Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 435

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : C. L.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Isabelle Thiffault

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le
7 avril 2023 (GE-22-3555)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 23 août 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 26 septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-421

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant, C. L. (prestataire), est un ingénieur. Il fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait prouvé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Autrement dit, elle a conclu qu’il avait fait quelque chose qui avait mené à son congédiement. Il n’avait pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

[3] La division générale a conclu qu’il y avait eu inconduite. Par conséquent, le prestataire a été exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[4] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit. Il nie qu’il y ait eu inconduite parce qu’il affirme qu’il n’a pas manqué à une obligation résultant de son contrat de travail avec son employeur.

[5] Le prestataire souligne que son contrat de travail n’exigeait pas la vaccination. Il a soutenu qu’étant donné que l’employeur a mis en œuvre une nouvelle politique qui ne faisait pas partie de son contrat de travail, il n’avait pas à s’y conformer. Ainsi, s’il n’était pas tenu de s’y conformer, on ne peut qualifier d’inconduite son choix de ne pas se faire entièrement vacciner. Le prestataire souligne également qu’il n’y avait aucune loi fédérale ou provinciale qui exigeait la vaccination.

[6] Le prestataire soutient également qu’il ne peut pas y avoir d’inconduite si l’employeur ne lui a pas offert de mesures d’adaptation. Il affirme que son employeur disposait d’un certain nombre d’options qui lui auraient permis de continuer à travailler.

[7] Comme le prestataire nie qu’il y ait eu inconduite, il demande à la division d’appel de conclure qu’il était admissible aux prestations d’assurance-emploi.

[8] La Commission a soutenu que la division générale n’a commis aucune erreur. Elle a demandé à la division d’appel de rejeter l’appel.

Questions en litige

[9] Les questions en litige dans le présent appel portent sur la question de savoir si la division générale a mal interprété ce qu’est une inconduite :

  1. i) Est-ce qu’il y a inconduite si un employé ne se conforme pas à une nouvelle politique qui ne fait pas partie du contrat de travail?
  2. ii) Peut-il y avoir inconduite si un employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation pour un employé?

Analyse

[10] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si celle-ci a commis une erreur de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de fait.Note de bas de page 1

La division générale a-t-elle mal interprété ce qu’est une inconduite?

[11] Le prestataire soutient que la division générale a mal interprété ce qu’est une inconduite. Il nie qu’il y ait eu une inconduite dans son cas. Il était un employé exceptionnel qui remplissait toutes les conditions de son contrat de travail.

Le prestataire affirme que la division générale n’a pas examiné son contrat de travail

[12] Le prestataire soutient que pour qu’il y ait inconduite, il doit avoir commis une action qui l’empêcherait de s’acquitter de ses obligations envers son employeur. Il fait valoir que pour prouver l’inconduite, la Commission devait démontrer que le non-respect de la politique de son employeur violait une obligation expresse ou implicite de son contrat de travail.

[13] Le prestataire soutient qu’aucune condition de son contrat de travail n’exigeait la vaccination. Par conséquent, il nie qu’il aurait pu manquer à une obligation expresse ou implicite de son contrat de travail.Note de bas de page 2

[14] Le prestataire soutient que l’examen de son contrat de travail était pertinent pour décider s’il avait manqué à l’une de ses obligations. Il affirme donc que la division générale aurait dû examiner son contrat de travail.

[15] Le prestataire distingue son cas de l’arrêt Cecchetto v Canada (Procureur général).Note de bas de page 3 M. Cecchetto ne s’était pas conformé à la politique de son employeur en matière de vaccination et de dépistage. La politique de vaccination ne faisait pas partie de son contrat de travail.

[16] En fin de compte, la Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait aucune raison d’annuler la décision de la division d’appel dans cette affaire. Elle a donc conclu que M. Cecchetto avait commis une inconduite.

[17] Le prestataire soutient que son cas se distingue de l’affaire Cecchetto en raison de la façon dont les politiques de vaccination ont été mises en œuvre. Dans le cas de M. Cecchetto, il y avait un mandat provincial, alors que dans son cas, il n’y avait pas de mandat provincial ni de loi qui exigeait que son employeur mette en œuvre une politique de vaccination.  

La définition de l’inconduite de la division générale

[18] La Loi sur l’assurance-emploi n’a pas de définition de l’inconduite. La division générale s’est donc penchée sur divers pouvoirs juridiques, y compris ceux de la Cour d’appel fédérale. La division générale a cité la définition d’inconduite issue de la Cour d’appel.

[19] La division générale a défini ce qu’est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi comme suit :

[17] Pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite de l’appelant était consciente, voulue ou intentionnelle. [Citation omise] L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. [Citation omise]

[18] Il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la [Loi sur l’assurance-emploi]. [Citation omise]

[19] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’il soit congédié pour cette raison. [Citation omise]

[20] Aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, une inconduite n’implique pas nécessairement de faire quelque chose de criminel ou d’immoral. Tant qu’un employé fait ou omet de faire quelque chose qui constitue un manquement à une obligation envers son employeur, et qu’il est au courant des conséquences qui pourraient en découler, cela suffira pour être qualifié d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[21] La division générale a repris la définition d’inconduite de la jurisprudence.

Le prestataire affirme que les exigences de vaccination ne faisaient pas partie de son contrat de travail

[22] Le prestataire soutient qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que la politique de vaccination ne faisait pas partie des modalités de son contrat de travail. Il conteste donc le fait qu’il aurait pu manquer à une obligation expresse ou implicite découlant de son contrat de travail. Il affirme qu’il a été en mesure d’accomplir toutes ses tâches sans avoir à se faire vacciner. Il affirme que la division générale aurait dû trancher cette question en sa faveur.

[23] Le prestataire s’appuie sur une décision rendue par la division générale, une affaire appelée A.L.Note de bas de page 4La division générale a conclu qu’il n’y avait pas eu inconduite parce que l’employeur avait imposé unilatéralement de nouvelles conditions d’emploi lorsqu’il a mis en œuvre sa politique de vaccination.

[24] La division d’appel a depuis annulé la décision A.L. La division d’appel a conclu que la division générale avait outrepassé sa compétence en examinant le contrat de travail de A.L. La division d’appel a également conclu que la division générale avait commis des erreurs de droit, notamment en déclarant qu’un employeur ne pouvait pas imposer de nouvelles conditions à la convention collective et qu’il n’y avait pas d’inconduite s’il n’y avait pas eu de rupture du contrat de travail.Note de bas de page 5

[25] La Cour fédérale a examiné cette question dans une affaire récente intitulée Kuk v Canada (Procureur général).Note de bas de page 6La Cour fédérale a rendu cette décision après l’audience dans la présente affaire.

[26] M. Kuk a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. La division générale a conclu que la Commission avait prouvé qu’il était coupable d’inconduite. La division d’appel a conclu que la division générale n’avait commis aucune erreur révisable.

[27] M. Kuk a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel. Il a soutenu que la division d’appel avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il avait manqué à ses obligations contractuelles en refusant de se faire vacciner.

[28] La Cour a écrit :

[traduction]

[34] . . . Comme la Cour d’appel fédérale l’a confirmé dans l’arrêt Nelson, il n’est pas nécessaire que le contrat de travail initial contienne une politique écrite pour justifier une inconduite : voir les paragraphes 22 à 26. La politique écrite qui a été communiquée à l’employé peut constituer en soi un élément de preuve qui suffit à démontrer sa connaissance objective du fait « qu’il était réellement possible qu’il soit congédié » s’il ne se conformait à cette politique. Le contrat et la lettre d’offre du demandeur ne comprennent pas les modalités complètes, explicites ou implicites, de son emploi. [...] Il est bien reconnu en droit du travail que les employés ont l’obligation de respecter les politiques de santé et de sécurité qui sont mises en œuvre par leurs employeurs au fil du temps.

. . .

[37] De plus, contrairement à ce que le demandeur laisse entendre, le Tribunal n’est pas tenu de s’attarder aux dispositions contractuelles ni de décider si le prestataire a été congédié de façon justifiée selon les principes du droit du travail lorsqu’il examine une inconduite au sens de la [Loi sur l’assurance-emploi]. Comme il a été mentionné précédemment, le critère de l’inconduite vise plutôt à établir si un prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte) qui est contraire à ses obligations professionnelles.

(C’est moi qui souligne)

[29] La Cour fédérale a conclu que les exigences de vaccination de l’employeur n’avaient pas à faire partie de l’entente d’emploi de M. Kuk. La Cour a conclu qu’il y avait eu inconduite parce que M. Kuk ne s’était pas conformé à la politique de vaccination de son employeur alors qu’il savait quelles seraient les conséquences s’il ne s’y conformait pas. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Kuk.

[30] Dans une affaire intitulée Nelson,Note de bas de page 7 la demanderesse a perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour d’appel fédérale a conclu que Mme Nelson avait été vue en état d’ébriété en public dans la réserve, ce qui enfreignait des conditions de son emploi.

[31] Mme Nelson a soutenu que la division d’appel avait commis une erreur en concluant que l’interdiction de consommer de l’alcool imposée par l’employeur constituait une condition d’emploi qui était liée aux fonctions qu’elle occupait. Elle a soutenu qu’il n’existait aucun lien rationnel entre sa consommation d’alcool et son rendement au travail, d’autant plus qu’elle avait consommé de l’alcool en dehors de ses heures de travail et que rien ne laissait croire qu’elle s’était présentée au travail en état d’ébriété ou avec des facultés affaiblies. Elle a nié qu’il y avait une clause expresse ou implicite de son contrat de travail qui interdisait la consommation d’alcool dans la réserve.

[32] La Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit : « [...] il n’importe guère que l’interdiction de consommer de l’alcool ne soit qu’une condition d’emploi prévue dans les politiques de l’employeur et qu’elle ne soit pas stipulée dans le contrat de travail [...] ».Note de bas de page 8

[33] De même, dans une affaire intitulée Nguyen,Note de bas de page 9 la Cour d’appel a conclu à l’existence d’une inconduite. M. Nguyen a harcelé une collègue au casino où ils travaillaient. L’employeur avait une politique concernant le harcèlement. Toutefois, la politique ne décrivait pas le comportement de M. Nguyen et ne faisait pas partie du contrat de travail.

[34] Dans une autre affaire intitulée Karelia,Note de bas de page 10 l’employeur a imposé de nouvelles conditions à M. Karelia. Il était toujours absent du travail. Ces nouvelles conditions ne s’inscrivaient pas dans le contrat de travail. Malgré tout, la Cour d’appel a décidé que M. Karelia devait s’y conformer, sans quoi il y avait inconduite.

[35] Il ressort clairement de ces décisions que la politique de l’employeur n’a pas à faire partie du contrat de travail pour qu’il y ait inconduite. Il est également clair qu’il n’est pas pertinent de savoir si les mandats fédéraux ou provinciaux ont exigé la mise en œuvre d’une politique d’employeur.

[36] Comme les tribunaux l’ont toujours affirmé, le critère de l’inconduite est de savoir si une partie prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte) contraire à ses obligations professionnelles. Il s’agit d’un critère très étroit et précis.

[37] En l’espèce, dès que l’employeur du prestataire a mis en œuvre sa politique de vaccination, elle est devenue une des exigences de son emploi, même si le prestataire était en mesure de remplir ses fonctions habituelles sans se faire vacciner. L’employeur exigeait que ses employés soient vaccinés, de sorte que la vaccination est devenue une condition essentielle de son emploi.

[38] Comme l’affirme la Commission, les employeurs sont responsables de la gestion des activités quotidiennes du milieu de travail. Ils n’ont pas à justifier chaque politique conçue à cette fin par une loi précise.Note de bas de page 11

[39] Par conséquent, on s’attendait à ce que le prestataire se conforme à la politique de vaccination de son employeur. La décision volontaire du prestataire de ne pas se conformer à la politique de son employeur constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[40] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle s’est concentrée sur les actions du prestataire et sur la question de savoir s’il aurait dû prévoir qu’elles entraîneraient probablement une suspension et un congédiement, afin de décider s’il y avait eu inconduite.

Le prestataire affirme qu’il ne peut y avoir d’inconduite si son employeur ne lui a pas offert de mesures d’adaptation

[41] Le prestataire soutient qu’il ne peut y avoir d’inconduite si son employeur ne lui a pas offert de mesures d’adaptation. Il fait remarquer que d’autres employeurs de sa province offraient des mesures d’adaptation et des options, contrairement à son employeur.

[42] Le prestataire aurait pu effectuer ses tâches habituelles de la maison. Il affirme qu’une autre option que son employeur aurait pu lui proposer était de travailler de la maison, car cela lui aurait permis de continuer à travailler. Il se demande donc comment une inconduite aurait pu survenir simplement en refusant de se faire vacciner, alors que ne pas se faire vacciner n’aurait pas nui à ses fonctions habituelles.

[43] Cependant, comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’affaire Mishibinijima,Note de bas de page 12 le fait qu’un employeur ne fournit pas de mesures d’adaptation n’est pas pertinent à la question de l’inconduite.

[44] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a décidé qu’elle ne pouvait pas examiner si l’employeur du prestataire aurait dû prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour lui.

Le prestataire nie qu’il savait qu’il subirait des conséquences

[45] Le prestataire se demande comment il aurait pu savoir qu’il subirait des conséquences s’il n’était pas d’accord avec la politique de vaccination de son employeur. Même s’il connaissait la politique de son employeur et qu’il pouvait y avoir des conséquences, il nie qu’il savait que son employeur irait jusque-là.

[46] Le prestataire affirme également qu’il y a de nombreux cas d’employés qui ont reçu des prestations d’assurance-emploi, bien qu’ils n’aient pas obtenu d’exemption aux politiques de vaccination de leur employeur et qu’ils aient choisi de ne pas se conformer.

[47] Pour qu’il y ait inconduite, il suffit que les prestataires sachent que leur décision de ne pas se faire vacciner pourrait entraîner leur congédiement. Une politique n’a pas à préciser avec certitude que le congédiement est imminent. La division générale n’a commis aucune erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le prestataire savait que son employeur le mettrait en congé sans solde et qu’il pourrait être congédié par la suite s’il ne respectait pas sa politique. De plus, les éléments de preuve portés à sa connaissance appuyaient ses conclusions.

[48] Le prestataire prétend qu’il fait l’objet d’un congédiement déguisé.Note de bas de page 13 Toutefois, comme la Cour fédérale l’a souligné dans l’affaire intitulée Kuk, une allégation de congédiement déguisé est une question entièrement distincte de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Si le prestataire souhaite aborder cette question, ses options de recours se trouvent ailleurs.Note de bas de page 14

Conclusion

[49] L’appel est rejeté. La division générale n’a pas commis d’erreur qui correspond aux moyens d’appel prévus par la loi. La division générale a conclu à juste titre qu’elle devait se concentrer sur la question de savoir si l’action ou l’omission du prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

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