Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1235

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : K. R.
Représentante ou représentant : Jim Farrell
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Jessica Grant

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
17 janvier 2023 (GE-22-2291)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 23 juin 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 8 septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-161

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante (prestataire) a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Elle n’a pas eu d’exemption. Elle a alors demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] L’intimée (Commission de l’assurance-emploi) a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations d’assurance-emploi. Après une révision infructueuse pour la prestataire, celle-ci a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[4] La division générale a établi que la prestataire avait perdu son emploi parce qu’elle avait refusé de se conformer à la politique de son employeur. Elle n’a pas eu d’exemption. Selon la division générale, la prestataire savait que son employeur était susceptible de la congédier dans ces circonstances. La division générale a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La division d’appel a accordé à la prestataire la permission de faire appel. La prestataire affirme que la division générale a ignoré la preuve et commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que sa perte d’emploi était attribuable à une inconduite.

[6] Je dois décider si la division générale a ignoré la preuve et commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[7] Je rejette l’appel de la prestataire.

Question en litige

[8] La division générale a-t-elle ignoré la preuve et commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[9] La Cour d’appel fédérale a établi que, lorsqu’un appel se fonde sur l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, le mandat de la division d’appel est conféré par les articles 55 à 69 de cette loiNote de bas de page 1.

[10] La division d’appel sert de tribunal d’appel administratif pour les décisions rendues par la division générale. Elle n’exerce pas un pouvoir de surveillance semblable à celui exercé par une cour supérieureNote de bas de page 2.

[11] Par conséquent, je dois rejeter l’appel sauf si la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle, si elle a commis une erreur de droit ou si elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

La division générale a-t-elle ignoré la preuve et commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[12] La prestataire affirme que son employeur aurait pu et aurait dû respecter les modalités de la convention collective. Celle-ci prévoit que, dans les hôpitaux, il est reconnu que les membres du personnel ont le droit de refuser toute vaccination requise.

[13] La prestataire soutient que sa preuve montre que la division générale n’avait pas à interpréter les énoncés de la convention collective, puisque les parties les avaient déjà interprétés et mis en pratique depuis un certain temps et que les résultats étaient positifs.

[14] La prestataire ajoute que c’est la conduite de l’employeur qui a mené à son congédiement, et non son inconduite présumée. Elle n’avait pas à être congédiée parce qu’elle était une employée appréciée.

[15] La division générale devait décider si la prestataire avait été congédiée en raison d’une inconduite.

[16] Je tiens à préciser que le terme « inconduite » a un sens précis en assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage courant du mot. Une personne exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi n’a pas forcément fait quelque chose de « mal »Note de bas de page 3.

[17] Dans la notion d’inconduite, ce n’est pas nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour arriver à une conclusion d’inconduite, l’acte reproché doit être délibéré ou, du moins, d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a délibérément décidé d’ignorer les répercussions de cet acte sur son travail.

[18] Le rôle de la division générale n’est pas de se prononcer sur la sévérité de la sanction imposée par l’employeur ni de savoir s’il a mal agi en congédiant la prestataire, de sorte que son congédiement serait injustifié. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire a commis une inconduite et si cette inconduite a entraîné son congédiement.

[19] À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que la prestataire avait été congédiée parce qu’elle avait refusé de suivre la politique. La prestataire avait été informée de cette politique et aurait eu le temps de s’y conformer. Elle n’a pas eu d’exemption. Son refus était intentionnel. Elle a agi délibérément. C’est la cause directe de son congédiement.

[20] La division générale a établi que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner son congédiement.

[21] La division générale a conclu, à partir de la preuve prépondérante, que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[22] Une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 4. On dit aussi que le non-respect d’une politique approuvé par un gouvernement ou une entreprise est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 5.

[23] On s’entend pour dire qu’un employeur doit prendre toutes les précautions raisonnables pour veiller à la santé et à la sécurité de son personnel au travail. Dans la présente affaire, l’employeur a suivi la directive du gouvernement de l’Ontario lorsqu’il a instauré sa politiqueNote de bas de page 6. Celle-ci visait à protéger la santé de tout le personnel et de toute personne admise dans l’établissement de soins de santé pendant la pandémie. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été congédiée.

[24] La prestataire affirme que la division générale n’était pas responsable d’interpréter la convention collective. Elle soutient que la preuve présentée montre que la division générale n’avait pas à interpréter les énoncés de la convention collective, puisque les parties les avaient déjà interprétés et mis en pratique depuis un certain temps et que les résultats étaient positifs. Cette fois-ci, l’employeur n’avait pas consulté le syndicat au sujet de sa politique de vaccination.

[25] Essentiellement, la prestataire fait valoir que son employeur a enfreint les modalités de sa convention collective. Celle-ci prévoit que, dans les hôpitaux, il est reconnu que les membres du personnel ont le droit de refuser toute vaccination requise.

[26] Je dois répéter que la division générale ne pouvait pas examiner les relations de travail, la conduite de l’employeur, ni la sanction qu’il a imposée. Elle devait s’en tenir à la conduite de la prestataire.

[27] Se demander s’il y a une obligation explicite ou implicite est une chose. C’en est une autre de se demander si l’obligation était valable. La seconde question dépasse le cadre législatif de l’assurance-emploi.

[28] Pendant la durée d’un emploi, il se peut qu’un employeur tente d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits de son personnel. À ce moment-là, une personne qui croit qu’une nouvelle politique viole son contrat de travail ou sa convention collective peut poursuivre son employeur pour congédiement injustifié ou déposer un grief. Si une personne estime qu’une nouvelle politique viole son intégrité physique ou sa liberté d’expression, elle peut amener son employeur en cour ou devant un tribunal des droits de la personne. Chose certaine, les demandes d’assurance-emploi ne servent pas à régler de tels différends.

[29] La Cour fédérale a établi que, même si une plainte envers un employeur est légitime, « il n’appartient pas aux contribuables canadiens de faire les frais de la conduite fautive de l’employeur par le biais des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 7 ».

[30] Il revient à une autre instance de décider si l’employeur aurait dû permettre à la prestataire d’utiliser d’autres moyens de protection, s’il a enfreint la convention collective, ou si sa politique portait atteinte aux droits fondamentaux et constitutionnels. Le Tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que la prestataire rechercheNote de bas de page 8.

[31] Récemment, la Cour fédérale a rendu une décision dans une affaire intitulée Cecchetto. Celle-ci concerne l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 9.

[32] Le prestataire dans l’affaire Cecchetto a fait valoir que le refus de se plier à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a avancé que rien ne prouvait que le vaccin était sûr et efficace. Il s’est senti discriminé par son choix médical personnel. Il a ajouté qu’il avait le droit de préserver son intégrité physique et que ses droits avaient été violés selon la loi canadienne et internationale.

[33] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel. Elle a conclu que le prestataire avait manqué à ses obligations et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, lorsqu’il avait fait le choix personnel et délibéré de déroger à la politique vaccinale de son employeurNote de bas de page 10. La Cour a déclaré que le prestataire avait d’autres options dans le système de justice pour faire valoir ses revendications adéquatement.

[34] Depuis l’affaire Cecchetto, la Cour fédérale a rendu deux autres décisions sur la vaccination : les décisions Milovac et KukNote de bas de page 11. Ces décisions énoncent tant l’une que l’autre qu’il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer ou d’établir le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique vaccinale d’un employeur.

[35] Dans une affaire intitulée Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation d’un employeur d’accorder des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour décider d’une inconduite.

[36] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale n’est pas de savoir si l’employeur a mal agi en congédiant la prestataire, de sorte que son congédiement serait injustifié. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire a commis une inconduite et si cette inconduite a entraîné son congédiement.

[37] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que la prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique que son employeur avait établie en réponse aux circonstances pandémiques exceptionnelles. C’est ce qui a entraîné son congédiement.

[38] La division générale ne semble avoir commis aucune erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite en suivant uniquement les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite conformément à la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[39] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé qu’il est plus probable qu’improbable (selon la prépondérance des probabilités) que la prestataire a été congédiée en raison d’une inconduite.

Conduite de l’employeur

[40] La prestataire soutient que c’est la conduite de l’employeur qui a mené à son inconduite présumée.

[41] L’employeur a simplement établi une politique de santé et de sécurité pendant la pandémie, comme l’avait ordonné le médecin hygiéniste en chef de la province, mais la prestataire ne l’acceptait pas. On ne peut pas conclure pour autant que le comportement de l’employeur a entraîné l’inconduite de la prestataire. La politique de l’employeur s’appliquait à tout le personnel. Toute personne était libre de refuser de s’y conformer. Rien ne porte à croire que l’employeur a ciblé précisément la prestataireNote de bas de page 13. Ce motif d’appel n’est pas fondé.

Conclusion

[42] L’appel est rejeté.

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