Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KZ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1287

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. Z.
Représentante ou représentant : Steven Barker
Partie intimée : Commission de l’assurance emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (552800) datée du 23 janvier 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Amanda Pezzutto
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 25 mai 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Date de la décision : Le 21 juin 2023
Numéro de dossier : GE-23-695

Sur cette page

Décision

[1] K. Z. est l’appelante dans cette affaire. La Commission de l’assurance-emploi du Canada affirme qu’elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi. L’appelante fait appel de cette décision auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

[2] Je rejette l’appel. J’estime que l’employeur a suspendu, puis congédié l’appelante parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 mise en place au travail. Je considère que les raisons de sa suspension et de son congédiement montrent qu’il y a eu inconduite selon la loi.

Aperçu

[3] L’employeur de l’appelante a instauré une politique de vaccination contre la COVID-19. Il s’attendait à ce que chaque membre du personnel communique son statut vaccinal. Pour pouvoir continuer à travailler, chaque personne devait soit confirmer qu’elle était vaccinée contre la COVID-19, soit se soumettre de façon régulière à des tests de dépistage rapides. L’appelante a refusé de confirmer son statut vaccinal (de dire si elle était vaccinée contre la COVID-19) et de subir des tests rapides. Son employeur l’a donc mise en congé sans solde.

[4] Un jour, l’employeur a mis fin à l’obligation vaccinale et a demandé à l’appelante de revenir travailler. L’appelante refusait toujours de confirmer son statut vaccinal et n’est pas retournée au travail. Son employeur l’a ultimement congédiée.

[5] Selon la Commission, l’inconduite de l’appelante est à l’origine de sa suspension et de son congédiement. La Commission affirme que l’appelante comprenait la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Elle savait qu’elle risquait d’être suspendue ou de perdre son emploi en cas de manquement. La Commission est d’avis que l’appelante a agi délibérément lorsqu’elle a refusé de suivre la politique.

[6] L’appelante n’est pas d’accord. Elle affirme que sa convention collective ne permettait pas à l’employeur d’imposer unilatéralement une politique de vaccination contre la COVID-19 et que son syndicat est d’accord avec cette position. Elle ajoute que son contrat de travail ne comportait aucune obligation expresse ou implicite de se conformer à une politique vaccinale. Elle conclut donc qu’elle n’a pas arrêté de travailler en raison d’une inconduite.

Question en litige

[7] L’appelante a-t-elle arrêté de travailler en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] Pour décider si la fin d’emploi de l’appelante est due à une inconduite, je dois évaluer deux choses. D’abord, je dois établir les raisons de sa fin d’emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère ces raisons comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle arrêté de travailler?

[9] J’estime que l’employeur a suspendu l’appelante du 28 février au 2 juillet 2022, puis l’a congédiée durant la semaine du 3 juillet 2022. Je considère que sa suspension et son congédiement ont tous deux été causés par une inconduite aux termes de la loi.

[10] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si son employeur la suspend pour inconduite. Et elle n’y a pas droit pendant toute la durée de sa suspension. C’est ce que la Commission appelle une inadmissibilitéNote de bas page 1.

[11] La loi prévoit aussi qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si son employeur la congédie pour inconduite (autrement dit si elle perd son emploi de façon permanente). C’est ce que la Commission appelle une exclusionNote de bas page 2. La personne est exclue jusqu’à ce qu’elle accumule assez d’heures de travail pour être admissible aux prestations à nouveau.

[12] L’appelante est d’accord avec la Commission sur le fait qu’elle a été suspendue à compter du 28 février 2022 parce qu’elle n’a pas suivi la politique de vaccination contre la COVID-19 mise en place au travail. Elle est aussi d’accord avec la Commission sur le fait que l’employeur s’attendait à ce qu’elle confirme son statut vaccinal, mais qu’elle ne l’a pas fait.

[13] Je comprends donc que l’employeur a suspendu l’appelante parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19. Je dois décider si ce qu’elle a fait est une inconduite selon la loi.

[14] La raison pour laquelle la suspension s’est poursuivie du 31 mai au 2 juillet 2022 et la raison du congédiement le 4 juillet 2022 est plus compliquée.

[15] La Commission affirme que l’appelante a été suspendue du 31 mai au 2 juillet 2022 et qu’elle a été congédiée le 4 juillet 2022 parce qu’elle a refusé de recommencer à travailler.

[16] L’appelante admet que son employeur lui a demandé de revenir au travail et qu’elle ne l’a pas fait. Elle affirme que la cause sous-jacente de son refus était la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. En effet, même si son employeur lui a dit qu’elle pouvait revenir travailler, il s’attendait toujours à ce qu’elle communique son statut vaccinal. Elle précise qu’elle a refusé de confirmer si elle était vaccinée parce qu’elle n’était pas d’accord avec le pouvoir que son employeur s’était donné lorsqu’il avait mis en œuvre sa politique. L’appelante explique donc que sa suspension s’est poursuivie et que son employeur a fini par la congédier, tout cela en raison de sa politique de vaccination contre la COVID-19.

[17] Le dossier d’appel contient des lettres de l’employeur, ainsi que des courriels échangés entre l’appelante, l’employeur et son syndicat. Tous ces documents traitent des raisons pour lesquelles l’appelante ne travaillait pas après le 31 mai 2022.

[18] Je reconnais que les lettres et les courriels de l’employeur font référence au refus de l’appelante de retourner au travail. Plus précisément, la lettre de congédiement indique que l’employeur congédie l’appelante parce qu’elle refuse de recommencer à travailler et d’accepter toute date de retour au travail.

[19] En parallèle, je remarque que les lettres et les courriels de l’appelante à son syndicat et à son employeur indiquent tous qu’elle souhaite retourner travailler, mais qu’elle ne veut pas communiquer son statut vaccinal. En d’autres mots, la politique de vaccination contre la COVID-19 continuait d’être la raison pour laquelle l’appelante ne travaillait pas. C’était la cause de sa suspension continue et de son congédiement.

[20] Je suis donc d’accord avec l’argument de l’appelante. Je conviens que son refus constant de suivre la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19 était la cause sous-jacente de sa suspension continue et de son congédiement.

[21] Je vais donc examiner si ce que l’appelante a fait, c’est-à-dire déroger à la politique de son employeur, constitue une inconduite aux termes de la loi. Ainsi, je saurai si la Commission doit l’exclure du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

La raison de la suspension et du congédiement est-elle une inconduite selon la loi?

[22] Selon la loi, la raison de la suspension et du congédiement de l’appelante est une inconduite.

[23] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 3. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 4. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (autrement dit qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite selon la loiNote de bas page 5.

[24] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas page 6.

[25] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas page 7.

[26] Selon la Commission, la perte d’emploi de l’appelante découle d’une inconduite. La Commission affirme que l’appelante connaissait la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Elle ajoute que l’appelante savait que le refus de suivre cette politique pouvait entraîner une suspension, voire un congédiement. Elle précise aussi que son refus était volontaire et délibéré.

[27] L’appelante n’est pas d’accord. Elle affirme que son employeur a enfreint sa convention collective lorsqu’il a mis en place la politique de vaccination contre la COVID-19, et ce, sans négociation collective. Elle n’est pas d’accord avec le pouvoir que son employeur s’est donné lorsqu’il a lui-même modifié les conditions d’emploi pour exiger la vaccination ou les tests de dépistage. Elle soutient que ni sa convention collective ni son contrat de travail ne comportaient d’obligation expresse ou implicite de se conformer à cette politique de vaccination contre la COVID-19.

[28] Je suis d’accord avec la Commission. J’estime que la suspension et le congédiement de l’appelante découlent d’une inconduite aux termes de la loi. Je n’ai pas le pouvoir d’examiner les modalités de la convention collective. Je n’ai pas le pouvoir non plus d’évaluer si l’employeur a agi de façon équitable ou raisonnable lorsqu’il a instauré sa politique de vaccination contre la COVID-19. Je considère que la mise en œuvre de la politique signifiait que celle-ci devenait une obligation que l’appelante devait respecter.

[29] L’appelante et la Commission sont d’accord sur la plupart des faits de base de l’appel. Toutefois, elles ne s’entendent pas sur l’application du droit à ces faits.

[30] L’appelante et la Commission sont d’accord que l’employeur a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19. Selon la politique, l’employeur s’attendait à ce que chaque membre du personnel communique son statut vaccinal. Les personnes qui refusaient de le communiquer ou qui n’étaient pas vaccinées contre la COVID-19 devaient se soumettre de façon régulière à des tests de dépistage rapides. En cas de manquement à la politique, il n’était pas possible de travailler. L’employeur a dit que toute personne fautive allait être mise en congé sans solde et qu’il réexaminerait le dossier plus tard.

[31] L’appelante admet qu’elle comprenait la politique. Même si elle avait des questions sur certains détails, elle comprenait les attentes générales. Elle savait que son employeur exigeait qu’elle communique son statut vaccinal. Elle savait que si elle n’était pas vaccinée ou si elle ne fournissait aucune confirmation de son statut, son employeur s’attendait à ce qu’elle se soumette de façon régulière à des tests de dépistage rapides. Elle comprenait qu’elle risquait d’être suspendue ou congédiée si elle ne suivait pas la politique.

[32] J’accepte les faits ci-dessus.

[33] L’appelante et la Commission ne s’entendent pas sur l’application du droit à ces faits. L’appelante affirme que son syndicat n’était pas d’accord avec la politique. Elle explique que son syndicat convient que la convention collective ne donnait pas à l’employeur le pouvoir d’imposer unilatéralement ce genre de politique. Elle précise que ni sa convention collective ni son contrat de travail ne comportaient d’obligation expresse ou implicite de se conformer à ce genre de politique.

[34] L’appelante fait aussi remarquer qu’une décision récente de la division générale du Tribunal décrit une situation très semblable à la sienneNote de bas page 8. Dans cette décision, le membre de la division générale a établi que l’employeur avait lui-même ajouté une exigence au contrat de travail lorsqu’il avait instauré sa politique de vaccination contre la COVID-19. Le membre a noté que ni l’employée ni son syndicat n’avaient accepté cette nouvelle condition d’emploi. Il a aussi souligné que la convention collective de l’employée n’exigeait pas la vaccination contre la COVID-19. En fait, la convention collective comportait un énoncé précis qui donnait au personnel la liberté de refuser les autres vaccins.

[35] Par conséquent, le membre de la division générale a conclu que la Commission n’avait pas prouvé que l’employée avait perdu son emploi en raison d’une inconduite ni qu’elle avait commis une violation expresse ou implicite de son contrat de travail.

[36] L’appelante dit que je devrais suivre cette décision de la division générale. Elle affirme que cette affaire est très semblable à la sienne.

[37] Je ne suis pas d’accord. Je ne suivrai pas le raisonnement de cette décision de la division générale.

[38] Le Tribunal s’efforce de rendre des décisions cohérentes l’une entre les autres. Autrement dit, les membres du Tribunal devraient suivre les décisions de leurs collègues. Mais certaines décisions font exception. Il arrive que la loi y soit interprétée différemment. Il arrive même qu’elles se fondent sur la même jurisprudence pour arriver à une nouvelle conclusion. Les membres du Tribunal n’ont pas l’obligation de suivre les autres décisions du Tribunal. Par contre, les décisions rendues par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale font partie de la loi et je suis obligée de les suivre.

[39] De plus, les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale affirment constamment que je ne peux pas me pencher sur les actions de l’employeur lorsque je rends une décision au sujet d’une inconduite. Je ne peux pas regarder si l’employeur aurait dû offrir à l’appelante d’autres solutions au lieu de la vaccination. Je ne peux pas décider si la politique de l’employeur était équitable ou justifiée. Je ne peux pas vérifier si sa politique violait la convention collective. Je peux seulement examiner les faits et gestes de l’appelante et décider si les raisons pour lesquelles elle a perdu son emploi remplissent le critère de l’inconduiteNote de bas page 9.

[40] Et même si les autres décisions du Tribunal ne font pas partie de la loi, je tiens à souligner que, dans de nombreuses affaires, la division générale et la division d’appel ont examiné des situations semblables et ont décidé que le refus de se faire vacciner contre la COVID-19 peut constituer une inconduite. Plus précisément, de nombreuses décisions de la division d’appel conviennent qu’il y a inconduite dans les circonstances suivantesNote de bas page 10 :

  • L’employeur a adopté une politique claire sur la vaccination contre la COVID-19.
  • L’employeur avise son personnel de la politique et lui donne assez de temps pour s’y conformer.
  • La politique précise clairement les conséquences que subiront les personnes qui refusent de la respecter.
  • Par conséquent, les membres du personnel savent ou devraient raisonnablement savoir que les personnes qui ne respectent pas la politique de vaccination contre la COVID-19 perdront probablement leur emploi.
  • Malgré tout, la personne fait le choix délibéré de ne pas suivre la politique.

[41] Je juge que toutes ces circonstances sont réunies dans le présent appel.

[42] L’appelante admet qu’elle connaissait la politique de son employeur sur la COVID-19. Elle convient qu’elle comprenait la politique et qu’elle était au courant du délai pour s’y conformer et des conséquences en cas de manquement. Elle confirme que son employeur lui avait dit qu’elle risquait d’être suspendue ou congédiée. Je conclus donc qu’elle savait que la politique de son employeur sur la COVID-19 était devenue une condition au maintien de son emploi. Elle savait qu’elle risquait de perdre son emploi si elle ne respectait pas cette politique.

[43] Malgré tout, l’appelante a fait le choix délibéré de ne pas suivre la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Ses gestes étaient volontaires.

[44] En conséquence, je conclus que l’employeur a suspendu et congédié l’appelante en raison d’une inconduite. Ma décision est conforme à la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. Elle concorde aussi avec de nombreuses décisions rendues par la division générale et la division d’appel.

Conclusion

[45] Je rejette l’appel de l’appelante. Je conclus que les raisons de sa suspension et de son congédiement montrent qu’il y a eu inconduite selon la loi. Par conséquent, elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi. Elle y est inadmissible pendant sa suspension, puis exclue à compter de la semaine où son employeur l’a congédiée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.