Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1166

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une prolongation de délai et à
une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : S. L.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 24 mai 2023
(GE-22-3836)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 28 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-660

Sur cette page

Décision

[1] Une prolongation du délai pour présenter une demande à la division d’appel est accordée. La permission de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur (prestataire) a été suspendu de son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. On ne lui a pas accordé d’exemption. Le prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a établi que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite; elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après une révision défavorable à son égard, le prestataire a fait appel à la division générale.

[4] La division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu de son emploi après avoir refusé de respecter la politique de l’employeur. On ne lui a pas accordé d’exemption. La division générale a conclu que le prestataire savait que l’employeur était susceptible de le suspendre dans ces circonstances. La division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

[5] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Le prestataire soutient que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes et qu’elle a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il avait été suspendu pour inconduite.

[6] Je dois décider si le prestataire a soulevé une erreur susceptible de révision que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès.

[7] J’accorde la prolongation du délai pour déposer la demande de permission de faire appel. Toutefois, je refuse la permission de faire appel parce que l’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[8] La demande est-elle en retard? Le prestataire a-t-il une explication raisonnable justifiant son retard?

[9] Le prestataire soulève-t-il une erreur susceptible de révision que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès?

La demande est-elle en retard? Le prestataire a-t-il une explication raisonnable justifiant son retard?

[10] La demande de permission de faire appel du prestataire est en retard parce qu’elle n’a pas été déposée dans les 30 jours suivant la réception de la décision de la division générale.

[11] J’accorde la prolongation du délai pour présenter la demande de permission de faire appel parce qu’elle a seulement deux jours de retard et que le prestataire a une explication raisonnable justifiant son retardNote de bas de page 1.

Analyse

[12] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Ces erreurs susceptibles de révision sont les suivantes :

  1. 1. Le processus d’audience de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
  2. 2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision.

[13] Une demande de permission de faire appel est une étape préliminaire à une audience sur le fond. Il s’agit d’une première étape que le prestataire doit franchir, mais où le fardeau est inférieur à celui qu’il devra franchir à l’audience de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande permission de faire appel, le prestataire n’a pas à prouver ses prétentions. Il doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur susceptible de révision. Autrement dit, il est possible de soutenir qu’il y a eu une erreur susceptible de révision qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès.

[14] Autrement dit, avant d’accorder la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés ci-dessus et qu’au moins un des motifs a une chance raisonnable de succès.

Le prestataire soulève-t-il une erreur susceptible de révision que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès?

[15] À l’appui de sa demande de permission de faire appel, le prestataire invoque les moyens d’appel suivants :

  1. a) Il n’a jamais été suspendu par son employeur, mais il a été mis en congé.
  2. b) Il n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires de la part de son employeur, il n’y a pas eu de réunion syndicale et il n’a pas reçu d’avertissement écrit ni été suspendu.
  3. c) L’employeur n’a jamais dit qu’il avait été mis en congé en raison de son inconduite.
  4. d) Il n’y avait pas de loi ou de modification à la Loi sur l’assurance-emploi qui exigeait qu’il divulgue son statut vaccinal.
  5. e) Ses statuts vaccinaux n’ont eu absolument aucune incidence sur son travail parce qu’il a suivi des mesures préventives.
  6. f) Il a fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui et il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’il fournisse ses dossiers médicaux personnels ou qu’il accepte un acte médical pour continuer à travailler.
  7. g) La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’inconduite et a cité des affaires non pertinentes et discriminatoires à l’appui de sa décision.

[16] La division générale devait décider si le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[17] La division générale n’est pas liée par la façon dont un employeur, ou la Commission, qualifient les raisons de la perte temporaire d’emploi. Il appartenait à la division générale de vérifier et d’interpréter les faits de la présente affaire et de faire sa propre évaluation de la question de l’inconduite.

[18] Il n’était pas nécessaire que la division générale décide si l’employeur avait respecté sa procédure disciplinaire habituelle. Il est bien établi que la procédure disciplinaire d’un employeur n’est pas pertinente à l’évaluation de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 2.

[19] La preuve montre que l’employeur a empêché le prestataire de travailler en février 2022. Celui-ci a reconnu que la période de congé avait été imposée de force et qu’il aurait continué à travailler si la politique n’avait pas été en place. L’employeur a empêché le prestataire de travailler même s’il y avait du travail. Par conséquent, le prestataire a perdu temporairement son emploi. Il a donc été suspendu au titre de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[20] La notion d’inconduite ne signifie pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou du moins procéder d’une insouciance ou négligence telle que l’on pourrait dire que la personne employée a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[21] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction imposée par l’employeur ni de savoir s’il s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant le prestataire de manière telle que sa suspension était injustifiée, mais plutôt de décider si le prestataire était coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné sa suspension.

[22] À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu parce qu’il avait refusé de respecter la politique. Il avait été informé de la modification apportée à la politique de l’employeur au début de 2022, qui exigeait que les personnes employées fournissent une preuve de vaccination complète et qu’on leur a donné le temps de s’y conformer. Le prestataire n’a pas obtenu d’exemption. Il a refusé intentionnellement, ce qui était délibéré. Il s’agit de la cause directe de sa suspension.

[23] La division générale a établi que le prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait mener à sa suspension. La division générale a conclu, à partir de la preuve prépondérante, que le comportement du prestataire constituait une inconduite.

[24] Une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi Note de bas de page 4. On considère aussi que le non-respect d’une politique approuvée par un gouvernement ou une entreprise est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 5.

[25] On s’entend pour dire qu’un employeur doit prendre toutes les précautions raisonnables pour veiller à la santé et à la sécurité de son personnel au travail. La politique était en vigueur lorsque le prestataire a été suspendu. Il n’appartient pas au Tribunal de décider si les mesures de santé et de sécurité de l’employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables.

[26] Il revient à une autre instance de décider si l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du prestataire en lui interdisant de continuer à travailler en appliquant des mesures préventives, si la politique a porté atteinte à ses droits à titre d’employé ou à sa convention collective ou si elle a violé ses droits de la personne et ses droits constitutionnels. Le Tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que le prestataire rechercheNote de bas de page 6.

[27] Récemment, la Cour fédérale du Canada a rendu une décision dans l’affaire Cecchetto concernant l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de son employeur concernant la vaccination contre la COVID-19. Le prestataire dans cette affaire a fait valoir que le refus de se soumettre à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a soutenu que rien ne prouvait que le vaccin était sûr et efficace. Le prestataire s’est senti discriminé en raison de son choix médical personnel. Il a affirmé qu’il avait le droit de préserver sa propre intégrité physique et que ses droits avaient été violés selon le droit canadien et internationalNote de bas de page 7.

[28] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel, selon laquelle, en faisant un choix personnel et délibéré de ne pas respecter la politique vaccinale de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8. La Cour a précisé qu’il existe d’autres façons de faire avancer adéquatement les revendications du prestataire dans le système judiciaire.

[29] Dans une autre affaire récente relative à la vaccination, la décision Milovac, la Cour fédérale a suivi le raisonnement de l’arrêt Cecchetto et a convenu qu’il n’appartenait pas au Tribunal d’évaluer ou de se prononcer sur le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de l’employeurNote de bas de page 9.

[30] Dans l’affaire Paradis qui a été tranchée auparavant, le prestataire s’est vu refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu qu’il n’y avait eu aucune inconduite de sa part parce que la politique de son employeur avait violé ses droits au titre de l’Alberta Human Rights Act [loi albertaine sur les droits de la personne]. La Cour fédérale a établi que cette question relevait d’une autre instanceNote de bas de page 10.

[31] La Cour fédérale a déclaré qu’il existe d’autres moyens de sanctionner le comportement d’un employeur, qui permettent d’éviter que le régime d’assurance-emploi fasse les frais du comportement incriminé.

[32] Dans l’affaire Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation de l’employeur d’accorder des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les affaires d’inconduite en assurance-emploiNote de bas de page 11.

[33] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale n’est pas de décider si l’employeur a mal agi en suspendant le prestataire, de sorte que la suspension serait injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si le prestataire était coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné son congédiement.

[34] La preuve prépondérante à la disposition de la division générale montre que le prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas respecter la politique que l’employeur avait établie en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie. C’est ce qui a entraîné sa suspension.

[35] La division générale ne semble avoir commis aucune erreur susceptible de révision lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement d’après les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[36] Je suis tout à fait conscient que le prestataire peut demander réparation devant une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite.

[37] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments du prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel, je n’ai d’autre choix que de conclure que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Le prestataire n’a pas invoqué de motif qui correspond aux moyens d’appel mentionnés ci-dessus et qui pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

Conclusion

[38] Une prolongation du délai pour présenter une demande à la division d’appel est accordée. La permission de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

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