Assurance-emploi (AE)

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Citation : SH c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 995

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. H.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (566905) datée du 24 février 2023 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Manon Sauvé
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 15 juin 2023
Personne présente à l’audience : L’appelant
Date de la décision : Le 19 juillet 2023
Numéro de dossier : GE-23-842

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Depuis septembre 2018, l’appelant travaille à titre de gestionnaire de produits pour une entreprise d’ingénierie.

[4] Au mois de juin 2019, l’appelant est accusé d’agression sexuelle et voyeurisme. En novembre 2021, il plaide coupable aux accusations d’agression sexuelle et voyeurisme. Le 21 juin 2022, il est condamné à une absolution conditionnelle.

[5] Le 5 juillet 2022, la cause de l’appelant est médiatisée. Le jour même, l’employeur congédie l’appelant. Le 11 juillet 2022, une entente de règlement est signée entre les parties.

[6] Le 21 juillet 2022, l’appelant présente une demande pour recevoir des prestations d’assurance-emploi. Après enquête, la Commission refuse de lui verser des prestations, parce qu’il a perdu son emploi en raison de son inconduite. Il savait ou aurait dû savoir qu’il serait congédié en commentant un acte criminel.

[7] L’appelant n’est pas d’accord avec la Commission. L’employeur connaissait sa situation depuis le mois de mai 2019, date à laquelle une plainte a été déposée. L’employeur a accommodé l’appelant tout au long du processus, même après la condamnation. Ce n’est qu’à la suite de la médiatisation de la peine que l’employeur a décidé de le congédier. Ce n’est donc pas en lien avec les actes d’agression sexuelle et de voyeurisme.

Question en litige

[8] L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite ?

Analyse

[9] Pour décider si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelant a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi ?

[10] Je retiens que l’appelant a commencé à travailler le 17 septembre 2018 à titre de gestionnaire de produits pour l’employeurNote de bas de page 2.

[11] Au mois de mai 2019, une plainte est déposée contre l’appelant concernant une agression sexuelle qui s’est produite au mois d’avril 2019. Un collègue de travail a avisé l’employeur de la situation.

[12] En juin 2019, des accusations criminelles sont déposées contre l’appelant concernant une agression sexuelle et du voyeurisme survenu en avril 2019. L’appelant doit respecter la condition de ne pas être en contact avec son collègue de travail.

[13] Son collègue de travail est un ami avec qui il voyage matin et soir. Il était présent lors de la soirée où l’appelant a agressé sexuellement la victime, alors qu’elle était en état d’ébriété. Il a vu les images sur le téléphone cellulaire de l’appelant. Il a informé la victime et ils ont porté plainte à la police.

[14] Au mois de novembre 2021, l’appelant plaide coupable. L’employeur suspend l’appelant et procède à une enquête. Il consulte des avocats qui lui recommandent de ne pas congédier l’appelant pour l’instant. En fait, l’employeur s’attend à ce qu’il soit condamné à une peine d’emprisonnement. Il pourra le congédier à ce moment.

[15] Or, le 21 juin 2022, le juge condamne l’appelant à une absolution conditionnelle. Il a des conditions à respecter. L’employeur obtient copie du jugement vers le 27 juin 2022. On lui conseille de ne pas congédier l’appelant pour l’instant.

[16] Le ou vers le 5 juillet 2022, les médias s’emparent de l’affaire, trouvant la peine trop clémente. Les journalistes tentent de communiquer avec l’employeur et l’appelant.

[17] L’employeur congédie l’appelant le 5 juillet. Le 11 juillet 2022, une entente intervient entre les parties. Aucune admission n’est faite de part et d’autreNote de bas de page 3.

[18] Selon l’appelant, il a perdu son emploi, parce que la sentence que lui a imposée le juge a fait l’objet d’une couverture médiatique. L’employeur a décidé de mettre fin à son emploi en raison de la pression des médias.

[19] Pour sa part, la Commission soutient que l’appelant a perdu son emploi, parce que l’employeur n’avait plus confiance en l’appelant et que les actes criminels allaient à l’encontre des valeurs de l’entreprise et lui étaient nuisibles.

[20] Je suis d’avis que l’appelant a été congédié, parce qu’il a commis des actes criminels qui sont contraires aux valeurs de l’employeur. Que ce dernier ait tardé à congédier l’appelant ne permet pas de conclure que les gestes reprochés, soit d’avoir agressé sexuellement la victime pendant une soirée entre amis, ne sont pas les motifs de son congédiement.

[21] Je ne suis pas liée par l’appréciation qu’a faite l’employeur du traitement de la plainte envers l’appelantNote de bas de page 4. L’appréciation subjective de l’employeur pendant le processus judiciaire ne lie pas le TribunalNote de bas de page 5. Je dois apprécier objectivement les faits pour décider si les actes reprochés constituent le motif du congédiement. J’estime que oui l’appelant a été congédié parce qu’il a commis un acte criminel.

[22] En effet, ce n’est pas le comportement de l’employeur que je dois examiner, mais celui de l’appelant. Dans l’arrêt McNamaraNote de bas de page 6, la Cour d’appel fédéral statuait

« Dans l’interprétation et l’application de l’article 30 de la Loi, ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé. Cela ressort nettement du membre de phrase “s’il [le prestataire] perd un emploi en raison de son inconduite”. L’employé qui fait l’objet d’un congédiement injustifié a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance-emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé. »

[23] J’appliquerais le test de l’inconduite dans la prochaine section. Pour l’instant, il importe de déterminer la raison du congédiement.

[24] Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation de l’appelant concernant le motif du congédiement. Cela équivaut à faire abstraction des gestes qu’il a commis. Le lien de causalité demeure les gestes qu’il a commis, sinon l’employeur n’aurait pas eu à prendre différentes mesures et il n’aurait pas eu à consulter des avocats pour savoir comment agir face à la situation de l’appelant. Ce n’est pas parce que l’employeur a suivi les conseils des avocats que l’appelant n’est pas congédié pour les gestes qu’il a commis.

La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite selon la loi ?

[25] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 7. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 8.

[26] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 9.

[27] La Commission doit prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 10.

[28] Selon la Commission, l’appelant a posé des gestes en toute connaissance qui ont mené à des accusations criminelles. Le geste de l’appelant a causé un préjudice tellement important à l’entreprise qu’à la fin des procédures judiciaires il y a eu un congédiement.

[29] Lors de son embauche, l’appelant a signé un code d’éthique qui énonce quatre valeurs fondamentales, dont l’esprit de famille. L’appelant a reconnu que cette valeur était présente dans l’entreprise.

[30] L’appelant aurait dû savoir qu’en commettant un geste criminel, il affecterait sa relation de confiance avec son employeur. Les gestes posés par l’appelant sont directement en lien avec la rupture du lien de confiance ainsi que des préjudices subis par l’employeur.

[31] Pour sa part, l’appelant soutient qu’il ne pouvait pas s’attendre à être congédié par son employeur, parce que depuis le début du processus judiciaire, ce dernier accommodé l’appelant. Même lorsqu’il a été reconnu coupable, il a conservé son poste.

[32] L’appelant s’appuie sur la décision du juge arbitre dans la cause CUB 41256 pour démontrer que les critères cumulatifs pour prouver qu’il y a inconduite ne sont pas satisfaits dans son cas.

[33] L’appelant s’appuie également sur le Guide de la Commission Note de bas de page 11 qui prévoit des critères pour décider si le geste constitue de l’inconduite. Également, l’appelant soutient qu’il a déjà eu une pénalité imposée par l’employeur, lorsqu’il a été suspendu pour fin d’enquête.

[34] Ainsi, il faut que la conduite en cause ait contrevenu à la relation employeur/employé ; que la conduite était intentionnelle ; qu’il y avait une relation causale entre la prétendue inconduite et le congédiement et que la conduite reprochée ne servait pas d’excuse ou de prétexte au congédiement. Si un seul des critères n’est pas rencontré, alors on ne peut pas conclure à de l’inconduite.

[35] L’appelant prétend que la relation employeur/employé n’a pas été affectée par sa conduite. En effet, il est demeuré en poste pendant les procédures judiciaires, lors de son plaidoyer de culpabilité et du prononcé de la sentence par le juge. Ce n’est que lorsque la cause a été médiatisée le ou vers le 5 juillet 2022 que l’appelant a été congédié. Ce n’est donc pas son geste qui a entrainé son congédiement, mais la médiatisation du jugement sur la peine. L’employeur n’a pas mentionné à la Commission qu’il avait avisé l’appelant que si la cause était médiatisée, il serait congédié. Lors de cette rencontre, il était seul avec l’employeur.

[36] Également, l’employeur n’a pas mentionné que lorsqu’il a été informé qu’il avait plaidé coupable, il a été suspendu pendant 1 semaine pour fin d’une enquête. Par la suite, l’employeur lui a permis de travailler en télétravail.

[37] Par ailleurs, l’appelant a bénéficié de tous les avantages des autres employés pendant le processus judiciaire.

[38] Selon l’employeur, il a suivi les conseils de ses avocats avant de congédier l’appelant. Il a pris des mesures dans un premier temps en raison de la présomption d’innocence dont bénéficiait l’appelant pendant les procédures judiciaires. Après la déclaration de culpabilité de l’appelant, l’employeur était convaincu qu’il aurait une peine d’incarcération. Il avait juste à attendre les conclusions de l’affaire, et ce, selon les conseils des avocats. Ce n’est pas ce qui s’est passé. L’appelant a obtenu une absolution conditionnelle. Est-ce que l’employeur a agi correctement ? Est-ce qu’il a été clément face à la situation ? Était-il justifié de le congédier ?

[39] Ce n’est pas mon rôle de le déterminer. Il existe des tribunaux spécialisés pour répondre des comportements de l’employeur. Je dois décider si le geste de l’appelant, soit de commettre un acte criminel, constitue une inconduite. En effet, la perte de l’emploi est en lien avec le geste commis par l’appelant. Ce n’est pas le comportement de l’employeur que je dois examiner, mais celui de l’appelant. Si je n’ai pas à décider que le congédiement d’un prestataire est une mesure trop sévère de la part de l’employeurNote de bas de page 12, je n’ai pas à me prononcer sur la façon dont l’employeur a géré le dossier de l’appelantNote de bas de page 13.

[40] De plus, je tiens à préciser que je ne suis pas liée par le Guide la Commission. Je suis liée par la Loi et les décisions des tribunaux qui me sont supérieurs.

[41] Dans cette perspective, en tenant compte du contexteNote de bas de page 14, l’appelant devait savoir ou aurait dû savoir qu’en commettant un acte criminel, il pouvait être éventuellement congédié pour cet acte.

[42] La Cour d’appel fédérale a décidé qu’il importe peu que la politique ne soit pas stipulée dans le contrat de travail, il peut s’agir d’une condition morale, ou matérielle explicite ou impliciteNote de bas de page 15. Dans le cas de l’appelant, il a signé la politique de l’employeur. Il devait savoir que commettre un acte criminel va à l’encontre des valeurs de l’entreprise. En fait, il était probable qu’il y ait des conséquences graves à la suite de son gesteNote de bas de page 16.

[43] Également, la Cour d’appel fédérale a réitéré dans l’arrêt MishibinijimaNote de bas de page 17 qu’un acte criminel qui se termine par une condamnation constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi :

« Dans l’arrêt Brissette, précité, la Cour a examiné là aussi le sens du terme “inconduite”. Aux paragraphes 10 et 12 de ses motifs, le juge Létourneau s’est exprimé en ces termes : 10. Au surplus, nous n’avons aucune hésitation à conclure que le geste qui constitue une infraction ou un acte criminel et débouche sur une condamnation en vertu du Code criminel est une inconduite au sens du paragraphe 28 (1) de la Loi. L’inconduite dont il est fait mention à cet article peut s’extérioriser par une violation de la loi, d’un règlement ou d’une règle de déontologie et faire en sorte qu’une condition essentielle à l’emploi cesse d’être satisfaite et entraîne le congédiement. Il peut s’agir d’une condition morale ou matérielle explicite ou implicite.

[44] Dans le cas de l’appelant, il a commis un acte criminel. Son congédiement est en lien avec son geste. S’il n’avait pas commis un acte criminel, il n’aurait pas été congédié par l’employeur. Je suis d’avis que moralement le geste commis par l’appelant a brisé le lien de confiance avec son employeur. L’appelant a provoqué sa situation de chômage en commettant un acte criminel. Il ne peut pas se déresponsabiliser en invoquant le comportement de l’employeur.

[45] Par conséquent, j’estime que la Commission a prouvé que l’appelant a été congédié en raison de son inconduite. Elle a démontré qu’on reproche à l’appelant d’avoir commis un acte criminel, qu’il a commis cet acte criminel et que l’employeur l’a congédié en raison de cet acte criminel.

Alors, l’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite ?

[46] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[47] La Commission a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[48] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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