Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1096

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission d’en appeler

Demandeur : A. D.
Défenderesse : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 12 mai 2023
(GE-22-3011)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 15 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-607

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Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur (prestataire) a perdu son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur (politique). L’employeur ne lui a pas accordé d’exemption. Le prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] Après révision, la défenderesse (Commission) a décidé que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Le prestataire a interjeté appel de la décision en révision auprès de la division générale.

[4] La division générale a conclu que l’employeur avait suspendu et congédié le prestataire parce qu’il ne s’était pas conformé à sa politique. Elle a conclu que le prestataire savait que l’employeur était susceptible de le suspendre et de le congédier dans ces circonstances. La division générale a conclu que le non-respect de la politique était la cause de son congédiement. Elle a conclu que le prestataire avait été congédié en raison d’une inconduite.

[5] Le prestataire demande la permission d’en appeler de la décision de la division générale auprès de la division d’appel. Il soutient que la division générale a commis des erreurs de fait et de droit lorsqu’elle a conclu qu’il avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si le prestataire a soulevé une erreur susceptible de révision commise par la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[7] Je refuse la permission d’interjeter appel parce que l’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] Le prestataire soulève-t-il une erreur susceptible de révision commise par la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Les erreurs susceptibles de révision sont les suivantes :

  1. 1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon quelconque.
  2. 2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audition sur le fond de l’affaire. Il s’agit de la première étape que le prestataire doit franchir, mais le fardeau est ici inférieur à celui dont il devra s’acquitter à l’audience relative à l’appel sur le fond. À l’étape de la permission d’en appeler, le prestataire n’a pas à prouver le bien-fondé de ses prétentions, mais il doit établir que l’appel a une chance raisonnable de succès compte tenu d’une erreur susceptible de révision. En d’autres termes, il doit établir que l’on peut soutenir qu’il existe une erreur susceptible de révision sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[11] Par conséquent, avant que je puisse accorder la permission d’en appeler, je dois être convaincu que les motifs d’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés précédemment et qu’au moins l’un des motifs a une chance raisonnable de succès.

Le prestataire soulève-t-il une erreur susceptible de révision de la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

[12] Il soutient que la division générale a commis des erreurs de fait et de droit lorsqu’elle a conclu qu’il avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[13] Plus précisément, le prestataire fait valoir ce qui suit :

  • Son employeur a violé et ignoré ses croyances religieuses.
  • Le rejet de sa demande honnête, sincère et passionnée d’exemption pour des motifs religieux a été fait par l’employeur, et ce n’était pas seulement faux, c’était en contradiction avec ce que les tribunaux ont dit.
  • Les droits religieux sont protégés dans la Loi sur l’assurance-emploi (Loi) à l’article 29 par la Loi canadienne sur les droits de la personne, de sorte que la violation de ces droits entraînant la fin de l’emploi est pertinente.
  • Il a fait le choix de ne pas se conformer à l’exigence de fournir des preuves médicales à son employeur, dont la demande est illégale, ainsi qu’à l’intervention médicale qui pourrait être dangereuse et aller à l’encontre de ses croyances religieuses et de ses droits de la personne.
  • L’article 29 de la Loi s’applique à lui. Il avait un motif légitime et légal, en vertu de l’article 29(c), de quitter volontairement son emploi s’il était fondé à le faire. En fait, la Commission a conclu, dans sa décision initiale, qu’il avait bel et bien quitté volontairement son emploi.
  • Son contrat de travail et sa convention collective (CC) n’exigent pas qu’il suive les conseils médicaux fournis par l’employeur.
  • L’employeur lui demandait essentiellement d’entrer dans un milieu de travail dangereux, en violation des règles de santé et de sécurité, et il a été mis en congé pour ne pas s’être conformé; c’est considéré comme un départ volontaire motivé en vertu de la Loi.
  • Il a choisi de ne pas se conformer à la politique et il a accepté un congé sans solde.
  • Aucun problème de rendement n’a contrevenu aux politiques d’embauche convenues d’un commun accord. Il n’y a aucune preuve qu’il a refusé d’être vacciné ni qu’il a refusé de se conformer à la politique; en l’absence de mesures, il n’y a pas d’inconduite. Sans preuve de refus volontaire, il n’y a pas d’inconduite.
  • Rien ne justifie que l’employeur n’ait pas inclus les exigences et politiques relatives à la pandémie ou à la vaccination dans la CC, s’il le souhaitait. Les raisons pour lesquelles ils ne les ont pas incluses étaient probablement que de nombreux employés éventuels n’auraient pas accepté d’emploi, et les politiques pourraient très bien être illégales.
  • Si une politique exige des actions dangereuses, malsaines ou invasives, comme des vaccins expérimentaux obligatoires, il n’est pas tenu de suivre cette politique.
  • Le non-respect d’une politique n’est pas toujours volontaire, intentionnel ou téméraire. Il faut prouver qu’il en est ainsi.
  • Il ignorait lui-même, à tout moment, s’il se ferait vacciner ou non et s’il choisirait son emploi plutôt que ses droits à la religion et à la vie privée. C’était une situation terriblement difficile, sachant que son gagne-pain et son avenir lui étaient enlevés.
  • Il n’était pas clair s’il allait être licencié. En fait, il croyait vraiment qu’il ne le serait pas et que la politique serait annulée, comme de nombreuses politiques liées à la COVID-19 l’ont été pendant cette période.
  • La division générale a commis une erreur de droit en appliquant la jurisprudence relative à l’inconduite au sens de la Loi, y compris la décision Cecchetto.
  • La Commission ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’il avait manqué à une obligation expresse ou implicite envers l’employeur, et la décision de la division générale selon laquelle il a commis une inconduite était erronée.
  • Il croit avoir amplement démontré qu’il est très difficile d’obtenir une audience équitable lorsque le ministre de l’Emploi et le premier ministre lui-même ont fait de l’issue des demandes de prestations d’assurance-emploi sans avoir été vacciné une quasi-certitude.

Départ volontaire

[14] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte de l’article 29(c) de la Loi.

[15] Le relevé d’emploi du prestataire émis le 20 mai 2022 indique qu’il a été suspendu/congédié de son emploiNote de bas de page 1. Le prestataire a mentionné à plusieurs reprises qu’il n’avait pas démissionné et qu’il avait été congédié parce qu’il n’avait pas respecté la politique de vaccination de l’employeurNote de bas de page 2. La preuve révèle que l’employeur a empêché le prestataire de travailler même s’il y avait du travailNote de bas de page 3.

[16] Il ressort clairement de la preuve que le prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi. L’employeur a mis fin à son contrat de travail. Par conséquent, l’article 29(c) de la Loi ne s’applique pas dans son cas.

Inconduite

[17] La division générale devait décider si le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 4.

[18] Il incombait à la division générale de vérifier et d’interpréter les faits de la présente affaire et d’effectuer sa propre évaluation de la question dont elle était saisie. La division générale n’est pas liée par les motifs de cessation d’emploi donnés par l’employeur ou la Commission.

[19] Il ne faut pas oublier que l’« inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à son usage quotidien. Un employé peut être exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite en vertu de la Loi, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il a fait quelque chose de « mal » ou de « répréhensible »Note de bas de page 5.

[20] La notion d’inconduite ne signifie pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a délibérément décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[21] Il est bien établi que le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction imposée par l’employeur ni de savoir si l’employeur s’était rendu coupable d’inconduite en congédiant le prestataire de telle sorte que son congédiement était injustifié, mais plutôt de décider si le prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a mené à son congédiementNote de bas de page 6.

[22] Le prestataire a été congédié parce qu’il a refusé de suivre la politique de l’employeur qui avait été mise en œuvre pour protéger le personnel pendant la pandémie. Il avait été informé de la politique de l’employeur qui était en vigueur et il a eu le temps de s’y conformer. Il n’a pas obtenu d’exemption. Le prestataire a refusé intentionnellement; ce refus était volontaire. Il a été la cause directe de son congédiement.

[23] La division générale a conclu que le prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner son congédiement.

[24] La division générale a fondé sa conclusion sur la lettre de l’employeur datée du 22 avril 2022 au sujet du congé sans solde. La lettre indique que l’emploi prendra fin le 2 mai 2022 si le prestataire choisit de demeurer non vacciné après le 30 avril 2022. Le prestataire a choisi de ne pas se conformer à la politique de son employeur. Il a été licencié.

[25] La division générale a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement du prestataire constituait une inconduite.

[26] Le non-respect voulu de la politique de l’employeur constitue une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 7. Le non-respect d’une politique dûment approuvée par un gouvernement ou un secteur d’activité est également considéré comme une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 8.

[27] Nul ne conteste réellement le fait que l’employeur est tenu de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de son personnel au travail. Il n’appartient pas au Tribunal de trancher des questions sur l’efficacité du vaccin ou le caractère raisonnable de la politique de l’employeur.

[28] Dans la présente affaire, l’employeur a suivi les recommandations des services de santé de l’Alberta afin de mettre en œuvre sa propre politique visant à protéger la santé de l’ensemble du personnel pendant la pandémie. La politique s’appliquait au prestataire et était en vigueur lorsque le prestataire a été congédié.

[29] La question de savoir si l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du prestataire en ne lui accordant pas d’exemption pour des motifs religieux, ou si la politique de l’employeur a porté atteinte à ses droits en matière d’emploi, ou si l’employeur a violé les droits fondamentaux et les droits constitutionnels du prestataire relève d’une autre instance. Le Tribunal n’est pas l’instance par laquelle le prestataire peut obtenir la réparation qu’il rechercheNote de bas de page 9.

[30] La Cour fédérale du Canada a rendu récemment la décision Cecchetto concernant l’inconduite et le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. Les enseignements de la Cour vont bien au-delà de l’interprétation faite par le prestataire.

[31] M. Cecchetto a fait valoir qu’il aurait dû obtenir la permission d’en appeler de la division d’appel parce que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur ne constitue pas une inconduite. Il n’a pas été prouvé que le vaccin était sûr et efficace, a-t-il avancé. Le prestataire s’est senti victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Il a fait valoir qu’il a le droit de décider de sa propre intégrité corporelle et que ses droits ont été violés sous le régime du droit canadien et internationalNote de bas de page 10.

[32] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle, en vertu de la loi, le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions. La Cour a convenu qu’en faisant le choix personnel et voulu de ne pas respecter la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers l’employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 11. La Cour a affirmé que le prestataire dispose d’autres recours dans le cadre du système judiciaire pour faire valoir ses allégations.

[33] Dans l’affaire Paradis, le prestataire s’est fait refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu qu’il n’y avait eu aucune inconduite parce que la politique de l’employeur portait atteinte aux droits que lui confère l’Alberta Human Rights Act (loi sur les droits de la personne de l’Alberta). La Cour fédérale a conclu que l’affaire relevait d’une autre instance.

[34] La Cour fédérale a affirmé que, pour sanctionner le comportement de l’employeur, il existait d’autres recours qui permettent d’éviter que le programme d’assurance-emploi fasse les frais de ce comportement.

[35] Dans l’arrêt Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a affirmé que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite liés à l’assurance-emploi.

[36] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, le rôle de la division générale n’est pas de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant le prestataire de sorte que son congédiement était injustifié, mais bien de décider si le prestataire s’est rendu coupable d’inconduite et si cette inconduite a mené à son congédiement.

[37] La preuve prépondérante dont disposait la division générale montre que le prestataire a fait le choix personnel et voulu de ne pas se conformer à la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné son congédiement.

[38] Selon moi, la division générale n’a commis aucune erreur susceptible de révision lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 12.

Allégation de partialité

[39] Le prestataire soutient qu’il a amplement démontré qu’il est très difficile d’obtenir une audience équitable lorsque le ministre de l’Emploi et le premier ministre lui-même ont fait de l’issue des demandes de prestations d’assurance-emploi sans avoir été vacciné une quasi-certitude.

[40] Une allégation de partialité contre un tribunal administratif est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal administratif et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Une telle allégation ne peut être formulée à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressions d’une demanderesse ou de son avocat. Elle doit être appuyée par des preuves matérielles démontrant un comportement dérogatoire à la norme. Il est souvent utile, voire nécessaire, de recourir à des preuves extrinsèques à l’affaire.

[41] La membre qui a tenu la longue audience a donné au prestataire tout le temps dont il avait besoin pour présenter sa causeNote de bas de page 13. Elle a rendu une décision très complète et détaillée. Le prestataire n’a déposé aucune preuve importante qui démontrerait que la membre a été influencée par quelqu’un ni quelque autre source pour rendre sa décision. La décision de la membre est fondée sur les faits présentés et sur la jurisprudence applicable.

[42] Je ne peux voir aucune preuve importante démontrant une conduite de la membre de la division générale qui déroge à la norme. Je dois répéter qu’une telle allégation grave ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’une prestataire.

[43] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que ce moyen d’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[44] Dans sa demande de permission d’en appeler, le prestataire n’a soulevé aucune erreur susceptible de révision, comme la compétence ou le défaut de la division générale d’observer un principe de justice naturelle. Il n’a relevé aucune erreur de droit ni aucune conclusion de fait erronée que la division générale aurait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance en rendant sa décision sur la question de l’inconduite.

[45] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments du prestataire à l’appui de sa demande de permission d’en appeler, je conclus que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[46] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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