Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1292

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : A. B.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 6 janvier 2023 (GE-22-2627)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Date de la décision : Le 26 septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-119

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas plus loin.

Aperçu

[2] La demanderesse, A. B. (prestataire), demande la permission de faire appel de la décision de la division générale. Celle‑ci a rejeté son appel.

[3] La division générale a conclu que la défenderesse, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduiteNote de bas de page 1. Autrement dit, elle a conclu que la prestataire avait fait quelque chose qui avait entraîné sa suspension. La division générale a conclu que la prestataire n’avait pas suivi la politique de vaccination obligatoire mise en place par son employeur.

[4] En raison de l’inconduite, la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[5] La prestataire nie toute inconduite. Elle soutient que le membre de la division générale a fait des erreurs de procédure, de droit et de fait. Elle fait valoir, par exemple, que la division générale n’a pas tenu compte du fait que sa convention collective n’obligeait pas la vaccination. Elle affirme avoir respecté sa convention collective et rempli toutes ses obligations envers son employeur. Alors, selon elle, il n’y a pas eu d’inconduite.

[6] La prestataire soutient aussi que la division générale n’a pas regardé si la politique était déraisonnable. Par conséquent, elle affirme qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle soit obligée de la suivre.

[7] Selon la prestataire, la preuve n’appuie pas les conclusions de la division générale, c’est‑à-dire qu’elle aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de son employeur.

[8] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succès. Autrement dit, il faut que la cause soit défendableNote de bas de page 2. Si l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès, l’affaire est closeNote de bas de page 3.

[9] Je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès. Par conséquent, je refuse de donner à la prestataire la permission de passer à la prochaine étape.

Questions en litige

[10] Voici les questions à trancher :

  1. a) Est-il possible de soutenir que la division générale a fait une erreur de procédure parce qu’elle n’a pas communiqué avec le gestionnaire de la prestataire?
  2. b) Est-il possible de soutenir que la division générale a mal interprété le sens du terme « inconduite »?
  3. c) Est-il possible de soutenir que la division générale n’a pas examiné le caractère raisonnable de la politique de vaccination de l’employeur?
  4. d) Est-il possible de soutenir que la division générale a tiré des conclusions qui ne s’appuient pas sur la preuve?

Je refuse la permission de faire appel

[11] La division d’appel accorde la permission de faire appel à moins que l’appel n’ait aucune chance raisonnable de succès. Il y a une chance raisonnable de succès s’il y est possible que la division générale ait fait une erreur de compétence, de procédure, de droit ou un certain type d’erreur de faitNote de bas de page 4.

[12] En ce qui concerne les erreurs de fait, il faut que la division générale ait fondé sa décision sur une erreur qu’elle a commise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Est-il possible de soutenir que la division générale a fait une erreur de procédure parce qu’elle n’a pas communiqué avec le gestionnaire de la prestataire?

[13] Selon la prestataire, la division générale aurait dû communiquer avec son gestionnaire durant le processus d’appel.

[14] Je ne suis pas convaincue que la prestataire puisse soutenir cet argument. La division générale rend des décisions de façon indépendante et impartiale. Elle ne communique pas avec les parties ou les témoins dans le but de recueillir ou de clarifier des éléments de preuve. Ce rôle revient aux parties.

[15] Si la prestataire devait obtenir des éléments de preuve auprès de son gestionnaire, elle aurait dû communiquer avec lui. Même si les éléments de preuve existaient, il aurait été extrêmement inapproprié que la division générale communique avec les témoins.

Est-il possible de soutenir que la division générale a mal interprété la notion d’inconduite?

[16] La prestataire dit qu’il n’y a pas eu d’inconduite de sa part. Elle affirme que la politique de vaccination ne faisait pas partie de sa convention collective. Elle fait valoir que, pour qu’il y ait inconduite, il faut qu’il y ait manquement à une obligation qui résulte de façon expresse ou implicite du contrat de travail.

[17] La prestataire s’appuie sur la décision AL c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 5, une décision de la division générale. Cette dernière a conclu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite parce que l’employeur avait imposé de nouvelles conditions d’emploi de façon unilatérale lorsqu’il a adopté sa politique de vaccination. La division générale a aussi conclu que A. L. avait le droit de refuser la vaccination. Par conséquent, si elle avait ce droit, la division générale s’est demandé comment on pouvait qualifier son refus de si « mal » qu’il puisse permettre de conclure à une inconduite.

[18] Depuis, la division d’appel a annulé la décision de la division générale dans l’affaire AL. La division d’appel a conclu que la division générale avait excédé sa compétence lorsqu’elle avait examiné le contrat de travail de A. L. Elle a aussi conclu que la division générale avait fait des erreurs de droit, notamment quand elle a affirmé qu’un employeur ne pouvait pas imposer de nouvelles conditions à la convention collective et que, sans la rupture du contrat de travail, il n’y avait pas d’inconduiteNote de bas de page 6.

[19] Il est maintenant bien établi qu’il n’est pas nécessaire que la politique de l’employeuse ou de l’employeur fasse partie du contrat de travail pour qu’il y ait inconduite :

  • Dans l’affaire KukNote de bas de page 7, M. Kuk a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. La politique ne faisait pas partie de son contrat de travail. La Cour fédérale a conclu que les exigences de vaccination de l’employeur n’avaient pas à faire partie du contrat de travail de M. Kuk. Elle a jugé qu’il y avait eu inconduite parce que M. Kuk, en toute connaissance de cause, n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur et il connaissait les conséquences du non-respect de la politique.
  • Dans l’affaire NelsonNote de bas de page 8, l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle a été vue en état d’ébriété en public dans la réserve où elle travaillait. L’employeur considérait cela comme une violation de l’interdiction de consommer de l’alcool. Selon Mme Nelson, l’interdiction de consommer de l’alcool, qui était imposée par son employeur, ne faisait pas partie des exigences écrites dans son contrat de travail, et sa consommation d’alcool n’avait aucune incidence sur son rendement au travail. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait eu inconduite. Le fait que la politique de l’employeur interdisant la consommation d’alcool ne fasse pas partie du contrat de travail de Mme Nelson n’était pas pertinent.
  • Dans l’affaire NguyenNote de bas de page 9, la Cour d’appel a jugé qu’il y avait eu inconduite. M. Nguyen avait harcelé une personne avec qui il travaillait au casino. L’employeur avait adopté une politique sur le harcèlement. Toutefois, la politique ne décrivait pas le comportement de M. Nguyen et ne faisait pas partie du contrat de travail.
  • Dans une autre affaire, appelée KareliaNote de bas de page 10, l’employeur avait imposé de nouvelles conditions à M. Karelia. Il s’absentait toujours du travail. Ces nouvelles conditions ne faisaient pas partie du contrat de travail. Malgré cela, la Cour d’appel a décidé que M. Karelia devait s’y conformer, même si elles étaient nouvelles, faute de quoi il y avait inconduite.

[20] En plus de la décision Kuk, les cours ont rendu deux autres décisions qui abordent la question de l’inconduite dans le contexte des politiques de vaccination. Dans l’affaire CecchettoNote de bas de page 11 et l’affaire MilovacNote de bas de page 12, la vaccination ne faisait pas partie de la convention collective ni du contrat de travail de la partie. Malgré cela, la Cour a conclu qu’il y avait eu inconduite.

[21] Ainsi, contrairement à ce que la prestataire laisse entendre, les obligations qui résultent de la politique de vaccination de son employeur n’ont pas à être inscrites dans son contrat de travail.

[22] Comme les cours l’ont toujours affirmé, le critère de l’inconduite est très strict et précis. Il consiste à vérifier si les prestataires ont de façon intentionnelle posé (ou omis de poser) un geste en contravention de leurs obligations professionnellesNote de bas de page 13.

[23] Quant à l’argument voulant que la prestataire n’a rien fait de « mal » et qu’en conséquence, il ne faut pas considérer sa conduite comme étant une inconduite pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, les cours ont toujours affirmé que la présence d’une intention coupable n’est pas nécessaireNote de bas de page 14.

[24] Je ne suis pas convaincue qu’il soit possible de soutenir que la division générale a mal interprété la notion d’inconduite. Dans sa définition de l’inconduiteNote de bas de page 15, la division générale a tout simplement repris ce que dit le droit établi par les cours.

Est-il possible de soutenir que la division générale n’a pas examiné le caractère raisonnable de la politique de vaccination de l’employeur?

[25] La prestataire avance que la division générale n’a pas regardé si la vaccination imposée par son employeur était raisonnable. Elle affirme que, si elle avait examiné cette question, elle aurait décidé que la politique était déraisonnable et qu’elle n’avait pas à s’y conformer.

[26] Toutefois, dans les décisions Kuk et Cecchetto, la Cour fédérale a affirmé que l’évaluation des politiques d’une employeuse ou d’un employeur dépassait la compétence de la division générale et de la division d’appel. La Cour a confirmé que leur rôle est limité. Elle a précisé que, pour l’examen de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, leur rôle consiste à vérifier d’abord et avant tout si les prestataires ont intentionnellement posé (ou omis de poser) un geste en contravention de leurs obligations professionnelles.

[27] Par conséquent, la division générale n’avait pas le pouvoir d’examiner le caractère raisonnable de la politique de vaccination de l’employeur. Je ne suis pas convaincue que la prestataire puisse soutenir que la division générale a oublié de décider si la politique de vaccination de son employeur était raisonnable.

Est-il possible de soutenir que la division générale a tiré des conclusions qui ne s’appuient pas sur la preuve?

[28] Selon la prestataire, la division générale a tiré des conclusions qui ne concordent pas avec la preuve. Elle affirme que la preuve montre que son employeur n’a pas communiqué clairement ses exigences de vaccination et les conséquences du non-respect de sa politique. Elle ajoute que la preuve montre qu’il y avait une [traduction] « confusion générale » au sujet des dates limites et des conséquences potentielles de ne pas fournir l’attestation de son statut vaccinalNote de bas de page 16.

[29] La division générale a abordé les arguments de la prestataire. Elle a mentionné les éléments de preuve déposés par la prestataire ainsi que des documents au dossierNote de bas de page 17. La prestataire a déclaré que son employeur a modifié sa politique à deux reprises : le 13 octobre 2021 et, deux mois plus tard, le 6 décembre 2021Note de bas de page 18.

[30] Il y avait différentes échéances ou dates limites : une pour la vaccination complète, une autre pour l’attestation et une autre pour le début de l’application des conséquences.

[31] Au départ, les membres du personnel devaient avoir reçu toutes les doses du vaccin au plus tard le 1er octobre 2021 et la date limite pour présenter une attestation était le 15 octobre 2021. La politique révisée le 13 octobre 2021 repoussait au 1er novembre 2021 la date limite pour la vaccination complèteNote de bas de page 19. La date limite pour l’attestation était la même, mais les membres du personnel devaient indiquer tout changement. Après le 31 décembre 2021, toute personne non vaccinée qui n’avait pas d’exemption approuvée serait placée en congé sans solde pour non-respect de la politiqueNote de bas de page 20.

[32] Dans la dernière mise à jour, soit la politique du 6 décembre 2021, la date limite pour se conformer à la politique de vaccination de l’employeur est demeurée inchangée. C’était toujours le 1er novembre 2021Note de bas de page 21. Après le 10 janvier 2022, toute personne non vaccinée qui n’avait pas d’exemption approuvée serait placée en congé sans solde pour non-respect de la politiqueNote de bas de page 22.

[33] Une lettre adressée à une personne avec qui la prestataire travaillait précisait que tout le personnel devait se faire vacciner au plus tard le 31 décembre 2021Note de bas de page 23. L’employeur mettait cette personne en congé sans solde le 10 janvier 2022, jusqu’à ce qu’elle remplisse les conditions de la politique.

[34] Le 4 janvier 2022, une version révisée de la politique indiquait que les personnes qui avaient attesté qu’elles n’étaient pas entièrement vaccinées seraient en congé sans solde à compter du 10 janvier 2022Note de bas de page 24.

[35] Pourtant, la preuve présentée à l’audience montre que la prestataire souhaitait protéger sa vie privée et ses renseignements médicaux. Elle ne voulait communiquer ses renseignements médicaux à personneNote de bas de page 25. Par conséquent, la question de savoir si elle était mêlée par toutes les dates limites pour la vaccination complète et l’attestation de son statut n’était pas pertinente dans les circonstances. La prestataire n’allait pas respecter les délais parce qu’elle n’était pas d’accord avec la politique. Par conséquent, les dates limites n’avaient aucune importance.

[36] Pour ce qui est du fait que la prestataire nie qu’elle ignorait qu’elle subirait des conséquences, la division générale a conclu que la preuve montrait que la prestataire aurait dû savoir qu’elle pouvait être suspendue à compter du 10 janvier 2022Note de bas de page 26. La division générale a souligné les éléments de preuve qui appuyaient ses conclusions :

  • la lettre datée du 6 décembre 2021;
  • la lettre datée du 10 décembre 2021;
  • le bulletin d’information pour le personnel diffusé le 4 janvier 2022Note de bas de page 27.

[37] Chacun de ces documents précisait que les personnes qui n’étaient pas entièrement vaccinées ou qui avaient attesté qu’elles ne l’étaient pas seraient placées en congé sans solde à compter du 10 janvier 2022.

[38] Du 6 décembre 2021 au 4 janvier 2022, l’employeur n’a envoyé aucune autre communication laissant entendre qu’il n’y aurait pas de conséquences ou que les conséquences seraient différentes pour les membres du personnel qui n’avaient pas reçu le vaccin au plus tard le 10 janvier 2022. À ce moment‑là, rien ne pouvait laisser croire à la prestataire qu’elle ne subirait aucune conséquence. 

[39] Les conclusions de la division générale concordaient avec la preuve portée à sa connaissance. Je ne suis donc pas convaincue que la prestataire puisse soutenir un tel argument.

Conclusion

[40] Je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas plus loin.

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