Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1202

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (510634) rendue le 19 août 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 11 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 26 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-3050

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Décision

[1] L’appel est rejeté et la décision est modifiée. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prestataire. Voici la modification : l’inadmissibilité prend fin le 25 février 2022. Cette date coïncide avec le congé sans solde de la prestataire. À compter du 27 février 2022, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations, car elle a été congédiéeNote de bas de page 1.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] La prestataire a perdu son emploi. Son employeur affirme qu’elle a été congédiée parce qu’elle n’a pas suivi sa politique de vaccination.

[4] La prestataire n’est pas d’accord. Elle dit que son employeur et elle ont choisi mutuellement de rompre les liens.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeur pour expliquer la suspension et le congédiement. Elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] La prestataire a‑t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] D’après la loi, on ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique en cas de congédiement et en cas de suspensionNote de bas de page 2.

[8] Pour savoir si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a‑t-elle perdu son emploi?

[9] Je juge que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeur.

[10] Selon la Commission, l’employeur a adopté une politique qui rendait la vaccination obligatoire dès le 20 décembre 2021Note de bas de page 3. La politique mentionne que, si aucune mesure d’adaptation n’est approuvée, les membres du personnel peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congé sans solde et au congédiement.

[11] La prestataire affirme que son employeur et elle ont pris la décision ensemble. Il s’agit d’une affaire privée, alors elle n’entrera pas dans les détails. Elle ajoute que le relevé d’emploi original contenait une erreurNote de bas de page 4. Par la suite, l’employeur a produit un relevé d’emploi modifiéNote de bas de page 5. Le document indique maintenant que la raison de la cessation d’emploi est [traduction] « Autre ». Un commentaire a aussi été ajouté : [traduction] « Congédiement sans motif valable ».

[12] Dans sa demande de prestations du 11 janvier 2022, la prestataire était invitée à fournir des précisions. Elle a écrit qu’il s’agissait d’un [traduction] « congé venant de l’employeurNote de bas de page 6 ». Elle a déclaré que c’était entre elle et son employeur et qu’elle n’expliquerait pas pourquoi elle avait répondu [traduction] « congé venant de l’employeur ». Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’était pas allée au travail le 20 décembre 2021, la prestataire a répondu : [traduction] « Mon employeur ne voulait pas que je rentre. » 

[13] Je conviens que trois relevés d’emploi ont été produits par l’employeur. Le premier est daté du 8 janvier 2022 et porte le numéro de série W87xxxxxx. La raison du départ est un congé et la case réservée aux commentaires est videNote de bas de page 7.

[14] Le 9 mars 2022, le relevé d’emploi a été modifié et remplacé par un nouveau relevé, qui porte le numéro de série W88xxxxxx. La raison pour laquelle le relevé a été produit est « Autre » et la mention [traduction] « Politique de vaccination » figure dans la case réservée aux commentairesNote de bas de page 8.

[15] Le relevé d’emploi modifié a été modifié une autre fois le 24 mai 2022. Ce nouveau relevé porte le numéro de série W90xxxxxx. La raison du relevé est toujours « Autre », mais la case pour les commentaires indique [traduction] « Congédiement sans motif valableNote de bas de page 9 ».

[16] À la demande de la Commission, l’employeur lui a fait parvenir la politique et la lettre de congédiement datée du 28 février 2022Note de bas de page 10.

[17] Pour répliquer à ces éléments, la prestataire a déclaré que ce n’était pas vrai et qu’elle s’était entendue avec son employeur. Elle ne veut pas en dire plus sur l’entente qu’elle a conclue avec lui. Cette réponse ressemble aux renseignements que la Commission a consignés après avoir parlé à la prestataire le 11 août 2022Note de bas de page 11.

[18] Je juge les arguments de la prestataire peu convaincants. Elle a déclaré qu’elle devrait pouvoir toucher des prestations, car l’employeur était d’accord pour dire qu’il n’y avait pas eu d’inconduite. Elle a expliqué qu’à la suite de discussions avec l’employeur, celui‑ci a accepté de modifier le relevé d’emploi. Elle a précisé que la plupart de ces discussions ont eu lieu après le début de son congé.

[19] Je conclus que la prestataire a été suspendue, puis congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination. L’employeur a fourni la politique de vaccination, qui précise que la date limite pour que le personnel s’y conforme est le 20 décembre 2021 et que le non-respect de la politique entraînerait un congé sans solde ou même un congédiement. Toute entente conclue entre l’employeur et la prestataire avant ou après le fait ne peut pas changer la raison pour laquelle la prestataire ne travaille plus. 

La raison du congédiement est‑elle une inconduite au sens de la loi?

[20] Oui. La raison pour laquelle la prestataire a été congédiée est une inconduite au sens de la loi.

[21] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Mais la jurisprudence (les décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment savoir si le renvoi de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est‑à-dire les points et les critères à prendre en considération lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[22] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 12. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 13. Il n’est pas cependant nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est‑à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 14.

[23] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que la possibilité d’être congédiée pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 15.

[24] Il faut que la Commission prouve que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 16.

[25] Je peux seulement trancher les questions prévues par la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si d’autres lois donnent d’autres options à la prestataire. Et ce n’est pas à moi de décider si son employeur l’a congédiée de façon injuste ou s’il aurait dû prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour elleNote de bas de page 17. Je peux me pencher sur une seule question : ce que la prestataire a fait ou omis de faire est‑il une inconduite au sens de la Loi?

[26] Dans une affaire appelée McNamara, que la Cour d’appel fédérale a tranchée, le prestataire a fait valoir qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur l’avait congédié de façon injusteNote de bas de page 18. Il avait perdu son emploi en raison de la politique de son employeur sur le dépistage des drogues. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié, car le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances. Il a dit qu’aucun motif raisonnable ne laissait croire qu’il était incapable de travailler en toute sécurité parce qu’il consommait des drogues. De plus, les résultats de son dernier test de dépistage auraient dû être encore valides.

[27] En guise de réponse, la Cour a souligné que, dans les affaires où il est question de l’inconduite du personnel, elle a toujours affirmé que la question à trancher est celle de savoir si ce que la personne a fait ou n’a pas fait constitue une inconduite au sens de la Loi. Il ne s’agit pas de décider si son congédiement est justifié ou nonNote de bas de page 19.

[28] La Cour a ajouté que, pour l’interprétation et l’application de la Loi, il faut d’abord et avant tout regarder le comportement de la personne employée, et non celui de l’employeuse ou de l’employeur. Elle a souligné que d’autres possibilités s’offrent aux personnes qui ont été congédiées de façon injustifiée. Ces possibles solutions pénalisent le comportement de l’employeuse ou de l’employeur au lieu de faire payer les contribuables, qui financent les prestations d’assurance-emploi, pour les gestes reprochésNote de bas de page 20.

[29] Dans une affaire plus récente, appelée Paradis, le prestataire a été congédié après avoir échoué à un test de dépistageNote de bas de page 21. Il a soutenu qu’il a été congédié de façon injustifiée, car les résultats des tests ont démontré qu’il n’avait pas travaillé avec les facultés affaiblies. Il a dit que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation pour suivre ses propres politiques et les lois provinciales sur les droits de la personne. La Cour d’appel fédérale s’est appuyée sur la décision McNamara pour confirmer que le comportement de l’employeur n’était pas un élément déterminant lorsqu’il s’agit de trancher la question de l’inconduite aux termes de la LoiNote de bas de page 22.

[30] De même, dans l’affaire Mishibinijima, le prestataire a perdu son emploi en raison d’une dépendance à l’alcoolNote de bas de page 23. Il a fait valoir que son employeur devait lui offrir des mesures d’adaptation parce que la dépendance à l’alcool est considérée comme une déficience. La Cour d’appel fédérale a maintenu qu’il faut d’abord et avant tout regarder ce que l’employé a fait ou n’a pas fait. Le fait que l’employeur n’ait pris aucune mesure d’adaptation pour lui n’est pas pertinentNote de bas de page 24.

[31] Ces affaires ne portent pas sur les politiques de vaccination contre la COVID-19, mais les explications qui s’y trouvent sont quand même pertinentes. Mon rôle n’est pas d’examiner le comportement ou les politiques de l’employeur pour décider s’il a bien fait de congédier la prestataire. Je dois plutôt me pencher sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait, puis voir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi.

[32] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur a adopté une politique de vaccination.
  • Il a clairement informé la prestataire de ses attentes en ce qui touche la vaccination, la divulgation de son statut vaccinal et les tests de dépistage réguliers.
  • Il lui a envoyé des lettres et lui a parlé à plusieurs reprises pour lui communiquer ses attentes.
  • La prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne respectait pas la politique.

[33] Selon la prestataire, il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • Il s’agit d’une affaire personnelle qui concerne seulement son employeur et elle.
  • Son employeur a modifié le commentaire sur le relevé d’emploi pour que ce soit : congédiement sans motif valableNote de bas de page 25.
  • L’inconduite n’a pas été démontrée.
  • L’employeur a rédigé une lettre de recommandationNote de bas de page 26.
  • La prestataire cotise à l’assurance-emploi depuis qu’elle est devenue adulte.

[34] Selon la politique de vaccination de l’employeur, les membres du personnel qui ne se conforment pas à la politique peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congé sans solde ou au congédiement.

[35] Je conviens que l’employeur a modifié le relevé d’emploi pour indiquer « Autre » et « Congédiement sans motif valable ». Mais cela ne change rien au fait que, selon la prépondérance des probabilités, la prestataire a effectivement été suspendue et congédiée pour non-respect de la politique de vaccination. Une entente conclue après coup entre l’employeur et la prestataire n’y change rien. De plus, la prestataire n’a pas voulu en dire plus sur cette entente, alors je suis incapable d’en tenir compte.

[36] La prestataire a avancé que l’inconduite n’avait pas été prouvée. Je suis d’accord pour dire qu’il n’y a pas eu d’intention coupable. Toutefois, les conditions qui établissent l’inconduite sont remplies. Je les ai expliquées aux paragraphes 21 à 31 ci‑dessus. L’inconduite est donc démontrée.

[37] Ce n’est pas à l’employeur ou à la prestataire de décider s’il y a inconduite. On détermine l’inconduite par l’analyse des éléments de preuve présentés par toutes les parties et par l’application de la Loi sur l’assurance-emploi et de la jurisprudence pertinente.

[38] La lettre de recommandation n’ajoute rien aux conclusions précédentes et ne permet pas de les modifier. Elle ne mentionne rien au sujet de la raison du congédiement. C’est vrai qu’elle laisse aussi entendre que la prestataire n’a eu aucune intention coupable. Toutefois, l’intention coupable n’a jamais été avancée parmi les questions à examiner, que j’ai abordées plus haut.

[39] Je comprends que, comme elle a versé de l’argent à l’assurance-emploi, la prestataire estime avoir droit à un soutien financier. Cette croyance va à l’encontre du principe fondamental de l’assurance-emploi : une employée doit éviter de se placer volontairement en situation de chômage. C’est ce que la prestataire a fait dans la présente affaire. Un tel manquement à ses obligations envers l’employeur, fait de façon consciente et délibérée, constitue une inconduite au sens de la Loi.

[40] La prestataire savait ce qu’elle devait faire pour respecter la politique de vaccination et ce qui se passerait si elle ne la suivait pas. Durant son témoignage, elle a confirmé avoir reçu la politique de vaccination du 20 octobre 2021. Tout le monde l’a reçue par courriel et elle a déclaré qu’elle l’avait lue.

[41] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Voici pourquoi :

  • L’employeur avait adopté une politique de vaccination qui obligeait le personnel à recevoir toutes les doses du vaccin au plus tard le 20 décembre 2021. Elle mentionne que les membres du personnel peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congé sans solde ou au congédiementNote de bas de page 27.
  • L’employeur a clairement informé l’appelante de ses attentes en matière de vaccination du personnel.
  • La prestataire connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

Somme toute, la prestataire a‑t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[42] Oui. Compte tenu des conclusions que je viens de tirer, je juge que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[43] En effet, les faits et gestes de la prestataire ont mené à son congédiement. Elle a agi de façon intentionnelle. Elle savait ou aurait dû savoir qu’elle risquait de perdre son emploi si elle refusait de se conformer à la politique de vaccination.

Conclusion

[44] La Commission a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations jusqu’au 25 février 2022, c’est‑à-dire durant sa suspension. À compter du 27 février 2022, date qui coïncide avec son congédiement, elle est exclue du bénéfice des prestationsNote de bas de page 28.

[45] L’appel est donc rejeté.

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