Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ET c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1193

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : E. T.
Représentante ou représentant : Umar Sheik
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 16 juin 2023
(GE-22-3180)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 1er septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-765

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. On ne lui a pas accordé d’exemption pour motifs religieux. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission) a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après révision, la Commission n’a pas changé sa décision. La prestataire a donc fait appel à la division générale.

[4] La division générale a jugé que la prestataire avait été suspendue puis congédiée parce qu’elle avait refusé de se conformer à la politique de l’employeur. On ne lui a pas accordé d’exemption. La division générale a établi que la prestataire savait que l’employeur la congédierait probablement dans ces circonstances. La division générale a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire cherche maintenant à obtenir la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. La prestataire soutient que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes et qu’elle a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que l’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Il s’agit des erreurs révisables suivantes :

  1. 1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. 2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a tranché une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a commis une erreur de droit dans sa décision.

[10] La demande de permission de faire appel est une étape préliminaire à l’examen sur le fond. Il s’agit d’une première étape que la prestataire doit franchir, mais où le critère juridique est moins exigeant que celui à remplir pour un appel sur le fond. À l’étape de la permission de faire appel, la prestataire n’a pas à prouver ses arguments. Elle doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est possible de soutenir qu’il y a eu une erreur révisable pouvant faire en sorte que l’appel soit accueilli.

[11] Par conséquent, avant d’accorder la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés plus haut et qu’au moins un des motifs donne à l’appel une chance raisonnable de succès.

La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

[12] Pour appuyer sa demande de permission de faire appel, la prestataire invoque les moyens d’appel suivants :

  1. a) La division générale a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas suivi une décision rendue par une autre membre de la division générale.
  2. b) La prestataire s’est appuyée sur des décisions précédentes qu’elle considère comme des marqueurs des règles de conduite et elle a agi en fonction des résultats de ces décisions.
  3. c) La division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire était au courant des conséquences du non-respect de la politique de vaccination obligatoire, après que le gouvernement fédéral a annoncé qu’elle serait mise en place prochainement.
  4. d) La prestataire avait des attentes légitimes concernant l’approbation de sa demande d’exemption pour motifs religieux; elle a été congédiée seulement 3 jours après que sa demande d’exemption a été refusée.
  5. e) Le délai prévu par l’employeur pour qu’elle se conforme à la politique était de toute évidence insuffisant et déraisonnable.
  6. f) Compte tenu des circonstances, la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle avait été congédiée en raison d’une inconduite.

[13] La division générale devait décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[14] La division générale n’est pas tenue de suivre les motifs donnés par un employeur pour justifier le congédiement d’une personne employée. Il incombait à la division générale de vérifier et d’interpréter les faits de la présente affaire et de faire sa propre évaluation sur la question de l’inconduite. De plus, la procédure disciplinaire d’un employeur n’est pas pertinente pour décider s’il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 1.

[15] La notion d’inconduite ne sous-entend pas qu’il est nécessaire que la façon d’agir résulte d’une intention coupable. Il suffit que l’inconduite soit consciente, délibérée ou intentionnelle. Autrement dit, pour qu’il y ait inconduite, l’acte reproché doit avoir été de nature délibérée ou, à tout le moins, de nature insouciante ou négligente au point où l’on pourrait dire que la personne a délibérément ignoré les effets de ses actes sur son rendement.

[16] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de décider si l’employeur était coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[17] La division générale a conclu que la prestataire a été congédiée par son employeur le 1er décembre 2021 parce qu’elle ne s’était pas conformée à sa politique.

[18] La division générale a conclu que la prestataire savait qu’il était possible qu’elle soit congédiée pour ne pas avoir respecté la politique. Elle a tenu compte du fait que l’employeur avait déjà suspendu la prestataire sans solde à compter du 1er novembre 2021 pour non-respect de la politique.

[19] La division générale a également tenu compte du fait que la prestataire avait écrit un courriel à son employeur le 5 septembre 2021 pour exprimer son mécontentement à l’égard des mandats de vaccination émis par le gouvernement fédéral. Elle a fait allusion au fait de « menacer de retirer une personne de l’activité qui lui permet de gagner sa vie, à moins qu’elle accepte une intervention médicale... »Note de bas de page 2.

[20] La prestataire soutient que l’employeur a refusé sa demande de mesures d’adaptation le samedi 27 novembre 2021 et qu’il l’a congédiée le 1er décembre 2021. Elle dit qu’elle n’a donc pas eu assez de temps pour se conformer à la politique.

[21] Toutefois, la division générale a conclu que les prochaines étapes mentionnées dans la lettre de refus de l’employeur datée du 27 novembre 2021 indiquaient que, si la prestataire souhaitait se faire entièrement vacciner contre la COVID-19 conformément à la politique de vaccination de l’employeur, elle devait envoyer un courriel à l’employeur au plus tard le dimanche 28 novembre 2021 à 17 h (HNR) [traduction] « [...] afin de discuter des délais raisonnables pour se conformer à la politique… »Note de bas de page 3.

[22] La division générale a établi que la lettre de refus du 27 novembre 2021 précisait également que si elle n’informait pas l’employeur de ses intentions au plus tard le 28 novembre 2021, l’employeur considérerait qu’elle ne respectait pas la politique et elle serait congédiée de son emploi le 1er décembre 2021Note de bas de page 4.

[23] La prestataire a confirmé qu’elle n’avait pas répondu à l’employeur le 28 novembre 2021, soit la date limite qui avait été fixée. L’employeur a communiqué avec elle par téléphone le 1er décembre 2021. À la suite de cet appel, elle a été congédiée plus tard dans la journée.

[24] Dans le cas où une partie prestataire avance ne pas avoir eu assez de temps pour se conformer à une politique, elle ne peut pas avoir gain de cause si le délai non raisonnable résulte de ce qu’elle a fait ou n’a pas fait. Par conséquent, la division générale n’a pas commis d’erreur en n’appliquant pas la décision T. C. parce que les faits sont totalement différentsNote de bas de page 5. Dans la présente affaire, la prestataire était au courant de la politique. Elle a d’abord été suspendue pour non-respect de la politique et elle a eu le temps de s’y conformer, après que sa demande d’exemption pour motifs religieux a été refusée.

[25] La prestataire soutient qu’elle s’est appuyée sur des décisions précédentes qu’elle considère comme des marqueurs de règles de conduite. Elle a affirmé avoir agi en fonction des résultats de ces décisions. Je constate que la décision T. C. a été rendue le 20 septembre 2022. La prestataire a été congédiée le 1er décembre 2021. Je ne suis pas au courant d’une décision qu’aurait rendue le Tribunal en faveur d’une partie prestataire qui aurait refusé de discuter avec son employeur d’un délai raisonnable pour se conformer à la politique de l’employeur.

[26] D’après la preuve, la division générale a conclu que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle a refusé de suivre la politique. Elle avait été informée de la politique, et l’employeur lui avait donné du temps pour qu’elle s’y conforme. Aucune exemption pour motifs religieux ne lui a été accordée. Le refus de la prestataire était intentionnel et volontaire. Il s’agit de la cause directe de son congédiement.

[27] La division générale a conclu que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner son congédiement.

[28] La division générale a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[29] Une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi Note de bas de page 6. On considère également comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi le fait de ne pas observer une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une entrepriseNote de bas de page 7.

[30] Les questions de savoir si l’employeur a omis d’offrir des mesures d’adaptation à la prestataire, si la politique allait à l’encontre de ses droits d’employée ou de sa convention collective, et si la politique a porté atteinte à ses droits de la personne et à ses droits constitutionnels relèvent d’une autre instance. Ce tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que la prestataire demandeNote de bas de page 8.

[31] La Cour fédérale du Canada a rendu une décision dans l’affaire Cecchetto qui a eu lieu récemment. Cette affaire portait sur l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur.

[32] Le prestataire, M. Cecchetto, a fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a affirmé qu’aucune preuve ne démontrait que le vaccin était sécuritaire et efficace. Le prestataire s’est senti discriminé en raison de son choix médical personnel. Le prestataire a soutenu qu’il a le droit de contrôler sa propre intégrité physique et que ses droits ont été violés aux termes du droit canadien et du droit international Note de bas de page 9.

[33] La Cour fédérale a confirmé que, en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10. La Cour a déclaré qu’il existe d’autres moyens qui permettraient aux demandes du prestataire de progresser adéquatement dans le cadre du système juridique.

[34] L’affaire Cecchetto a depuis été suivie de deux autres décisions de la Cour fédérale portant sur la vaccination. Il s’agit des affaires Milovac et KukNote de bas de page 11. Elles disent toutes les deux que le non-respect de la politique de vaccination d’un employeur constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Elles disent aussi qu’il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer ou de statuer sur le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de vaccination de l’employeur.

[35] Dans l’affaire Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation d’un employeur d’offrir des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite en assurance-emploi.

[36] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale n’est pas de décider si l’employeur était coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[37] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur, qui avait été mise en place en réponse à la situation exceptionnelle causée par la pandémie, ce qui a entraîné son congédiement.

[38] Je ne vois pas en quoi la division générale aurait commis une erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement d’après les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi Note de bas de page 12.

[39] Je suis pleinement conscient que la prestataire peut demander réparation auprès d’une autre instance si l’existence d’une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que la prestataire a été congédiée en raison d’une inconduite.

[40] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale ainsi que les arguments que la prestataire a présentés pour appuyer sa demande de permission de faire appel, je n’ai pas d’autre choix que de conclure que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. La prestataire n’a pas invoqué de motif qui correspond à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés plus haut et qui pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

Conclusion

[41] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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