Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1295

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : J. M.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 28 décembre 2022 (GE-22-2222)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Date de la décision : Le 27 septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-121

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas plus loin.

Aperçu

[2] La demanderesse, J. M. (prestataire), souhaite obtenir la permission de porter la décision de la division générale en appel. Celle‑ci a rejeté son appel.

[3] La division générale a conclu que la défenderesse, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait prouvé que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Autrement dit, la division générale a jugé que la prestataire avait fait quelque chose qui a mené à son congédiement. Elle a conclu que la prestataire n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire de son employeur.

[4] En raison de l’inconduite, la prestataire a été exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[5] La prestataire nie toute inconduite. Elle soutient que la membre de la division générale a commis des erreurs de droit et de fait. Elle fait valoir que son contrat de travail n’obligeait personne à se faire vacciner et que son employeur n’avait pas le droit d’imposer de façon unilatérale la vaccination comme condition d’emploi sans obtenir son consentement. Elle affirme qu’elle a respecté son contrat de travail et rempli toutes ses obligations envers son employeur, de sorte qu’il n’y a pas eu d’inconduite.

[6] La prestataire convient que, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Elle avance cependant que sa conduite n’était pas délibérée parce que sa foi l’empêche de se faire vacciner. Elle ajoute que la division générale aurait dû reconnaître qu’elle avait droit à une mesure d’adaptation pour motif religieux.

[7] La prestataire a déposé les copies de plusieurs décisions d’arbitrage en droit du travail. Elle soutient que le Tribunal de la sécurité sociale devrait suivre ces décisions. Les travailleuses et travailleurs ont gagné leur cause dans des griefs contre leurs employeurs.

[8] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas page 1. Autrement dit, il faut que la cause soit défendable. Si l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès, l’affaire est closeNote de bas page 2.

[9] Je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès. Par conséquent, je refuse de donner à la prestataire la permission de passer à la prochaine étape.

Questions en litige

[10] Voici les questions en litige :

  1. a) Est-il possible de soutenir que la division générale a mal interprété le sens du terme « inconduite »?
  2. b) Est-il possible de soutenir que la division générale n’a pas vérifié si la prestataire avait droit à des mesures d’adaptation pour motif religieux?

Je refuse la permission de faire appel

[11] La division d’appel accorde la permission de faire appel sauf si l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Il y a une chance raisonnable de succès si la division générale a possiblement commis une erreur de compétence, de procédure, de droit ou un certain type d’erreur de faitNote de bas page 3.

[12] Pour ce qui est des erreurs de fait, il faut que la division générale ait fondé sa décision sur une erreur qu’elle a commise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Peut‑on soutenir que la division générale a mal interprété le sens du terme « inconduite »?

[13] La prestataire dit qu’il n’y a pas eu d’inconduite de sa part. Elle affirme que la politique de vaccination ne faisait pas partie de son contrat de travail. Elle avance que, pour qu’il y ait inconduite, il faut qu’il y ait manquement à une obligation résultant du contrat de travail.

[14] La prestataire ajoute que, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Elle dit que sa conduite n’était pas délibérée parce que, selon elle, sa foi religieuse l’empêchait de se faire vacciner.

La vaccination n’était pas requise aux termes du contrat de travail de la prestataire

[15] La prestataire s’appuie sur la décision AL c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas page 4, rendue par la division générale. Cette dernière a conclu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite parce que l’employeur avait imposé de nouvelles conditions d’emploi de façon unilatérale lorsqu’il a adopté sa politique de vaccination. La division générale a aussi conclu que A. L. avait le droit de refuser la vaccination. Par conséquent, si elle avait ce droit, la division générale s’est demandé comment on pouvait qualifier son refus de si « mal » qu’il puisse permettre de conclure à une inconduite.

[16] Depuis, la division d’appel a annulé la décision de la division générale dans l’affaire AL. La division d’appel a conclu que la division générale avait excédé sa compétence lorsqu’elle avait examiné le contrat de travail de A. L. Elle a aussi conclu que la division générale avait fait des erreurs de droit, notamment quand elle a affirmé qu’un employeur ne pouvait pas imposer de nouvelles conditions à la convention collective et que, sans la rupture du contrat de travail, il n’y avait pas d’inconduiteNote de bas page 5.

[17] Il est maintenant bien établi en droit qu’il n’est pas nécessaire que la politique de l’employeuse ou de l’employeur fasse partie du contrat de travail pour qu’il y ait inconduite :

  • Dans l’affaire KukNote de bas page 6, M. Kuk a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. La politique ne faisait pas partie de son contrat de travail. La Cour fédérale a conclu que les exigences de vaccination de l’employeur n’avaient pas à faire partie du contrat de travail de M. Kuk. Elle a jugé qu’il y avait eu inconduite parce que M. Kuk, en toute connaissance de cause, n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur et il connaissait les conséquences du non-respect de la politique.
  • Dans l’affaire NelsonNote de bas page 7, l’appelante avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle a été vue en état d’ébriété en public dans la réserve où elle travaillait. L’employeur considérait cela comme une violation de l’interdiction de consommer de l’alcool. Selon Mme Nelson, cette interdiction de consommer de l’alcool ne faisait pas partie des exigences écrites dans son contrat de travail et sa consommation d’alcool n’avait aucune incidence sur son rendement au travail. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait eu inconduite. Le fait que la politique de l’employeur interdisant la consommation d’alcool ne fasse pas partie du contrat de travail de Mme Nelson n’était pas pertinent.
  • Dans l’affaire NguyenNote de bas page 8, la Cour d’appel a jugé qu’il y avait eu inconduite. M. Nguyen avait harcelé une personne avec qui il travaillait au casino. L’employeur avait adopté une politique sur le harcèlement. Toutefois, la politique ne décrivait pas le comportement de M. Nguyen et ne faisait pas partie du contrat de travail.
  • Dans une autre affaire, appelée KareliaNote de bas page 9, l’employeur a imposé de nouvelles conditions à M. Karelia. Il s’absentait toujours du travail. Ces nouvelles conditions ne faisaient pas partie du contrat de travail. Malgré cela, la Cour d’appel a décidé que M. Karelia devait s’y conformer, même si elles étaient nouvelles, faute de quoi il y avait inconduite.

[18] En plus de la décision Kuk, la Cour fédérale a rendu deux autres décisions qui abordent la question de l’inconduite dans le contexte des politiques de vaccination. Dans l’affaire CecchettoNote de bas page 10et l’affaire MilovacNote de bas page 11, la vaccination ne faisait pas partie de la convention collective ni du contrat de travail de la partie. Malgré cela, la Cour fédérale a conclu qu’il y avait eu inconduite.

[19] Ainsi, contrairement à ce que la prestataire laisse entendre, les obligations qui résultent de la politique de vaccination de son employeur n’ont pas à être inscrites dans son contrat de travail.

La prestataire dit que sa conduite n’était pas délibérée

[20] La prestataire nie qu’il a eu inconduite parce qu’elle affirme que sa conduite ne pouvait pas être délibérée si elle était guidée par sa foi religieuse. Elle dit qu’elle ne pouvait pas choisir de se faire vacciner en raison de ses croyances religieuses.

[21] La division générale a conclu que la preuve n’appuyait pas ces affirmations. La division générale a mentionné la lettre du pasteur, qui précise que la religion de la prestataire n’interdisait pas la plupart des vaccins et qu’en général, elle encourageait la vaccination pour la protection de la santé personnelle et publiqueNote de bas page 12.

[22] Compte tenu des faits, la division générale a jugé inutile d’aborder la question de droit portant sur le caractère délibéré de la conduite des membres du personnel qui sentent que leurs croyances religieuses les obligent à agir d’une certaine façon. La division générale a tiré une conclusion de fait. La prestataire n’est pas d’accord avec les conclusions de la membre de la division générale sur les faits de l’affaire. Ce n’est cependant pas un motif ou une raison qui permet à la division d’appel de réévaluer la preuve et de tirer une conclusion différente.

Griefs syndicaux

[23] La prestataire s’appuie sur plusieurs décisions d’arbitrage de conflits de travail, dont Santé publique Sudbury et districts v Association des infirmières et infirmiers de l’OntarioNote de bas page 13. Selon elle, les autres affairesNote de bas page 14 qu’elle invoque établissent que les employeurs qui congédient les membres de leur personnel pour non-respect de leur politique de vaccination n’ont pas de motif valable. Plus important encore, elle affirme que ces affaires montrent que les employeurs ont l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins des membres de leur personnel ayant des croyances religieuses.

[24] Ces affaires ne portaient pas sur la question de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Elles portaient sur d’autres questions, comme celle de savoir si le motif de congédiement était valable, si le personnel avait droit à une indemnité pour congédiement injuste et si l’employeur avait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation en réponse aux demandes d’exemption religieuse de son personnel. Ces questions n’ont rien à voir avec les questions dont la division générale était saisie et n’ont aucune incidence sur la question de l’inconduite.

[25] En fait, ces décisions d’arbitrage en droit du travail illustrent le fait que, pour contester son congédiement ou le refus de son employeur de prendre des mesures d’adaptation pour motif religieux, la prestataire peut demander réparation ailleurs qu’au Tribunal de la sécurité sociale.

[26] Dans l’état actuel des choses, ni la division générale ni la division d’appel n’ont le pouvoir d’examiner la question de savoir si la prestataire a été congédiée de façon déguisée ou injustifiée ou si on l’a privée d’une mesure d’adaptation appropriée. Ces questions relèvent d’une autre autorité.

Résumé

[27] Comme les cours l’ont toujours affirmé, le critère de l’inconduite est très strict et précis. Elle consiste à évaluer si les prestataires ont de façon intentionnelle posé (ou omis de poser) un geste en contravention de leurs obligations professionnelles.

[28] Je ne suis pas convaincue qu’il soit possible de soutenir que la division générale a mal interprété la notion d’inconduite. Dans sa définition de l’inconduite, la division générale a tout simplement repris ce que dit le droit établi par les cours.

Peut‑on soutenir que la division générale n’a pas vérifié si la prestataire avait droit à une mesure d’adaptation pour motif religieux?

[29] Selon la prestataire, il n’y a pas inconduite si son employeur ne lui a pas offert de mesures d’adaptation.

[30] Compte tenu de la nature de son poste, la prestataire aurait pu travailler de la maison. Elle affirme que son employeur aurait facilement pu lui proposer de travailler de la maison, car cette solution de rechange lui aurait permis de continuer à travailler. Elle se demande donc comment le simple refus de se faire vacciner peut engendrer une inconduite alors que le fait de ne pas être vaccinée ne l’aurait pas empêché de remplir ses fonctions habituelles.

[31] Cependant, comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans l’affaire MishibinijimaNote de bas page 15, le fait qu’un employeur n’offre aucune mesure d’adaptation n’est pas pertinent lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[32] La division générale n’a pas fait d’erreur de droit lorsqu’elle a décidé qu’elle ne pouvait pas vérifier si l’employeur de la prestataire aurait dû prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour elle.

Conclusion

[33] Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est refusée. Cela met donc un terme à l’appel.

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