Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : EB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1208

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : E. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (584504) datée du
5 mai 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Angela Ryan Bourgeois
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 13 juillet 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 20 juillet 2023
Numéro de dossier : GE-23-1458

Sur cette page

Décision

[1] L’appelante (prestataire) fait appel de deux décisions rendues par la Commission de l’assurance-emploi du Canada.

[2] Je rejette l’appel concernant une question et je l’accueille concernant l’autre.

[3] La prestataire est exclue du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’elle n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’elle n’avait pas une raison acceptable selon la loi pour le faire).

[4] La prestataire a prouvé qu’elle était disponible pour travailler, alors l’inadmissibilité relative à la disponibilité est levée.

Aperçu

[5] La prestataire travaillait comme agente de surveillance des dépôts chez X en Nouvelle-Écosse. Elle a quitté son emploi et a déménagé en Saskatchewan, où vivent son fils et ses petits-enfants. Environ un mois plus tard, elle a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[6] La Commission a décidé qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations d’assurance-emploi pour les deux raisons suivantes :

[7] La prestataire fait appel de ces deux décisionsNote de bas de page 3.

[8] Je dois décider si la prestataire a prouvé que prendre congé était la seule solution raisonnable dans son cas. Je dois aussi décider si elle était disponible pour travailler au sens de la loi.

Questions en litige

[9] Voici les questions que je dois trancher :

  • La prestataire est-elle exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a quitté volontairement son emploi sans justification?
  • La prestataire est-elle inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle n’était pas disponible pour travailler?

Analyse

Départ volontaire et justification

La prestataire a quitté volontairement son emploi

[10] Je conclus que la prestataire a quitté volontairement son emploi le 29 décembre 2022. Personne ne conteste le fait qu’elle a choisi de quitter son emploi et de déménager en Saskatchewan.

Ce que signifie avoir une justification

[11] La loi prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 4. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[12] La loi prévoit qu’une personne est fondée à quitter son emploi au moment où elle le fait si son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas. Elle prescrit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 5.

[13] La prestataire est responsable de prouver qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploiNote de bas de page 6. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[14] Pour décider si la prestataire était fondée à quitter son emploi, je dois tenir compte de toutes les circonstances présentes lors de sa démission. La loi énonce certaines des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 7. Cela comprend l’obligation de prendre soin de ses proches parents.

[15] Après avoir établi les circonstances qui s’appliquent à la prestataire, elle doit démontrer que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas à ce moment-làNote de bas de page 8.

Raisons pour lesquelles la prestataire a quitté son emploi

[16] Le dossier contient des renseignements contradictoires sur les raisons pour lesquelles la prestataire a quitté son emploi.

[17] Dans son formulaire de demande, la prestataire a dit qu’elle était partie pour s’occuper de personnes à charge, à savoir aider son fils et sa belle-fille à prendre soin de ses petits-enfantsNote de bas de page 9. Dans ses formulaires d’appel, elle n’a pas indiqué que prendre soin des enfants était une raison pour laquelle elle a quitté son emploiNote de bas de page 10.

[18] À l’audience, la prestataire a réussi à expliquer l’écart.

[19] Une combinaison de plusieurs facteurs a amené la prestataire à décider de quitter un emploi qui lui plaisait pour déménager en Saskatchewan.

[20] Elle a expliqué que son fils lui avait demandé de déménager là-bas après le décès de son mari douze ans plus tôt, et de nouveau après le décès de sa fille unique, dix ans auparavant. À ce moment-là, elle a décidé de rester en Nouvelle-Écosse pour être près des enfants de sa fille. Même si la prestataire travaillait, elle éprouvait des difficultés financières depuis le décès de son mari. Son loyer et ses dépenses ne cessaient d’augmenter. Elle cherchait un autre endroit où habiter depuis le décès de son mari, où elle n’aurait pas à pelleter la neige. Elle affirme que le coût de la vie est plus élevé en Nouvelle-Écosse qu’en Saskatchewan.

[21] Puis la pandémie de COVID-19 a frappé. La prestataire ne pouvait pas se faire vacciner. Elle était donc particulièrement isolée. Son fils unique vivait à l’autre bout du pays. Elle ne pouvait pas voyager. Des personnes qu’elle considérait comme des amies la harcelaient parce qu’elle n’était pas vaccinée. Elle se sentait très seule. Elle craignait que le pays soit à nouveau en confinement.

[22] La prestataire a 70 ans. Elle travaillait le soir et voulait trouver un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle.

[23] Elle a dit qu’elle avait dû consulter en psychologie parce qu’elle a surpris une personne qui essayait de s’introduire chez elle par effraction. Je ne lui ai pas demandé de donner plus de détails à ce sujet, mais je crois que cet événement l’a rendue nerveuse.

[24] Elle m’a dit que lorsque son fils avait eu un problème avec la personne qui gardait ses enfants, elle lui avait dit qu’elle irait chez eux pour donner un coup de main à son épouse. Cependant, elle a toujours eu l’intention de trouver un emploi de jourNote de bas de page 11. Son fils n’aurait pas besoin de son aide quotidiennement parce que son épouse travaille de la maison et qu’elle reçoit également l’aide de son père.

[25] Elle m’a dit que si elle l’avait pu, elle aurait conservé son emploi après son déménagement. Cependant, son travail spécifique n’est fait qu’en Nouvelle-Écosse, à Toronto et à Vancouver. Elle a effectué des recherches en ligne et pensait pouvoir trouver un emploi en Saskatchewan.

[26] J’accepte tout ce que la prestataire m’a dit pour expliquer pourquoi elle a quitté son emploi et déménagé en Saskatchewan. La vie est rarement simple et, dans son cas, plusieurs facteurs l’ont amenée à décider de déménager. Il n’était pas raisonnable d’inscrire tous ces motifs dans son formulaire de demande.

Obligation de prendre soin de proches parents

[27] La loi énonce certaines des circonstances que je dois examiner pour décider si une personne était fondée à quitter un emploi. L’une d’entre elles est l’obligation de prendre soin d’un proche parentNote de bas de page 12. Cela comprend les petits-enfantsNote de bas de page 13.

[28] Je conclus que la prestataire n’était pas obligée de prendre soin de ses petits-enfants. Premièrement, elle avait refusé de déménager là-bas à deux reprises auparavant. Deuxièmement, lors de l’audience, elle a précisé qu’elle était là pour aider, mais son fils comprenait qu’elle fournirait une aide d’appoint seulement.

[29] Je dois ensuite décider si, compte tenu de toutes les circonstances, la prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où elle l’a fait.

La prestataire avait une autre solution raisonnable

[30] J’estime que la prestataire avait une solution raisonnable autre que de quitter son emploi quand elle l’a fait.

[31] La Commission affirme que la prestataire aurait pu trouver un emploi en Saskatchewan avant de partir. Selon la Commission, il n’y a aucune preuve que la prestataire a cherché un logement plus abordable ou qu’elle a cherché un nouvel emploi en Nouvelle-Écosse qui répondrait à ses besoins financiers. La Commission affirme que la prestataire a pris la décision personnelle de quitter son emploi pour se rapprocher de sa famille et pour aider à prendre soin de ses petits-enfants. Il n’était pas nécessaire qu’elle déménage immédiatementNote de bas de page 14.

[32] Je ne suis pas d’accord avec toutes les solutions de rechange proposées par la Commission. À titre d’exemple, j’admets que la prestataire avait cherché un logement plus convenable sans pouvoir en trouver un. De plus, trouver un autre emploi en Nouvelle-Écosse n’aurait pas fait en sorte que la prestataire se sente moins isolée d’être si loin de son seul enfant vivant.

[33] Toutefois, compte tenu de toutes les circonstances, une solution raisonnable autre que de quitter son emploi était d’en trouver un en Saskatchewan (ou même d’en avoir l’assurance raisonnable) avant de démissionner de celui qu’elle avait en Nouvelle-Écosse.

[34] J’estime qu’il s’agissait d’une solution raisonnable parce qu’aucune des circonstances ne faisait en sorte qu’elle devait déménager de façon urgente. À titre d’exemple, elle a confirmé qu’un autre grand-parent était disponible pour aider à la garde des enfantsNote de bas de page 15. Il n’était donc pas urgent qu’elle soit là pour s’en occuper.

[35] Je comprends que sa situation financière a été un facteur ayant motivé son déménagement. Cependant, quitter un emploi pour améliorer sa situation financière n’est pas une justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Les tribunaux ont clairement affirmé qu’il est généralement raisonnable de continuer de travailler jusqu’à ce que l’on trouve un nouvel emploi au lieu de prendre la décision unilatérale de quitter son emploi.Note de bas de page 16

[36] De même, quitter un emploi pour des raisons personnelles, comme le désir de se rapprocher de sa famille ou d’avoir un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle, n’est pas une justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[37] Dans sa situation, chercher un nouvel emploi avant de quitter l’ancien était une solution raisonnable qui s’offrait à la prestataire.

[38] La prestataire a dit qu’elle avait cherché à connaître les perspectives d’emploi qui s’offraient à elle avant de déménager, mais qu’elle n’avait postulé aucun emploi. Elle a senti la nécessité d’être là avant de postuler des emploisNote de bas de page 17.

[39] Je ne suis pas d’accord. Il était raisonnable pour elle de chercher un emploi en Saskatchewan et de postuler avant de quitter celui qu’elle occupait en Nouvelle-Écosse. Depuis son déménagement, elle a effectué des recherches d’emploi en ligne et a également présenté des demandes d’emploi en ligne. Elle aurait pu faire la même chose à partir de la Nouvelle-Écosse, avant de quitter son emploi. Si elle avait eu une entrevue, elle aurait pu demander qu’elle ait lieu par vidéoconférence ou par téléphone.

[40] Il ne fait aucun doute que la prestataire avait de très bonnes raisons de quitter son emploi. Cependant, ces motifs, même considérés ensemble, ne constituent pas une justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[41] Comme son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas, la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi.

[42] Ainsi, l’exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploi demeure.

Disponibilité

[43] Pour recevoir des prestations d’assurance-emploi, la partie prestataire doit prouver qu’elle est « capable de travailler et disponible à cette fin », mais incapable de trouver un emploi convenableNote de bas de page 18. La partie prestataire doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle était disponible pour travailler.

Capable de travailler et disponible à cette fin

[44] Pour prouver sa disponibilité, la prestataire doit démontrer les trois facteurs suivants :

  1. a) Elle souhaitait retourner sur le marché du travail dès qu’un emploi convenable lui serait offert.
  2. b) Elle a fait des démarches pour trouver un emploi convenable.
  3. c) Elle n’a pas établi de conditions personnelles pouvant limiter indûment (c’est-à-dire démesurément) ses chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 19.

[45] Lorsque j’examine chacun de ces facteurs, je dois prendre en considération l’attitude et la conduite de la prestataireNote de bas de page 20.

[46] La Commission affirme que selon les premières déclarations de la prestataire dans son formulaire de demande, elle a déménagé pour prendre soin de ses petits-enfants, car il n’y avait personne d’autre pour aider. Elle a restreint ses heures de disponibilité, ce qui a limité sa capacité à accepter tout travail convenable. De plus, au moment où la Commission a examiné sa disponibilité, la prestataire n’avait postulé aucun emploiNote de bas de page 21.

[47] La prestataire m’a dit qu’elle avait toujours manifesté le désir de trouver un emploi en Saskatchewan. Elle a dit ne pas avoir présenté de demande de prestations d’assurance-emploi dès son déménagement parce qu’elle pensait qu’elle allait se trouver un emploi. Elle voulait un emploi plus que des prestations d’assurance-emploi. Elle pensait devoir rembourser les prestations l’année suivante sur ses impôts.

[48] Je conclus que la prestataire a prouvé sa disponibilité. J’explique pourquoi ci-dessous.

Le désir de retourner sur le marché du travail

[49] Elle a prouvé qu’elle souhaitait retourner au travail aussitôt qu’un emploi convenable lui serait offert.

[50] Je reconnais qu’elle a quitté un emploi à temps plein. Cependant, depuis son déménagement en Saskatchewan au début de janvier 2023, avant le début de sa période de prestations, elle recherche activement du travail. Elle ne veut pas avoir à compter sur l’aide financière de son fils. Elle est travaillante et veut travailler. À l’audience, elle a dit à quel point elle est troublée par la discrimination fondée sur l’âge dont elle a fait l’objet pendant sa recherche d’emploi.

La recherche d’emploi prouve qu’elle veut travailler

[51] Les démarches de recherche d’emploi de la prestataire montrent qu’elle voulait retourner travailler. Voici ce qu’elle a fait pour trouver un emploi :

  • Recherche de travail en ligne, deux fois par jour, du lundi au vendredi, à l’aide de l’ordinateur de la bibliothèque (sites Web de la Banque, différentes entreprises, Indeed, Jobbank.ca).
  • Inscription à Jobbank.ca.
  • Présentation de deux demandes d’emploi en ligne (les seuls emplois convenables qu’elle a trouvés).
  • Visite d’un magasin de vêtements pour se renseigner sur un emploi.
  • Distribution de son curriculum vitae, qu’elle emporte avec elle, là où l’on veut bien l’accepter.
  • Élargissement de sa recherche d’emploi au-delà des emplois bancaires, y compris aux emplois temporaires.

Elle n’a établi aucune condition personnelle

[52] La prestataire n’a pas établi de conditions personnelles qui auraient limité indûment ses chances de trouver un emploi.

[53] À l’audience, elle a donné des précisions sur sa disponibilité. Elle est disponible du lundi au vendredi, pendant les heures normales de travail. Elle ne fait que donner un coup de main pour la garde de ses petits-enfants. Elle a dit à son fils qu’elle n’était pas une gardienne : ce n’était pas un emploi qu’elle souhaiterait avoirNote de bas de page 22. Depuis son déménagement, elle a dû aller chercher les enfants à l’école deux fois seulement, et elle ne fait pas de gardiennage pendant l’étéNote de bas de page 23. Par conséquent, le fait de donner un coup de main à titre de gardienne n’aurait pas limité indûment ses chances de trouver un emploi.

Elle a prouvé qu’elle était disponible pour travailler

[54] Compte tenu de mes conclusions sur les trois éléments, la prestataire a prouvé qu’elle était disponible pour travailler. Il n’y a donc pas d’inadmissibilité relative à la disponibilité.

Conclusion

[55] La prestataire n’était pas fondée à quitter volontairement son emploi, mais elle a prouvé qu’elle était disponible pour travailler. Cela signifie que l’exclusion demeure, mais que l’inadmissibilité est levée.

[56] Comme l’exclusion demeure, la Commission ne peut pas lui verser de prestations d’assurance-emploi.

[57] La partie de l’appel qui porte sur la justification du départ volontaire de son emploi est rejetée. La partie de l’appel concernant la disponibilité est accueillie.

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