Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1265

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelant : J. P.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (537028) datée du 27 septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Nathalie Léger
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 27 février 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 11 mars 2023
Numéro de dossier : GE-22-3333

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal est en désaccord avec l’appelant.

[2] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada (Commission) a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Cela signifie que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelant a été mis en congé sans solde le 25 mars 2022. L’employeur de l’appelant affirme qu’il a été mis en congé parce qu’il a refusé de se faire vacciner, ce qui allait à l’encontre de sa politique de vaccination.

[4] Même si l’appelant ne conteste pas que cela s’est produit, il affirme qu’aller à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite. Il dit également qu’il aurait fallu lui accorder deux semaines de plus pour se conformer. J’expliquerai pourquoi plus loin dans la présente décision.

[5] La Commission a accepté le motif du congédiement de l’employeur. Il a été décidé que l’appelant avait été mis en congé sans solde en raison d’une inconduite. C’est pourquoi la Commission a décidé que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[6] Je dois décider si ce que l’appelant a fait peut être assimilé à une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

Question en litige

[7] L’appelant a‑t‑il perdu son emploi en raison de son inconduite?

Analyse

[8] Selon la loi, le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi s’il perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique lorsque l’employeur a congédié ou suspendu le prestataireNote de bas de page 2.

[9] Pour décider si l’appelant a été mis en congé sans solde en raison de son inconduite, je dois trancher deux éléments. Je dois d’abord établir pourquoi l’appelant a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si ce motif constitue une inconduite au sens de la loi.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[10] Je conclus que l’appelant a été mis en congé sans solde parce qu’il est allé à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur.

[11] Les deux parties conviennent que c’est le cas et je ne vois rien dans la preuve qui pourrait m’amener à en douter.

Le motif du congé sans solde de l’appelant est‑il une inconduite au sens de la loi?

[12] Le motif du congé sans solde de l’appelant est une inconduite au sens de la loi.

[13] La Loi ne précise pas ce que signifie une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des tribunaux judiciaires et administratifs) nous indique comment décider si le congé sans solde de l’appelant constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle énonce le critère juridique applicable à l’inconduite, à savoir les questions et les critères à prendre en considération dans l’examen de la question de l’inconduite.

[14] Selon la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. L’inconduite est aussi une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 4. L’appelant n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, il n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[15] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 6.

[16] La loi ne précise pas que je dois tenir compte de la façon dont l’employeur s’est comportéNote de bas de page 7. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela équivaut à une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 8.

[17] Je dois me concentrer uniquement sur la Loi. Je ne peux pas décider si l’appelant a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question de savoir si l’appelant a été congédié à tort ou si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à l’égard de l’appelantNote de bas de page 9. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que l’appelant a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.

[18] La Commission doit prouver que l’appelant a été mis en congé sans solde en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a été mis en congé sans solde en raison d’une inconduiteNote de bas de page 10.

[19] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination;
  • la politique a été communiquée à tous les employés, y compris à l’appelant, et des rappels concernant son application ont été envoyés;
  • l’employeur a clairement indiqué ses attentes à l’appelant concernant la vaccination; 
  • l’employeur a envoyé des lettres à l’appelant et a échangé des courriels avec lui pour communiquer ce à quoi il s’attendait;
  • l’appelant savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait s’il ne respectait pas la politique.

[20] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’il ne pouvait pas raisonnablement savoir qu’il pourrait perdre son emploi aussi tôt après sa deuxième demande de mesures d’adaptation.

La politique de l’employeur

[21] L’appelant admet qu’il était au courantNote de bas de page 11 de la politiqueNote de bas de page 12 et qu’il savait qu’il pourrait éventuellement être mis en congé sans solde s’il ne se faisait pas vacciner. Il a expliqué à l’audience que la politique de son employeur doit être lue conjointement avec le [traduction] Guide de mise en œuvre de la Politique sur la vaccination et le dépistage de la COVID-19Note de bas de page 13 (guide de mise en œuvre) que son employeur avait également publié.

[22] L’appelant s’est fondé largement sur la politique et le guide pour faire valoir que son employeur a agi injustement en ne respectant pas son propre protocole. Par exemple, il affirme que son employeur aurait dû répondre à sa demande de mesures d’adaptation au moyen du système prévu à cette fin plutôt que par courriel, ou qu’il aurait fallu lui accorder plus de temps après sa deuxième demande de mesures d’adaptation.

[23] Même si ce que je dois évaluer pour trancher les questions en litige en l’espèce n’est pas la conduite de l’employeurNote de bas de page 14, il semble important d’examiner certains éléments. Cela est vrai parce qu’ils ont été invoqués par l’appelant, mais aussi parce qu’ils pourront jeter un peu de lumière sur la question de l’inconduite.

[24] Les objectifs de la politique sont clairs. Le principal objectif, tel qu’il est énoncé à la section 5.1.1, est le suivant : [traduction] « prendre toutes les précautions raisonnables, dans les circonstances, pour protéger la santé et la sécurité des employés. La vaccination est l’un des éléments clés de la protection des employés contre la COVID-19Note de bas de page 15. »

[25] Les exigences en matière de vaccination et d’attestation sont énoncées dans la section suivante de la politiqueNote de bas de page 16. La première attente est que tous les employés soient entièrement vaccinés avant la date de mise en œuvre complète. Cette date, ainsi que d’autres dates concernant la mise en œuvre de la politique, sont précisées dans le guide de mise en œuvre. Les personnes qui peuvent obtenir une mesure d’adaptation fondée sur une contre-indication médicale attestée, pour un motif religieux ou tout autre motif de discrimination illicite ne sont pas assujetties à cette obligation. L’approche en matière de mesures d’adaptation est abordée de plus près dans le guide de mise en œuvre. J’y reviendrai plus loin.

[26] De plus, la politique prévoit une exception pour les personnes qui ne peuvent pas être vaccinées et qui doivent travailler sur les lieux. Ces employés ne sont pas tenus d’être vaccinés, mais devront faire l’objet de tests réguliersNote de bas de page 17.

[27] La deuxième attente est que tous les employés divulguent leur statut vaccinal en fournissant une attestation dans le système désignéNote de bas de page 18.

[28] Les conséquences de la non-conformité à ces deux exigences sont clairement énoncées à la section 6.7 de la politiqueNote de bas de page 19. Ces conséquences s’appliqueront soit lorsqu’il n’y a pas lieu d’accorder une mesure d’adaptation, soit lorsqu’un employé ne souhaite pas être entièrement vacciné ou ne veut pas divulguer son statut vaccinal.

[29] La principale conséquence est la suivante : deux semaines après la date limite fixée pour la présentation de l’attestation, l’employé non conforme sera mis en congé administratif sans solde jusqu’à ce qu’il soit vacciné ou qu’une mesure d’adaptation soit approuvéeNote de bas de page 20.

Le guide de mise en œuvre

[30] Le guide de mise en œuvre apporte des précisions sur la mise en œuvre de la politique. Il renferme un « calendrier de mise en œuvre et de conformitéNote de bas de page 21 ». La première date importante à prendre en considération est le 26 novembre 2021. Il s’agit de la date à laquelle les employés doivent saisir leur statut vaccinal dans le système.

[31] Mais il s’agit également de la date à laquelle les employés doivent avoir présenté leur demande de mesure d’adaptation à leur gestionnaire. L’appelant a fait valoir à l’audience que les retards dans la présentation des demandes de mesures d’adaptation étaient cumulatifs en ce sens qu’une fois le délai expiré après le refus de sa demande de mesure d’adaptation fondée sur des motifs religieux, il avait alors plus de temps pour présenter une deuxième demande de mesures d’adaptation, cette fois-ci pour des raisons médicales.

[32] Ce n’est pas ce que prévoit le guide de mise en œuvre. Dans la section portant sur le calendrier se trouve le passage suivant : [traduction] « Les employés qui ne peuvent pas être vaccinés doivent demander des mesures d’adaptation au plus tard le 26 novembre 2021 ». Ensuite, dans la section sur les mesures d’adaptation, à la première étape, il est écrit ce qui suit : [traduction] « Les employés doivent présenter la demande de mesures d’adaptation et fournir les documents justificatifs à leur gestionnaire dès que possible ou avant la date limite d’attestation ».

Analyse

[33] L’argument, comme celui qu’a avancé l’appelant, selon lequel les dates limites sont cumulatives, donnerait lieu à une attente injuste et inefficace. La politique et le guide de mise en œuvre offraient une manière claire, précise et ordonnée de traiter les véritables demandes de mesures d’adaptation. L’objectif du processus n’était certainement pas d’accorder aux employés un délai indéfini pour qu’ils se conforment le plus tard possible.

[34] L’appelant affirme qu’il n’aurait pas dû se faire refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite parce que son employeur n’a pas suivi sa propre politique en le mettant en congé sans préavis moins de deux semaines après le refus de sa deuxième demande de mesures d’adaptation. Non seulement ce n’est pas la façon dont la politique et le guide de mise en œuvre ont été rédigés, mais c’est aussi lui qui n’a pas respecté son obligation en ne demandant pas les deux formes de mesures d’adaptation (motifs religieux et raisons médicales) [traduction] « à la première occasion ou avant la date limite d’attestation ». Selon moi, cela est suffisant en soi pour rejeter les arguments de l’appelant.

[35] De plus, ce n’est pas le moment de la sanction qui est important dans les cas d’inconduite, mais la connaissance de la sanction en cas de non-conformité. L’appelant ne nie pas qu’il savait qu’il pourrait être mis en congé sans solde s’il ne répondait pas aux attentes énoncées dans la politique. Par conséquent, le fait qu’il ne soit pas d’accord avec le moment de l’imposition de la sanction n’est pas pertinent aux fins de la présente conclusion.

[36] L’appelant me renvoie à certaines décisions du Tribunal qui, à son avis, étayent ses prétentions. Il est important de mentionner ici que je ne suis pas liée par les décisions d’autres membres du Tribunal. Je peux m’y référer à titre de jurisprudence, mais je ne suis pas tenue de les suivre.

[37] La première décision est AL c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 22, une décision rendue par mon collègue Mark Leonard dans une autre affaire au sujet de la vaccination. Cette décision comporte des faits bien différents de ceux de la présente affaire. Tout d’abord, la convention collective qui s’applique à l’appelante ne contient pas de disposition semblable concernant la vaccination. Deuxièmement, l’appelante a déposé un grief contestant la validité de la politique de cet employeur. Ce grief doit encore être entendu. Enfin, je ne suis pas d’accord avec mon collègue pour dire qu’un employeur ne peut jamais faire d’ajouts au contrat de travail. Mais la validité ou la légalité de cette modification revient à un arbitre en droit du travail, et non au Tribunal.

[38] La deuxième décision est DL c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 23, rendue par mon collègue Gary Conrad. L’appelant me renvoie plus précisément aux paragraphes 5, 15, 16, 20, 25 et 26. Encore une fois, cette décision comporte des faits qui diffèrent de ceux du cas de l’appelant. Dans cette décision, la Commission a reconnu le bien-fondé de l’appel, ce qui signifie qu’elle a convenu qu’elle n’aurait pas dû conclure que l’inconduite avait été prouvée dans ce cas. C’est parce que la Commission (et le membre du Tribunal est d’accord sur ce point) a conclu que l’appelante dans cette affaire s’était conformée à la politique de son employeur. Ce n’est pas le cas ici.

[39] Enfin, l’appelant me renvoie à la décision NE c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 24. Il s’agit d’une décision de la division d’appel, dans laquelle il a été conclu que la division générale n’aurait pas dû rejeter l’appel de façon sommaire. Janet Lew, la membre de la division d’appel qui a rédigé cette décision, a conclu que le Tribunal pouvait parfois examiner la validité de la politique de vaccination d’un employeur. Mais il s’agissait d’une situation très particulière et exceptionnelle où l’employeur n’avait pas prévu la possibilité de mesures d’adaptation pour des motifs religieux dans sa politique de vaccination obligatoire. Ce n’est pas vrai dans le cas de l’appelant, car la politique prévoit clairement des mesures d’adaptation pour motifs religieux. L’appelant a même fourni des données montrant que l’employeur a accepté, même dans de rares cas, d’accorder des mesures d’adaptation à des employés qui ont refusé de se faire vacciner en raison de leurs croyances religieusesNote de bas de page 25.

[40] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination qui expliquait clairement les exigences en matière de vaccination et de divulgation du statut vaccinal;
  • l’employeur a clairement expliqué dans sa politique les délais pour présenter une demande de mesures d’adaptation fondée sur des motifs médicaux OU religieux;
  • l’employeur a clairement indiqué que toutes les demandes de mesures d’adaptation devaient être faites dès que possible ou avant le 26 novembre 2021;
  • l’employeur a envoyé des communications écrites (courriels) à l’appelant pour lui dire ce à quoi il s’attendait et les conséquences s’il ne répondait pas aux attentes;
  • l’appelant connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non‑respect de la politique de vaccination de l’employeur, surtout compte tenu du dernier courriel envoyé par l’employeur le 14 mars 2022Note de bas de page 26.

Donc, l’appelant a-t-il été mis en congé sans solde en raison d’une inconduite?

[41] Compte tenu de mes conclusions qui précèdent, je conclus que l’appelant a été mis en congé sans solde en raison d’une inconduite.

[42] Cela s’explique par le fait que les gestes de l’appelant ont mené à son congédiement. Il a agi délibérément. Il savait qu’il risquait d’être mis en congé sans solde s’il refusait de se faire vacciner.

Conclusion

[43] La Commission a prouvé que l’appelant a été mis en congé sans solde en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[44] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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