Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : FP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1156

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : F. P.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (566531) datée du 16 février 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Gary Conrad
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 14 juin 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 27 juin 2023
Numéro de dossier : GE-23-928

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelant n’a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’il était fondé (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi quand il l’a fait. L’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi parce que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui. Il ne peut donc pas recevoir les prestations d’assurance-emploi qu’il demande.

Aperçu

[3] L’appelant a quitté son emploi en juillet 2022.

[4] Il affirme avoir quitté son emploi parce qu’il représentait un danger pour sa santé et sa sécurité. Il dit qu’il effectuait des travaux routiers et qu’il a été contraint de travailler à l’extérieur par une chaleur extrême, si bien qu’il a été victime d’un coup de chaleur à deux reprises.

[5] L’appelant soutient que son employeur obligeait également les camionneurs et camionneuses à sous-estimer leurs heures de travail dans leurs journaux de bord. Ils travaillaient donc plus d’heures que la loi ne le permettait, étaient surmenés et s’endormaient au volant. L’appelant affirme que cela représentait un risque important pour sa santé et sa sécurité.

[6] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons du départ de l’appelant. Elle a jugé qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification parce que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui.

[7] La Commission affirme que l’appelant n’a jamais expliqué en quoi les journaux de bord falsifiés l’avaient directement affecté et qu’il a déclaré qu’il n’avait jamais fait part de ses préoccupations à son employeur.

[8] Je dois décider si l’appelant a prouvé que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

Question en litige

[9] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[10] Pour répondre à cette question, je dois d’abord examiner la question de son départ volontaire. Je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.

Analyse

L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi?

[11] J’admets que l’appelant a quitté volontairement son emploi. Il dit qu’il a démissionné et qu’il a envoyé son préavis de deux semaines, et je ne vois rien qui puisse me faire douter de cela.

[12] Bien que l’appelant ait déclaré qu’après qu’il a envoyé son préavis de deux semaines, on lui avait dit de rentrer chez lui et de ne pas revenir, cela ne change rien au fait que son départ était volontaire, puisque cet incident s’est produit après qu’il avait déjà choisi de démissionner.

L’appelant était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

[13] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle a quitté volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter son emploi pour prouver qu’on est fondé à le faire.

[14] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 2.

[15] L’appelant est responsable de prouver que son départ était fondéNote de bas de page 3. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas. Pour décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ.

Pourquoi l’appelant a démissionné

[16] L’appelant dit qu’il a démissionné en raison d’une série de facteurs qui ont tous contribué à créer un milieu de travail peu sécuritaireNote de bas de page 4.

L’emploi de l’appelant

[17] L’appelant affirme qu’il a occupé son emploi saisonnier pendant environ 15 ans. Il travaillait à tracer des lignes sur les routes et à faire ce qu’on appelle du marquage manuel. Le marquage manuel consiste à créer des flèches directionnelles et d’autres symboles sur la chaussée en plus des lignes.

[18] La principale tâche de l’appelant était de conduire un camion en tête de convoi avec des gyrophares et un grand panneau informant les automobilistes que des travaux de marquage allaient être effectués.

[19] L’appelant explique qu’il a aussi fait beaucoup de travail supplémentaire en aidant à remplir le réservoir du camion traceur et en effectuant d’autres tâches physiques parce les hommes dont c’était le travail était plutôt âgés et qu’il voulait donc les aider.

[20] L’appelant a déclaré que l’année dernière, il avait commencé à faire beaucoup plus de marquage manuel. Cela consistait à mélanger un produit à base de plastique et à le verser dans des gabarits pour créer des flèches directionnelles et d’autres symboles sur la route qui n’étaient pas des lignes.

[21] L’appelant dit qu’avant cela, il ne faisait que très peu de marquage manuel dans l’équipe de marquage. Son employeur perdait cependant des contrats de marquage, et pour s’assurer que ses équipes puissent continuer à travailler de manière régulière, on leur demandait d’effectuer de plus en plus de marquage manuel.

Travailler sous une chaleur extrême

[22] L’appelant affirme que ces travaux de marquage manuel impliquent de rester dehors debout sur l’asphalte pendant des heures avec une température pouvant dépasser 30 °C. Il dit que l’année dernière, il a subi à deux reprises un coup de chaleur si grave qu’il a commencé à vomir et qu’il a dû aller s’asseoir dans le camion climatisé pour récupérerNote de bas de page 5.

[23] L’appelant soutient en avoir parlé à son patron, qui lui a répondu qu’il ne pouvait rien faire, qu’il ne pouvait pas travailler la nuit ou s’arrêter de travailler quand il faisait chaud parce qu’il fallait que le travail soit fait.

[24] L’appelant dit avoir parlé à la personne responsable de la sécurité qui lui a dit qu’il n’y avait rien à faire à part s’assurer qu’il avait de l’eau et des comprimés de sel. Il dit que l’eau et les comprimés de sel ne lui ont jamais été fournis.

[25] L’appelant soutient qu’il a porté le problème jusqu’à la vice-présidence de l’entreprise, mais qu’aucun des gestionnaires ne souhaitait faire quoi que ce soit. Tout ce qui comptait, c’était que le travail soit fait pour gagner de l’argent.

Conduite dangereuse

[26] L’appelant a également déclaré que son employeur obligeait d’autres camionneurs et camionneuses à mentir dans leurs journaux de bord au sujet des heures qu’ils travaillaient afin de leur permettre de faire des heures supplémentaires au‑delà de la limite permise.

[27] L’appelant dit qu’il n’avait pas à remplir de journaux de bord et qu’il n’a donc pas été contraint de mentir, mais que le fait que ses collègues aient été contraints de mentir et de faire des heures supplémentaires a eu des répercussions sur sa santé et à sa sécurité. Il soutient qu’en raison du fait que ses collègues travaillaient plus d’heures qu’ils ne le devaient, ils s’endormaient à chaque fois sur leur chemin de retour.

[28] L’appelant déclare qu’il était assis dans le siège passager lorsqu’ils se rendaient sur un lieu de travail ou en revenaient et qu’il devrait réveiller la personne au volant lorsqu’elle commençait à s’assoupir.

[29] L’appelant dit avoir demandé une fois à conduire le camion de son superviseur pour ne pas avoir à s’inquiéter que la personne au volant ne s’endorme, mais que le superviseur n’aimait pas que quelqu’un d’autre conduise, que cela ne s’était pas bien passé et qu’il avait alors dû se contenter de s’assurer que les camionneurs et camionneuses ne s’endormaient pas.

[30] L’appelant dit qu’il a déposé une plainte auprès de l’organisme de réglementation des transports, mais qu’on lui a répondu que rien ne pouvait être fait tant que trois plaintes n’avaient pas été déposées contre une entreprise.

[31] L’appelant soutient qu’il n’a jamais parlé à quiconque dans l’entreprise des mensonges des personnes employées dans leurs journaux de bord parce que c’était l’entreprise qui les incitait à agir ainsi et qu’il aurait été inutile de soulever la question auprès de l’entreprise.

Danger pour la santé et la sécurité

[32] Chaque emploi comporte des conditions et des environnements de travail différents. Parfois, ces conditions sont tout simplement risquées ou dangereuses, comme dans le cas des pompiers et pompières. Toutefois, ces risques inhérents à un emploi ne signifient pas qu’une personne est fondée à quitter son emploi en les invoquant.

[33] Si une personne est consciente des risques inhérents à un emploi et les accepte, elle ne peut alors pas dire que ces risques ont rendu l’environnement de travail dangereux, pas plus qu’une pompière ou un pompier ne peut dire qu’elle ou il a dû quitter son emploi parce qu’il impliquait de courir dans des bâtiments en flammes.

[34] Dans le cas de l’appelant, le fait de travailler à l’extérieur, pendant la chaleur de l’été, sur de l’asphalte, comporte des risques inhérents. Il connaissait parfaitement ces risques et les acceptait puisqu’il a continué à retourner au travail année après année pendant plus d’une décennie.

[35] Je comprends l’argument de l’appelant selon lequel les choses étaient pires au cours de la dernière année parce qu’il devait faire plus de marquage manuel, mais je juge que ce n’est toujours pas une situation où les conditions ou l’environnement de travail dépassent les risques inhérents au poste que l’appelant a accepté année après année.

[36] Comme l’appelant était conscient de ces risques, il lui appartenait de les gérer en prenant les mesures nécessaires à l’exécution de son travail.

[37] De plus, bien que l’appelant ait mentionné deux incidents de coup de chaleur, il a également déclaré qu’il avait résolu le problème en allant dans un camion climatisé pour se rafraîchirNote de bas de page 6. J’estime que si un camion climatisé est disponible pour se rafraîchir les rares fois où la chaleur devient insupportable pour l’appelant, son environnement de travail ne présente pas de danger pour sa santé et sa sécurité en raison de l’exposition à la chaleur.

[38] Pour ce qui est des camionneurs et camionneuses qui auraient falsifié leurs journaux de bord, je ne trouve pas crédible le témoignage de l’appelant à ce sujet.

[39] L’appelant affirme que ces personnes falsifiaient leurs journaux de bord depuis des années et que lorsque les journaux de bord électroniques ont été introduits, l’employeur leur a aussi dit comment les falsifier. J’estime que si tel était le cas, il n’est pas crédible que l’appelant ait accepté cette situation pendant des années en retournant continuellement au travail, mais que soudainement, à l’été 2022, cela ait engendré un danger pour sa santé et sa sécurité au point qu’il n’avait pas d’autre choix que de démissionner.

[40] Je ne trouve pas non plus crédible son affirmation selon laquelle son employeur aurait participé à un grand complot avec tous ses camionneurs et camionneuses et plusieurs personnes de la direction pour falsifier les journaux de bord. Il n’est tout simplement pas possible de croire qu’une telle chose se produise et que tout le monde soit d’accord avec cela.

[41] Je ne trouve pas non plus crédible le témoignage de l’appelant selon lequel il a tenté de signaler à un organisme de réglementation des transports que les camionneuses et camionneurs falsifiaient leurs journaux de bord, mais que ce dernier lui a répondu que rien ne serait fait avant qu’il y ait au moins trois plaintes. Je ne trouve pas crédible qu’un organisme de sécurité, informé de graves infractions à la sécurité par un grand nombre de personnes chez l’employeur de l’appelant, se contente d’ignorer le problème parce qu’il n’y a pas assez de plaintes.

[42] L’appelant ne m’a donc pas convaincu que selon la prépondérance des probabilités, il était confronté à des dangers pour sa santé et sa sécurité. Les circonstances auxquelles il faisait face n’étaient pas différentes de celles qu’il avait connues dans le passé et il a continué à travailler malgré elles.

Solutions raisonnables

[43] Compte tenu de toutes les circonstances entourant la démission de l’appelant, j’estime que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui.

[44] Je juge qu’au lieu de démissionner, l’appelant avait la solution raisonnable de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi.

[45] Il s’agissait d’une solution raisonnable, car, d’une part, l’appelant cherchait du travail avant de démissionner, mais n’en avait pas trouvé au moment où il a démissionné et, d’autre part, il avait donné un préavis de deux semaines.

[46] J’ai demandé à l’appelant pourquoi il aurait accepté de continuer de travailler pendant deux semaines supplémentaires s’il estimait que les conditions de travail étaient si dangereuses pour sa santé et sa sécurité. Il a déclaré que si son employeur lui avait demandé de faire quelque chose de dangereux pendant ces deux semaines, il aurait refusé de le faire. J’estime que cela démontre qu’il était raisonnable pour l’appelant de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un nouvel emploi, car il estimait qu’il était raisonnable de continuer à travailler. Cela m’amène également à parler de l’autre solution raisonnable qui s’offrait à lui.

[47] Je conclus qu’au lieu de démissionner, l’appelant avait la solution raisonnable de refuser d’effectuer tout travail qu’il jugeait dangereux. Il s’agissait d’une solution raisonnable parce qu’il a déclaré que c’était exactement ce qu’il allait faire pendant sa période de préavis de deux semaines si on lui demandait de faire quelque chose qu’il jugeait dangereux, ce qui montre qu’il s’agissait d’une option à sa disposition.

[48] Je peux comprendre que l’appelant ait pu ne pas aimer travailler dans la chaleur et faire plus de marquage manuel, mais comme il avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi au moment où il a démissionné, cela signifie qu’il n’était pas fondé à le faire.

Conclusion

[49] L’appel est rejeté.

[50] L’appelant n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi parce que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui.

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