Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1190

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : A. K.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Josée Lachance

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le
8 mars 2023 (GE-22-3637)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 8 août 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 31 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-326

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant, A. K. (prestataire), fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait prouvé que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Autrement dit, elle a conclu qu’il avait fait ou omis de faire quelque chose qui avait entraîné sa suspension. Il n’avait pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

[3] En raison de l’inconduite, le prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[4] Le prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de droit et de fait. Plus précisément, il soutient que la division générale a ignoré certains éléments de preuve. Il soutient également qu’elle a appliqué le mauvais critère pour décider s’il y a eu inconduite. Il affirme également que la politique de vaccination de son employeur était inconstitutionnelle. Il demande à la division d’appel de rendre la décision que, selon lui, la division générale aurait dû rendre. Il dit que la division d’appel devrait conclure qu’il n’y a pas eu d’inconduite et qu’il est admissible aux prestations d’assurance-emploi.

[5] La Commission soutient que la division générale n’a commis aucune erreur. La Commission demande à la division d’appel de rejeter l’appel et de maintenir la décision de la division générale en place. Cela rendrait le prestataire inadmissible au bénéfice des prestations à compter du 15 novembre 2021, jusqu’à son retour au travail.

Question préliminaire

[6] Le prestataire a un grief en cours concernant sa suspension. Il a choisi d’aller de l’avant avec l’audience de son appel à la division d’appel, sans attendre l’issue de ce grief.

Question en litige

[7] Voici les questions en litige dans le présent appel :

  1. a) La division générale a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique pour décider s’il y a eu inconduite?
  2. b) La division générale a-t-elle ignoré certains éléments de preuve?

Analyse

[8] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si celle-ci a commis une erreur de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de fait.Note de bas de page 1

La division générale a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique pour décider s’il y a eu inconduite?

[9] Le prestataire soutient que la division générale a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’elle a décidé s’il y avait inconduite.

[10] La division générale a fait remarquer que la Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas ce qu’on entend par l’inconduite. La division générale s’est appuyée sur les décisions des cours et des tribunaux pour décider s’il y a eu inconduite dans le cas du prestataire. La division générale a écrit ce qui suit :

[26] D’après la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. [citation omise] L’inconduite doit être une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré. [citation omise] L’appelant n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, il n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi. [citation omise]

[27] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié. [citation omise]

[28] La loi ne dit pas que je dois tenir compte de la façon dont l’employeur s’est comporté. [citation omise] Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela équivaut à une inconduite au sens de la Loi. [citation omise]

[11] Le prestataire nie avoir fait quoi que ce soit de mal. Il estime qu’il ne peut pas avoir inconduite dans les cas où la politique d’un employeur est inconstitutionnelle ou dans les cas où elle contredit les lois en vigueur. Le prestataire affirme qu’il s’est acquitté de toutes les obligations et responsabilités qu’il devait à son employeur en vertu de sa convention collective.

[12] Le prestataire soutient qu’il y a inconduite seulement dans les cas suivants :

  1. (a) un employé a subi les mesures disciplinaires progressives;
  2. (b) un employeur confirme qu’il y a eu inconduite;  
  3. (c) un employé ne respecte pas une condition de sa convention collective.

[13] Le prestataire affirme que dans son cas aucune de ces conditions n’existait.

La constitutionnalité et la légalité de la politique de vaccination d’un employeur ne sont pas pertinentes pour la question de l’inconduite

[14] Le prestataire soutient que la politique de vaccination de son employeur est illégale et inconstitutionnelle. Il s’appuie sur la décision Ingram v Alberta (médecin hygiéniste en chef),Note de bas de page 2 une décision de la Cour du Banc du Roi de l’Alberta. Il s’appuie également sur les recommandations d’un comité des Forces armées canadiennes.Note de bas de page 3

[15] Le prestataire affirme que la Cour du Banc du Roi de l’Alberta et le Tribunal militaire ont conclu que les politiques de vaccination dans ces affaires étaient inconstitutionnelles. Il affirme que les politiques de vaccination dans ces cas sont semblables à la politique de son employeur. Pour cette raison, il affirme que la division d’appel devrait également conclure que la politique de vaccination de son employeur est inconstitutionnelle. Il laisse entendre que, par conséquent, il n’avait pas à respecter la politique de son employeur. Donc, selon lui, il ne peut pas avoir d’inconduite.

[16] Le prestataire soutient également que la politique de vaccination de son employeur a enfreint plusieurs lois. Par exemple, il affirme que la politique a enfreint les lois sur la protection des renseignements personnels.

[17] La Commission affirme qu’il est maintenant trop tard pour que le prestataire soulève des questions constitutionnelles pour la première fois dans le cadre d’un appel à la division d’appel. La Commission soutient également que la légalité et la constitutionnalité de la politique de l’employeur ne sont pas des questions pertinentes.

[18] Le prestataire aimerait soulever des questions constitutionnelles, mais c’est la première fois qu’il les soulève. En outre, il n’a pas détaillé ses arguments constitutionnels. Il n’a pas non plus déposé un avis de questions constitutionnelles.

[19] En plus de ces considérations, la Cour fédérale a clairement indiqué qu’il ne relève pas de la compétence ou du pouvoir du Tribunal de la sécurité sociale d’évaluer ou de se prononcer sur le bien-fondé, la légitimité ou la légalité d’une politique de vaccination.Note de bas de page 4

[20] La division générale n’a pas omis d’examiner la légalité ou la constitutionnalité de la politique de l’employeur. Elle n’avait tout simplement pas le pouvoir d’examiner ces questions.

L’inconduite n’est pas définie par les mesures disciplinaires progressives ni la façon dont l’employeur qualifie la conduite d’une partie prestataire   

[21] Le prestataire soutient également qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’il n’a pas subi de mesures disciplinaires progressives et que son employeur n’a jamais décrit sa conduite comme une inconduite. Par exemple, il affirme que son employeur ne lui a jamais donné d’avertissement par écrit ni menacé de le congédier. Il ajoute que son employeur n’a jamais mentionné ni utilisé les mots « suspension » ou « inconduite » dans sa correspondance.

[22] Quoi qu’il en soit, l’évaluation subjective de la question de savoir si une partie prestataire a commis une inconduite – même si effectuée par l’employeur – ne définit pas l’inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.Note de bas de page 5

[23] Au lieu d’examiner la décision de l’employeur ou de l’employé quant à savoir s’il y a eu inconduite aux termes de la Loi, la division générale doit effectuer sa propre analyse objective pour savoir si l’inconduite a eu lieu. C’est ce que la division générale a fait en l’espèce.

L’inconduite ne doit pas nécessairement constituer une violation de la convention collective ou de l’entente de travail

[24] Le prestataire soutient que pour qu’il y ait inconduite, il doit y avoir violation d’une condition de la convention collective. Il s’appuie sur l’affaire intitulée Lemire.Note de bas de page 6

[25] Dans l’affaire Lemire, la Cour d’appel fédérale a écrit :

[14] Pour déterminer si l’inconduite pourrait mener à un congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son emploi; l’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail : Canada (Procureur général) c Brissette, 1993 CanLII 3020 (CAF), [1994] 1 CF 684 (C.A.), au paragraphe 14; Canada (Procureur général) c Cartier, 2001 CAF 274 N.R. 172, au paragraphe 12; Canada (Procureur général) c Nguyen, 2001 CAF 348, 284 N.R. 260, au paragraphe 5.

(c’est moi qui souligne)

[26] Le prestataire affirme que son contrat de travail ne contient aucune mention de la vaccination. Il affirme donc qu’il n’aurait pas pu manquer à une obligation découlant du contrat de travail. Autrement dit, il affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite.

[27] La Commission renvoie à d’autres affaires de la Cour d’appel fédérale. La Commission affirme que ces affaires démontrent que la Cour d’appel dans l’affaire Lemire ne voulait pas dire que le manquement devait être littéralement une violation d’une clause du contrat de travail.Note de bas de page 7

[28] Dans l’affaire intitulée NguyenNote de bas de page 8, par exemple, la Cour d’appel a conclu qu’il y avait eu inconduite même si la politique de harcèlement de l’employeur ne décrivait pas précisément le comportement de M. Nguyen.  

[29] De même, dans l’affaire KareliaNote de bas de page 9, l’employeur a imposé de nouvelles conditions à M. Karelia, en réponse à son absentéisme chronique au travail. Les nouvelles conditions ne faisaient pas partie du contrat de travail. La Cour d’appel a conclu que M. Karelia devait se conformer à ces nouvelles conditions, sinon il y a inconduite.

[30] Plus récemment, dans l’affaire CecchettoNote de bas de page 10, la Cour fédérale a conclu que M. Cecchetto était coupable d’inconduite parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination de son employeur. La politique de vaccination ne faisait pas partie du contrat de travail de M. Cecchetto. En effet, son employeur n’avait pas sa propre politique, il suivait les règles établies par une directive provinciale en matière de santé.

[31] La Cour a admis que l’employeur pouvait mettre en place une politique exigeant la vaccination même si celle-ci ne faisait pas partie du contrat initial. Elle a conclu qu’il y avait inconduite si les employés omettaient sciemment de se conformer à cette politique tout en connaissant les conséquences qui en découleraient.

[32] La Cour fédérale a examiné cette question dans une affaire plus récente appelée Kuk.Note de bas de page 11L’audience dans la présente affaire avait déjà eu lieu lorsque la Cour fédérale a rendu cette décision.

[33] M. Kuk a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. Il a soutenu que la division d’appel avait commis une erreur en concluant qu’il avait manqué à ses obligations contractuelles en refusant de se faire vacciner.

[34] La Cour a écrit ce qui suit :

[traduction]

[34] [...] Comme la Cour d’appel fédérale l’a confirmé dans l’affaire Nelson, le contrat de travail initial ne doit pas nécessairement contenir une politique écrite pour justifier une inconduite : voir les paragraphes 22 à 26. Une politique écrite qui est communiquée à un employé est suffisante pour prouver que l’employé savait objectivement « que le congédiement était une possibilité réelle » s’il ne respectait pas cette politique. Le contrat d’emploi et la lettre d’offre du demandeur ne contiennent pas les conditions complètes, explicites ou implicites, de son emploi. [...] Il est bien établi dans le cadre du droit du travail que les employés doivent se conformer aux politiques de santé et de sécurité qui sont mises en œuvre par leurs employeurs au fil du temps.

. . .

[37] De plus, contrairement à ce que laisse entendre le demandeur, le Tribunal n’est pas obligé de se concentrer sur le langage contractuel ni de décider si le prestataire a été congédié de façon justifiée selon les principes du droit du travail lorsqu’il examine une inconduite au sens de la [Loi sur l’assurance-emploi]. Comme je l’ai mentionné plus haut, le critère de l’inconduite porte plutôt sur la question de savoir si une partie prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte) qui est contraire à ses obligations professionnelles.

(C’est moi qui souligne)

[35] Selon la Cour fédérale, il ne doit pas nécessairement avoir un manquement à une obligation expresse ou implicite découlant du contrat de travail pour que l’on conclue à l’inconduite. Une inconduite peut survenir même s’il y a eu manquement à une politique qui ne faisait pas partie du contrat de travail initial.

[36] La Cour fédérale a conclu qu’il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que les arguments de M. Kuk concernant son contrat de travail n’avaient aucune chance raisonnable de succès. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Kuk.

[37] Il ressort clairement de ces affaires que pour qu’il y ait inconduite, il n’est pas nécessaire que la violation soit une violation du contrat d’emploi ou de la convention collective originale. Comme les tribunaux l’ont toujours affirmé, le critère de l’inconduite est de savoir si une partie prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte) qui est contraire à ses obligations professionnelles. Il s’agit d’un critère très précis.

[38] Par conséquent, il n’est pas pertinent que la politique de vaccination n’existait pas auparavant ou qu’elle ne fasse pas partie de l’entente d’emploi du demandeur pour qu’il y ait inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

[39] La division générale n’a pas mal interprété ce qu’est une inconduite parce qu’elle (1) n’a pas tenu compte de la légalité ou de la constitutionnalité de la politique de vaccination de l’employeur, (2) n’a pas appliqué la caractérisation des actions du demandeur par l’employeur ou (3) n’a pas tenu compte du contrat de travail.

La division générale a-t-elle ignoré certains éléments de preuve?

[40] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas tenu compte des modalités de sa convention collective. Il affirme que la convention ne l’obligeait pas à se faire vacciner.

[41] L’inconduite ne correspond pas nécessairement à un manquement à une obligation « découlant du contrat de travail ». La division générale n’avait donc pas à examiner la convention collective du prestataire ni à décider si son employeur pouvait imposer unilatéralement de nouvelles conditions d’emploi.

Conclusion

[42] La division générale n’a pas appliqué le mauvais critère juridique pour évaluer l’inconduite ni ignoré la convention collective du prestataire. L’inconduite ne correspond pas forcément à une violation d’une condition du contrat de travail.

[43] La division générale a agi de façon appropriée en se concentrant sur la question de savoir si le prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte) qui est contraire à ses obligations professionnelles tout en sachant que des conséquences pouvaient en résulter.

[44] L’appel est rejeté.

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