu’au moins un de ces motifs a une chance raisonnable de succès.

La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

[14] Voici les motifs de la prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel :

  1. a) Elle avait le droit d’exercer ses droits à la sécurité et à la santé sans être soumise à des mesures disciplinaires comme une suspension, ou sans être déclarée coupable d’inconduite.
  2. b) Elle a prouvé que son employeur admettait dans ses documents de sécurité que le vaccin était dangereux.
  3. c) Si la membre du Tribunal n’avait pas le pouvoir ou la capacité de décider si les conditions de travail étaient dangereuses, elle n’avait pas non plus le pouvoir ou la capacité de décider si l’employeur avait offert une solution de rechange sûre au choix qu’elle a fait.
  4. d) Aucune des décisions mentionnées par la division générale ne concernait un employeur qui exigeait à une personne employée, pour la continuité de son emploi, de s’injecter des substances qu’il jugeait lui-même dangereuses dans le contexte d’un diagnostic et d’un usage thérapeutique chez l’humain, comme il l’indique dans ses propres documents de sécurité.
  5. e) Ce n’est pas une inconduite de refuser de s’injecter des substances considérées comme dangereuses et impropres à la consommation humaine selon les documents de sécurité de son employeur.
  6. f) Tout manque de pouvoir ou de capacité de la part de la membre du Tribunal n’invalide et n’élimine pas la capacité légale de refuser de travailler dans des conditions dangereuses sans crainte de représailles.
  7. g) La membre du Tribunal n’a donné aucune explication viable ou logique pour avoir considéré la situation comme rien d’autre qu’un refus de travailler, et encore moins d’explication pour l’avoir considérée comme quelque chose que ni son employeur ni elle-même ne prétendent que ce soit.

[15] La division générale devait décider si la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[16] La division générale était responsable de vérifier et d’interpréter les faits et d’effectuer son propre examen sur la question de l’inconduite. Elle n’était pas liée par les façons dont la prestataire et son employeur ont qualifié la fin d’emploiNote de bas de page 2.

[17] La preuve montre que l’employeur a empêché la prestataire de travailler après le 26 novembre 2021. La prestataire a reconnu que son congé avait été imposé et qu’elle aurait continué à travailler s’il n’y avait pas eu de politique. L’employeur a empêché la prestataire de travailler même s’il y avait du travail. La prestataire a perdu temporairement son emploi. Selon la Loi sur l’assurance-emploi, on considère donc qu’elle a été suspendueNote de bas de page 3.

[18] Dans la notion d’inconduite, ce n’est pas nécessaire qu’il y ait une intention coupable dans le comportement fautif; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour arriver à une conclusion d’inconduite, l’acte reproché doit être délibéré ou, du moins, d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a délibérément décidé d’ignorer les répercussions de cet acte sur son travail.

[19] Le rôle de la division générale n’est pas de se prononcer sur la sévérité de la sanction imposée par l’employeur ni de savoir s’il a mal agi en suspendant la prestataire, de sorte que sa suspension serait injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire a commis une inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[20] De plus, la division générale n’avait pas à décider nécessairement si l’employeur pouvait, conformément à la convention collective, mettre la prestataire en « congé sans solde » parce qu’elle avait refusé de suivre sa politique. On sait très bien que la procédure disciplinaire d’un employeur n’est pas pertinente pour trancher une affaire d’inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 4.

[21] Je tiens aussi à souligner que le terme « inconduite » a un sens bien précis en assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage courant du mot. Une personne exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi n’a pas forcément fait quelque chose de « mal »Note de bas de page 5.

[22] À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue parce qu’elle avait refusé de suivre la politique. La prestataire avait été informée de cette politique et aurait eu le temps de s’y conformer. Elle n’a pas eu d’exemption. Son refus était intentionnel. Elle a agi délibérément. C’est la cause directe de sa suspension.

[23] La division générale a établi que la prestataire savait ou aurait dû savoir que son refus de respecter la politique pouvait entraîner sa suspension.

[24] La division générale a conclu, à partir de la preuve prépondérante, que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[25] Une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 6. On dit aussi que le non-respect d’une politique approuvé par un gouvernement ou une entreprise est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 7.

[26] On s’entend pour dire qu’un employeur doit prendre toutes les précautions raisonnables pour veiller à la santé et à la sécurité de son personnel au travail. Le gouvernement fédéral exigeait que tout le personnel des secteurs de compétence fédérale soit vacciné. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été suspendue.

[27] Il n’appartient pas au Tribunal de décider si les mesures de santé et de sécurité de l’employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables. L’examen d’une question de santé et de sécurité va bien au-delà de l’expertise du Tribunal en assurance-emploi et ne relève pas de sa compétence.

[28] Il revient à une autre instance d’évaluer si l’employeur a enfreint la convention collective ou le droit de la prestataire de refuser de travailler dans des conditions dangereuses, ou si la politique a porté atteinte à ses droits fondamentaux et constitutionnels. Le Tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que la prestataire rechercheNote de bas de page 8.

[29] Récemment, la Cour fédérale du Canada a tranché l’affaire Cecchetto concernant l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Le prestataire a fait valoir que le refus de se plier à une politique vaccinale imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a avancé que rien ne prouvait que le vaccin était sûr et efficace. Il s’est senti discriminé par son choix médical personnel. Il a ajouté qu’il avait le droit de préserver son intégrité physique et que ses droits avaient été violés selon la loi canadienne et internationaleNote de bas de page 9.

[30] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel, selon laquelle le Tribunal n’est pas légalement autorisé à régler ce genre de questions. La Cour a convenu qu’en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique vaccinale de son employeur, le prestataire dans l’affaire Cecchetto avait manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10. La Cour a déclaré que le prestataire avait d’autres options dans le système de justice pour faire valoir ses revendications adéquatement.

[31] Dans une affaire précédente qui s’intitule Paradis, un prestataire s’est vu refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Selon lui, il n’y avait aucune inconduite de sa part, puisque la politique de son employeur avait violé ses droits garantis par l’Alberta Human Rights Act [loi albertaine sur les droits de la personne]. La Cour fédérale a conclu que cette question relevait d’une autre instance.

[32] La Cour fédérale a déclaré qu’il existe d’autres moyens de sanctionner le comportement d’un employeur, qui permettent d’éviter que le programme d’assurance-emploi fasse les frais du comportement incriminé.

[33] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale n’est pas de décider si l’employeur a mal agi en suspendant la prestataire, de sorte que sa suspension serait injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire a commis une inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[34] La preuve prépondérante devant la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique que son employeur avait établie en réponse aux circonstances pandémiques exceptionnelles. C’est ce qui a entraîné sa suspension.

[35] La division générale ne semble avoir commis aucune erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite en suivant uniquement les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite conformément à la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 11.

[36] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé qu’il est plus probable qu’improbable (selon la prépondérance des probabilités) que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[37] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments de la prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel, j’arrive à une seule conclusion : l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Les motifs de la prestataire ne correspondent à aucun des moyens d’appel que j’ai mentionnés au début et qui pourraient mener à l’annulation de la décision contestée.

Conclusion

[38] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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