Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1236

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. R.
Représentante ou représentant  : Jim Farrell
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission
de l’assurance-emploi du Canada (474950) datée
du 31 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jillian Evans
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 15 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Témoin
Date de la décision : Le 17 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-2291

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante, K. R., a travaillé dans un établissement de soins de santé pendant plus d’une dizaine d’années. En septembre 2021, son employeur a mis en place une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 qui exigeait que chaque membre du personnel communique son statut vaccinal.

[4] Les personnes non vaccinées avaient deux options : 1) fournir un certificat médical délivré par un fournisseur de soins de santé autorisé pour obtenir une exemption; 2) se faire vacciner complètement au plus tard le 1er janvier 2022Note de bas de page 2.

[5] La politique prévoyait que toute personne non conforme à la date limite du 1er janvier 2022 serait [traduction] « réputée avoir démissionné ».

[6] L’appelante convient qu’elle ne s’est pas conformée à la politique. Lorsque son emploi a pris fin en raison de ce non-respect, elle a demandé des prestations à la Commission.

[7] La Commission a établi que, comme K. R. a été congédiée pour avoir enfreint la politique vaccinale de son employeur, elle a perdu son emploi en raison de son inconduite. Par conséquent, la Commission a décidé que l’appelante était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi et a maintenu cette décision lorsque l’appelante a demandé une révision.

[8] Même si l’appelante ne conteste pas les raisons de sa perte d’emploi, elle affirme qu’agir contre la politique vaccinale de son employeur n’est pas une inconduite. K. R. précise qu’elle a toujours été une employée dévouée et exemplaire pendant la dizaine d’années qu’elle a travaillé pour son employeur. Elle avait un [traduction] « dossier impeccableNote de bas de page 3 ». Dans les semaines avant son congédiement, elle venait de recevoir un prix reconnaissant ses dix années de service. Elle conteste le fait que son comportement est qualifié d’inconduite. Elle trouve alarmant que ses antécédents de travail soient maintenant [traduction] « entachés » de ce genre d’allégation.

[9] Mon rôle est de décider si les actions et les comportements de l’appelante correspondent à la définition juridique d’une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

Question en litige : l’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[10] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas obtenir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique que la personne ait été congédiée ou suspendueNote de bas de page 4.

[11] Pour décider si l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois évaluer deux choses. D’abord, je dois établir la raison de sa perte d’emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle perdu son emploi?

[12] La Commission et l’appelante s’entendent sur la raison de la perte d’emploi.

[13] Même si le relevé d’emploi produit par l’employeur indique que K. R. a donné sa [traduction] « démission », la Commission a accepté la position de l’appelante selon laquelle elle avait en fait été congédiée.

[14] La Commission et l’appelante s’entendent sur les points suivants :

  • La politique exigeait que tout le personnel soit vacciné au plus tard le 1er janvier 2022.
  • L’appelante était au courant de la politique et de l’exigence de vaccination complète contre la COVID-19 à la date donnée.
  • L’appelante a choisi de ne pas se faire vacciner avant le 1er janvier 2022.
  • L’appelante a été avisée qu’elle ne pourrait plus travailler pour son employeur en raison de ce choix.

[15] Peu importe le contenu du relevé d’emploi, la Commission et l’appelante conviennent que celle-ci a été congédiée parce qu’elle a choisi de ne pas se conformer à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19.

[16] Les deux s’entendent sur le fait que le départ n’était pas volontaire.

[17] Je ne vois aucune preuve du contraire. Je conclus donc que l’appelante a perdu son emploi en raison du non-respect de la politique.

La raison du congédiement est-elle une inconduite selon la loi?

[18] La décision de l’appelante de ne pas se conformer à la politique vaccinale de son employeur est une inconduite.

[19] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) m’aide à décider si les actions et les comportements de l’appelante constituent une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[20] Lorsqu’on examine la jurisprudence pertinente, on constate une différence entre l’usage courant du mot « inconduite » et son sens juridique en assurance-emploi. La Commission est responsable de démontrer que le refus de l’appelante de se conformer à la politique vaccinale de son employeur correspond au sens juridique d’une inconduite.

L’appelante a enfreint volontairement la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19

[21] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, le comportement doit être délibéré. La Commission doit alors prouver que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 5. Elle n’a pas à prouver qu’il y a eu tromperie ou désir de causer du tort à l’employeur.

[22] La Commission affirme que l’appelante était au courant de la politique et qu’elle a choisi de ne pas se faire vacciner. Cette dernière a donc décidé de façon délibérée et consciente d’enfreindre la politique de son employeur.

[23] L’appelante a dit à la Commission que son refus de se faire vacciner était [traduction] « un choix personnelNote de bas de page 6 », qu’elle n’était pas à l’aise avec le développement rapide du vaccinNote de bas de page 7 et qu’elle avait [traduction] « choisi d’attendre » pour décider si elle se ferait vaccinerNote de bas de page 8.

[24] Il semble que la Commission et l’appelante sont d’accord sur le fait que son choix de déroger à la politique était clair et délibéré. J’estime aussi que c’est le cas.

Le comportement de l’appelante va à l’encontre d’un élément essentiel de ses responsabilités professionnelles

[25] Selon la jurisprudence, l’inconduite dans le contexte de la Loi sur l’assurance-emploi est un comportement qui pourrait empêcher une personne de remplir ses obligations envers son employeur. La Commission est donc aussi responsable de démontrer que le comportement de l’appelante allait à l’encontre d’un élément important et essentiel de ses responsabilités professionnelles.

[26] Selon la jurisprudence, la Commission n’a pas à démontrer que le comportement était dangereux, criminel, trompeur, contraire à l’éthique ou un signe d’incompétence pour qu’il constitue une inconduite.

[27] L’appelante est d’avis que son choix de rester non vaccinée ne l’empêchait pas de faire son travail. Elle fait remarquer qu’elle continuait d’accomplir exactement les mêmes tâches dans un établissement de soins de santé voisin, et ce, sans avoir reçu de vaccins.

[28] L’appelante et la personne qui représentait le syndicat à l’audience affirment que la politique enfreint la convention collective négociée avec l’employeur et que celui-ci n’était pas autorisé à faire de la vaccination une condition d’emploi. En effet, sa politique avait été créée unilatéralement sans la participation ni le consentement du syndicat.

[29] L’appelante ajoute que son employeur aurait facilement pu lui accorder des mesures d’adaptation. Elle affirme qu’elle aurait dû être autorisée à continuer de faire des tests de dépistage régulier de la COVID-19 au lieu de devoir se faire vacciner, et qu’elle aurait pu ainsi continuer d’occuper son poste en toute sûreté. À l’audience, elle a fait valoir que Pfizer avait récemment confirmé que la vaccination n’empêchait pas la transmission du virus.

[30] Bref, l’appelante affirme que le respect de la politique n’était pas nécessaire pour qu’elle puisse effectuer son travail. Pour cette raison, elle estime que l’obligation vaccinale n’était pas une exigence équitable de la part de l’employeur.

[31] La Commission n’est pas d’accord. Elle affirme que la loi n’exige pas à la Commission de démontrer que la décision d’imposer la politique était équitable.

[32] La Commission affirme que le Tribunal de la sécurité sociale doit se limiter à appliquer la Loi sur l’assurance-emploi. Il n’a pas compétence pour évaluer l’efficacité du vaccin ou décider si l’employeur a agi de façon raisonnable lorsqu’il a imposé ses exigences de vaccination obligatoire. D’autres options s’offrent à l’appelante si elle veut faire valoir ce type d’arguments.

[33] Je suis d’accord avec la Commission. Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si l’appelante a des raisons de contester son congédiement selon d’autres lois. Je n’ai pas à décider non plus si son employeur a enfreint sa convention collective ou s’il aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation raisonnables pour lui permettre de continuer à travaillerNote de bas de page 9. Je peux seulement évaluer une seule chose : si ce que K. R. a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[34] Dans une affaire de la Cour d’appel fédérale qui s’intitule McNamara, l’employé a affirmé qu’il devrait avoir droit à des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur l’avait congédié injustementNote de bas de page 10. Il avait perdu son emploi à cause de la politique de son employeur sur le dépistage de drogues. Il a fait valoir qu’il n’aurait pas dû être congédié, car le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances. Il a dit qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire qu’il était incapable de travailler en toute sécurité simplement parce qu’il aurait enfreint la politique.

[35] Dans l’affaire McNamara, la Cour a confirmé que lorsqu’on interprète et applique la Loi sur l’assurance-emploi dans un contexte d’inconduite, il faut se concentrer sur le comportement de la personne employée, et non sur celui de l’employeur. La Cour a fait remarquer que les personnes qui se sont fait congédier injustement ont d’autres solutions à leur portée. Ces solutions pénalisent le comportement de l’employeur et évitent que ses actions coûtent de l’argent aux contribuables en versements de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 11.

[36] Dans une affaire plus récente intitulée Paradis, un travailleur a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage de droguesNote de bas de page 12. Il a fait valoir qu’il avait été congédié injustement, car les résultats du test montraient qu’il n’avait pas travaillé avec des facultés affaiblies. Il a affirmé que son employeur aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation conformément à ses politiques et à la loi provinciale sur les droits de la personne, et que pour ces raisons, il ne devrait pas être exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[37] Le raisonnement de l’affaire McNamara s’appliquait là aussi. Le comportement de l’employeur n’est pas pertinent pour décider s’il y a inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 13. Le Tribunal doit se demander si les actions de la personne employée constituent une inconduite.

[38] Les dossiers McNamara et Paradis ne portent pas sur des politiques de vaccination contre la COVID-19. Mais ce qu’ils disent est tout de même pertinent. Mon rôle n’est pas d’évaluer le comportement ou les politiques de l’employeur et d’établir s’il a eu raison de congédier l’appelante. Il revient à d’autres instances de trancher ce type d’arguments.

[39] Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et me demander si ces comportements constituent une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 14.

[40] J’estime qu’une fois que l’employeur a fait de sa politique vaccinale une exigence pour tout le personnel, cette politique est devenue une condition d’emploi que l’appelante devait respecter. Je conclus que le respect de la politique est devenu un élément essentiel de son emploi.

L’appelante savait que le non-respect de la politique lui ferait perdre son emploi

[41] Enfin, la jurisprudence établit que, pour qu’un comportement soit considéré comme une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi, la personne employée devait savoir que ses actions pouvaient entraîner son congédiement.

[42] L’appelante a été très franche et cohérente tout au long de la procédure, depuis ses premiers échanges avec la Commission jusqu’à son témoignage à l’audience. Elle comprenait ce que la politique exigeait d’elle, elle était au courant de la date limite pour s’y conformer et elle savait que si elle ne s’y conformait pas, elle ne serait plus autorisée à travailler pour son employeur.

[43] Je conclus que la Commission a prouvé que K. R. connaissait la politique de son employeur qui exigeait qu’elle reçoive deux doses d’un vaccin contre la COVID-19 avant une date donnée. Elle savait qu’elle pouvait être congédiée si elle refusait de se conformer à la politique. Mais elle a quand même décidé de ne pas la suivre.

Autres arguments

[44] L’appelante a soulevé une autre question dans ses observations. Elle affirme qu’elle a cotisé assidûment au régime d’assurance-emploi pendant toute sa vie active et que sa décision de suivre ses principes personnels à propos de son corps et de sa santé ne devrait pas l’exclure injustement du bénéfice des prestations au moment où elle en a le plus besoin.

[45] La Loi sur l’assurance-emploi est un régime d’assurance. Comme c’est le cas pour tout autre régime d’assurance, il faut satisfaire aux conditions prévues pour pouvoir obtenir des prestationsNote de bas de page 15. Le rôle du Tribunal est de décider si l’appelante – la personne qui demande des prestations du régime d’assurance – remplissait les conditions requises. Le Tribunal n’est pas autorisé à rendre des décisions fondées sur la compassion ou l’équité. Il doit suivre les principes juridiques liés à l’affaire et appliquer la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 16.

[46] Je conclus que K. R. ne satisfait pas aux conditions du régime d’assurance, car elle a commis une inconduite en toute connaissance de cause, ce qui lui a fait perdre son emploi.

Alors, l’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[47] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. En effet, ses actions ont entraîné son congédiement. Elle a agi délibérément. Elle savait que le refus de se faire vacciner pouvait lui faire perdre son emploi. Mais elle a quand même choisi de ne pas se faire vacciner.

Conclusion

[48] L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.