Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KZ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1286

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : K. Z.
Représentante ou représentant : Steven Barker
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 21 juin 2023
(GE-23-695)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 19 septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-719

Sur cette page

Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue et a perdu son emploi. Son employeur a dit l’avoir suspendue parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 mise en place au travail. Elle n’a pas eu d’exemption. L’employeur a dit l’avoir finalement congédiée parce qu’elle avait refusé de recommencer à travailler. La prestataire a fini par demander des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission de l’assurance-emploi) a décidé que la prestataire avait été suspendue et congédiée en raison d’une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après une révision infructueuse pour la prestataire, celle-ci a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[4] La division générale a établi que la prestataire avait été suspendue et congédiée parce qu’elle avait refusé de se conformer à la politique de son employeur. La prestataire n’a pas eu d’exemption. La division générale a aussi établi que la prestataire savait qu’elle risquait d’être suspendue et congédiée dans ces circonstances. Elle a conclu que la prestataire avait été suspendue et congédiée en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale devant la division d’appel. Selon la prestataire, la division générale a refusé d’exercer sa compétence ou a commis une erreur de droit dans sa conclusion selon laquelle sa suspension et son congédiement découlent d’une inconduite.

[6] Je dois évaluer si la prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que l’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social établit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Il s’agit des erreurs révisables suivantes :

  1. 1. La procédure de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. 2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a décidé d’une question qui dépassait sa compétence.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission de faire appel est une étape qui vient avant l’examen sur le fond. C’est une première étape que la partie prestataire doit franchir, où la barre est moins haute que durant l’appel sur le fond. Lors de la demande de permission de faire appel, la partie prestataire n’a pas à prouver ce qu’elle avance. Elle doit plutôt montrer que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, elle doit établir qu’une erreur susceptible de révision a été commise et peut permettre à l’appel d’être accueilli.

[11] Alors, avant de donner la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés ci-dessus et qu’au moins un de ces motifs a une chance raisonnable de succès.

La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

[12] Voici les motifs de la prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel :

  1. a) La division générale a commis une erreur de compétence lorsqu’elle a refusé d’examiner les modalités de la convention collective.
  2. b) Il était incorrect que la division générale affirme qu’elle n’avait pas le pouvoir d’examiner la convention collective, soit le document qui énonce les conditions d’emploi de la prestataire.
  3. c) Il est bien établi qu’une situation où un employeur tente de modifier lui-même les modalités d’un contrat de travail est considérée comme une justification selon les articles 29(c)(vii), 29(c)(viii) et 29(c)(ix) de la Loi sur l’assurance-emploi. Le même raisonnement devrait s’appliquer à l’interprétation de l’inconduite.
  4. d) Si l’on accepte la façon dont la division générale interprète son pouvoir, on crée une situation où une personne employée pourrait être congédiée en raison d’une modification unilatérale de ses conditions de travail et être inadmissible aux prestations régulières d’assurance-emploi. Si cette personne avait plutôt démissionné en raison de la même modification, elle aurait pu avoir droit aux prestations.
  5. e) La division générale a fait erreur lorsqu’elle a décidé d’ignorer la décision intitulée AL non pas parce que les faits étaient différents, mais parce qu’elle faisait « exception ».
  6. f) La décision AL était correcte et fondée en droit, car elle reflétait le véritable pouvoir qu’avait la division générale d’examiner les modalités d’un emploi pour trancher une question d’inconduite.
  7. g) La prestataire n’avait aucune obligation expresse ou implicite de suivre la politique, comme le montre la conclusion de la décision AL.

[13] La division générale devait décider si la prestataire avait été suspendue et congédiée en raison d’une inconduiteNote de bas de page 1. Je tiens à préciser que le terme « inconduite » a un sens précis en assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage courant du mot. Une personne exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi n’a pas forcément fait quelque chose de « mal »Note de bas de page 2.

[14] Dans la notion d’inconduite, ce n’est pas nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour arriver à une conclusion d’inconduite, l’acte reproché doit être délibéré ou, du moins, d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a délibérément décidé d’ignorer les répercussions de cet acte sur son travail.

[15] Le rôle de la division générale n’est pas de se prononcer sur la sévérité de la sanction imposée par l’employeur. Ce n’est pas non plus de savoir si celui-ci a commis une inconduite en suspendant et en congédiant la prestataire, de sorte que sa suspension et son congédiement seraient injustifiés. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire a commis une inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension et son congédiement.

[16] À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue et qu’elle avait perdu son emploi parce qu’elle avait refusé de suivre la politique. La prestataire avait été informée de cette politique et aurait eu le temps de s’y conformer. Elle n’a pas eu d’exemption. Son refus était intentionnel. Elle a agi délibérément. C’est la cause directe de sa suspension et de son congédiement.

[17] La division générale a établi que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension et son congédiement.

[18] La division générale a conclu, à partir de la preuve prépondérante, que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[19] Une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi Note de bas de page 3. On dit aussi que le non-respect d’une politique approuvée par un gouvernement ou une entreprise est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 4.

[20] On s’entend pour dire qu’un employeur doit prendre toutes les précautions raisonnables pour veiller à la santé et à la sécurité de son personnel au travail. Dans la présente affaire, l’employeur a suivi les recommandations de santé publique de la Colombie-Britannique lorsqu’il a mis en œuvre sa politique visant à préserver la santé et la sécurité de son personnel pendant la pandémie Note de bas de page 5.

[21] Il revient à une autre instance d’évaluer si la politique de l’employeur allait à l’encontre de la convention collective ou violait les droits fondamentaux et constitutionnels. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas l’endroit où la prestataire pourra obtenir la réparation qu’elle rechercheNote de bas de page 6.

[22] Dans sa demande de permission de faire appel, la prestataire accorde beaucoup d’importance à la décision de la division générale qui s’intitule AL. Toutefois, cette décision a été annulée par trois membres de la division d’appelNote de bas de page 7. La prestataire, A. L., soutenait que ni sa convention collective ni son contrat de travail ne comportaient d’obligation expresse ou implicite de se faire vacciner contre la COVID-19.

[23] Les membres ont conclu à l’unanimité que la division générale avait commis deux erreurs dans la décision AL. D’abord, elle avait mal interprété ce qu’est une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. Ensuite, elle avait excédé ses pouvoirs en se prononçant sur le fond d’un litige entre employeur et personne employée.

[24] Se demander s’il y a une obligation explicite ou implicite est une chose. C’en est une autre de se demander si l’obligation était valable. La seconde question dépasse le cadre législatif de l’assurance-emploi.

[25] Récemment, la Cour fédérale du Canada a rendu une décision dans une affaire intitulée Cecchetto. Celle-ci concerne l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19.

[26] Le prestataire dans l’affaire Cecchetto a fait valoir que le refus de se plier à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a avancé que rien ne prouvait que le vaccin était sûr et efficace. Il s’est senti discriminé par son choix médical personnel. Il a ajouté qu’il avait le droit de préserver son intégrité physique et que ses droits avaient été violés selon la loi canadienne et internationaleNote de bas de page 8.

[27] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel, selon laquelle le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas légalement autorisé à régler ce genre de questions. La Cour a convenu qu’en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique vaccinale de son employeur, le prestataire dans l’affaire Cecchetto avait manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 9. La Cour a déclaré que le prestataire avait d’autres options dans le système de justice pour faire valoir ses revendications adéquatement.

[28] Depuis l’affaire Cecchetto, deux autres décisions de la Cour fédérale suivent le même raisonnement concernant la vaccination. Il s’agit des décisions Milovac et KukNote de bas de page 10. On y tire les mêmes conclusions : les prestataires avaient l’obligation de suivre la politique vaccinale de leurs employeurs, et le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas responsable d’évaluer ou d’établir le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique vaccinale d’un employeur.

[29] Selon la Cour fédérale, il était raisonnable pour le Tribunal de la sécurité sociale de conclure que les prestataires avaient perdu leur emploi en raison de leur inconduite, puisqu’ils étaient au courant de la politique vaccinale de leurs employeurs et des conséquences possibles en cas de non-respect.

[30] La Cour fédérale a rappelé qu’il existe d’autres moyens de sanctionner le comportement d’un employeur, qui permettent d’éviter que le programme d’assurance-emploi fasse les frais du comportement fautifNote de bas de page 11.

[31] La preuve prépondérante devant la division générale montre que la prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique que son employeur avait établie en réponse aux circonstances pandémiques exceptionnelles. C’est ce qui a entraîné sa suspension et son congédiement.

[32] La division générale ne semble avoir commis aucune erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite en suivant uniquement les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite conformément à la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[33] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé qu’il est plus probable qu’improbable (selon la prépondérance des probabilités) que la prestataire a été suspendue et congédiée en raison d’une inconduite.

Conclusion

[34] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments de la prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel, j’arrive à une seule conclusion : l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Les motifs de la prestataire ne correspondent à aucun des moyens d’appel que j’ai mentionnés au début et qui pourraient mener à l’annulation de la décision contestée.

[35] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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