Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : OK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1195

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie demanderesse : O. K.
Représentante ou représentant : Philip Cornish
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 19 avril 2023
(GE-22-3140)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 1er septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-634

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Décision

[1] Je refuse au prestataire la permission de faire appel parce qu’il n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire, O. K., fait appel de la décision de la division générale dans laquelle on lui refuse des prestations d’assurance-emploi.

[3] Le prestataire travaillait comme ludothérapeute pour un hôpital régional. Le 3 décembre 2021, l’hôpital a suspendu le prestataire parce qu’il a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19Note de bas de page 1. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi au prestataire, car le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[4] La division générale du Tribunal a tenu une audience par téléconférence. Elle a rejeté l’appel du prestataire, car elle a conclu qu’il avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a jugé que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement son congédiement.

[5] Le prestataire cherche maintenant à obtenir la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il soutient qu’il n’est pas coupable d’inconduite et il fait valoir que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle n’a pas reconnu que la politique de vaccination de l’hôpital n’était pas claire.
  • Elle a mal appliqué la décision Bellevance, laquelle porte sur un ensemble de faits qui diffèrent de ceux liés à sa situationNote de bas de page 2.
  • Elle n’a pas examiné si la politique de vaccination était une condition d’emploi implicite ou expresse, alors que c’est ce qui avait été exigé dans l’affaire LemireNote de bas de page 3.
  • Elle n’a pas appliqué les principes d’une affaire intitulée Rizzo & Rizzo Shoes, dans laquelle on affirme que les personnes qui rendent des décisions doivent adopter une interprétation généreuse de la législation conférant des avantagesNote de bas de page 4.
  • Elle n’a pas examiné si une politique établie en dehors des conditions d’une convention collective devait être évaluée selon le critère de la décision KVPNote de bas de page 5.

[6] Avant que le prestataire puisse aller de l’avant avec son appel, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 6. Avoir une chance raisonnable de succès équivaut à avoir une cause défendableNote de bas de page 7. Si le prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin.

Question en litige

[7] Est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’en refusant de se faire vacciner contre la COVID-19, le prestataire avait commis une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour rendre sa décision. J’ai conclu que le prestataire n’a pas de cause défendable.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] Le prestataire n’est manifestement pas d’accord avec la façon dont la division générale a examiné la politique de vaccination de son employeur. Toutefois, il ne s’agit pas d’une raison suffisante pour justifier l’annulation de la décision de la division générale.

La division générale avait le droit d’évaluer la preuve comme elle l’entendait

[10] Devant la division générale, le prestataire a soutenu que se faire vacciner n’a jamais fait partie de ses conditions d’emploi. Il a dit qu’il ne voulait pas se faire vacciner tant qu’il n’aurait pas recueilli suffisamment d’information lui permettant de décider si le vaccin était sécuritaire et efficace. Il a affirmé qu’il était tout à fait prêt à porter de l’équipement de protection et à se soumettre régulièrement à des tests de dépistage pour assurer la sécurité des patients et patientes ainsi que de ses collègues.

[11] Je ne vois pas comment ces arguments pourraient obtenir gain de cause étant donné la loi sur l’inconduite. Le prestataire a présenté des observations semblables à la division générale, qui a examiné la preuve dont elle disposait. Elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur du prestataire a adopté et communiqué une politique de vaccination obligatoire claire qui exigeait que le personnel fournisse une preuve de vaccination.
  • Le prestataire savait que s’il ne respectait pas la politique à la date limite, il perdrait son emploi.
  • Le prestataire a intentionnellement refusé de se conformer à la politique.

[12] Ces conclusions semblent refléter fidèlement le témoignage du prestataire ainsi que les documents figurant au dossier. La division générale a conclu que le prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à son congédiement. Le prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique de vaccination de son employeur ne causait aucun préjudice à son employeur, mais ce n’était pas à lui d’en décider.

La division générale n’a pas mal interprété la politique de vaccination

[13] Le prestataire allègue que la division générale a ignoré les ambiguïtés de la politique de vaccination de l’hôpital. Il fait valoir qu’en raison de ces ambiguïtés, on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’il puisse prévoir que le non-respect de la politique entraînerait sa suspension et son congédiement.

[14] Je ne vois pas en quoi cet argument est fondé.

[15] L’un des rôles de la division générale est d’établir les faits. Pour ce faire, elle a droit à une certaine marge de manœuvre dans l’appréciation de la preuve dont elle dispose. Dans la présente affaire, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • Selon la politique de vaccination de l’hôpital, le personnel devait présenter une preuve de vaccination complète contre la COVID-19 au plus tard le 1er novembre 2021, à moins d’avoir une exemption documentée fondée sur les droits de la personne.
  • La politique précisait également que toute personne employée qui ne fournissait pas une attestation de son statut vaccinal dans le délai prévu ferait l’objet de mesures disciplinaires graduelles pouvant aller de la suspension au congédiementNote de bas de page 8.

[16] Ces conclusions semblent refléter fidèlement la politique de vaccination des hôpitaux. Contrairement à ce qu’affirme le prestataire, je constate peu d’ambiguïté dans la façon dont la politique est formulée. Il est vrai que la politique accordait à l’hôpital un certain pouvoir discrétionnaire quant à la façon dont il choisissait de traiter les cas des personnes qui ne respectaient pas la politique (la politique disait que son non-respect « pouvait » entraîner des mesures disciplinaires). Toutefois, il était néanmoins clair que le non-respect de la politique pouvait mener à la perte d’emploi.

[17] En l’absence d’une erreur de fait commise de façon « abusive ou arbitraire » ou d’une erreur commise « sans tenir compte des éléments de preuve », je ne vois aucune raison de modifier les conclusions de la division générale sur ces points.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[18] Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne employée et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste aux yeux du demandeur, mais il s’agit d’une interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale est tenue de suivre.

Il y a inconduite lorsqu’une personne employée enfreint délibérément les règles de son employeur

[19] Le prestataire soutient qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que rien dans son contrat de travail ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Il prétend qu’en imposant une politique de vaccination, son employeur a modifié unilatéralement son contrat de travail sans son consentement. Il laisse entendre qu’en le forçant à se conformer à la politique sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits.

[20] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[21] La division générale a défini l’inconduite comme suit :

Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelle. Une inconduite comprend également une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibérée. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il a voulu faire quelque chose de mal).

Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 9.

[22] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. Elle a également conclu que l’employeur du prestataire était libre d’établir une politique exigeant que tout son personnel soit vaccinéNote de bas de page 10.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[23] Le prestataire soutient que rien dans son contrat de travail ou dans sa convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur avait une politique en place et si la personne employée l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

Je peux seulement trancher les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options au prestataire.

Il ne m’appartient pas de décider si l’appelant a été injustement congédié, si la pénalité imposée par l’employeur était trop sévère ou si l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 11.

[24] Ce passage reprend les propos d’une décision intitulée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a dit ceci :

Toutefois, il ne s’agit pas de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 12.

[25] Dans l’affaire Lemire, la cour a estimé qu’un employeur était justifié de conclure à une inconduite lorsqu’un livreur de denrées alimentaires a voulu mettre sur pied un commerce secondaire de vente de cigarettes à la clientèle. La Cour a conclu à l’inconduite, même si l’employeur n’avait pas de politique explicite à ce sujet.

[26] La décision rendue dans l’affaire Lemire nous montre aussi que l’inconduite reprochée doit être pertinente à la capacité des prestataires à remplir leurs fonctions. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’employeur considère qu’un geste posé par une personne employée est un comportement inacceptable qu’il s’agit d’une « inconduite ».

[27] Si l’on s’attend à ce que les prestataires puissent prévoir que leur conduite est susceptible d’entraîner une suspension ou un congédiement, il faut que les prestataires ou toute personne raisonnable aient la possibilité de comprendre pourquoi. Dans la présente affaire, la division générale a cerné un lien de causalité entre le refus du prestataire de se faire vacciner et sa capacité à effectuer son travail :

Dans le contexte d’une pandémie mondiale, l’employeur de l’appelant a décidé de suivre les recommandations de la santé publique pour modifier les conditions des contrats des personnes employées afin d’imposer une politique de vaccination. La politique de l’employeur exigeait que son personnel soit vacciné contre la COVID-19.

Un employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Lorsque l’employeur a mis en place cette politique, elle est devenue une exigence pour l’ensemble de son personnel ainsi qu’une condition d’emploi de l’appelantNote de bas de page 13.

[28] Je suis convaincu que la division générale a établi un lien rationnel entre l’inconduite reprochée au prestataire et sa capacité à remplir ses fonctions. Elle a démontré que le prestataire était incapable de remplir les conditions de son emploi parce qu’il avait refusé de se conformer à la politique de son employeur.

La décision Bellevance est pertinente dans la présente affaire

[29] Le prestataire reproche à la division générale de s’être appuyée sur une affaire appelée Bellevance qui, selon lui, porte sur des faits qui se distinguent entièrement des siensNote de bas de page 14. Il fait valoir que, contrairement à son cas, le prestataire dans la décision Bellevance avait enfreint un code de conduite qui existait déjà, et que ce prestataire avait accepté de se conformer à ce code quand il a été embauché par son employeur.

[30] Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Dans la décision Bellavance, ondéfend principalement l’idée qu’il n’est pas nécessaire d’avoir eu une intention coupable ou malveillante pour qu’il y ait inconduite. Il suffit que l’acte ou l’omission qu’on reproche à la personne employée soit délibéré. Il est vrai que dans l’affaireBellavance, le code de conduite était une condition d’emploi explicite, alors que la politique de vaccination dans le cas du prestataire était une condition d’emploi implicite. Cependant, cette distinction est sans importance et ne rend pas la décision Bellavance moins applicable à la présente affaire.

De récentes décisions de la Cour fédérale donnent aux employeurs une grande latitude pour mettre en œuvre les politiques relatives à la COVID-19

[31] De récentes décisions ont réaffirmé l’approche adoptée dans l’affaire Lemire à l’égard de l’inconduite dans le contexte précis des mandats de vaccination contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 15. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé à traiter de ces questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’y a pas de fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’aurait pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la Directive no 6 ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 16.

[32] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas se faire vacciner, le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il existait d’autres moyens, dans le système juridique, par lesquels le prestataire pouvait faire valoir ses droits de la personne.

[33] Plus tôt ce mois-ci, la Cour fédérale a rendu une décision dans l’affaire Milovac, qui portait aussi sur un prestataire de l’assurance-emploi qui a été congédié après avoir refusé de se faire vacciner. Encore une fois, la Cour a conclu que les objections du prestataire à la politique de vaccination de son employeur n’étaient pas pertinentes :

[traduction]
La Cour reconnaît que M. Milovac croit fermement que la politique de l’employeur était une réaction excessive à la pandémie de COVID-19 et qu’elle lui avait été injustement imposée compte tenu du fait qu’il a fait une crise cardiaque précédemment et compte tenu de son rendement exceptionnel en tant qu’employé. La Cour comprend également qu’il est fortement convaincu que ses préoccupations concernant la violation de ses droits garantis par la Charte et de son contrat de travail n’ont été traitées par aucun décideur. Cependant, la violation présumée de la convention collective a été traitée adéquatement par le biais d’un grief syndical. [...] cette Cour a déjà statué que les préoccupations liées à la Charte ne sont pas des questions dont le Tribunal est saisi à juste titreNote de bas de page 17.

[34] Ici, comme dans les affaires Cecchetto et Milovac, les seules questions en litige sont de savoir si le prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner son congédiement. La division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La décision KVP n’est pas tellement pertinente dans le cas du prestataire

[35] Le prestataire cite une affaire intitulée KVP qui, selon lui, empêche un employeur d’imposer unilatéralement une règle ou une politique, à moins qu’elle soit raisonnable et conforme à la convention collective et qu’elle ait été acceptée par le syndicatNote de bas de page 18. Comme ce critère juridique a été élaboré dans le contexte du droit du travail, je ne l’ai pas trouvé utile pour interpréter la Loi sur l’assurance-emploi.

La décision Rizzo & Rizzo Shoes passe à l’arrière-plan lorsque la loi est relativement claire

[36] Enfin, le prestataire soutient que, comme l’inconduite n’est pas définie par la Loi sur l’assurance-emploi, elle devrait être interprétée de façon « équitable, large et libérale » conformément aux directives énoncées par la Cour suprême du Canada dans une décision de principe intitulée Rizzo & Rizzo ShoesNote de bas de page 19. Je conviens qu’à titre de mesure corrective, la Loi sur l’assurance-emploi doit être interprétée généreusement dans la mesure du possible. Il est cependant important de se rappeler que l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes porte principalement sur les principes d’interprétation de la loi. Bien que la Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite, les tribunaux ont comblé ce vide en établissant un critère clair, détaillé et à plusieurs volets pour le concept. En tant que membre d’un tribunal administratif, je suis tenu d’appliquer ce critère, même si cela fait en sorte que le prestataire considère l’issue de l’affaire comme peu généreuse.

Conclusion

[37] Pour les motifs mentionnés plus haut, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Le présent appel n’ira pas de l’avant.

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